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Date : 20100924

Dossier : A‑292‑09

Référence : 2010 CAF 242

 

CORAM :      LE JUGE EN CHEF BLAIS

                        LE JUGE NADON

                        LA JUGE TRUDEL

 

ENTRE :

NOVOPHARM LIMITED

appelante

et

PFIZER CANADA INC., PFIZER INC.,

PFIZER IRELAND PHARMACEUTICALS,

PFIZER RESEARCH AND DEVELOPMENT COMPANY N.V./S.A.

et LE MINISTRE DE LA SANTÉ

intimés

 

 

 

Audience tenue à Montréal (Québec), le 24 mars 2010

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 24 septembre 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                  LE JUGE NADON

Y ONT SOUSCRIT :                                                                              LE JUGE EN CHEF BLAIS

                                                                                                                             LA JUGE TRUDEL

 

 


Date : 20100924

Dossier : A‑292‑09

Référence : 2010 CAF 242

 

CORAM :      LE JUGE EN CHEF BLAIS

                        LE JUGE NADON

                        LA JUGE TRUDEL

 

ENTRE :

NOVOPHARM LIMITED

appelante

et

PFIZER CANADA INC., PFIZER INC.,

PFIZER IRELAND PHARMACEUTICALS,

PFIZER RESEARCH AND DEVELOPMENT COMPANY N.V./S.A.

et LE MINISTRE DE LA SANTÉ

 

intimés

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

[1]               La Cour statue sur l’appel interjeté par Novopharm Limited (l’appelante) d’une ordonnance (2009 CF 638) en date du 18 juin 2009 (la décision) par laquelle le juge Kelen de la Cour fédérale (le juge de première instance) a, en vertu du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93‑133, interdit au ministre de la Santé de délivrer à l’appelante un avis de conformité pour une version générique de comprimés de sildénafil (commercialisés par les intimées sous le nom de Viagra) tant que le brevet canadien 2163446 des intimées (le brevet 446) ne sera pas expiré. Pour les motifs qui suivent, je conclus que le juge de première instance n’a commis aucune erreur susceptible de révision en concluant comme il l’a fait.

 

Les faits

[2]               Le brevet 446 appartient à l’intimée Pfizer Ireland Pharmaceuticals et a été concédé sous licence à l’intimée Pfizer Canada Ltd. (je vais désormais désigner les diverses intimées sous l’appellation de Pfizer). Le brevet expire le 13 mai 2014.

 

[3]               Le brevet 446 revendique l’utilisation du citrate de sildénafil (le sildénafil) pour le traitement de la dysfonction érectile. Le sildénafil a d’abord été mis au point par Pfizer pour traiter l’angine et l’hypertension. Toutefois, lorsqu’ils ont mis à l’essai le médicament sur des patients souffrant d’angine, les scientifiques de Pfizer ont constaté des « érections spontanées et prolongées » chez les patients. Jusqu’alors, il n’existait aucun traitement par voie orale contre la dysfonction érectile et les traitements offerts requéraient pour la plupart l’injection de médicaments directement dans le pénis.

 

[4]               Par suite de ses études sur l’angine, Pfizer a déposé un mémoire descriptif provisoire pour un brevet au Royaume‑Uni. Elle a ensuite mené une étude, connue sous le nom d’étude 350, pour vérifier les effets du sildénafil sur la dysfonction érectile. Dans le cadre de l’étude 350, 16 hommes chez qui l’on avait diagnostiqué une dysfonction érectile ont reçu une dose orale de sildénafil pendant six jours. Le sixième jour, les patients ont été hospitalisés, ont visionné des vidéos sexuellement explicites et ont passé la nuit à l’hôpital. Un dispositif appelé « transducteur RigiScan » a été installé pour mesurer la rigidité de leur pénis et la durée de leur érection. Les patients ont également tenu un journal. À la lumière de cette étude, Pfizer a conclu que le sildénafil pouvait être utilisé pour traiter la dysfonction érectile.

 

[5]               Le brevet 446 a été délivré le 7 juillet 1998, à la suite d’une demande déposée au Canada le 13 mai 1994 qui revendiquait la priorité sur la demande de brevet déposée au Royaume‑Uni le 9 juin 1993.

