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Cour d’appel fédérale

  CANADA

Federal Court of Appeal

Date : 20100114

Dossier : A-81-09

A-82-09

 

Référence : 2010 CAF 12

 

CORAM :      LE JUGE EN CHEF BLAIS

                        LA JUGE SHARLOW                     

                        LE JUGE PELLETIER

 

 

Dossier : A-81-09

ENTRE :

FLEURETTE COLLINS

appelante

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

 

 

Dossier : A-82-09

ENTRE :

EUGENE COLLINS

appelant

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

 

 

Audience tenue à Calgary (Alberta), le 12 janvier 2010.

Jugement rendu à Calgary (Alberta), le 14 janvier 2010.

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                             LA JUGE SHARLOW

Y ONT SOUSCRIT :                                                                              LE JUGE EN CHEF BLAIS

                                                                                                                         LE JUGE PELLETIER

 


Cour d’appel fédérale

  CANADA

Federal Court of Appeal

Date : 20100114

Dossier : A-81-09

Dossier : A-82-09

 

Référence : 2010 CAF 12

 

CORAM :      LE JUGE EN CHEF BLAIS

                        LA JUGE SHARLOW                     

                        LE JUGE PELLETIER

Dossier : A-81-09

ENTRE :

FLEURETTE COLLINS

appelante

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

 

 

Dossier : A-82-09

ENTRE :

EUGENE COLLINS

appelant

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE SHARLOW

[1]               Il s’agit de l’appel de deux jugements rendus par la juge V. Miller de la Cour canadienne de l’impôt visant les appels en matière d’impôt sur le revenu interjetés par Fleurette et Eugene Collins (les appelants) pour les années 1993, 1994, 1995 et 1996. Les motifs du jugement sont exposés dans la décision Collins c. Canada, 2009 CCI 56. La juge a donné gain de cause aux appelants en ce qui concerne les questions que la Couronne a concédées dans le cadre des appels, mais les appels ont été rejetés. Maintenant, M. et Mme Collins interjettent appel devant la Cour de la seule question à l’égard de la laquelle ils n’ont pas eu gain de cause devant la Cour de l’impôt.

 

[2]               La seule question qui demeure en litige a trait à la déductibilité des intérêts sur une dette particulière pour les années 1994, 1995 et 1996. Il est incontesté que les appelants étaient responsables conjointement du principal de cette dette d’environ 1,5 million $. Ils ont tous les deux demandé des déductions de 77 186 $ pour 1994, de 80 127 $ pour 1995 et de 84 391 $ pour 1996, soit 50 p. 100 des intérêts courus à un taux de 10 p. 100. Le ministre a réduit chacune de ces déductions à 10 000 $ après avoir conclu que, d’après les conditions contractuelles régissant la dette, les appelants avaient l’obligation légale conjointe en 1994, en 1995 et en 1996 de verser des intérêts d’au plus 20 000 $.

 

[3]               La disposition législative applicable est l’alinéa 20(1)c) de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985,  1 (5e suppl.) ch. 1, dont voici les éléments pertinents :

20. (1) [. . .] sont déductibles dans le calcul du revenu tiré par un contribuable d’une entreprise ou d’un bien pour une année d’imposition celles des sommes suivantes qui se rapportent entièrement à cette source de revenus ou la partie des sommes suivantes qu’il est raisonnable de considérer comme s’y rapportant :

20. (1) [. . .] in computing a taxpayer’s income for a taxation year from a business or property, there may be deducted such of the following amounts as are wholly applicable to that source or such part of the following amounts as may reasonably be regarded as applicable thereto

[. . .]

[. . .]

c) la moins élevée d’une somme payée au cours de l’année ou payable pour l’année (suivant la méthode habituellement utilisée par le contribuable dans le calcul de son revenu) et d’une somme raisonnable à cet égard, en exécution d’une obligation légale de verser des intérêts sur :

(i) de l’argent emprunté et utilisé en vue de tirer un revenu d’une entreprise ou d’un bien [. . .].

