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Cour d’appel fédérale

  CANADA

Federal Court of Appeal

Date : 20100714

Dossier : A-86-09

Référence : 2010 CAF 188

 

CORAM :      LE JUGE NADON

                        LA JUGE SHARLOW                     

                        LA JUGE TRUDEL

 

ENTRE :

 

BRIDGEVIEW MANUFACTURING INC.

et HIGHLINE MANUFACTURING LTD.

 

appelantes

et

 

 

931409 ALBERTA LTD.,

exerçant son activité sous la dénomination de CENTRAL ALBERTA HAY CENTRE,

DENNILL’S AGRICENTER LTD.

et DURATECH INDUSTRIES INTERNATIONAL, INC.

 

intimées

 

 

 

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 10 février 2010.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 14 juillet 2010.

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                             LA JUGE SHARLOW

Y A SOUSCRIT :                                                                                                  LE JUGE NADON

                                                                                                                             LA JUGE TRUDEL           

 

 


Cour d’appel fédérale

  CANADA

Federal Court of Appeal

 

Date : 20100714

Dossier : A-86-09

Référence : 2010 CAF 188

 

CORAM :      LE JUGE NADON

                        LA JUGE SHARLOW                     

                        LA JUGE TRUDEL

 

ENTRE :

 

BRIDGEVIEW MANUFACTURING INC.

et HIGHLINE MANUFACTURING LTD.

 

appelantes

et

 

 

931409 ALBERTA LTD.,

exerçant son activité sous la dénomination de CENTRAL ALBERTA HAY CENTRE,

DENNILL’S AGRICENTER LTD.

et DURATECH INDUSTRIES INTERNATIONAL, INC.

 

intimées

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE SHARLOW

[1]               Bridgeview Manufacturing Inc. (Bridgeview) et Highline Manufacturing Ltd. (Highline) ont intenté devant la Cour fédérale, contre Duratech Industries International, Inc. (Duratech), 931409 Alberta Ltd, exerçant son activité sous la dénomination de Central Alberta Hay Centre, et Dennill’s Agricenter Ltd., une action tendant à obtenir des dommages-intérêts et d’autres mesures de réparation pour la contrefaçon supposée des revendications 1, 2 et 4 du brevet canadien no 2282334 (le brevet 334). Les intimées ont contesté la prétention en contrefaçon et ont introduit une demande reconventionnelle en jugement déclaratoire d’invalidité des revendications susdites du brevet 334 au motif de l’évidence. Le juge du fond a rejeté la prétention de Bridgeview en contrefaçon, a fait droit à la demande reconventionnelle et a adjugé les dépens aux intimées (2009 CF 50).

 

[2]               Bridgeview fait appel de ce jugement, invoquant un certain nombre d’erreurs dans l’interprétation du brevet, la conclusion d’absence de contrefaçon et l’accueil de la demande reconventionnelle. Pour les motifs dont l’exposé suit, je rejetterais l’appel relativement à l’interprétation du brevet et à la contrefaçon, et j’y ferais droit pour ce qui concerne la prétention en invalidité.

 

Le contexte

[3]               Le brevet 334 appartient à Bridgeview. Il a été délivré le 20 novembre 2001 en réponse à une demande déposée le 17 septembre 1999 et publiée le 13 avril 2000. Il revendique la priorité sur la base de la demande de brevet américain no 09/303263, déposée le 30 avril 1999.

 

[4]               Le brevet 334 porte sur les transformateurs de balles de récolte, des machines conçues pour désintégrer ou déchiqueter de grosses balles de paille, de foin ou d’autres récoltes. L’invention décrite dans le brevet 334 inclut le transformateur de balles de récolte « Bale King », transformateur  fabriqué et vendu par Bridgeview, de même que le transformateur de balles de récolte « Bale Pro », lequel est fabriqué et vendu par Highline sous la licence d’exploitation de brevet de Bridgeview. La preuve démontre que le transformateur « Bale King » était productif et rentable.

 

[5]               Le Balebuster 2650 et le Balebuster 2800 sont des transformateurs de balles de récolte fabriqués par Duratech, que vendent cette dernière et les autres intimées. Le juge du fond a conclu – et cette conclusion n’est pas contestée – que la conception du Balebuster est inspirée de celle du Bale King et que Duratech connaissait l’existence du brevet 334 lorsqu’elle a conçu le Balebuster. Les appelantes soutenaient que les deux modèles du Balebuster contrefaisaient le brevet 334, mais comme ils sont de conception similaire, l’examen de la question de la contrefaçon en première instance a porté sur le Balebuster 2650.

 

[6]               En règle générale, le transformateur de balles de récolte comprend un contenant suffisamment grand pour contenir une grande balle de récolte, d’ordinaire ronde. À l’intérieur du contenant, on trouve des outils capables de couper l’extérieur de la balle et de la déchiqueter. Par un moyen quelconque, la balle pivote et s’accote sur des outils coupants, lesquels travaillent contre la surface en mouvement de la balle. Les brins de récolte désintégrée sont déversés par une fente située dans le contenant. 

 

[7]               L’exposé du brevet explique de façon assez circonstanciée que les transformateurs de balles de récolte ont tendance à se bourrer lorsque des brins de matière désintégrée s’emmêlent dans les pièces mobiles de l’équipement. La description du brevet stipule que « la présente invention a donc pour objet de présenter un transformateur de récolte qui minimise le bourrage. » La position de Bridgeview est que l’étape inventive fait référence à ce que j’appellerai « l’évacuation à droite » de la matière désintégrée. La signification de cette phrase, et, ce que je crois comprendre, l’importance de l’évacuation à droite, sera mise en lumière dans le paragraphe suivant.

 

[8]               Les transformateurs de balles de récolte sont conçus pour être remorqués par un tracteur. Le rotor de désintégration du transformateur est alimenté par l’entraînement de la prise de force du tracteur. Avant que le Bale King n’entre sur le marché, la majorité des transformateurs étaient munis d’un rotor de désintégration qui pivotait dans le même sens que l’entraînement du tracteur, c’est-à-dire en sens antihoraire tel que vu par une personne observant le transformateur de balles de récolte de l’avant. De cette façon, la matière désintégrée s’évacuait à gauche du transformateur (soit à gauche du conducteur du tracteur si on regarde vers l’avant du tracteur). La console de commande du tracteur est habituellement placée à la droite du tracteur. Par conséquent, le conducteur qui tire un transformateur de balles de récolte muni d’une évacuation à gauche doit se tourner vers la gauche afin de surveiller le bourrage éventuel des brins désintégrés tout en assurant le contrôle du volant et des autres commandes. Il est physiquement plus facile pour le conducteur du tracteur de surveiller le bourrage, et donc de le contrôler, si les brins sont évacués vers la droite (évacuation à droite).

 

L’interprétation du brevet

[9]               La première tâche du tribunal saisi d’une action en contrefaçon ou en invalidité de brevet consiste à interpréter le brevet. L’interprétation du brevet est une question de droit, qu’il appartient au tribunal de décider, avec l’aide de personnes moyennement versées dans le domaine dont relève l’invention. Il faut interpréter le brevet de manière téléologique, en prenant en considération l’ensemble du mémoire descriptif, notamment la divulgation (aussi appelée « exposé ») et les revendications, telles que les comprendrait la personne versée dans l’art qui lirait le brevet dans le but de saisir ce que l’inventeur affirme avoir inventé et l’étendue du monopole qu’il revendique. Voir Whirlpool Corp. c. Camco Inc., [2000] 2 R.C.S. 1067, 2000 CSC 67, et Consolboard Inc. c. MacMillan Bloedel (Saskatchewan) Limited, [1981] 1 R.C.S. 504.

 

[10]           Étant donné la difficulté que présente l’interprétation du brevet 334 et la nature du débat opposant les experts, il paraît utile de reproduire la plus grande partie du mémoire descriptif, ce que j’ai fait plus loin. Qu’il suffise pour l’instant de noter qu’il y a deux grandes questions en litige concernant l’interprétation de ce brevet.

 

[11]           La première question en litige est de savoir si le mot « manipulateur », tel qu’utilisé dans les revendications du brevet, devrait faire référence aux manipulateurs de tout genre connus de la personne versée dans l’art au moment pertinent comme étant un élément type du transformateur de balles de récolte, ou s’il devrait faire référence uniquement au manipulateur qui comprend au moins deux rouleaux, soit un de chaque côté du désintégrateur et un au-dessus, seul type de manipulateur auquel la partie de l’exposé fait référence. Selon l’analyse présentée par l’expert de Duratech, M. Richard L. Parish, cette dernière interprétation a été acceptée par le juge. L’expert de Bridgeview, M. Craig Hanson, a exprimé une opinion contraire.

 

[12]           La deuxième question en litige est la signification de la phrase « fente d’évacuation dans le bas de la paroi latérale droite pour évacuer la récolte à droite du transformateur. » Monsieur Parish a interprété la phrase littéralement. Monsieur Hanson a estimé que l’emplacement exact de la fente n’était pas essentiel tant et aussi longtemps que la fente servait à laisser passer la récolte désintégrée vers la droite.