 

[6]               L’exposé de l’invention du brevet 446 indique que ce dernier porte sur [traduction] « l’utilisation d’une série de pyrazolo[4,3‑d]pyrimidin‑7‑ones pour le traitement de l’impuissance ». L’exposé indique ensuite que [traduction] « la présente invention concerne l’utilisation d’un composé de la formule I ». La formule I est à l’origine d’approximativement 260 quintillions de composés chimiques. L’exposé classe ces 260 quintillions de composés en quatre catégories : un « groupe privilégié de composés », un « groupe plus privilégié de composés », un « groupe particulièrement privilégié de composés » et une liste de « composés individuels particulièrement privilégiés ». Dans la liste de composés individuels particulièrement privilégiés figure le « 5‑[2‑éthoxy‑5‑(4‑méthyl‑1‑pipérazinylsulfonyl)phényl]‑1‑méthyl‑3‑n-propyl‑1,6‑dihydro‑7H‑pyrazolo[4,3‑d]pyrimidin‑7‑one, ou l’un de ses sels pharmaceutiquement acceptables ». Ce composé est le sildénafil.

 

[7]               L’exposé de l’invention renvoie ensuite aux expériences menées par Pfizer. À la page 10, on y trouve ce qui suit :

[traduction] Chez l’humain, certains composés particulièrement privilégiés ont été mis à l’essai par voie orale dans des études de doses uniques et de doses multiples chez des volontaires. De plus, les études cliniques menées jusqu’à présent ont confirmé qu’un des composés particulièrement privilégiés cause une érection pénienne chez les hommes impuissants.

 

Il s’agit de la seule mention de l’étude 350 dans le brevet 446. L’exposé de l’invention indique que « certains composés particulièrement privilégiés » causent une érection, mais il ne précise pas lesquels.

 

[8]               Le brevet 446 comporte ensuite 27 revendications. Les sept premières ont trait à l’utilisation de la formule I dans le traitement de la dysfonction érectile. La revendication 1 dresse la liste de la totalité des composés dérivés de la formule I et de leur utilisation. Les revendications 2 à 5 énumèrent successivement un groupe plus restreint de composés dérivés de la formule I. Chacune des revendications 6 et 7 ne renvoie qu’à un seul composé. Le composé dont il est fait mention dans la revendication 7 est le sildénafil.

 

[9]               Il ne s’agit pas du premier procès relatif au brevet sur le Viagra. En 2000, la Haute Cour de justice d’Angleterre et du Pays de Galles a invalidé le brevet sur le Viagra pour cause d’évidence (Lilly Icos Ltd. c. Pfizer Ltd., 2000 EWHC Patents 49; [2001] F.S.R. 16). La Cour d’appel d’Angleterre et du Pays de Galles a confirmé cette décision en appel (Lilly Icos Ltd. c. Pfizer Ltd., [2002] EWCA Civ. 1). Au Canada, en 2007, Apotex Inc. a contesté la validité du brevet 446 en invoquant plusieurs motifs, principalement l’évidence. Le juge Mosley de la Cour fédérale a fait droit à la demande présentée par Pfizer en vue de faire interdire au ministre de la Santé de délivrer un avis de conformité à Apotex (Pfizer Canada Inc. c. Apotex Inc., 2007 CF 971, [2007] 61 C.P.R. (4th) 305 [la décision Apotex‑Viagra]). Notre Cour a par la suite confirmé la décision du juge Mosley (Pfizer Canada Inc. c. Apotex Inc., 2009 CAF 8; (2009) 72 C.P.R. (4th) 141).

 

[10]           Le 19 décembre 2006, l’appelante a déposé une présentation abrégée de drogue nouvelle pour des comprimés de sildénafil à administrer par voie orale, dans laquelle elle comparait ses comprimés à ceux commercialisés par Pfizer sous le nom de Viagra. Le 6 juillet 2007, l’appelante a signifié un à Pfizer un avis d’allégation dans lequel elle alléguait que le brevet 446 était invalide. Plus précisément, elle affirmait que le brevet 446 était invalide pour cause d’évidence, d’absence d’utilité et d’insuffisance de l’exposé de l’invention.

