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Cour d'appel fédérale

    CANADA

Federal Court of Appeal

Date : 20100514

Dossier : A-514-07

 

Référence : 2010 CAF 123

 

CORAM :      LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE NADON

                        LE JUGE PELLETIER

 

ENTRE :

SOCIETY OF COMPOSERS, AUTHORS AND MUSIC PUBLISHERS OF CANADA

demanderesse

 

et

BELL CANADA, THE CANADIAN ASSOCIATION OF BROADCASTERS, THE CANADIAN BROADCASTING CORPORATION, THE CANADIAN RECORDING INDUSTRY ASSOCIATION, APPLE CANADA INC., THE NATIONAL CAMPUS AND COMMUNITY RADIO ASSOCIATION, THE ENTERTAINMENT SOFTWARE ASSOCIATION, THE ENTERTAINMENT SOFTWARE ASSOCIATION OF CANADA, ICEBERG MEDIA.COM, ROGERS COMMUNICATIONS INC., ROGERS WIRELESS PARTNERSHIP, SHAW CABLESYSTEMS G.P., TELUS COMMUNICATIONS INC., CMRRA/SODRAC INC., ESPRIT COMMUNICATIONS, CKUA RADIO NETWORK et THE RETAIL COUNCIL OF CANADA

 

défendeurs

 

 

 

 

 

 

Audience tenue à Montréal (Québec), les 3 et 4 mai 2010.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 14 mai 2010.

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                     LE JUGE LÉTOURNEAU

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                           LE JUGE NADON

                                                                                                                       LE JUGE PELLETIER


Cour d'appel fédérale

    CANADA

Federal Court of Appeal

Date : 20100514

Dossier : A-514-07

 

Référence : 2010 CAF 123

 

CORAM :      LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE NADON

                        LE JUGE PELLETIER

 

ENTRE :

SOCIETY OF COMPOSERS, AUTHORS AND MUSIC PUBLISHERS OF CANADA

demanderesse

 

et

BELL CANADA, THE CANADIAN ASSOCIATION OF BROADCASTERS, THE CANADIAN BROADCASTING CORPORATION, THE CANADIAN RECORDING INDUSTRY ASSOCIATION, APPLE CANADA INC., THE NATIONAL CAMPUS AND COMMUNITY RADIO ASSOCIATION, THE ENTERTAINMENT SOFTWARE ASSOCIATION, THE ENTERTAINMENT SOFTWARE ASSOCIATION OF CANADA, ICEBERG MEDIA.COM, ROGERS COMMUNICATIONS INC., ROGERS WIRELESS PARTNERSHIP, SHAW CABLESYSTEMS G.P., TELUS COMMUNICATIONS INC., CMRRA/SODRAC INC., ESPRIT COMMUNICATIONS, CKUA RADIO NETWORK et THE RETAIL COUNCIL OF CANADA

 

défendeurs

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE LÉTOURNEAU

 

La question en litige

 

[1]               Cette demande de contrôle judiciaire s’attaque à un aspect de la décision rendue par la Commission du droit d’auteur (Commission) le 18 octobre 2007. Au terme de cette décision, la Commission a appliqué à la demande de certification de tarif faite par la Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (SOCAN) l’exception de l’article 29 de la Loi sur le droit d’auteur, L.R.C. 1985, c. C-42 (Loi) en rapport avec l’offre d’écoutes préalables d’extraits d’œuvres musicales faite aux consommateurs.

 

[2]               La demanderesse conteste l’interprétation que la Commission a faite de cette disposition ainsi que le bien-fondé de son application aux faits de l’espèce.

 

[3]               L’article 29 énonce que ne constitue pas une violation du droit d’auteur, et par conséquent la soustrait au paiement de droits d’auteur, « l’utilisation équitable d’une œuvre ou de tout autre objet du droit d’auteur aux fins d’étude privée ou de recherche ».

 

[4]               Plus spécifiquement, le débat porte sur la signification du mot « recherche » ainsi que sur la question de savoir si l’offre qui est faite au consommateur d’écouter au préalable, pour un maximum de trente (30) secondes, un extrait d’une œuvre musicale constitue une utilisation équitable à des fins de recherche au sens de l’article 29 de la Loi.