(c) an amount paid in the year or payable in respect of the year (depending on the method regularly followed by the taxpayer in computing the taxpayer’s income), pursuant to a legal obligation to pay interest on



(i) borrowed money used for the purpose of earning income from a business or property [. . .],

or a reasonable amount in respect thereof, whichever is the lesser [. . .].

 

 

[4]               Il y a un exposé complet des faits dans les motifs du jugement visé par l’appel. Aux fins du présent appel, un résumé suffira. Les faits sont incontestés à l’exception d’un point, qui est abordé ci-après.

 

[5]               Au début des années 1980, les appelants, à titre d’associés en parts égales, ont emprunté environ 1,8 million $ à une société d’État de l’Alberta pour construire un immeuble d’habitation qui accueillerait des locataires à faible revenu. Une hypothèque sur la propriété garantissait le prêt. Selon les conditions du prêt, le taux d’intérêt était de 8,75 p. 100 et les versements mensuels requis étaient de 13 368,32 $. De 1984 à 1991, les intérêts ont été capitalisés sur le principal ou différés conformément à divers arrangements officiels et non officiels.

 

[6]               En 1991, le gouvernement de l’Alberta a décidé de mettre fin au programme dans le cadre duquel le prêt avait été accordé. De 1991 à 1993, les appelants ont négocié avec un organisme du gouvernement de l’Alberta en vue de restructurer le financement. Au moment où ils ont conclu une entente, le montant du prêt (y compris les intérêts capitalisés) se chiffrait à près de 2,7 millions $.

 

[7]               Dans le cadre d’une entente intitulée « contrat de prêt et contrat modificateur d’hypothèque », en date du 22 juillet 1993 (désignée dans les motifs du jugement sous le nom de « contrat modificateur »), un organisme du gouvernement de l’Alberta a prêté aux appelants 1,2 million $ devant servir au remboursement de la dette initiale, laissant un reliquat d’environ 1,5 million $. Le nouveau prêt de 1,2 million $ était garanti par une nouvelle hypothèque ayant préséance sur l’hypothèque précédente. Aucune question fiscale n’est soulevée relativement à ce nouveau prêt.

 

[8]               Le contrat modificateur a eu pour effet de modifier les conditions contractuelles de la convention hypothécaire régissant le prêt initial. Les paragraphes 13 et 14 du contrat modificateur stipulent que ce dernier ne constitue pas un accord et un paiement à l’égard de la dette, ni une novation d’hypothèque.

 

[9]               Le paragraphe 6 du contrat modificateur expose les conditions modifiées se rapportant aux intérêts et aux versements liés à la dette. En voici les éléments pertinents (page 230 du dossier d’appel) :

i)

DURÉE :

20 ans à compter du 1er août 1993;

(ii)

INTÉRÊTS :

intérêts simples de 10 p. 100 à calculer et à verser une fois l’an, le 1er AOÛT, sous réserve de la disposition énoncée ci‑dessous en ce qui concerne les versements à effectuer au cours des 15 premières années;

(iii)

VERSEMENTS :

Versements annuels minimaux de 20 000 $ au titre des intérêts pour chacune des 15 premières années de la durée modifiée, dus au plus tard le 1er AOÛT de chaque année. À la fin de la 16e année, le reliquat des intérêts cumulés impayés sera immédiatement dû et payable et, par la suite, les intérêts seront versés conformément aux dispositions du sous‑alinéa (ii) ci‑dessus. La somme impayée au titre du principal sera payée au plus tard le 31 JUILLET 2013;

(iv)

REMBOURSEMENT ANTICIPÉ :

L’emprunteur pourra, à son gré, jusqu’au 31 JUILLET 2008, verser les sommes impayées au titre des intérêts et du principal sur paiement de la somme de 100 000 $, plus le paiement des QUINZE (15) versements annuels minimaux impayés de 20 000 $ au titre des intérêts, le montant global devant être imputé en premier lieu aux intérêts impayés qui sont dus à la date du remboursement anticipé et, en second lieu, au principal.