 

[11]           Le 18 juin 2009, le juge de première instance a estimé que les allégations d’invalidité de l’appelante n’étaient pas fondées.

 

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES

[12]           Le présent appel met en jeu la Loi sur les brevets, L.R.C. 1985, ch. P‑4 (la Loi). Suivant la définition qu’on en trouve à l’article 2 de la Loi, une « invention » doit être à la fois nouvelle et utile :

« invention » Toute réalisation, tout procédé, toute machine, fabrication ou composition de matières, ainsi que tout perfectionnement de l’un d’eux, présentant le caractère de la nouveauté et de l’utilité.

 

“invention” means any new and useful art, process, machine, manufacture or composition of matter, or any new and useful improvement in any art, process, machine, manufacture or composition of matter.

 

 

[13]           Le paragraphe 27(3) énumère les conditions que doit respecter le mémoire descriptif du brevet :

(3) Le mémoire descriptif doit :

 

a) décrire d’une façon exacte et complète l’invention et son application ou exploitation, telles que les a conçues son inventeur;

 

b) exposer clairement les diverses phases d’un procédé, ou le mode de construction, de confection, de composition ou d’utilisation d’une machine, d’un objet manufacturé ou d’un composé de matières, dans des termes complets, clairs, concis et exacts qui permettent à toute personne versée dans l’art ou la science dont relève l’invention, ou dans l’art ou la science qui s’en rapproche le plus, de confectionner, construire, composer ou utiliser l’invention;

 

c) s’il s’agit d’une machine, en expliquer clairement le principe et la meilleure manière dont son inventeur en a conçu l’application;

 

 

d) s’il s’agit d’un procédé, expliquer la suite nécessaire, le cas échéant, des diverses phases du procédé, de façon à distinguer l’invention en cause d’autres inventions.

(3) The specification of an invention must

(a) correctly and fully describe the invention and its operation or use as contemplated by the inventor;

 

 

(b) set out clearly the various steps in a process, or the method of constructing, making, compounding or using a machine, manufacture or composition of matter, in such full, clear, concise and exact terms as to enable any person skilled in the art or science to which it pertains, or with which it is most closely connected, to make, construct, compound or use it;

 

 

 

 

(c) in the case of a machine, explain the principle of the machine and the best mode in which the inventor has contemplated the application of that principle; and

 

(d) in the case of a process, explain the necessary sequence, if any, of the various steps, so as to distinguish the invention from other inventions.

 

 

 

[14]           Le paragraphe 27(4) précise que le mémoire descriptif se termine par les revendications du brevet :

(4) Le mémoire descriptif se termine par une ou plusieurs revendications définissant distinctement et en des termes explicites l’objet de l’invention dont le demandeur revendique la propriété ou le privilège exclusif.

(4) The specification must end with a claim or claims defining distinctly and in explicit terms the subject‑matter of the invention for which an exclusive privilege or property is claimed.

 

 

LA DÉCISION DE LA COUR FÉDÉRALE

a)         Interprétation des revendications

[15]           Avant d’examiner les arguments invoqués par l’appelante au soutien de ses allégations d’invalidité, le juge de première instance a interprété la revendication 7, la seule revendication qui concerne à la fois la demande et le présent appel. Le juge de première instance a fait sienne l’interprétation que le juge Mosley a retenue dans la décision Apotex‑Viagra, précitée, au paragraphe 35, selon laquelle « l’utilisation du sildénafil (ou d’un sel de sildénafil) sous la forme d’un médicament administré par voie orale destiné au traitement de la dysfonction érectile chez l’homme », et que notre Cour a approuvée, en appel, au paragraphe 11 de ses motifs.