 

[13]           La divulgation du brevet 334 (dont j’ai numéroté les paragraphes pour la commodité du lecteur) commence par les explications suivantes :

 

Domaine de l’invention

 

¶1. La présente invention a trait de façon générale à un transformateur de récolte, et plus particulièrement à un transformateur de récolte pour désintégrer les balles de récolte.

 

Historique de l’invention

 

¶2. Les récoltes comme la paille, le foin et les autres fourrages ou les litures sont souvent mises en balles pour l’entreposage et le transport. Dans certains cas, il est nécessaire de diviser la balle afin d’étendre la récolte pour la liture ou de la donner à manger aux animaux.

 

¶3. Une machine pour désintégrer les balles de récolte est souvent connue sous le nom de transformateur de récolte. Une machine type est décrite dans le brevet américain 4,830,292, lequel a été délivré à Frey le 16 mai 1989. Un transformateur de balles de récolte comporte un contenant pour recevoir les balles, un désintégrateur ayant souvent la forme d’un rouleau qui coupe avec des têtes de coupe ou des fléaux pour hacher ou déchiqueter le contenu de la balle, un mécanisme qui comporte des rouleaux manipulateurs pour diriger la balle vers le désintégrateur, et une fente d’évacuation de sorte que la matière est évacuée du transformateur de récolte. Le nombre de rouleaux manipulateurs peut varier, mais le désintégrateur est situé entre deux d’entre eux et en dessous. La balle de récolte est soutenue et pivotée par les rouleaux. Au fur et à mesure que la balle de récolte pivote, le désintégrateur coupe la partie extérieure de la balle en premier, puis déchiquette progressivement la matière en direction du centre de la balle et ainsi de suite jusqu’à ce que toute la balle ait été découpée. Au fur et à mesure que la balle est déchiquetée, les brins coupés sont amenés par les fléaux vers la fente d’évacuation de la machine. La matière ainsi déversée peut être amassée en andain ou placée dans les mangeoires à moulée ou elle peut être dispersée pour former des litures pour les animaux.

 

¶4. L’un des problèmes majeurs qui semble survenir avec les transformateurs de récolte en balle est le bourrage. Le bourrage survient lorsque des brins de matière s’enroulent autour des rouleaux manipulateurs ou passe entre les rouleaux et les parois du contenant. On peut généralement remédier au bourrage en inversant la rotation des rouleaux manipulateurs. On a remarqué que le bourrage survient rarement lorsque la balle est ferme; les seuls brins de récolte sont produits par le désintégrateur dans l’ouverture de celui-ci entre les rouleaux manipulateurs. Ces brins sont immédiatement déversés du transformateur par la fente d’évacuation. Il se peut que les brins soient coupés par les rouleaux même; le mouvement de rotation secoue la balle et les brins s’échappent ou le mouvement des rouleaux peut déchirer ou défaire la balle de récolte.

 

¶5. Normalement, au fur et à mesure que la balle de récolte pivote, la quantité de brins n’est pas la même de l’extérieur à l’intérieur de la balle de récolte. Cela s’explique par le fait que l’extérieur est généralement plus dur que l’intérieur, c’est-à-dire que la récolte est comprimée moins serré à l’intérieur. Ainsi, lorsque l’extérieur de la balle de récolte est désintégré, soit au début du processus, la balle de récolte est dure. Il est relativement facile de faire pivoter une balle de récolte dure et donc la désintégration est uniforme sur le périmètre de la balle. En outre, la balle de récolte se brise uniquement dans la zone de désintégration, les autres parties du périmètre demeurant intactes en raison de la dureté de la balle. Toutefois, une fois qu’on atteint le centre plus mou, la balle est souvent trop lâche pour demeurer intacte et il devient donc difficile de faire pivoter le centre. Le centre plus mou tend à se briser à cause de la rotation et les brins de récolte peuvent bourrer les rouleaux manipulateurs et entraver leur rotation.

 

¶6. De plus, les dentures des rouleaux manipulateurs engrènent la balle de récolte pour effectuer une rotation. Cet engrenage permet de saisir la balle de récolte, ce qui est très similaire au mouvement de désintégration et peut donc créer des brins de matière. De plus, le mouvement de saisie peut ne pas relâcher la balle et donc enrouler la matière autour du rouleau jusqu’à l’envelopper complètement.

 

¶7. En outre, si la balle de récolte se déplace longitudinalement et heurte la paroi avant ou arrière du contenant, la matière peut être arrachée de la balle par la paroi ou le mouvement de rotation de la balle peut être entravé par le contact avec la paroi du contenant. Souvent, le résultat de cette rotation entravée est que les dentures des rouleaux manipulateurs ont tendance à briser la balle de récolte et donc les brins ainsi créés peuvent bourrer le rouleau, ce qui est une situation indésirable.

 

¶8. On fait également face à des difficultés quand il s’agit de balles de forme irrégulière comme les balles classiques (rectangulaires), les balles gelées ou les balles qui ont été entreposées pendant un certain temps et qui sont plates d’un côté. Quelques fois, les balles de formes irrégulières peuvent bourrer le transformateur car elles ne pivotent pas correctement.

 

¶9. Pour toutes ces raisons, il faut un transformateur de récolte capable de désintégrer les balles de récolte et qui peut maintenir au minimum la quantité de brins dans le transformateur afin d’éviter les bourrages.

 

Résumé de l’invention

 

¶10. La présente invention a donc pour objet de présenter un transformateur de récolte qui minimise le bourrage.

 

¶11. Ces objets ainsi que d’autres sont réalisés par le transformateur de récolte pour désintégrer les balles. Le transformateur comporte un contenant ayant un fond, une paroi antérieure, une paroi postérieure, une paroi latérale gauche et une paroi latérale droite pour recevoir et contenir la récolte. Un désintégrateur équipé d’un rouleau à fléau pouvant pivoter sur son axe longitudinal est monté de façon à sortir entre l’avant et l’arrière du contenant. Des fléaux sont fixés avec des charnières sur le rouleau et sortent ainsi selon un mouvement radial à mesure que celui-ci pivote. Le transformateur comporte aussi une fente d’évacuation dans le bas de la paroi latérale gauche ou de la paroi latérale droite afin de déverser les balles de récolte désintégrées, et un mécanisme pour soutenir et manipuler les balles de sorte qu’elles sont acheminées vers le désintégrateur d’une façon telle que c’est surtout celui-ci qui désintègre la récolte.

 

¶12. Selon les aspects de la présente invention, le transformateur peut être unidirectionnel et déverser la récolte désintégrée soit à sa gauche, soit à sa droite, ou bien bidirectionnel et être doté d’un mécanisme permettant au conducteur de déverser à partir de la gauche ou de la droite. Le sens de rotation du rouleau à fléau dépend du côté où l’on souhaite que le déversement se fasse. Le rouleau à fléau pivote dans le sens antihoraire pour déverser à gauche et dans le sens horaire pour déverser à droite.

 

¶13. Selon un autre aspect de l’invention, le mécanisme de soutien et de manipulation comporte au moins deux rouleaux manipulateurs montés de façon à pivoter à l’intérieur du contenant, presque parallèles au rouleau à fléau. Au moins un rouleau est situé de chaque côté du rouleau à fléau afin de marquer une fente pour la désintégration, par laquelle le désintégrateur reçoit la récolte. La coupe transversale des rouleaux manipulateurs peut être essentiellement carrée. De nombreuses palettes concaves munies d’une extrémité saillante recourbée vers l’extérieur sont montées sur chaque rouleau. Les palettes sont placées de telle sorte que le plan des palettes est réglé à un angle de θ selon le plan à travers l’axe du rouleau du manipulateur, où 0 ≤ θ ≤ 90° et peut se situer aux alentours de 45°.

 

¶14. Selon un aspect particulier de la présente invention, le début de la surface des palettes est fait de sorte à pointer dans différentes directions. Tout particulièrement, le bord d’attaque des palettes sur l’avant du transformateur pointe vers l’arrière du transformateur et le bord d’attaque des palettes à l’arrière du transformateur pointe vers l’avant du transformateur.

 

¶15. Selon un autre aspect de la présente invention, le transformateur comprend un mécanisme de raccord entre le rouleau à fléau du transformateur et une source d’alimentation pivotante qui permet d’assurer que le rouleau à fléau pivote dans la direction désirée. Notamment, pour le transformateur bidirectionnel, la direction de rotation peut alterner de l’une à l’autre.

 

¶16. Conformément à un autre aspect de la présente invention, chacune des parois  latérales forme une protubérance dans le contenant à proximité des palettes des rouleaux manipulateurs. Chacune des parois latérales est munie d’une partie essentiellement verticale sous la protubérance et d’une partie qui s’incline vers l’extérieur au-dessus de la protubérance.