 

[10]           Les parties ne s’entendent pas sur la manière d’interpréter le paragraphe 6 du contrat modificateur. La juge a adopté l’interprétation de la Couronne, examinée plus tard dans les présents motifs.

 

[11]           Les appelants déclarent leurs revenus selon la méthode de la comptabilité d’exercice. Comme il a été mentionné précédemment, lorsque les appelants ont produit leurs déclarations d’impôt sur le revenu pour 1994, 1995 et 1996, ils ont chacun réclamé 50 p. 100 du montant total des intérêts courus sur le prêt à 10 p. 100, soit le taux établi au paragraphe 6 du contrat modificateur.

 

[12]           Le ministre a soutenu que les appelants n’avaient aucune obligation légale, au cours des années visées par l’appel, de payer des intérêts sur le prêt supérieurs aux 20 000 $ établis au sous‑alinéa 6(iii) du contrat modificateur. Ainsi, il a limité les déductions d’intérêts pour chacune de ces années à 10 000 $ pour M. Collins et à 10 000 $ pour Mme Collins. Les appelants ont contesté cette décision et interjeté appel devant la Cour de l’impôt. La juge a donné raison au ministre et a rejeté l’appel en se fondant sur ce point.

 

[13]           L’audience devant la Cour de l’impôt a eu lieu en avril 2008. Selon le témoignage de M. Collins, en date de cette audience, les appelants avaient effectué tous les paiements annuels de 20 000 $ sauf le dernier, qui était dû le 1er août 2008, et ils avaient l’intention de se prévaloir de l’option du sous‑alinéa 6(iv) (que je désignerai sous le nom de [traduction] « option de règlement »). M. Collins a également témoigné que, en raison de l’amélioration du marché locatif au cours des quatre années précédentes, il pensait qu’ils auraient l’argent nécessaire pour se prévaloir de l’option de règlement au plus tard le 31 juillet 2008.

 

[14]           Il convient maintenant de signaler le seul fait qui soit en litige. Les appelants soutiennent que la juge a commis une erreur manifeste et dominante au paragraphe 17 de ses motifs, où elle affirme que les appelants ont convenu à l’audience que les intérêts dont il est question au sous‑alinéa 6(ii) du contrat modificateur n’avaient pas été versés et ne seraient jamais versés. Les appelants affirment que cette affirmation ne reflète pas le témoignage de M. Collins, qui est résumé ci-dessus. Je suis d’accord. Toutefois, à mon avis, rien ne découle de cette erreur de fait. La question de savoir si les appelants ont eu l’intention de se prévaloir de l’option de règlement et à quel moment ils avaient l’intention de le faire, ou de savoir s’ils ont eu les moyens de s’en prévaloir à un moment donné n’a aucune incidence sur les questions en litige en l’espèce.

 

L’interprétation du paragraphe 6 du contrat modificateur

[15]           L’interprétation du contrat est une question de droit : voir MacNeil c. Canada (Commission de l’assurance-emploi), 2009 CAF 306, paragraphe 26, et les causes citées dans ce paragraphe. Ainsi, la présente question commande l’application de la norme de la décision correcte.

 

[16]           Selon l’interprétation proposée par la Couronne, la seule obligation légale des appelants durant les quinze premières années de la durée du contrat de prêt modifié était de payer 20 000 $ le 1er août de chaque année au titre des intérêts courus durant cette année-là. Toute obligation de payer des intérêts de plus de 20 000 $ par année ne surviendrait qu’après le 31 juillet 2008, et seulement si les appelants ne se prévalaient pas de l’option de règlement en payant 400 000 $ moins le total des versements annuels de 20 000 $ déjà effectués.

 

[17]           La juge a accepté l’interprétation proposée par la Couronne. En toute déférence, j’estime qu’elle a commis une erreur de droit ce faisant parce que cette interprétation n’est pas compatible avec la formulation du paragraphe 6 du contrat modificateur et de l’entente dans son ensemble.