 

[16]           Au paragraphe 42, le juge de première instance a ensuite accepté l’argument de Pfizer suivant lequel « dans le cas de brevets comme celui qui nous intéresse en l’espèce, chacune des revendications devrait être examinée séparément pour déterminer quelle revendication doit être interprétée ». Il a cité la décision C.H. Boehringer Sohn c. Bell‑Craig Ltd., [1962] R.C. de l’Éch. 201, 39 C.P.R. 201, conf. par [1963] R.C.S. 410 [la décision Boehringer], à l’appui de la proposition qu’une substance qui est revendiquée séparément constitue une invention distincte. Le juge de première instance a suivi une décision antérieure, Merck & Co. c. Apotex, 2006 CF 524, (2006) 53 C.P.R. (4th) 1 [la décision Apotex ACE (CF)], dans laquelle la Cour fédérale avait donné effet à la décision Boehringer. Dans la décision Apotex ACE (CF), le brevet en litige concernait l’utilisation d’inhibiteurs d’enzyme convertisseur de l’angiotensine (les inhibiteurs de l’ECA) pour le traitement de l’hypertension. La formule énoncée dans le brevet couvrait des milliards de composés distincts, parmi lesquels se trouvaient le linisopril, l’énalapril et l’énalaprilat, qui faisaient chacun l’objet d’une revendication distincte. Citant la décision Boehringer, le juge Hughes a conclu que « la demande 340 contenait non seulement des exemples, mais aussi des revendications spécifiques visant les composés individuels que sont l’énalapril, l’énalaprilat et le lisinopril, dont chacun, selon la théorie de cette jurisprudence, constitue une invention différente de celle de la classe » (Apotex ACE (CF) au paragraphe 116 / Décision, au paragraphe 45).

 

[17]           À son tour, notre Cour a confirmé l’interprétation du juge Hughes (Merck & Co c. Apotex Inc., 2006 CAF 323, [2007] 3 R.C.F. 588 [Apotex ACE (CAF)]. En conséquence, au paragraphe 46 de sa décision, le juge de première instance a déclaré :

Comme le brevet 446 renferme des revendications spécifiques et décrit le sildénafil à la revendication 7, l’arrêt de la Cour d’appel fédérale [Merck & Coc. Apotex Inc., 2006 CAF 323, [2007] 3 R.C.F. 588] s’applique également en l’espèce et le sildénafil dont il est question à la revendication 7 devrait être examiné séparément.

 

b)         Évidence

[18]           Pfizer soutenait que les tentatives faites par l’appelante en vue de faire invalider le brevet pour cause d’évidence constituaient un abus de procédure. Le juge de première instance n’a pas partagé cet avis. Il a estimé que l’appelante avait soulevé de nouveaux arguments distincts. Il a toutefois conclu que le brevet 446 n’était pas évident. Cet aspect de la décision du juge de première instance n’a pas été porté en appel.

 

c)         Utilité

[19]           Suivant l’appelante, Pfizer n’avait pas ni démontré ni prédit de façon valable l’utilité du sildénafil à la date du dépôt du brevet canadien. Elle affirmait que l’utilité du brevet 446 n’avait pas été démontrée parce que le brevet lui‑même ne révélait pas l’utilité du sildénafil. Elle affirmait en outre que le brevet 446 ne permettait pas de prédire valablement l’utilité du sildénafil parce qu’il ne désignait pas dans le brevet le sildénafil comme « ingrédient pharmaceutique actif », étant donné que les résultats de l’étude 350 n’y étaient pas divulgués et que cette étude comportait de graves lacunes. L’appelante affirmait par ailleurs que le brevet 446 n’avait pas d’utilité parce qu’il comprenait des espèces inopérantes, en l’occurrence des quintillions de composés qui ne traitaient pas la dysfonction érectile.

 

[20]           Le juge de première instance a conclu que le brevet 446 n’était pas invalide pour manque d’utilité. Il a rappelé que, pour être utile, l’invention doit faire ce que le brevet indique qu’elle fera. Il a cité l’arrêt Consolboard Inc. c. MacMillan Bloedel (Saskatchewan Ltd.), [1981] 1 R.C.S. 504 [Consolboard] à l’appui de la proposition qu’il suffit que l’inventeur démontre un degré d’utilité peu élevé, citant également la décision Aventis Pharma c. Apotex Inc., 2005 CF 1283, [2005] 43 C.P.R. (4th) 161 [la décision Aventis] au soutien de la proposition que « [l]orsque le mémoire descriptif ne promet pas un résultat précis […..] la “moindre parcelle” d’utilité suffit » (paragraphe 271 de la décision Aventis; Décision, au paragraphe 78).