 

¶17. Le mécanisme de soutien comprend un nombre de cerceaux montés de façon espacée dans le contenant sur sa longueur et placés au-dessus et essentiellement de façon perpendiculaire au rouleau à fléau et aux rouleaux manipulateurs.

 

¶18. Un autre aspect de la présente invention est illustré par les fléaux qui sont montés sur le rouleau à fléau. Chaque fléau comprend une barre dont l’une des extrémités est munie d’au moins une broche au bord biseauté et l’autre d’une section cylindrique creuse qui permet d’accueillir un boulon pour le montage pivotant du fléau sur le rouleau à fléau.

 

¶19. Plusieurs autres objets et aspects de la présente invention seront mis en lumière à l’aide de la description détaillée des dessins [.]

 

 

 

[14]           L’exposé du brevet comprend 14 dessins. Ils sont décrits en détail dans 11 pages supplémentaires. Je reproduis ci-dessous les parties de la description détaillée qui semblent être pertinentes pour le présent appel (les chiffres en indice font référence aux détails dans les dessins) :

 

Description détaillée

¶20. Dans l’ensemble, la présente description comprend la structure du transformateur de récolte, son fonctionnement et ses avantages conformément à la présente invention, dans cet ordre. 

¶21. Le transformateur de récolte en balle1… est construit sur un châssis3 muni d’un attelage2 qui sert à tirer le transformateur1 à l’aide d’une autre machine, généralement un tracteur. Le transformateur1 est généralement alimenté par une prise de force et un circuit hydraulique fournis par le tracteur.

¶22. Le transformateur de récolte en balle comprend un contenant10 monté sur un châssis3 sur lequel les balles de récolte12 sont chargées… Le contenant10 comprend une paroi avant100, une paroi arrière102, deux parois latérales104, 106 et un fond108. La paroi avant100 du contenant 10 constitue la paroi la plus proche du tracteur, la paroi arrière102 est la paroi la plus éloignée du tracteur…

¶23. Monté à l’intérieur du contenant10 est le désintégrateur14 qui comprend un rouleau à fléau16. Le rouleau à fléau16 s’étend entre la paroi avant100 du contenant10 et la paroi arrière102 du contenant10, généralement sur toute la longueur. Le rouleau à fléau16 est monté sur des paliers fixés aux parois avant et arrière100 et 102 respectivement, de sorte qu’il puisse pivoter le long de l’axe longitudinal. Un arbre d’entrée161 pour le raccord à la prise de force du tracteur est branché au rouleau à fléau16 et au tracteur permet de le faire tourner. La prise de force de la majorité des tracteurs ne tourne généralement que dans une seule direction, soit en sens antihoraire lorsqu’on regarde derrière le tracteur. Le rouleau à fléau16 du désintégrateur14 tourne dans le sens antihoraire lorsqu’on regarde à partir de la paroi avant100 tel qu’illustré par la flèche 17.

¶24. [La description du désintégrateur est omise.]

¶25. Une fente d’évacuation40 est située en bas des parois latérales104 du contenant10, et, dans ce cas-ci, il s’agit de la paroi latérale gauche. La fente d’évacuation40 est formée par la paroi104, le fond108 et les parois d’about100 et 102 de sorte que les fléaux18 sur le rouleau à fléau16 entraînent la matière déchiquetée le long du fond108 et la déverse du transformateur 1. …

¶26. Le transformateur de balles de récolte1 comprend aussi des moyens24 pour manipuler la matière12 de sorte que celle-ci sera déchiquetée par le désintégrateur14, le but des manipulateurs24 étant de maintenir la récolte12 intacte dans une large mesure pour être désintégrée principalement par le désintégrateur14.

¶27. Les manipulateurs24 comportent au moins deux rouleaux26 disposés de manière à tourner dans le contenant 10 parallèlement et au-dessus du rouleau à fléau16. Chaque rouleau26 s’étend entre la paroi avant100 et la paroi arrière102 du contenant10. Chaque rouleau26 tourne autour de son axe longitudinal dans l’une ou l’autre direction, généralement à l’aide d’un moteur hydraulique262, bien que des moteurs électriques puissent également être utilisés. Une paire de rouleaux26, un de chaque côté du rouleau à fléau16, marque la fente pour la désintégration28 par laquelle la récolte12 est acheminée au désintégrateur14. Pour cette réalisation précise, la coupe transversale des rouleaux26 est relativement carrée et munie de surfaces planes261, mais elle peut toutefois être arrondie. Afin de faire pivoter la balle12 dans le sens horaire, la direction privilégie, les deux rotors26 sont construits de sorte à tourner dans le sens antihoraire. En plus de pivoter la balle de récolte, les rouleaux26 marquent la surface d’appui sur laquelle la récolte12 est placée.

¶28. [Description des pales omise.]

¶29. [Description du support de pale omise.]

¶30. Les manipulateurs24 comportent aussi les parois latérales104, 106 du contenant10 lesquelles soutiennent la balle dans le contenant. De plus, l’une des parois latérales ou les deux104 et 106 sont adaptées pour être près du bord courbé 301 des pales30. Le profil privilégié des parois104 et 106 est illustré à la figure 2 sur laquelle les parois104 et 106 comportent une protubérance32 qui fait saillie dans le contenant10 près de la surface de soutien261 définie par les rouleaux26. Les parois latérales104 et 106 sont munies aussi d’une partie sensiblement verticale34 située sous la protubérance32 et une partie de paroi33 s’inclinant vers l’extérieur à partir du dessus de la protubérance32.

¶31. On trouve également fixés à l’intérieur du contenant10 un nombre d’anneaux22 qui empêchent la balle ou des paquets de brins de matière de tomber dans le désintégrateur16 tous en même temps. Les anneaux22 sont montés entre les parois latérales104 et 106 du contenant10 et sont espacés de telles sortes que les fléaux18 et les pales30 passent entre les anneaux22 lorsque le rouleau à fléau16 et les rouleaux26 tournent.

¶32. Bien que la configuration du transformateur de balles de récolte1 ait été décrite avec l’évacuation de la balle de récolte désintégrée à gauche du transformateur1, la présente invention fournit un transformateur1 de balles de récolte muni d’une évacuation à droite1 telle qu’illustrée dans la figure8. La construction d’une telle machine serait l’image miroir des machines décrites conformément aux figures 1 à 3. Dans la présente configuration, le rouleau à fléau16 tournerait en sens horaire et les fléaux18 seraient montés sur le rouleau16 et feraient face à la rotation. De plus, les rouleaux manipulateurs26 continueraient de tourner dans un sens ou l’autre, bien que le sens horaire soit la direction de rotation privilégiée. Les pales30 des rouleaux26 seraient montées dans le sens privilégié. Enfin, la fente d’évacuation serait située sur la paroi droite106.

¶33. à ¶47. [Description de certaines variantes omise.]

¶48. Les configurations de la présente invention décrites précédemment offrent de nombreux avantages, soit :

¶49. Les pales courbées30 contribuent au pivotement de la balle de récolte12 sans défaire la balle en morceaux. Les pales en angles30 guident la balle de récolte12 afin qu’elle demeure au centre du contenant10. Les pales30 qui sont renforcées par leur profilement permettent un pivotement intensif de la balle de récolte12.

¶50. La section transversale carrée des rouleaux 26 offre un plus grand soutien et permet un pivotement plus intensif de la balle de récolte 12. De plus, des rouleaux carrés 26 sont plus faciles à fabriquer et la base des pales 30 peut être plane pour le montage.

¶51. La forme des parois latérales104, 106 semble pouvoir éviter le passage de brins de matière entre les parois104, 106 et les rouleaux26 en guidant les brins de matière vers le haut et en les éloignant des rouleaux26 tout en laissant la matière tomber librement des parois104, 106. De plus, ces brins se joignent à la matière étant évacuée du transformateur1. Toutes ces caractéristiques contribuent à empêcher les bourrages dans le transformateur 1.

¶52. La capacité de renverser la direction de rotation des rouleaux26 est également avantageuse puisqu’un tel mécanisme permet de débourrer le transformateur1 tout particulièrement dans les zones où se situent les rouleaux26 ou si la balle de récolte12 refuse de pivoter dans un sens ou dans un autre.

¶53. Un transformateur1 qui évacue la balle désintégrée sur sa droite présente un avantage particulier, car il permet au conducteur de mieux contrôler le fonctionnement et avec plus de confort. Les commandes sont situées à droite dans la plupart des tracteurs; il est donc plus naturel et plus commun pour le conducteur d’observer le fonctionnement du matériel agricole derrière lui en se tournant vers la droite. Le transformateur bidirectionnel1 (figures 11 et 12) donne au conducteur une polyvalence totale puisqu’elle lui permet d’évacuer la balle désintégrée dans le sens qu’il souhaite.