 

[18]           La juge a accepté l’interprétation proposée par la Couronne. En toute déférence, j’estime qu’elle a commis une erreur de droit ce faisant parce que cette interprétation n’est pas compatible avec la formulation du paragraphe 6 du contrat modificateur et de l’entente dans son ensemble.

 

[19]           Essentiellement, l’argument de la Couronne est que, durant les 15 premières années du  contrat de prêt modifié, l’obligation des appelants de payer la tranche supplémentaire n’était qu’une obligation éventuelle qui deviendrait une obligation absolue seulement si, au plus tard le 31 juillet 2008, ceux-ci omettaient de se prévaloir de l’option de règlement. Toutefois, à la lecture intégrale du paragraphe 6, il est évident que les dispositions régissant la date d’échéance des intérêts et du principal sont les mêmes, dans la mesure où le principal et tous les intérêts impayés sont dus à une date ultérieure sous réserve de l’exercice de l’option de règlement prévoyant des paiements totalisant 400 000 $ pour l’ensemble du principal et des intérêts. À mon avis, la Couronne s’est trompée concernant ce qui est éventuel. Ce n’est pas l’obligation des appelants de payer les intérêts qui est éventuelle, mais le droit des appelants de se prévaloir de l’option de règlement.

 

[20]           Il s’ensuit que, à chacune des années visées par l’appel (1994, 1995 et 1996) et, en fait, pour chacune des 15 premières années du contrat modificateur, les appelants avaient une obligation non éventuelle de payer les intérêts courus sur le montant principal de la dette, soit environ 1,5 million $, au taux de 10 p. 100, tel que prévu au sous‑alinéa 6(ii) du contrat modificateur.

 

L’interprétation de l’alinéa 20(1)c) de la Loi de l’impôt sur le revenu

[21]           La prochaine question est de savoir si les appelants avaient une obligation légale durant les années visées par l’appel de payer le montant entier des intérêts courus durant ces années, même si la date d’échéance ne survenait pas au cours de ces années et ne surviendrait pas si les appelants se prévalaient de l’option de règlement. La juge a tranché cette question en faveur de la Couronne au motif qu’un contribuable ne peut avoir une obligation légale qui est « payable » au cours d’une année particulière si la date d’échéance de l’obligation tombe durant une des années subséquentes. À mon avis, cette conclusion repose sur une interprétation incorrecte du sens du mot « payable » tel qu’employé à l’alinéa 20(1)c) dans l’expression « payable pour l’année ».

 

[22]           L’interprétation des premiers mots de l’alinéa 20(1)c) est établie depuis de nombreuses années. Il est reconnu depuis longtemps que si un contribuable emprunte de l’argent pour en tirer un revenu non exonéré d’une entreprise ou d’un bien, et qu’il a, comme en l’espèce, une obligation légale non éventuelle de verser des intérêts sur cette dette, le contribuable peut déduire ces intérêts.

 

[23]           Il est également bien établi que l’année où le contribuable peut demander la déduction d’intérêts dépend de la méthode de comptabilité utilisée pour le calcul du revenu, soit celle de la comptabilité de trésorerie ou celle de la comptabilité d’exercice. Si le contribuable calcule son revenu selon la méthode de la comptabilité de trésorerie, la déduction permise pour une année particulière est le montant des intérêts payés au cours de cette année-là. Si le contribuable calcule son revenu selon la méthode de la comptabilité d’exercice, la déduction permise pour une année particulière est le montant des intérêts courus ou venus à échéance durant cette année-là. L’état du droit sur cette question est bien résumé aux paragraphes 5 et 6 du Bulletin d’interprétation IT‑533, Déductibilité de l’intérêt et questions connexes, du 31 octobre 2003.