 

[21]           Le juge de première instance a estimé que le brevet 446 démontrait effectivement l’utilité de l’invention. Il a rejeté l’argument de l’appelante suivant lequel lorsqu’un brevet est octroyé sur le fondement de l’utilité démontrée, la preuve de l’utilité démontrée du brevet doit être incluse dans le brevet. Il a également déclaré que la brève mention de l’étude 350 (citée au paragraphe 7 des présents motifs) était suffisante pour conclure que le brevet 446 avait été octroyé sur le fondement de l’utilité démontrée. Au paragraphe 82 de ses motifs, il déclare ce qui suit :

[82]      La Cour estime que rien dans la législation sur les brevets n’exige que la preuve de l’utilité démontrée du brevet soit incluse dans le brevet. Il suffit que le brevet déclare que l’invention s’est révélée utile, ce que le brevet 446 fait en renvoyant aux tests cliniques du composé (Étude 350), et que le titulaire du brevet soit en mesure de fournir des preuves de l’utilité démontrée si la validité du brevet est contestée.

 

[22]           Comme la validité du brevet était contestée, le juge de première instance s’est ensuite demandé si l’invention était utile. L’appelante soutenait que l’étude 350 comportait trois lacunes : premièrement, elle utilisait les érections et non les rapports sexuels comme paramètre; deuxièmement, les données consignées dans les journaux des patients n’étaient pas statistiquement significatives; troisièmement, il n’y avait pas nécessairement de corrélation entre les résultats de l’appareil RigiScan et la capacité d’avoir des rapports sexuels.

 

[23]           Voici comment le juge de première instance a disposé de ces arguments au paragraphe 86 :

[86]    Après avoir revu les données, la Cour est convaincue que les résultats de l’Étude 350 indiquent que les patients qui ont reçu du sildénafil ont bénéficié d’une amélioration importante de leur fonction érectile. La preuve fournie par les experts montre que l’appareil RigiScan est le meilleur outil disponible pour mesurer la rigidité du pénis et la durée d’une érection, qui est la seule méthode objective pour déterminer si une érection est suffisante pour un rapport sexuel (contre‑affidavit de Brock, vol. 6). Les résultats du RigiScan étaient statistiquement significatifs. En outre, les résultats consignés dans les journaux, bien qu’ils ne fussent pas statistiquement significatifs, fournissaient néanmoins une mesure subjective de l’amélioration de la fonction érectile. La petite taille de l’étude, soit une des objections de Novopharm, est prise en compte dans les valeurs p qui mesurent la signification statistique du résultat.

 

[24]           De plus, au paragraphe 87 de sa décision, le juge de première instance a souligné qu’en présence d’un brevet valide, il n’est pas nécessaire de satisfaire au niveau de preuve requis par les autorités réglementaires pour démontrer l’utilité du brevet. À l’appui de cette proposition, le juge citait la décision du juge Wetston dans l’affaire Apotex c. Wellcome, (1998) 79 C.P.R. (3d) 193 (C.F.) [la décision Wellcome (CF)] aux paragraphes 105 et 106.

 

[25]           Le juge de première instance a ensuite rejeté l’argument invoqué par l’appelante au sujet des espèces inopérantes. L’appelante soutenait que, comme un seul des composés revendiqués par le brevet 446 traitait la dysfonction érectile, le brevet devait être considéré invalide en entier. Se fondant sur l’article 58 de la Loi, qui prévoit que lorsque le brevet renferme une revendication qui est invalide, il est donné effet au brevet tout comme s’il ne renfermait que les revendications valides, le juge de première instance a rejeté les arguments de l’appelante. Ainsi, suivant le juge de première instance, si les revendications 1 à 6 étaient invalides, le brevet 446 devait être interprété comme si elles n’en faisaient pas partie (Décision, au paragraphe 91).

