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Federal Court of Appeal

Cour d'appel fédérale

 

 

 

Date : 20100525

Dossier : A-427-09

Référence : 2010 CAF 131

 

CORAM :      LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

                        LE JUGE STRATAS

 

ENTRE :

DUFF CONACHER et DEMOCRACY WATCH

appelants

et

LE PREMIER MINISTRE DU CANADA,

LE GOUVERNEUR EN CONSEIL DU CANADA

LA GOUVERNEURE GÉNÉRALE DU CANADA et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

intimés

 

 

 

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 25 mai 2010.

Jugement rendu à l’audience à Ottawa (Ontario), le 25 mai 2010.

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :                                                       LE JUGE STRATAS

 


Federal Court of Appeal

Cour d'appel fédérale

 

Date : 20100525

Dossier : A-427-09

Référence : 2010 CAF 131

 

CORAM :      LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

                        LE JUGE STRATAS

 

ENTRE :

DUFF CONACHER et DEMOCRACY WATCH

appelants

et

LE PREMIER MINISTRE DU CANADA,

LE GOUVERNEUR EN CONSEIL DU CANADA

LA GOUVERNEURE GÉNÉRALE DU CANADA et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

intimés

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

(Prononcés à l’audience à Ottawa (Ontario), le 25 mai 2010)

LE JUGE STRATAS

[1]        Il s’agit d’un appel d’un jugement de la Cour fédérale rejetant la demande de contrôle judiciaire présentée par les appelants (2009 CF 920).

 

[2]        Devant la Cour fédérale, les appelants ont réclamé plusieurs mesures déclaratoires visant la décision du premier ministre qui consistait à conseiller à la gouverneure générale du Canada de dissoudre la 39e législature afin de fixer la date des élections. La gouverneure générale du Canada a dissout le Parlement et a fixé la date des élections au 14 octobre 2008.

 

[3]        Les appelants allèguent que, en conseillant la gouverneure comme il l’a fait, le premier ministre a contrevenu à l’article 56.1 de la Loi électorale du Canada, L.C., 2000, ch. 9. Cette disposition est rédigée comme suit :

Maintien des pouvoirs du gouverneur général

56.1 (1) Le présent article n’a pas pour effet de porter atteinte aux pouvoirs du gouverneur général, notamment celui de dissoudre le Parlement lorsqu’il le juge opportun.

Date des élections

(2) Sous réserve du paragraphe (1), les élections générales ont lieu le troisième lundi d’octobre de la quatrième année civile qui suit le jour du scrutin de la dernière élection générale, la première élection générale suivant l’entrée en vigueur du présent article devant avoir lieu le lundi 19 octobre 2009.

 

Powers of Governor General preserved

56.1 (1) Nothing in this section affects the powers of the Governor General, including the power to dissolve Parliament at the Governor General’s discretion.

Election dates

(2) Subject to subsection (1), each general election must be held on the third Monday of October in the fourth calendar year following polling day for the last general election, with the first general election after this section comes into force being held on Monday, October 19, 2009.

 

 

[4]        L’article 56.1 doit être interprété à la lumière du statut et du rôle constitutionnels de la gouverneure générale. L’article 56.1 n’interdit pas à la gouverneure générale de dissoudre le Parlement et de fixer la date des élections. En fait, cette discrétion et ce pouvoir (consacrés à l’article 50 de la Loi constitutionnelle de 1867) sont expressément protégés par le paragraphe 56.1(1). Le statut, le rôle et les pouvoirs, y compris les pouvoirs discrétionnaires, de la gouverneure générale ne sont pas touchés par l’article 56.1.

 

[5]        Diverses conventions sont liées au statut, au rôle et aux pouvoirs, y compris les pouvoirs discrétionnaires, de la gouverneure générale. Certaines de ces conventions, qui sont sujettes à discussions en ce qui a trait à leur portée, concernant la décision du premier ministre de conseiller la gouverneure générale de dissoudre le Parlement et la façon dont la gouverneure générale doit y répondre : Peter W. Hogg, Constitutional Law of Canada, 5e éd., v. 1, feuilles mobiles (Toronto, Carswell, 2007) aux pages 9-29 à 9-33. À notre avis, compte tenu du lien entre la gouverneure générale et le premier ministre à cet égard, le maintien des pouvoirs, y compris les pouvoirs discrétionnaires, de la gouverneure générale en vertu du paragraphe 56.1(1) peut également s’étendre au rôle de conseiller du premier ministre. Quoi qu’il en soit, nous estimons que si le législateur avait voulu empêcher le premier ministre de conseiller à la gouverneure générale de dissoudre le Parlement et de fixer la date des élections, il aurait utilisé des termes explicites et précis dans le libellé de l’article 56.1, ce qu’il n’a pas fait. Ce disant, nous ne ferons aucun commentaire sur la question de savoir si un tel libellé, une fois adopté, aurait été constitutionnel.