 

[24]           Par exemple, il est très courant que, dans le contexte d’une créance commerciale, les intérêts courus au cours d’une année soient payables au cours d’une année subséquente. Si l’emprunteur est un contribuable utilisant la méthode de la comptabilité d’exercice, la déduction d’intérêts doit se faire au cours de l’année de l’engagement. En fait, si le contribuable ne fait pas la déduction au cours de cette année, il ne pourra jamais la faire : voir M.R.N. c. Mid-West Abrasive Company of Canada Ltd., 73 D.T.C. 5429 (C.F. 1re inst.).

 

[25]           En l’espèce, les appelants utilisent la méthode de la comptabilité d’exercice. Par conséquent, ils ont le droit de déduire les intérêts au fur et à mesure que ces intérêts sont engagés, quelle que soit la date à laquelle le paiement vient à échéance. Les appelants ont demandé à juste titre des déductions pour les intérêts courus au taux de 10 p. 100 par année, tel qu’il est prévu au sous‑alinéa 6(ii) du contrat modificateur. Ils ont droit à cette déduction même s’ils n’étaient pas tenus de payer le montant total des intérêts au cours de l’année de l’engagement et même si le prêteur serait tenu, si les appelants se prévalaient de l’option de règlement, d’annuler presque entièrement l’obligation de rembourser le principal et les intérêts.

 

[26]           La situation est analogue à celle d’un prêt hypothécaire à recours limité, où le droit du prêteur de récupérer le principal et les intérêts se limite au produit de la vente de la propriété hypothéquée au terme de l’entente. Même s’il est absolument certain que la valeur de la propriété est inférieure à la dette hypothécaire, le montant total de la dette demeure une obligation légale de l’emprunteur tant et aussi longtemps que la propriété hypothéquée n’est pas vendue (voir, par exemple, Canada c. McLarty, [2008] 2 R.C.S. 79, 2008 CSC 26).

 

Le critère du caractère raisonnable à l’alinéa 20(1)c) de la Loi de l’impôt sur le revenu

[27]           La juge a convenu avec la Couronne qu’il fallait limiter le montant des intérêts déductibles aux termes de l’alinéa 20(1)c) à 20 000 $ parce qu’il serait déraisonnable d’autoriser une déduction supérieure à ce montant. Cette conclusion se voulait une mise en application de l’alinéa 20(1)c) qui limite toute déduction d’intérêts au moindre des deux montants suivants : les intérêts payables ou « une somme raisonnable à cet égard ».

 

[28]           Dans ses observations, la Couronne a avisé les appelants qu’ils auraient à établir que les intérêts en question satisfaisaient aux exigences de l’alinéa 20(1)c), mais seulement en ce qui a trait à la question de savoir si les appelants avaient une obligation légale, durant les années visées par l’appel, de payer des intérêts au taux fixé au paragraphe 6 du contrat modificateur. La Couronne n’a pas plaidé la question du caractère raisonnable et n’a mentionné la question du caractère raisonnable que lors de son exposé final.

 

[29]           Dans l’arrêt Shell Canada Ltée c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 622, au paragraphe 28, la juge en chef McLachlin, s’exprimant au nom de la Cour suprême du Canada, a fait valoir qu’une des conditions de l’alinéa 20(1)c) est que la somme de la déduction demandée soit raisonnable, compte tenu des trois premières conditions. À cet égard, elle a indiqué au paragraphe 34 qu’un taux d’intérêt fixé sur un marché de prêteurs et d’emprunteurs sans lien de dépendance est généralement un taux raisonnable. Cela suggère que, pour rendre une décision sur le caractère raisonnable d’une déduction d’intérêts, il est utile d’examiner des facteurs externes tels que la conjoncture du marché et les taux du marché pour des transactions comparables.

 

[30]           La Couronne a omis d’invoquer la question du caractère raisonnable dans ses observations et n’a soulevé cette question qu’au moment de son plaidoyer final, causant ainsi un préjudice indu aux appelants puisque ces derniers ne pouvaient pas savoir, avant que la production de la preuve ne soit terminée, que des éléments de preuve se rapportant au caractère raisonnable du taux d’intérêt pourraient s’avérer pertinents. Les appelants ont fait valoir que la Cour ne devrait pas examiner l’argument fondé sur le caractère raisonnable, mais la juge a rejeté leur argument. À mon avis, elle a commis une erreur de droit ce faisant, en raison du préjudice subi par les appelants.