 

d)         Divulgation

[26]           L’appelante soutenait que le brevet 446 ne décrivait pas suffisamment l’invention et la façon de la mettre en application. Le juge de première instance a commencé son analyse en citant la décision rendue par notre Cour dans l’affaire Pfizer Canada c. Ranbaxy Laboratories Ltd., 2008 CAF 108, [2009] 1 R.C.F. 253 [l’arrêt Ranbaxy], qui se fondait à son tour sur l’arrêt Consolboard, précité, à l’appui de la proposition suivante : « Il suffit que le brevet réponde aux deux questions suivantes pour satisfaire au critère prévu au paragraphe 27(3) : En quoi consiste l’invention? Comment fonctionne‑t‑elle? » (Décision, au paragraphe 103; Ranbaxy, au paragraphe 59; Consolboard, au paragraphe 157).

 

[27]           Le juge de première instance a également mentionné, au paragraphe 106 de ses motifs, l’ouvrage Hughes & Woodley on Patents, 2e éd., édition à feuilles mobiles (Markham (Ontario), LexisNexis Canada, 2005) au §34, que notre Cour cite dans l’arrêt Ranbaxy au paragraphe 36, où les auteurs Rogers T. Hughes et Dino P. Clarizio écrivent ce qui suit :

[traduction]  L’insuffisance vise à établir si le mémoire descriptif suffit pour permettre à une personne versée dans l’art de comprendre comment ce qui fait l’objet du brevet est fabriqué [...] Une allégation d’insuffisance est une attaque technique qui ne devrait pas servir à repousser un brevet pour une invention méritoire; une telle attaque sera couronnée de succès lorsqu’une personne versée dans l’art ne pourra mettre en pratique l’invention.

 

 

[28]           Le juge de première instance expose ensuite, au paragraphe 107, les conditions suivantes à remplir pour que l’exposé de l’invention soit considéré comme suffisant :

[107]     Il est aussi de jurisprudence constante que le libellé du brevet ne doit pas être obscur, embrouillé ou déroutant pour le lecteur averti. La description du brevet [traduction] « doit être dénuée de toute obscurité ou ambiguïté évitable et être aussi simple et aussi distinctive que le permet la difficulté de la description ». Elle ne doit pas comporter de déclarations erronées ou fallacieuses destinées à tromper ou induire en erreur les personnes auxquelles elle est destinée, et ne pas rendre difficile à ces personnes, sans essai et expérimentation, la compréhension du mode d’application de l’invention. La description doit aussi fournir tous les renseignements nécessaires pour le bon fonctionnement ou la bonne utilisation de l’invention, sans que ce résultat soit laissé au hasard d’une expérience réussie. L’inventeur doit fournir tous les renseignements de bonne foi.

[Renvois omis.]

 

 

[29]           En tenant compte de ces principes, le juge de première instance a examiné le témoignage de l’expert sur ce que le brevet 446 enseigne à la personne versée dans l’art. L’appelante avait présenté des éléments de preuve tendant à démontrer qu’une personne versée dans l’art ne serait pas capable de sélectionner le sildénafil parmi l’ensemble des composés du brevet. Quant à Pfizer, elle avait soumis des éléments de preuve suivant lesquels une personne versée dans l’art ne consulterait que les neuf « composés particulièrement privilégiés » mentionnés dans l’exposé de l’invention et qu’elle constaterait alors que seulement deux de ces composés font l’objet d’une revendication particulière, de sorte qu’elle serait en mesure de concentrer son analyse en conséquence.

 

[30]           Le juge de première instance a ensuite formulé deux observations. En premier lieu, il a fait observer que l’affaire dont il était saisi soulevait une question nouvelle parce qu’il ne pouvait trouver aucune décision portant sur la question de la suffisance dans le cas d’un brevet comportant un grand nombre de revendications sans divulguer la revendication qui est censée permettre de réaliser l’invention qui correspond au produit commercial en question. En second lieu, il a estimé que « la crédibilité de cette allégation est affaiblie en raison du fait qu’elle n’a été soulevée qu’en 2007, soit treize ans après que le brevet a été rendu public aux fins d’inspection » (Décision, au paragraphe 133).