 

La législation pertinente

 

[5]               Je reproduis une partie de l’article 3 et l’article 29 qui se situe au cœur du litige :

 

Droit d’auteur sur l’oeuvre

 

3. (1) Le droit d’auteur sur l’oeuvre comporte le droit exclusif de produire ou reproduire la totalité ou une partie importante de l’oeuvre, sous une forme matérielle quelconque, d’en exécuter ou d’en représenter la totalité ou une partie importante en public et, si l’oeuvre n’est pas publiée, d’en publier la totalité ou une partie importante; ce droit comporte, en outre, le droit exclusif :

 

a) de produire, reproduire, représenter ou publier une traduction de l’oeuvre;

 

b) s’il s’agit d’une oeuvre dramatique, de la transformer en un roman ou en une autre oeuvre non dramatique;

 

c) s’il s’agit d’un roman ou d’une autre oeuvre non dramatique, ou d’une oeuvre artistique, de transformer cette oeuvre en une oeuvre dramatique, par voie de représentation publique ou autrement;

 

d) s’il s’agit d’une oeuvre littéraire, dramatique ou musicale, d’en faire un enregistrement sonore, film cinématographique ou autre support, à l’aide desquels l’oeuvre peut être reproduite, représentée ou exécutée mécaniquement;

 

e) s’il s’agit d’une oeuvre littéraire, dramatique, musicale ou artistique, de reproduire, d’adapter et de présenter publiquement l’oeuvre en tant qu’oeuvre cinématographique;

 

f) de communiquer au public, par télécommunication, une oeuvre littéraire, dramatique, musicale ou artistique;

 

 

g) de présenter au public lors d’une exposition, à des fins autres que la vente ou la location, une oeuvre artistique — autre qu’une carte géographique ou marine, un plan ou un graphique — créée après le 7 juin 1988;

 

 

h) de louer un programme d’ordinateur qui peut être reproduit dans le cadre normal de son utilisation, sauf la reproduction effectuée pendant son exécution avec un ordinateur ou autre machine ou appareil;

 

 

i) s’il s’agit d’une oeuvre musicale, d’en louer tout enregistrement sonore.

Est inclus dans la présente définition le droit exclusif d’autoriser ces actes.

 

 

Étude privée ou recherche

 

29. L’utilisation équitable d’une oeuvre ou de tout autre objet du droit d’auteur aux fins d’étude privée ou de recherche ne constitue pas une violation du droit d’auteur.

Copyright in works

 

3. (1) For the purposes of this Act, “copyright”, in relation to a work, means the sole right to produce or reproduce the work or any substantial part thereof in any material form whatever, to perform the work or any substantial part thereof in public or, if the work is unpublished, to publish the work or any substantial part thereof, and includes the sole right

 

 

(a) to produce, reproduce, perform or publish any translation of the work,

 

(b) in the case of a dramatic work, to convert it into a novel or other non-dramatic work,

 

(c) in the case of a novel or other non-dramatic work, or of an artistic work, to convert it into a dramatic work, by way of performance in public or otherwise,

 

 

(d) in the case of a literary, dramatic or musical work, to make any sound recording, cinematograph film or other contrivance by means of which the work may be mechanically reproduced or performed,

 

 

(e) in the case of any literary, dramatic, musical or artistic work, to reproduce, adapt and publicly present the work as a cinematographic work,

 

 

(f) in the case of any literary, dramatic, musical or artistic work, to communicate the work to the public by telecommunication,

 

(g) to present at a public exhibition, for a purpose other than sale or hire, an artistic work created after June 7, 1988, other than a map, chart or plan,

 

 

 

 

(h) in the case of a computer program that can be reproduced in the ordinary course of its use, other than by a reproduction during its execution in conjunction with a machine, device or computer, to rent out the computer program, and

 

(i) in the case of a musical work, to rent out a sound recording in which the work is embodied,

 

and to authorize any such acts.

 

Research or private study

 

29. Fair dealing for the purpose of research or private study does not infringe copyright.

 

 

Les faits particuliers à la présente instance

 

[6]               Cette contestation initiée par SOCAN est l’une des cinq demandes de contrôle judiciaire intentée contre la décision du 18 octobre 2007 relative au Tarif No 22.A.