¶54. Un autre avantage de l’invention est que les fléaux18 coupent la ficelle qui attache la balle de récolte12. La ficelle coupée s’enroule généralement autour du rouleau à fléau16 pendant que le transformateur de récolte1 fonctionne. Le conducteur n’a pas à couper la ficelle autour de la balle de récolte12 avant de la charger et n’a qu’à enlever la ficelle du rouleau à fléau16 avant que trop de ficelle ne s’accumule sur le rouleau et n’entrave le fonctionnement du transformateur de récolte1.

¶55. Nombre des modifications apportées aux réalisations de l’invention susmentionnées peuvent s’effectuer tout en respectant la portée de celle-ci, et donc la portée de la présente invention est destinée à n’être limitée que par les revendications annexées.

 

 

[15]           Les revendications sont les suivantes :

 

[traduction]

 

1.

Le transformateur de récolte pour désintégrer les balles comporte :

 

        un contenant ayant un fond, une paroi antérieure, une paroi postérieure, une paroi latérale gauche et une paroi latérale droite pour recevoir et contenir la récolte;

 

        un désintégrateur équipé d’un rouleau situé sur la longueur du contenant et monté de façon à pivoter sur son axe longitudinal;

 

        un manipulateur monté à l’intérieur du contenant, presque parallèle au désintégrateur;

 

        une fente d’évacuation dans le bas de la paroi latérale droite pour évacuer la récole à droite du transformateur;

 

        un dispositif de transformation du mouvement de rotation, ayant une entrée pour se connecter à une prise de force et une sortie connectée au rouleau désintégrateur pour faire tourner celui-ci dans le sens inverse de la rotation à l’entrée.

 

2.

Le transformateur de récolte revendiqué à la revendication 1, dans lequel le rouleau désintégrateur est adapté de façon à tourner dans le sens horaire.

 

3.

Le transformateur de récolte revendiqué à la revendication 1, dans lequel le dispositif de transformation du mouvement de rotation comporte deux vitesses situées de façon à s’entraîner l’une l’autre, la première étant montée sur un premier arbre rotatif et dont l’embout forme l’entrée du dispositif, et la deuxième vitesse étant montée sur un deuxième arbre rotatif et dont l’embout se connecte au rouleau à fléau.

 

4.

Le transformateur de récolte revendiqué à la revendication 1, dans lequel le rouleau est à fléau.

 

5.

Le transformateur de récolte revendiqué à la revendication 1, dans lequel le manipulateur comporte au moins deux rouleaux manipulateurs montés de façon à pivoter à l’intérieur du contenant, presque parallèles au rouleau désintégrateur et dans lequel au moins un rouleau est situé de chaque côté du rouleau désintégrateur afin de marquer une fente pour la désintégration, par laquelle le désintégrateur reçoit la matière.

 

 

[16]           Seules les revendications 1, 2 et 4 étaient en litige dans l’action en contrefaçon, et comme les revendications 2 et 4 sont dépendantes de la revendication 1, c’est à propos de cette dernière que se posent les principales questions de l’interprétation du brevet.

 

[17]           Comme on l’a vu plus haut, le dossier de l’instruction comprend la preuve de deux experts : M. Hanson, témoin de Bridgeview, et M. Parish, témoin de Duratech. Or leurs opinions se contredisent à propos de certains points cruciaux. Le juge du fond a retenu de préférence l’opinion de M. Hanson touchant la définition de la personne moyennement versée dans l’art, et celle de M. Parish en ce qui a trait à l’interprétation du brevet.

 

[18]           La définition retenue par le juge du fond de la personne moyennement versée dans l’art n’est pas contestée. Il a conclu que le brevet 334 s’adresse à la personne que décrit M. Hanson comme suit dans un passage cité au paragraphe 22 des motifs du jugement :

 

[traduction]

 

Le brevet 334 est destiné selon moi à quelqu’un ayant une solide expérience pratique du matériel agricole en général et qui en comprend bien les aspects mécaniques et structurels. Autrement dit, le brevet 334 est destiné à une grande variété de personnes ayant des expériences pratiques fort diverses ou ayant fait des études de niveau divers.

Le destinataire compétent est aussi quelqu’un qui travaille à faire des recherches sur du matériel agricole en général ou à mettre au point, à produire, à essayer, à entretenir ou à réparer du matériel agricole en général, un soudeur, un mécanicien ou un ingénieur notamment. S’agissant de cette personne‑ci, elle peut avoir soit 1) une formation officielle dans des domaines pertinents, par exemple un diplôme collégial ou universitaire dans un programme de mécanique et au moins un minimum d’expérience pratique (soit deux ans), soit 2) un ensemble de connaissances sur l’équipement, grâce à de nombreuses années d’expérience pratique.

En résumé, la personne versée dans l’art comprend en général le fonctionnement d’un transformateur de balle et celui de ses divers composants; elle comprend aussi que ce transformateur hache ou déchiquette avec force et efficacité du foin en balle, puis le déverse rapidement assez loin.

 

 

[19]           Pour ce qui concerne l’interprétation des revendications, le juge du fond a adopté intégralement l’opinion de M. Parish, et rejeté celle de M. Hanson au motif qu’elle « ne se [fondait] pas sur un examen de l’ensemble de la divulgation ». Le juge n’a pas expliqué cette conclusion, mais je suppose qu’il voulait dire que, si M. Hanson renvoie à de nombreuses reprises à la divulgation (par exemple aux paragraphes 40, 53, 58, 59, 63, 71, 78, 82, 87, 89, 90, 96 et 97 de son rapport), il ne paraît pas en faire la base d’une interprétation contextuelle.

 

[20]           Bridgeview conteste l’interprétation du brevet retenue par le juge du fond au motif qu’il aurait utilisé le mémoire descriptif pour rétrécir la portée de la revendication 1, contrairement au principe selon lequel, s’il est permis de se servir de cette partie du mémoire descriptif qu’est la divulgation pour comprendre la signification des termes d’une revendication, on ne peut le faire de manière à donner de celle‑ci une interprétation plus étroite ou plus large que le libellé des revendications ne l’autorise. Duratech, quant à elle, souscrit à l’interprétation du juge au motif qu’il lui était loisible de conclure comme il l’a fait que, étant donné le contexte constitué par la divulgation, il convenait d’attribuer à certains termes et expressions de la revendication 1 une signification plus restreinte que Bridgeview ne leur prêtait.

 

[21]           Le principe qu’invoque Bridgeview est de droit constant. La Cour suprême du Canada, sous la plume du juge Binnie, l’a formulé comme suit au paragraphe 52 de Whirlpool, précité :

 

J’ai déjà exposé les raisons qui m’incitent à conclure que, dans la mesure où les appelantes préconisent une méthode consistant à s’en tenir au dictionnaire pour interpréter le sens des mots utilisés dans les revendications du brevet 803, cette méthode doit être rejetée. Dans l’arrêt Western Electric Co. c. Baldwin International Radio of Canada, [1934] R.C.S. 570, notre Cour a cité des décisions antérieures portant sur le mot [TRADUCTION] « conduit » utilisé dans une revendication de brevet. À la page 572, le juge en chef Duff a souscrit à la proposition selon laquelle [TRADUCTION] « [i]l faut consulter non pas le dictionnaire pour y vérifier le sens du mot "conduit", mais plutôt le mémoire descriptif pour vérifier le sens dans lequel les brevetés ont utilisé ce mot ».  Comme nous l’avons vu, le juge Dickson a estimé, dans l’arrêt Consolboard, précité, qu’il fallait considérer l’ensemble du mémoire descriptif (y compris la divulgation et les revendications) « pour déterminer la nature de l’invention » (p. 520). L’énoncé du juge Taschereau, dans l’arrêt Metalliflex Ltd. c. Rodi & Wienenberger Aktiengesellschaft, [1961] R.C.S. 117, à la p. 122, va dans le même sens :

[traduction]

 

On doit naturellement interpréter les revendications en se reportant à l’ensemble du mémoire descriptif, qui peut donc être consulté pour faciliter la compréhension et l’interprétation d’une revendication, mais on ne peut pas permettre que le breveté élargisse la portée de son monopole décrit expressément dans les revendications « en empruntant tel ou tel élément à d’autres parties du mémoire descriptif ».

 

Plus récemment, [William L. Hayhurst, « The Art of Claiming and Reading a Claim », dans G. F. Henderson, dir. de la publ., Patent Law of Canada, Scarborough (Ont.), Carswell, 1994], à la p. 190, a prévenu que [TRADUCTION] « [l]es mots doivent être interprétés dans leur contexte, de sorte qu’il est risqué, dans bien des cas, de conclure que le sens d’un mot est clair et net sans avoir examiné attentivement le mémoire descriptif ». J’estime que le juge de première instance pouvait parfaitement examiner le reste du mémoire descriptif, y compris le dessin, pour comprendre le sens du mot « ailette » utilisé dans les revendications, mais non pour élargir ou restreindre la portée de la revendication telle qu’elle était écrite et, ainsi, interprétée.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[22]           Dans la décision Whirlpool, le mot « ailette » permettait de le définir d’une façon générale pour inclure les ailettes rigides et les ailettes souples, mais le juge de première instance a interprété le mot « ailette » dans le contexte particulier du brevet, soit uniquement les ailettes rigides. Ainsi, il a accepté l’opinion d’une personne versée dans l’art, laquelle s’est fiée en grande partie sur le fait que les dessins du brevet illustraient seulement des ailettes rigides. Le juge Binnie a conclu qu’il revenait au juge de première instance d’interpréter les revendications comme il l’a fait.