 

[31]           Avant de tirer ses conclusions sur la question de l’exposé de l’invention, le juge de première instance a, aux paragraphes 135 et 136 de ses motifs, formulé les observations suivantes à titre incident, exprimant son malaise en ce qui concerne la jurisprudence actuelle :

[135]      […] À mes yeux, l’exposé de l’invention joue au plus fin avec le lecteur. Pourquoi n’a‑t‑on pas simplement indiqué que le composé dans la revendication 7 était le sildénafil? Le brevet joue « à la cachette » avec le lecteur. On s’attend à ce que le lecteur trouve « l’aiguille dans la botte de foin » ou « l’arbre dans la forêt ». Il faut se rappeler que la revendication 1 concerne une gamme de composés au nombre de 260 trillions.

 

[136]      En cachant à la population l’identité du seul composé testé et trouvé efficace, le sildénafil, le brevet ne décrit pas entièrement l’invention. De toute évidence, Pfizer a décidé consciemment de ne pas divulguer l’identité du seul composé trouvé efficace et a laissé le lecteur versé dans l’art se perdre en conjectures. Cette pratique est contraire à l’exigence réglementaire de divulguer entièrement l’invention.

 

[32]           Malgré ses réserves, le juge de première instance a refusé d’invalider le brevet 446 pour cause d’insuffisance de l’exposé de l’invention. Voici ce qu’il a écrit à ce propos aux paragraphes 141 à 146 de ses motifs :

1.                  Il a cité la popularité actuelle du Viagra comme preuve que le sildénafil est une invention méritoire.

2.                  Il a relevé le délai de treize ans écoulé avant que l’instance en invalidation ne soit introduite.

3.                  Il a conclu de ce délai que « [l]e brevet aurait certainement été attaqué sur ce fondement avant 2007 s’il y avait eu la moindre chance que cette attaque réussisse » (Décision, au paragraphe 143).

4.                  Il a estimé que le lecteur versé dans l’art sait depuis des années que le sildénafil est l’ingrédient actif de l’invention et que le brevet expire en 2014.

5.                  Il a conclu que la jurisprudence exigeait de considérer la revendication pertinente comme une invention distincte.

6.                  Enfin, il a accepté le témoignage suivant lequel la personne versée dans l’art concentrerait son analyse des 260 quintillons de composés en ne retenant que les deux composés particulièrement privilégiés revendiqués séparément. « Le lecteur versé dans l’art procéderait ensuite à des tests sur ces deux composés pour déterminer lequel fonctionne. En l’espèce, la revendication 7 est celle qui vise le composé qui fonctionne et la revendication 7 décrit clairement et de façon suffisante le sildénafil ». (Décision, au paragraphe 146).

 

 

QUESTIONS EN LITIGE

[33]           L’appel soulève deux questions qui comportent chacune deux volets :

1.         Le juge de première instance a‑t‑il eu raison de conclure que l’exposé de l’invention du brevet 446 était suffisant au sens de l’article 27 de la Loi?

a)         En quoi consiste l’invention revendiquée?

b)         Vu la conclusion tirée quant à ce qui constitue l’invention, l’exposé de l’invention était‑il suffisant?

2.         Le juge de première instance a‑t‑il eu raison de conclure que le brevet 446 satisfaisait à l’exigence de l’utilité prévue à l’article 2 de la Loi?

a)         L’intimée devait‑elle démontrer l’utilité dans l’exposé de l’invention du brevet?

b)         Dans la négative, la preuve révèle‑t‑elle que l’invention était utile?

 

 

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

            1.a)      Divulgation : En quoi consiste l’invention revendiquée?

[34]           L’appelante affirme que le juge de première instance a commis une erreur en concluant que le brevet n’était pas invalide pour cause d’insuffisance de l’exposé de l’invention. Je commence mon analyse par l’examen de la prétention de l’appelante en ce qui concerne l’invention revendiquée.

 

[35]           L’appelante signale que le critère de la suffisance de l’exposé de l’invention qui a été énoncé dans l’arrêt Consolboard, précité, exige que le brevet réponde à deux questions : En quoi consiste l’invention? Comment fonctionne‑t‑elle? L’appelante affirme que Pfizer a fait défaut de divulguer son invention en cachant quel composé du brevet était du sildénafil.