 

[7]               Le projet initial de tarif déposé auprès de la Commission par SOCAN visait les années 1996 à 2006 et la communication, durant cette période, d’œuvres musicales « au moyen de transmissions Internet ou autres moyens semblables ». Était visée ultimement par ce tarif la reproduction d’œuvres musicales livrées sur Internet en téléchargements permanents, en téléchargements limités et en transmission sur demande.

 

[8]               Les téléchargements peuvent ou non être offerts avec une possibilité d’écoute préalable. Comme le dit la Commission au paragraphe 18 de sa décision, « l’écoute préalable est un moyen de mise en marché utilisé entre autres par les fournisseurs de musique en ligne. Il implique la transmission sur demande d’un extrait (habituellement d’au plus 30 secondes) d’un enregistrement sonore afin de permettre à l’utilisateur de l’« essayer », de façon à décider d’acheter ou non un téléchargement (la plupart du temps permanent) ».

 

[9]               Si la demanderesse ne recherchait pas l’établissement d’un tarif spécifique pour les droits d’auteur rattachés à l’écoute préalable, elle n’en demandait pas moins une compensation pour ceux-ci par le truchement du taux de redevances demandé pour les téléchargements. De fait, la demande de tarif proposait pour les téléchargements accompagnés d’une écoute préalable un taux différent et plus élevé que celui sollicité pour les téléchargements sans celle-ci.

 

[10]           Les parties n’ont en aucun temps soulevé devant la Commission la question de l’exception de l’écoute préalable. Celle-ci l’a fait d’office et les parties l’ont appris lorsqu’elles ont reçu sa décision. Elles sont unanimes à se plaindre du fait qu’elles n’ont pu faire de représentations quant à la portée de l’exception et son applicabilité en l’instance. Elles déplorent qu’elles n’ont pu soumettre de preuves qui, allègue-t-on, auraient réfuté certaines des présomptions sur lesquelles la Commission a fondé ses conclusions. Ainsi, dit la demanderesse, le volume d’écoute préalable est tel que la Commission n’aurait pu statuer qu’il s’agit d’une « utilisation dont on peut présumer qu’elle est équitable » : voir le paragraphe 113 de la décision. Bien qu’insistant sur le manquement aux règles de justice naturelle, elles nous demandent d’adjuger sur la question plutôt que de retourner le dossier à la Commission pour y faire les représentations qu’elles nous ont soumises.

 

[11]           Il est surprenant que, sur un sujet aussi important, la Commission se soit livrée, sans le bénéfice de discussion des parties affectées, à une interprétation de l’exception elle-même ainsi que de son champ d’application. Les parties soumettent qu’elles auraient dû être entendues et je suis d’accord compte tenu des intérêts sociaux-économiques en jeu.

 

Analyse de la décision de la Commission et des prétentions des parties

 

[12]           S’inspirant de l’arrêt CCH c. Barreau du Haut-Canada, [2004] 1 R.C.S. 339, la Commission a retenu et appliqué le principe qu’il fallait interpréter le mot « recherche » de manière large afin que les droits des utilisateurs ne soient pas indûment restraints : voir le paragraphe 104 de la décision de la Commission.

 

[13]           Ayant déterminé que l’écoute préalable constituait une utilisation de l’œuvre musicale à des fins de recherche, la Commission s’est ensuite demandée s’il s’agissait d’une utilisation équitable. Pour ce faire, elle a analysé méthodiquement les facteurs suivants, avancés par le juge Linden de notre Cour et repris par la juge en chef McLachlin de la Cour suprême dans l’arrêt CCH, supra, pour procéder à une détermination du caractère équitable de l’utilisation : le but, le caractère et l’ampleur de l’utilisation, les solutions de rechange à l’utilisation, la nature de l’œuvre et l’effet de l’utilisation sur l’œuvre.