 

[23]           Dans la présente espèce, la description que le juge du fond donne des éléments essentiels de la revendication 1 du brevet 334 (voir le paragraphe 31 de ses motifs) met en œuvre à la fois le texte même des revendications de ce brevet et les explications proposées par M. Parish à partir de son analyse de la divulgation. Le paragraphe 31 des motifs du juge du fond est rédigé comme suit (souligné dans l’original) : 

 

[Para 31] Je conclus par conséquent que la personne versée dans l’art se servirait de l’exposé pour interpréter la revendication 1 de façon élargie. Ainsi, compte tenu de l’exposé et de la preuve de l’expert, M. Parish, je conclus que l’invention comporte six éléments essentiels qui sont revendiqués dans le brevet. L’exposé ci-après de ces éléments reprend la terminologie de la revendication 1, qui est soulignée, ainsi que, s’il y a lieu, des références à la divulgation et au témoignage de M. Parish :

 

[traduction]

 

1.  Le transformateur de récolte pour désintégrer les balles comporte un contenant pour recevoir les balles, un désintégrateur ayant souvent la forme d’un rouleau qui coupe avec des têtes de coupe ou des fléaux pour hacher ou déchiqueter le contenu de la balle, un mécanisme qui comporte des rouleaux manipulateurs pour diriger la balle vers le désintégrateur, et une fente d’évacuation de sorte que la matière est évacuée du transformateur de récolte. Le nombre de rouleaux manipulateurs peut varier, mais le désintégrateur est situé entre deux d’entre eux et en dessous (divulgation, page 1, aux lignes 17 à 23) et comporte :

 

un contenant ayant un fond, une paroi antérieure, une paroi postérieure, une paroi latérale gauche et une paroi latérale droite pour recevoir et contenir la matière. Le fond est une surface du contenant, en dessous du désintégrateur qui reçoit et guide la matière déchiquetée vers la fente d’évacuation (rapport Parish, au paragraphe 66, divulgation, figure 1, 108);

 

un désintégrateur monté à l’intérieur du contenant (divulgation, page 7, à la ligne 20) équipé d’un rouleau situé normalement (brevet, page 7, à la ligne 22) sur la longueur du transformateur et monté de façon à pivoter sur son axe longitudinal avec le rotor de désintégration monté de sorte que son axe de rotation est parallèle au sens du déplacement de la machine pour que la matière désintégrée se déverse sur le côté de la machine (rapport Parish, au paragraphe 66);

 

un manipulateur monté à l’intérieur du contenant, presque parallèle au désintégrateur comportant au moins deux rouleaux (divulgation, page 1, aux lignes 21 à 23) montés de façon à tourner (rapport Parish, au paragraphe 73) l’un et l’autre de chaque côté du désintégrateur (rapport Parish, au paragraphe 73) et situés au-dessus du désintégrateur (divulgation, page 1, aux lignes 22 et 23);

 

une fente d’évacuation dans le bas de la paroi latérale droite du contenant (Parish vol. 1, au paragraphe 75) pour évacuer la matière à droite du transformateur quand on regarde devant (rapport Parish, au paragraphe 75), le long de la base du contenant (divulgation, page 8, à la ligne 15, figure 1, 108, et deuxième rapport Parish, aux paragraphes 19 et 32);

 

un dispositif de transformation du mouvement de rotation, ayant une entrée pour se connecter à une prise de force et une sortie connectée au rouleau désintégrateur pour faire tourner celui-ci dans le sens inverse de la rotation à l’entrée.

 

 

[24]           La première phrase du paragraphe 31 nécessite une attention particulière. On peut y lire qu’un lecteur compétent pourrait utiliser la divulgation pour élargir la signification de la revendication 1. Toutefois, d’après ce que je comprends des raisons du juge, il n’a pas élargi la signification de la revendication 1 au-delà de son sens littéral. Il a plutôt adopté une analyse qui se sert de la divulgation comme base pour donner aux mots et aux phrases contestés dans la revendication 1 une signification plus étroite que la signification générale proposée par Bridgeview, ce qui donne une interprétation plus étroite de la revendication 1.

 

[25]           Monsieur Hanson de Bridgeview et M. Parish de Duratech ont chacun émis une opinion exhaustive qui comprend les revendications de l’interprétation du brevet. Ils s’accordent pour dire que l’inventeur faisait référence à une machine qui désintègre de grosses balles de récolte à l’aide d’un manipulateur qui soutien la balle et la pousse contre un dispositif de coupage qui déverse la matière désintégrée. Ils ont toutefois été en désaccord sur plusieurs points. Entre autres, ils ne sont pas d’accord sur ce que l’inventeur veut dire par le mot « manipulateur » et par la phrase « une fente d’évacuation dans le bas de la paroi latérale droite pour évacuer la récolte à droite du transformateur » dans la revendication 1.

 

[26]           M. Hanson a concentré son attention sur ces points aux paragraphes 73, 74 et 80 à 83 de son rapport (dossier d’appel, pages 1653, 1655 et 1656) :

 

[traduction]

73. La personne versée dans l’art comprend ce qu’est le « manipulateur » dont il est question dans la revendication 1. Elle remarque immédiatement l’intention délibérée de l’inventeur de revendiquer de façon générale tout dispositif réalisant l’objet de cet élément de l’invention – manipuler les balles de récolte. On comprend que le manipulateur réoriente la balle (la fait tourner et la remet en bonne position) vers le désintégrateur pour y accrocher toutes ses parties et les désintégrer. Il y a interaction des parties rotatives, c’est‑à-dire entre le rouleau désintégrateur qui est en rotation et la balle que fait tourner le manipulateur. [Non souligné dans l’original.]

 

74. L’intention de l’inventeur dans la revendication 1 n’est pas de revendiquer un dispositif de manipulation précis ayant des caractéristiques structurelles précises. Au avril 2000, la personne versée dans l’art est au fait des nombreux moyens et configurations visant à manipuler les balles de foin dans les transformateurs de balle, chacun exécutant essentiellement la même fonction, essentiellement de la même façon et obtenant essentiellement le même résultat. L’intention générale de la revendication 1 doit être différenciée de l’intention précise de l’inventeur dans la revendication 5, soit de revendiquer une structure de manipulateur propre, lequel « comporte au moins deux rouleaux manipulateurs montés de façon à tourner à l’intérieur du contenant, presque parallèles au rouleau désintégrateur, et dans lequel au moins un rouleau est situé de chaque côté du rouleau désintégrateur afin de marquer une fente pour la désintégration, par laquelle le désintégrateur reçoit la matière. [Non souligné dans l’original.]

80. La personne versée dans l’art comprend que la fente d’évacuation permet de déverser la récolte vers la droite. En d’autres mots, l’inventeur avait un but précis pour la fente d’évacuation, soit que cette dernière respecte une configuration et une taille lui permettant d’« évacuer la récolte à droite du transformateur ». Ce but spécifique de la fente d’évacuation est expliqué en détail dans la revendication 1 avec un tel langage spécifique.

 

81. Selon le but de la fente d’évacuation énoncé par l’inventeur, la personne versée dans l’art interprète la phrase « une fente d’évacuation dans le bas de la paroi latérale droite » comme étant une exigence visant à munir le transformateur d’une fente où les récoltes peuvent être déversées généralement sur le côté, soit presque parallèlement au rouleau du désintégrateur de telle sorte que la voie d’évacuation se situe sur la droite. Les dimensions exactes et l’emplacement de la fente d’évacuation ne sont pas essentiels à condition qu’il existe une fente qui permet l’évacuation de la matière du côté droit du transformateur de récolte.

 

82. Une telle interprétation de la revendication est conforme à « une fente d’évacuation dans le bas de la paroi latérale droite pour évacuer la récolte à droite du transformateur » décrite dans la divulgation du brevet 344 :

 

La fente d’évacuation 40 est formée par la paroi 104, par la base 108 et par les parois postérieures 100 et 102 de sorte que les fléaux 18 du rouleau à fléau 16 entraînent la récolte déchiquetée le long de la base 108 pour l’évacuer du transformateur 1.

 

83. La personne versée dans l’art comprendrait qu’une fente d’évacuation « pour évacuer la récolte à la droite du transformateur » serait un élément essentiel de l’invention dans la revendication 1 du brevet 334. De plus, la personne versée dans l’art comprendrait que, même si les dimensions exactes et l’emplacement de la fente d’évacuation ne sont pas essentiels, la revendication 1 du brevet 334 exige que la « fente d’évacuation dans le bas de la paroi latérale droite » soit située généralement à droite du transformateur de récolte tel qu’interprété ci-dessus.