 

[6]        Les appelants ont vigoureusement soutenu que cette interprétation enlève tout sens à l’article 56.1. Nous ne sommes pas d’accord. Le paragraphe 56.1(2) exprime clairement la volonté du législateur, une volonté qui, selon le texte exprès du paragraphe 56.1(1), ne lie aucunement la gouverneure générale. Cependant, d’après notre cadre constitutionnel et d’un point de vue juridique, la gouverneure générale peut tenir compte d’un large éventail de facteurs pour décider de dissoudre le Parlement et de tenir des élections. En l’espèce, ces facteurs peuvent comprendre toute question de droit constitutionnel, toute convention qui, selon la gouverneure générale, est susceptible d’influencer ou de trancher la question, la volonté du législateur telle qu’elle ressort du paragraphe 56.1(2), les conseils du premier ministre ainsi que toute autre question appropriée.

 

[7]        Si l’article était interprété de la manière proposée par les appelants, le premier ministre serait interdit de conseiller à la gouverneure générale de tenir des élections pour des raisons d’urgence ou en raison d’un événement grave. Nous ne sommes pas d’accord avec cette interprétation de l’article 56.1. Une interprétation aussi radicale devrait être clairement exprimée dans le texte de loi. C’est là une autre indication que l’article 56.1, tel qu’il est rédigé, n’empêche aucunement le premier ministre de conseiller la gouverneure générale.

 

[8]        Les appelants recommandent vivement à la Cour de tenir compte de l’objet de l’article 56.1, comme le montrent les déclarations du Parlement dans le Hansard. Nous estimons qu’il n’est pas nécessaire de recourir aux déclarations du Parlement étant donné que le libellé de l’article 56 est clair. Quoi qu’il en soit, la Cour fédérale a jugé que les déclarations parlementaires concernant l’objet de l’article 56.1 n’étaient pas utiles puisqu’elles sont contradictoires. Après avoir examiné ces documents, nous ne voyons aucune raison de ne pas souscrire à la conclusion de la Cour fédérale ou de la modifier.

 

[9]        Dans tous les cas, nous rejetons l’allégation des appelants selon laquelle l’objet de l’article 56.1 est d’interdire la dissolution du Parlement et d'empêcher la tenue d'élections éclairs sauf dans le respect des dispositions du paragraphe 56.1(2) puisqu’un tel objet ne ressort pas du libellé choisi par le législateur à l’article 56.1. Comme nous l’avons mentionné précédemment, le libellé de l’article 56.1 reflète la volonté du législateur, mais n’empêche pas le premier ministre et la gouverneure générale d’avoir agi comme ils l’ont fait.

 

[10]      Par conséquent, selon notre interprétation de l’article 56.1, la Cour fédérale a eu raison de refuser de rendre un jugement déclaratoire portant que les actes du premier ministre allaient à l’encontre de l’article 56.1.

 

[11]      De même, nous sommes d’accord avec la Cour fédérale que la décision du premier ministre de conseiller la gouverneure générale n’a pas porté atteinte au droit de tous les citoyens de participer à des élections justes en application de l’article 3 de la Charte. À cet égard, les appelants ont allégué que la décision du premier ministre a eu pour effet de déclencher des élections avant le moment prévu au paragraphe 56.1(2) et que ceci pourrait avoir porté préjudice à la campagne de certains partis politiques. Dans la mesure où ces actes pourraient avoir violé l’article 3 de la Charte, du point de vue juridique, c’est la gouverneure générale qui a déclenché les élections et non le premier ministre. De plus, à cet égard, les partis politiques qui auraient été touchés par cette décision ne se trouvent pas devant cette Cour. Nous nous interrogeons sur la qualité pour agir des appelants dans le cadre d’une action visant à défendre les droits de ces tiers en vertu de l’article 3; ces parties sont bien placées pour intenter eux-mêmes ces poursuites : Conseil canadien des Églises c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 R.C.S. 236, p. 254 à 256.

 

[12]      Enfin, nous refusons de rendre un jugement déclarant qu’il existe une nouvelle convention constitutionnelle qui limite le pouvoir du premier ministre de conseiller la gouverneure générale dans ces circonstances. La Cour fédérale a conclu qu’une telle convention n’existe pas. Cette conclusion est amplement étayée par le dossier de preuve dans la présente affaire.

 

[13]      Par conséquent, nous rejetterons l’appel. Compte tenu des circonstances inhabituelles et des questions nouvelles soulevées en l’espèce, nous n’adjugerons pas de dépens.

 

 

« David Stratas »

j.c.a.

 

 

Traduction certifiée conforme

Mélanie Lefebvre LL.B.

 

 

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                                            A-427-09

 

APPEL D’UNE ORDONNANCE EN DATE DU 17 SEPTEMBRE 2009 RENDUE PAR LE JUGE MICHEL M.J. SHORE, DOSSIER NO T-1500-08

 

INTITULÉ :                                                                           Duff Conacher et Democracy Watch c. Le premier ministre du Canada, le gouverneur en conseil du Canada, la gouverneure générale du Canada et le procureur général du Canada

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                     Ottawa (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                   Le 25 mai 2010

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR LA COUR :                     Le juge Létourneau

                                                                                                La juge Layden-Stevenson

                                                                                                Le juge Stratas

 

PRONONCÉS À L’AUDIENCE :                                        Le juge Stratas

 

COMPARUTIONS :

 

Peter Rosenthal

POUR LES APPELANTS

 

Robert MacKinnon

Agnieszka Zagorska

POUR LES INTIMÉS

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Roach, Schwartz & Associates

Toronto (Ontario)

 

POUR LES APPELANTS

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

POUR LES INTIMÉS

 

 

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