 

[14]           Au paragraphe 116 de sa décision, elle conclut ainsi :

 

[116] Nous concluons que, de manière générale, les usagers qui effectuent l’écoute préalable d’extraits peuvent se prévaloir de l’article 29 de la Loi, comme ceux qui permettent aux usagers de vérifier qu’ils ont ou vont acheter la piste ou l’album souhaités ou encore qui leur permettent d’examiner et d’essayer ce qui est disponible en ligne. Certains usagers peuvent utiliser l’écoute préalable d’une manière non conforme à l’utilisation équitable; cela n’affecte pas la position des services, dans la mesure où ils peuvent établir que « [leurs] propres pratiques et politiques étaient axées sur la recherche et équitables ».

[116] We conclude that generally speaking, users who listen to previews are entitled to avail themselves of section 29 of the Act, as are those who allow them to verify that they have or will purchase the track or album that they want or to permit them to view and sample what is available online. Some users may use previews in a manner that does not constitute fair dealing; this does not compromise the position of the services, so long as they are able to show “that their own practices and policies were research-based and fair”.

 

 

a)         La signification du mot « recherche » de l’article 29

 

[15]           Bien évidemment, la demanderesse s’en prend à l’interprétation donnée à la notion de « recherche ». Pour elle, cette notion réfère à un concept d’investigation, de recherche systématique, d’analyse critique, d’enquête scientifique, de découvertes factuelles, survenant et s’exécutant dans un contexte ou un cadre formel. L’écoute préalable permise par le réseau Internet ne revêt, dit-elle, aucune de ces caractéristiques que véhicule et requiert la notion de recherche.

 

[16]           Comme c’est généralement le cas, un mot a plusieurs acceptions. Le mot « recherche » ne fait pas exception à la règle. Selon le Petit Robert 2006, le sens premier et usuel du mot est d’ordre matériel : « Action de chercher, de rechercher, effort pour trouver quelque chose ». Il possède aussi un sens second d’ordre intellectuel : « Effort de l’esprit pour trouver une connaissance nouvelle, la vérité ».

 

[17]           SOCAN reconnaît l’attribution de ces deux sens en se référant aux dictionnaires The Oxford Shorter English Dictionary, the Concise Oxford English Dictionary, the Canadian Oxford Dictionary and the Random House Webster’s Unabridged Dictionary : voir le paragraphe 33 de son mémoire des faits et du droit où on peut y lire 1. The action or an instance of searching carefully for a specified thing or person. 2. A search or investigation undertaken to discover facts and research new conclusions by the critical study of a subject or by a course of scientific inquiry. Mais elle préfère le second sens et soutient que c’est celui-ci qu’il convient de donner au mot pour les fins de l’article 29.

 

[18]           Le législateur a choisi de ne pas apposer de qualificatif restrictif au mot « recherche » de l’article 29. Il aurait pu y parler de « recherche scientifique », « économique », « culturelle », etc. Il a plutôt opté pour une absence de qualification afin de permettre une adaptation du terme au contexte dans lequel il est utilisé et un maintien d’un juste équilibre entre les droits des titulaires du droit d’auteur et les intérêts des utilisateurs.

 

[19]           Si, par sa nature, la recherche juridique comme dans l’affaire CCH revêt un caractère plus formel et rigoureux, il n’en va pas nécessairement de même pour les consommateurs d’un objet du droit d’auteur tel une œuvre musicale.

 

[20]           Dans un tel contexte, il n’est pas déraisonnable de donner au mot « recherche » son sens premier et usuel. Car le consommateur est à la recherche d’un objet du droit d’auteur qu’il désire et s’efforce de trouver et dont il veut s’assurer de son authenticité et de sa qualité avant de se le procurer. Je suis d’accord avec la Commission que « l’écoute préalable contribue à cet effort pour trouver ».

 

[21]           Voici comment s’exprime la Commission sur le sujet au paragraphe 109 de sa décision :

 

[109] L’article 29 de la Loi s’applique exclusivement à la recherche et à l’étude privée. La Cour suprême du Canada a établi de manière claire que « la recherche ne se limite pas à celle effectuée dans un contexte non commercial ou privé ». 30 Planifier l’achat d’un téléchargement ou d’un CD requiert un effort pour trouver : identifier les sites offrant ces biens, en choisir un, établir si la piste est disponible, vérifier qu’il s’agit de la bonne version et ainsi de suite. L’écoute préalable contribue à cet effort pour trouver. Si copier un arrêt en vue de pouvoir conseiller un client ou un senior est une utilisation « à des fins de recherche » comme l’entend l’article 29, écouter au préalable un extrait en vue de décider d’acheter ou non un téléchargement ou un CD l’est aussi. L’objet de la démarche est différent, tout comme l’expertise qu’elle requiert ou les conséquences d’une recherche bâclée. Il s’agit là de différences de degré et non de nature.