 

 

[27]           La dernière phrase du paragraphe 74 de M. Hanson sert à invoquer la présomption contre la redondance dérivée de la section 87 des Règles sur les brevets, DORS/96-423, voulant qu’une revendication indépendante (dans ce cas-ci la revendication 5) comprend toutes les limites de la revendication auxquelles elle fait référence (dans ce cas-ci la revendication 1) et doit stipuler « les caractéristiques additionnelles correspondantes ». On fait valoir que, parce que le manipulateur décrit dans la revendication 5 est de type à deux rouleaux, le terme général « manipulateur » dans la revendication 1 devait vouloir faire référence au manipulateur à deux rouleaux comme aux manipulateurs d’autres types connus.

 

[28]           En résumé, il est de l’opinion de M. Hanson que le mot « manipulateur » dans la revendication 1 devrait être interprété pour inclure les manipulateurs de toutes formes par la personne versée dans l’art au moment pertinent, ce qui comprendrait le plateau mobile du Balebuster de Duratech. Pour ce qui est de la fente d’évacuation, il croit que cet élément compte une fente, quelle qu’en soit la forme ou la taille, qui permet d’évacuer la matière désintégrée sur la droite.

 

[29]           L’analyse de M. Parish est totalement différente. Il explique qu’au moment pertinent il y avait au moins trois types de manipulateur pour soutenir et alimenter la balle dans le désintégrateur. L’un des types de manipulateur fait usage de « rouleaux d’appui » qui maintiennent la balle en la pivotent vers le rotor de fléau. Il s’agit du manipulateur décrit dans la divulgation du brevet 334 et il s’agit également du mécanisme utilisé par le Bale King de Bridgeview. Un deuxième type de mécanisme utilise une « table mobile » constituée d’un convoyeur à chaîne incliné qui soutient la balle et l’achemine vers le rotor à fléau. Il s’agit du mécanisme utilisé par le Balebuster de Duratech. Un troisième type de manipulateur comprend une cuve qui tourne autour d’un axe vertical et fait basculer la balle vers le rotor à fléau monté dans une fente sur un plancher immobile qui soutient la balle. 

 

[30]           Monsieur Parish souligne que la divulgation débute en stipulant qu’il s’agit de transformateurs de récolte, sans expliquer immédiatement si l’invention fait référence à un tout nouveau transformateur de balles de récolte ou s’il s’agit d’une amélioration apportée à un transformateur déjà existant. On trouve immédiatement réponse à cette question, dit-il, dans le reste de la divulgation, laquelle fait référence de plusieurs façons au transformateur de balles de récolte faisant usage de dispositifs de manipulation du premier type, soit le mécanisme de soutien à rouleaux. Il prend en considération que le bourrage, lequel constitue une grande partie de la description du problème rencontré avec le transformateur de balles de récolte, est « relié de façon intrinsèque au soutien et au pivotement de la balle sur les rouleaux manipulateurs adjacents aux parois du contenant et sur le rouleau désintégrateur ». Il conclut qu’une personne versée dans l’art comprendrait que l’inventeur utilisait le terme « transformateur de balles de récolte » pour faire référence au type de transformateur qui utilise de tels rouleaux comme manipulateurs.

 

[31]           Monsieur Parish interprète littéralement la phrase « une fente d’évacuation dans le bas de la paroi latérale droite pour évacuer la récolte à droite du transformateur ». Il fait valoir, dans son deuxième rapport, en réponse au rapport de M. Hanson, que l’inventeur avait une raison de situer la fente dans le bas de la paroi latérale droite. Pour le transformateur de balle de récolte décrit dans la divulgation, la matière déversée glisserait sur le fond du contenant vers la paroi droite et c’est pourquoi l’inventeur y a situé la fente.

 

[32]           Après un examen attentif des rapports des deux experts et des passages de la transcription auxquelles les parties ont fait référence dans leurs plaidoiries, je conclus qu’il était loisible au juge du fond de retenir l’opinion de M. Parish sur l’interprétation du brevet 334, notamment son explication des termes et expressions aux significations contestées de la revendication 1. L’interprétation du brevet que propose M. Parish se fonde sur le contexte constitué par l’ensemble du mémoire descriptif tel que l’aurait compris la personne versée dans l’art au moment pertinent et elle est judicieusement raisonnée. À mon sens, rien ne permet de conclure que l’interprétation que M. Parish donne du brevet soit erronée en droit.

 

[33]           Je pense comme Bridgeview que cette interprétation du brevet semble avoir pour effet de rendre la revendication 5 superflue. Cependant, cela ne suffit pas en soi à faire écarter une interprétation téléologique du mémoire descriptif; voir (Abbott Laboratories. c. Canada (Santé), 2007 CAF 83, paragraphe 33, et Nekoosa Packaging Corp. c. AMCA International Ltd. (1994), 172 N.R. 387 (C.A.F.), paragraphe 37).

 

Contrefaçon

[34]           Duratech a défendu la revendication en contrefaçon sur la base de deux aspects du Balebuster. Premièrement, le Balebuster n’utilise pas une table mobile ou un manipulateur de style convoyeur pour soutenir le mécanisme à rouleau, lequel mécanisme a été déclaré un élément essentiel des revendications du brevet 334 par le juge. Deuxièmement, dans le Balebuster, la matière désintégrée n’est pas déversée par une fente située dans le bas de la paroi latérale droite du contenant, ce que le juge a déclaré être un autre élément essentiel des revendications. Au contraire, la balle est désintégrée par les fléaux qui s’avancent dans le contenant entre les barreaux de la fente située dans le bas de la paroi latérale gauche. La matière désintégrée est évacuée du contenant par une fente située sur la paroi latérale gauche et se dirige sous le contenant pour être dispersée à la droite du transformateur.

 

[35]           Pour ce qui est du manipulateur, on soutient pour Bridgeview que le convoyeur ou le manipulateur à table mobile du Balebuster sont en contrefaçon de la revendication 1 car il effectue essentiellement la même fonction que le manipulateur à deux rouleaux (il facilite la désintégration de la balle), essentiellement de la même manière (en soutenant, en pivotant et en manipulant la balle afin de l’acheminer vers le désintégrateur), pour obtenir essentiellement le même résultat (la balle est désintégrée et la matière désintégrée est évacuée sur le côté droit du transformateur). Bridgeview se fonde sur un essai en trois parties d’Improver Corp. v. Remington Consumer Products Ltd., [1990] F.S.R. 181 (Pat. Ct.), tel qu’indiqué par le juge Binnie au nom de la Cour suprême du Canada dans Free World Trust v. Électro Santé Inc., [2000] 2 S.C.R. 1024, 2000 SCC 66.

 

[36]           L’ennui avec cet argument de Bridgeview est que la troisième condition du critère Improver ne me paraît pas être remplie. Ce critère pose la question de savoir si la personne versée dans l’art aurait conclu du libellé de la revendication que le breveté considérait la stricte adhésion au sens premier comme une condition essentielle de l’invention. Si la réponse est affirmative, la variante se trouve en dehors du champ de la revendication. Bridgeview soutient que la réponse est en l’espèce négative. À mon avis, cette réponse ne peut être juste, puisqu’elle se fonde sur une interprétation du brevet que le juge du fond a rejetée.

 

[37]           Pour ce qui concerne la fente d’évacuation, le juge du fond a conclu à l’absence de contrefaçon. Il s’est appuyé principalement sur la preuve de M. Parish comme quoi il existe une notable différence entre la manière dont le Balebuster évacue la matière déchiquetée et ce que revendique le brevet 334. Après un examen attentif de la preuve à laquelle les parties ont fait référence dans leurs plaidoiries, il me paraît que c’est là une conclusion raisonnable qu’il était loisible au juge du fond de tirer.

 

[38]           À mon avis, rien ne justifie que notre Cour remette en question la conclusion du juge du fond sur la contrefaçon.

 

L’invalidité pour cause d’évidence

[39]           L’article 28.3 de la Loi sur les brevets, L.R.C. 1985, ch. P‑4, est libellé comme suit :

 

28.3 L’objet que définit la revendication d’une demande de brevet ne doit pas, à la date de la revendication, être évident pour une personne versée dans l’art ou la science dont relève l’objet, eu égard à toute communication :

 

a) qui a été faite, plus d’un an avant la date de dépôt de la demande, par le demandeur ou un tiers ayant obtenu de lui l’information à cet égard de façon directe ou autrement, de manière telle qu’elle est devenue accessible au public au Canada ou ailleurs;

 

b) qui a été faite par toute autre personne avant la date de la revendication de manière telle qu’elle est devenue accessible au public au Canada ou ailleurs.