 

[31]           Même si la juge de la Cour de l’impôt avait eu raison d’entendre les arguments se rapportant au critère du caractère raisonnable, elle n’a pas appliqué le caractère correctement. Au paragraphe 38, elle fait valoir que la déduction des intérêts est déraisonnable si ces intérêts n’ont pas été payés durant l’année visée par l’appel et s’ils n’étaient pas exigibles durant l’année visée par l’appel. Cette déclaration est non seulement incompatible avec les remarques de l’arrêt Shell sur le critère du caractère raisonnable, mais a aussi pour effet de rendre en grande partie l’alinéa 20(1)c) redondant.

 

Conclusion

[32]           Pour ces motifs, j’accueillerais l’appel, j’annulerais les jugements de la Cour de l’impôt et, compte tenu des jugements qu’il aurait fallu rendre, j’accueillerais les appels des contribuables et je renverrais les nouvelles cotisations au ministre pour qu’il en établisse de nouvelles au motif que les appelants ont le droit de déduire tous les intérêts courus sur les prêts aux montants initialement demandés.

 

Dépens

[33]           Les appelants ont demandé les dépens engagés dans la présente procédure et dans celle devant la Cour de l’impôt. Ils ont également demandé que les dépens soient calculés selon un barème plus élevé en raison de la tentative illégitime de la Couronne de soulever une nouvelle question dans son plaidoyer final.

 

[34]           Les appelants n’ont pas fait état de leur demande de dépens plus élevés dans leur mémoire des faits et du droit, mais l’ont soulevée pour la première fois dans leurs observations dans le cadre de l’appel, prenant ainsi la Couronne par surprise. Il aurait fallu qu’ils indiquent dans leur mémoire qu’ils avaient l’intention de demander des dépens selon un barème plus élevé. Ils auraient pu aussi mentionner lors de l’instruction de l’appel que si la Cour tranchait en leur faveur, ils allaient présenter une requête pour que soit donnée, aux termes de l’article 400 des Règles, une directive ordonnant que les dépens soient calculés selon un barème plus élevé.

 

[35]           Quoi qu’il en soit, je ne suis pas convaincue que l’adjucation de dépens selon un barème plus élevé soit justifiée en l’espèce. L’argument fondé sur le caractère raisonnable a été rejeté parce qu’il était sans fondement, si bien qu’il n’a entraîné aucun préjudice réel.

 

[36]           J’attribuerais aux appelants leurs dépens liés à la présente procédure selon les principes établis de l’adjucation, ainsi que leurs dépens liés à la procédure devant la Cour de l’impôt.

 

« K. Sharlow »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

            Pierre Blais, j.c.c.a. »

« Je suis d’accord

            Pelletier, j.c.a.

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Mélanie Lefebvre, LL.B., trad. a.


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIERS :                                                  A-81-09/

                                                                        A-82-09

 

INTITULÉ :                                                   A-81-09

                                                                        FLEURETTE COLLINS c.
SA MAJESTÉ
LA REINE

 

                                                                        A-82-09

                                                                        EUGENE COLLINS c.
SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Calgary (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 12 janvier 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LA JUGE SHARLOW

 

Y ONT SOUSCRIT :                                     LE JUGE EN CHEF BLAIS

                                                                        LE JUGE PELLETIER

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 14 janvier 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jehad Haymour

POUR L’APPELANT

 

 

Mark Heseltine

POUR L’INTIMÉE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Fraser Milner Casgrain LLP

POUR L’APPELANT

Calgary (Alberta)

 

 

 

John H. Sims, c.r.

POUR L’INTIMÉE

Sous-procureur général du Canada

 

 

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