[109] Section 29 of the Act only applies to research and private study. The Supreme Court of Canada has made it clear that “research is not limited to non-commercial or private contexts.” 30 Planning the purchase of a download or CD involves searching, investigation: identifying sites that offer those products, selecting one, finding out whether the track is available, ensuring that it is the right version or cover and so on. Listening to previews assists in this investigation. If copying a court decision with a view to advising a client or principal is a dealing “for the purpose of research” within the meaning of section 29, so is streaming a preview with a view to deciding whether or not to purchase a download or CD. The object of the investigation is different, as are the level of expertise required and the consequences of performing an inadequate search. Those are differences in degree, not differences in nature.

 

 

[22]           SOCAN prétend que le but premier de l’écoute préalable n’est pas la recherche, mais plutôt d’augmenter les ventes et, par conséquent, les profits. Il ne fait pas de doute que, pour le commerçant, il s’agit là d’un but important qui profite également aux titulaires de droits d’auteurs via les droits de reproduction et de représentation. J’en conviens. Mais cela n’exclut pas d’autres finalités toutes aussi importantes. Il faut examiner l’écoute préalable sous l’angle du consommateur de l’objet du droit d’auteur à qui celle-ci est destinée pour lui permettre de mieux rechercher et trouver l’œuvre musicale qu’il désire.

 

[23]           En conclusion, je ne crois pas que l’interprétation contextuelle du concept de recherche de l’article 29 faite par la Commission en rapport avec l’écoute préalable d’une œuvre musicale soit erronée ou déraisonnable. Ceci m’amène au deuxième volet de l’exception : s’agit-il d’une utilisation équitable?

 

b)         L’équité de l’utilisation d’une œuvre musicale par le moyen de l’écoute préalable

 

[24]           Je n’ai pas l’intention de reprendre l’analyse qu’a faite la Commission des six facteurs pouvant servir à la détermination du caractère équitable de l’utilisation, à l’exception cependant du troisième, soit l’ampleur de l’utilisation. Pour ce qui est des autres, j’accepte l’analyse de la Commission et les conclusions qu’elle en tire.

 

[25]           J’ai fait allusion au troisième facteur au début des présents motifs en rapport avec la fréquence et le volume d’écoute préalable. SOCAN nous a remis à l’audience des chiffres confidentiels qui n’étaient pas devant la Commission puisque les parties n’ont pas été appelées à discuter de l’exception et à déposer des preuves.

 

[26]           Voici l’analyse de ce troisième facteur que l’on retrouve au paragraphe 113 de la décision :

 

[113] Le troisième facteur est l’ampleur de l’utilisation. Transmettre un extrait pour en permettre une seule écoute préalable est une utilisation quantitativement modeste par rapport à l’achat de l’œuvre au complet pour écoute répétée. Aider l’usager à prendre une décision d’achat à l’égard du fichier au complet est une utilisation dont on peut présumer qu’elle est équitable.

[113] The third is the amount of the dealing. Streaming a preview to listen to it once is a dealing of a modest amount, when compared to purchasing the whole work for repeated listening. Helping the user to decide his course of action with respect to a purchase of the whole file is presumptively fair.

 

 

[27]           On y constate que la Commission a mesuré l’ampleur de l’utilisation par la durée de chaque écoute préalable par rapport à l’œuvre au complet. Elle l’a également appréciée en regard de l’objectif d’achat recherché par l’utilisateur.