 

28.3 The subject-matter defined by a claim in an application for a patent in Canada must be subject-matter that would not have been obvious on the claim date to a person skilled in the art or science to which it pertains, having regard to

 

(a) information disclosed more than one year before the filing date by the applicant, or by a person who obtained knowledge, directly or indirectly, from the applicant in such a manner that the information became available to the public in Canada or elsewhere; and

 

(b) information disclosed before the claim date by a person not mentioned in paragraph (a) in such a manner that the information became available to the public in Canada or elsewhere.

 

 

[40]           C’est dans le passage suivant de l’arrêt Beloit Canada Ltée c. Valmet Oy (1986), 8 C.P.R. (3d) 289 (page 294), extrait de jurisprudence peut-être le plus souvent cité en matière de droit canadien des brevets, que le juge Hugessen a formulé au nom de notre Cour le critère général applicable à la question de l’évidence :

 

Pour établir si une invention est évidente, il ne s’agit pas de se demander ce que des inventeurs compétents ont ou auraient fait pour solutionner le problème. Un inventeur est par définition inventif. La pierre de touche classique de l’évidence de l’invention est le technicien versé dans son art mais qui ne possède aucune étincelle d’esprit inventif ou d’imagination; un parangon de déduction et de dextérité complètement dépourvu d’intuition; un triomphe de l’hémisphère gauche sur le droit. Il s’agit de se demander si, compte tenu de l’état de la technique et des connaissances générales courantes qui existaient au moment où l’invention aurait été faite, cette créature mythique (monsieur tout‑le‑monde du domaine des brevets) serait directement et facilement arrivée à la solution que préconise le brevet. C’est un critère auquel il est très difficile de satisfaire.

 

 

 

[41]           La Cour suprême du Canada, au paragraphe 67 de l’arrêt Apotex Inc. c. Sanofi‑Synthelabo Canada Inc., [2008] 3 R.C.S. 265, 2008 CSC 61, a cité en l’approuvant la démarche d’analyse visant à établir si un brevet est invalide pour cause d’évidence qu’a élaborée le lord juge Oliver dans Windsurfing International Inc. c. Tabur Marine (Great Britain) Ltd., [1985] R.P.C. 59 (C.A.), et adaptée le lord juge Jacob dans Pozzoli SPA c. BDMO SA, [2007] F.S.R. 37, page 872, [2007] EWCA Civ 588, paragraphe 23. La démarche Pozzoli exige la prise en considération des questions suivantes :

 

1)  Identifier la « personne versée dans l’art » et déterminer les connaissances générales courantes pertinentes de cette personne;

 

2)  Définir l’idée originale de la revendication en cause, au besoin par voie d’interprétation;

 

3)  Recenser les différences, s’il en est, entre ce qui ferait partie de « l’état de la technique » et l’idée originale qui sous-tend la revendication ou son interprétation;

 

4)  Abstraction faite de toute connaissance de l’invention revendiquée, ces différences constituent-elles des étapes évidentes pour la personne versée dans l’art ou dénotent-elles quelque inventivité?

 

 

 

[42]           La Cour suprême du Canada examine ensuite dans Sanofi la notion d’« essai allant de soi », notion que j’interprète comme un prolongement de la quatrième question, qui peut s’avérer pertinent lorsqu’il s’agit d’un domaine où les progrès sont le fruit de l’expérimentation. Le juge du fond a conclu, et je suis d’accord avec lui, que cette notion n’est pas applicable à la présente affaire.

 

[43]           Le juge du fond formule comme suit sa conclusion sur la validité du brevet 334 au paragraphe 68 de ses motifs, sous le titre « Conclusion : Le brevet est invalide pour cause d’évidence » :

 

. . . je conclus donc qu’à la date de la revendication, étant donné l’état de la technique et les connaissances générales courantes des systèmes de déversement du matériel agricole en général, et des transformateurs de balle en particulier, la personne versée dans l’art n’aurait pas estimé que c’était une idée originale que de reconnaître que le déversement à droite est la plupart du temps avantageux dans un transformateur de balle.

 

 

 

(Si je comprends bien ce paragraphe, il vise à exprimer la conclusion du juge sur la prétention reconventionnelle d’invalidité pour cause d’évidence et non à prononcer l’absence de nouveauté. Il n’a pas été soutenu dans la présente affaire que le brevet 334 soit invalide au motif du défaut de nouveauté.)

 

[44]           Le juge du fond a cité les questions de la démarche Pozzoli en annexe à l’exposé de ses motifs. Il n’a pas expressément intégré ces questions dans ledit exposé, mais je présume qu’il a conçu son analyse en fonction d’elles. Selon mon interprétation de ses motifs, il a conclu à l’invalidité du brevet pour cause d’évidence en se fondant sur l’analyse suivante :

 

(1)  L’essentiel de l’idée originale qu’il faut comparer aux antériorités est la « reconnaissance que le déversement à droite est la plupart du temps avantageux dans un transformateur de balle avec boîte de vitesses ».  

 

(2)  L’état de la technique au moment pertinent comprenait les connaissances générales suivantes des personnes versées dans l’art :

 

a)  Une boîte de mécanisme de changement de marche peut être utilisée pour faire passer la direction de la prise de force du tracteur du sens antihoraire au sens horaire.

 

b)  Les commandes du tracteur sont généralement situées à droite et il est naturel pour le conducteur de regarder vers la droite pour observer le fonctionnement de l’équipement remorqué.

 

c)  On observe une tendance dans le fonctionnement des équipements de ferme remorqués, lesquels voient passer le fonctionnement par la gauche vers le fonctionnement par la droite.

 

d) Il existait sur le marché au moment pertinent un transformateur de balle de récolte nommé Hesston BP 20, lequel à l’égard du brevet 334, constituait une antériorité et était muni d’une évacuation vers la droite et d’une boîte de vitesses et pour laquelle une personne versée dans l’art reconnaîtrait l’avantage du transformateur de balle de récolte avec évacuation vers la droite.

 

(3)  Il n’existe aucune différence pertinente entre le Hesston BP 20 et l’idée originale de la revendication ou la revendication telle qu’interprétée.

 

(4)    Par conséquent l’invention 334 est invalide pour cause d’évidence. 

 

 

[45]           En effet, puisque le juge a déclaré que l’idée originale du brevet 334 est la reconnaissance de l’avantage que présente dans la plupart des cas le transformateur de balles de récolte à évacuation à droite muni d’une boîte de vitesses et que le Hesston BP 20 était un transformateur de balles de récolte avec évacuation à droite muni d’une boîte d’engrenage, la quatrième question de Pozzoli n’est pas pertinente.

 

[46]           Soit dit avec déférence, le troisième point de l’analyse du juge, lequel était également sa réponse à la troisième question de Pozzoli, est mal interprété car il ne prend pas en considération tous les éléments essentiels de l’invention revendiquée telle que comparée avec le Hesston BP 20. Cette erreur a mené directement le juge à ne pas considérer la quatrième question de Pozzoli.

 

[47]           La quatrième question de Pozzoli, dans le contexte du présent cas, est de savoir si une personne versée dans l’art des transformateurs de balles de récolte au moment pertinent, sachant l’avantage que présente l’évacuation à droite et sachant qu’une boîte d’engrenage peut être utilisée pour faire passer la direction de la prise de force du tracteur du sens antihoraire au sens horaire, serait directement et facilement arrivée à la solution que préconise le brevet 334.

 

[48]           La technologie ayant été utilisée pour le transformateur de balles de récolte Hesston BP 20 pour la désintégration des balles était différente de celle constatée dans le brevet 334, laquelle, comme le juge en a conclu, était limitée au type de transformateur de balles de récolte dans lequel le manipulateur est de type à deux rouleaux. Pour le Hesston BP 20, la balle était pivotée verticalement, non pas horizontalement, et le pivotement se faisait en faisant tourner la cuve du contenant en entier et non pas en utilisant un manipulateur situé à l’intérieur du contenant. Bien que le Hesston BP 20 déversait à droite et était muni d’une boîte d’engrenage pour changer la direction de la prise de force du tracteur avant de conduire le rotor de désintégration, la preuve fait état que la boîte d’engrenage avait été ajoutée pour accélérer le pivotement. L’évacuation à droite était un résultat de l’ajout de la boîte d’engrenage et non pas le but. De plus, la preuve fait état que la boîte d’engrenage était considérée un désavantage, car elle augmentait le coût de la machine. Le Hesston BP 20 a été sur le marché pendant environ deux ans et a été remplacé par un modèle plus économique muni d’une évacuation à gauche.