 

[28]           Je dois dire que la mesure retenue par la Commission en est une qui s’impose d’emblée. On ne saurait conclure à l’erreur du fait d’y avoir recours. Mais SOCAN propose un autre étalon de mesure. Au lieu de s’en remettre à chaque cas individuel d’écoute préalable, elle suggère de mesurer l’ampleur de celle-ci et son caractère équitable en prenant l’agrégat du nombre des utilisateurs, des écoutes préalables et des heures de musique qui en résultent sans compensation.

 

[29]           Les données confidentielles fournies pour l’année 2006 pour un seul service de musique en ligne sur Internet sont surprenantes. Malheureusement, et ce n’est pas la faute de SOCAN, elles n’ont pu être vérifiées et soumises au processus contradictoire. En outre, la nouvelle mesure proposée apporte son lot d’interrogations. Par exemple, supplante-t-elle celle retenue par la Commission? Ou ne fait-elle simplement que s’y ajouter pour élargir la perspective d’analyse de ce troisième facteur? Quel poids faut-il lui donner? Si elle supplante l’autre, fait-elle du troisième facteur un facteur prépondérant, voire même déterminant selon le résultat de l’agrégat?

 

[30]           En l’absence d’un débat éclairé sur ces questions et vu l’information parcellaire dont nous disposons, il m’apparaît plus prudent et sage de reporter à plus tard la résolution de ce débat.

 

[31]           Dans les circonstances, je ne peux conclure que la décision de la Commission en ce qui a trait à l’équité de l’utilisation de l’écoute préalable est erronée ou déraisonnable.

 

Conclusion

 

[32]           Pour ces motifs, je rejetterais la demande de contrôle judiciaire avec dépens en faveur des défendeurs.

 

[33]           Cette demande de contrôle judiciaire fut, par ordonnance, fixée pour audition commune avec cinq autres demandes. Les parties ont déposé pour ces six causes trente et un (31) mémoires des faits et du droit.

 

[34]           Je tiens à souligner la qualité des représentations écrites et orales faites par les procureurs des parties. Ceux-ci ont aussi déposé des Compendiums de qualité, bien structurés, qui ont considérablement accru l’efficacité des audiences. En outre, ils ont soumis un échéancier de gestion de leur temps de représentations orales et ils s’y sont strictement conformés. Les audiences furent chargées en temps et en matière. Mais l’expérience et le professionnalisme des procureurs en ont grandement facilité la gestion.

 

 

« Gilles Létourneau »

j.c.a.

 

« Je suis d’accord

            M. Nadon, j.c.a. »

 

« Je suis d’accord

            J.D. Denis Pelletier, j.c.a. »

 

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    A-514-07

 

 

INTITULÉ :                                                   SOCIETY OF COMPOSERS, AUTHORS AND

                                                                        MUSIC PUBLISHERS OF CANADA c.

                                                                        BELL CANADA et al.

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Les 3 et 4 mai 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE LÉTOURNEAU

 

Y ONT SOUSCRIT :                                     LE JUGE NADON

                                                                        LE JUGE PELLETIER

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 14 mai 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Gilles M. Daigle

D. Lynne Watt

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Gerald L. Kerr-Wilson

 

 

 

 

J. Thomas Curry

Marguerite Ethier

 

Michael Koch

Dina Graser

 

Casey M. Chisick

Timothy Pinos

POUR LES DÉFENDEURS

Bell Canada, Rogers Comm. Inc., Rogers Wireless, Shaw Cablesystems, Puretracks Inc. et Telus Comm. Inc.

 

POUR LE DÉFENDEUR

CRIA

 

POUR LE DÉFENDEUR

Apple Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

CMRRA-SODRAC Inc.

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Gowling Lafleur Henderson LLP

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Fasken Martineau LLP

Ottawa (Ontario)

 

 

 

Lenczner Slaght Royce Smith Griffin LLP

Toronto (Ontario)

 

Goodmans

Toronto (Ontario)

 

Cassels Brock & Blackwell LLP

Toronto (Ontario)

POUR LES DÉFENDEURS

Bell Canada, Rogers Comm. Inc., Rogers Wireless, Shaw Cablesystems, Puretracks Inc. et Telus Comm. Inc.

 

POUR LE DÉFENDEUR

CRIA

 

POUR LE DÉFENDEUR

Apple Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

CMRRA-SODRAC Inc.

 

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