 

[49]           Bridgeview a soutenu en première instance que le Hesston BP 20 ne pouvait objectivement être considéré comme une « antériorité » de l’invention qu’expose le brevet 334 parce qu’aucun élément de preuve ne tendait à établir que les personnes versées dans l’art auraient  aperçu les avantages de l’évacuation à droite. Le juge du fond a rejeté cet argument, se fondant sur la preuve de M. Parish, ainsi que de M. Davis, ingénieur qui avait participé au développement du Hesston BP 20. M. Davis a déclaré entre autres dans son témoignage que les fabricants du Hesston BP 20 estimaient que l’évacuation à droite était un avantage parce que les commandes des tracteurs sont situées de ce côté. Le juge a accepté cette preuve et rejeté la preuve contraire de M. Hanson. À mon sens, étant donné le dossier dont le juge du fond disposait, il lui était permis de conclure comme il l’a fait que le Hesston BP 20 était une antériorité pertinente, ainsi que de déduire de la preuve de MM. Davis et Parish que la personne versée dans l’art aurait aperçu sans difficulté l’avantage de l’évacuation à droite dans les machines agricoles remorquées, notamment les transformateurs de balles de récolte.

 

[50]           Cependant, la conclusion que le Hesston BP 20 était une antériorité pertinente et qu’il enseignait l’avantage de l’évacuation à droite n’établit pas le caractère évident de l’invention que le brevet 334 expose. Il convient à ce propos de rappeler la mise en garde bien connue que le juge Hugessen a formulée au nom de notre Cour contre les séductions de la sagesse rétrospective à la page 295 de Beloit, précité :

 

Une fois qu’elles ont été faites, toutes les inventions paraissent évidentes, et spécialement pour un expert du domaine. Lorsque cet expert a été engagé pour témoigner, l’infaillibilité de sa sagesse rétrospective est encore plus suspecte. Il est si facile de dire, une fois que la solution préconisée par le brevet est connue : « j’aurais pu faire cela »; avant d’accorder un poids quelconque à cette affirmation, il faut obtenir une réponse satisfaisante à la question : « Pourquoi ne l’avez-vous pas fait? ».

 

 

 

[51]           Je souscris à l’argument de Bridegeview selon lequel le brevet 334 expose une invention de combinaison. Il ne serait pas juste vis‑à‑vis la personne revendiquant une invention de combinaison de décomposer la combinaison en ses éléments pour conclure que, chacun de ceux‑ci étant bien connus, ladite combinaison est nécessairement évidente; voir par exemple Stiga Aktiebolag c. S.L.M. Canada Inc. (1990), 34 C.P.R. (3d) 216 (C.F. 1re inst.), page 245, où l’on cite le passage suivant de Wood & Amcolite Ltd. c. Gowshall Ltd. (1936), 54 R.P.C. 37, page 40, de lord juge Greene :

 

[TRADUCTION]

 

La décomposition d’une combinaison en ses éléments constitutifs et l’examen de chacun de ceux‑ci en vue d’établir si son utilisation est évidente ou non est, à nos yeux, une démarche qu’il faut appliquer avec de grandes précautions, puisqu’elle tend à masquer le fait que l’invention revendiquée est la combinaison. En outre, cette démarche tend aussi à occulter les faits que la conception de la combinaison détermine et précède normalement la sélection des éléments qui seront combinés, et que la question de l’évidence ou de la non-évidence de chaque acte de sélection doit en général être examinée en fonction de ce facteur. La vraie question, celle qu’il faut se poser en fin de compte, est la suivante : « La combinaison est-elle évidente ou non? ». 

 



Voir aussi Omark Industries (1960) Ltd. c. Gouger Saw Chain Co. et al (1964), 45 C.P.R. 169 (C. de l’Éch.), et Canamould Extrusions Ltd. c. Driangle Inc., 2003 CFPI 244, confirmée par 2004 CAF 63.

 

[52]           L’invention revendiquée dans le brevet 334 ne comprend pas seulement l’usage d’une boîte d’engrenage pour changer la direction de la prise de force du tracteur. L’invention revendiquée comprend l’usage d’une boîte d’engrenage à cet effet, mais seulement de concert avec d’autres éléments essentiels pour offrir un transformateur de balles de récolte qui désintègre la balle d’une certaine façon et évacue la matière désintégrée d’une certaine façon vers la droite. La question que le juge aurait dû se poser, et qu’il n’a pas fait, est de savoir si les connaissances générales qu’il a identifiées auraient pu mener une personne talentueuse mais dépourvue d’esprit inventif à en venir directement et sans difficulté à cette combinaison particulière d’éléments constituant l’invention divulguée dans le brevet 334 telle qu’interprétée par le juge.

[53]           La preuve sur cette question qui favorise le plus la position de Duratech se trouve dans l’opinion de M. Parish. Il était d’avis que, étant donné le Hesston BP 20, il aurait été évident pour une personne versée dans l’art et désirant concevoir un transformateur de balles de récolte avec évacuation à droite d’utiliser une boîte d’engrenage ou un autre mécanisme d’inversion de la marche de concert avec une fente d’évacuation à droite et qu’il y avait motif à le faire compte tenu de la tendance dans l’industrie de munir d’une évacuation à droite la machinerie de ferme remorquée par tracteurs. Cette opinion, contrairement à l’opinion de M. Parish sur l’interprétation du brevet et à sa contrefaçon, est affaiblie par l’absence d’analyse à l’appui. En effet, il s’agit tout au plus d’une conclusion non étayée. Par exemple, cela n’explique pas pourquoi au moment pertinent, personne, à part l’inventeur du Bale King, n’a été en mesure de construire un transformateur de balles de récolte à évacuation à droite productif et rentable. Tel que mentionné plus haut, le Hesston BP 20 n’était pas productif et rentable. Il est donc raisonnable de conclure que l’élaboration productive d’un transformateur de balles de récolte avec évacuation à droite nécessitait davantage que le simple ajout d’un mécanisme d’inversion de la marche sur un transformateur de balles de récolte déjà construit.

 

[54]           Par rapport à la question de l’évidence, Duratech a mentionné dans l’argumentation deux des articles additionnels d’une technique antérieure, à savoir les brevets américains 4,830,292 et 4,879, 810 (les brevets Frey), lesquels sont des brevets pour un transformateur de balles de récolte antérieurs au brevet 334. En effet, le brevet américain 4,830,292 est divulgué dans le brevet 334. Je n’ai pas été en mesure de trouver dans les dossiers l’opinion d’un expert interprétant ces brevets américains, mais lors d’une lecture littérale, ces brevets semblent faire référence, dans un des cas, à un outil de coupe de type particulier en lieu et place des fléaux pour désintégrer la balle, et dans l’autre cas, à une amélioration des moyens de manipulation de la balle. Je ne trouve aucune mention de l’évacuation à droite dans l’un ou l’autre des brevets américains. Duratech affirme que ces brevets décrivent une évacuation à droite car ils sont munis « implicitement » d’un mécanisme d’inversion de la marche. Toutefois, je suis incapable de discerner en me basant seulement sur le brevet si cette affirmation est valide et Duratech n’a produit aucune preuve à cet égard.

 

[55]           Je conclus que le juge a commis une erreur de droit en posant que, compte tenu de l’état de la technique au moment pertinent, la personne versée dans l’art mais dénuée d’esprit inventif serait directement et facilement arrivée à la solution qu’enseigne le brevet 334. Pour ce motif, la conclusion qu’a formulée le juge du fond au paragraphe 68 de ses motifs doit être infirmée. J’accueillerais l’appel sur ce point.

 

Conclusion

[56]           Pour ces motifs, j’accueillerais l’appel en partie. J’annulerais le jugement de la Cour fédérale et le remplacerais par un jugement libellé comme suit :

 

L’action des demanderesses et la demande reconventionnelle des défenderesses sont toutes deux rejetées.

En raison du succès partagé des parties dans le présent appel, je n’adjugerais de dépens ni devant notre Cour ni devant la Cour fédérale.

 

 

« K. Sharlow »

j.c.a.

 

 

« Je suis d’accord.

            M. Nadon, j.c.a. »

 

« Je suis d’accord.

            Johanne Trudel, j.c.a. »

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                                    A‑86‑09

 

APPEL DU JUGEMENT RENDU PAR MONSIEUR LE JUGE CAMPBELL DE LA COUR FÉDÉRALE LE 20 JANVIER 2009 DANS LE DOSSIER NO T‑1554‑05

 

INTITULÉ :                                                    BRIDGEVIEW MANUFACTURING INC. et HIGHLINE MANUFACTURING LTD. c. 931409 ALBERTA LTD., exerçant son activité sous la dénomination de CENTRAL ALBERTA HAY CENTRE, DENNILL’S AGRICENTER LTD. et DURATECH INDUSTRIES INTERNATIONAL, INC.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                              Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                            Le 10 février 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                          LA JUGE SHARLOW

 

Y ONT SOUSCRIT :                                      LE JUGE NADON

                                                                         LA JUGE TRUDEL

 

 

DATE DES MOTIFS :                                   Le 14 juillet 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Christopher C. Van Barr

Michael Crichton

POUR LES APPELANTES

 

 

Robert H. C. MacFarlane

Adam Bobker

POUR LES INTIMÉES

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Gowling LaFleur Henderson, s.r.l.

Ottawa (Ontario)

 

POUR LES APPELANTES

 

Bereskin & Parr, s.r.l.

Toronto (Ontario)

POUR LES INTIMÉES

 

 

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