 

[36]           Suivant l’appelante, les obligations qui incombent à Pfizer en ce qui concerne l’exposé de l’invention se rapportent à l’ensemble du brevet 446. Elle fait donc valoir que le juge de première instance a eu tort d’affirmer que l’invention en question, s’agissant des obligations relatives à l’exposé de l’invention, était précisément la revendication 7. L’appelante maintient que les obligations relatives à l’exposé de l’invention s’appliquent de façon générale à l’ensemble du brevet.

 

[37]           Premièrement, l’appelante affirme que le juge de première instance a commis une erreur en n’obligeant pas Pfizer à exposer la meilleure manière de réaliser l’invention. Elle se fonde sur les conditions applicables à l’exposé de l’invention que le président Thorson énumère dans la décision Minerals Separation North American Corp. c. Noranda Mines Ltd. [1947] R.C. de l’Éch. 106, 12 C.P.R. 99, à la page 112 [la décision Minerals Separation (Cour de l’Éch.)] :

[traduction] La description doit aussi fournir tous les renseignements nécessaires pour le bon fonctionnement ou la bonne utilisation de l’invention, sans que ce résultat soit laissé au hasard d’une expérience réussie, et si des avertissements sont nécessaires pour éviter l’échec, ces avertissements doivent être présents De plus, l’inventeur doit agir en toute bonne foi et donner tous les renseignements qu’il connaît pour mettre en œuvre l’invention de façon à obtenir le mieux possible le résultat qu’il a conçu.

 

[38]           L’appelante affirme que Pfizer était tenue d’expliquer la « meilleure manière » de réaliser son invention. Tout en admettant qu’aux termes de l’alinéa 27(3)c) de la Loi, les obligations relatives à la meilleure manière ne valent que pour les machines, l’appelante affirme qu’une partie de la jurisprudence a donné une application plus large de cette obligation. Ainsi, dans l’arrêt Lido c. Teledyne (1981) 57 C.P.R. (2d) 29 (C.A.F.), le juge en chef Thurlow, qui était dissident en partie mais qui souscrivait à la décision des juges majoritaires au sujet de la question de la validité, cite un extrait de l’édition de 1969 de l’ouvrage de Fox, Canadian Law and Practice Relating to Letters Patent for Inventions, dans lequel l’auteur affirme que l’inventeur [traduction] « est tenu de décrire exactement et complètement son invention. Cela comporte nécessairement l’obligation de divulguer le meilleur moyen de la [réaliser] tel[le] qu’il l’a conçu[e] » (Lido, à la page 44; Fox, à la page 180).

 

[39]           Deuxièmement, l’appelante soutient que lorsqu’il a jugé que la revendication 7 devait être interprétée comme une invention distincte pour ce qui est des conditions relatives à l’exposé de l’invention, le juge de première instance a confondu les conditions régissant l’exposé de l’invention qui sont prévues au paragraphe 27(3) avec les conditions du paragraphe 27(4) relatives à la description de la revendication.  Bien que le paragraphe 27(3) exige notamment que l’exposé de l’invention soit suffisant, l’obligation suivant laquelle la revendication doit décrire clairement l’invention se trouve ailleurs, au paragraphe 27(4) de la Loi.

 

[40]           Troisièmement, l’appelante soutient que le juge de première instance a mal appliqué le critère des arrêts Consolboard, précité, et Ranbaxy, précité, en concluant que le brevet 446 répond à la question « en quoi consiste l’invention? » parce que la revendication 7 est claire, et ce, indépendamment du reste du brevet. Au paragraphe 58 de son mémoire, l’appelante déclare :

[traduction]

58. Dans l’affaire Ranbaxy, il n’était pas contesté que le public était capable, uniquement avec l’exposé, d’utiliser l’invention avec autant de succès que l’inventeur lui‑même le pouvait. En revanche, le brevet 446 n’identifie pas le seul inhibiteur de la PDE5 dont il a été constaté qu’il provoquerait des érections. Le brevet 446 ne répond tout simplement pas à la question : « En quoi consiste l’invention? »

 

[41]           Quatrièmement, l’appelante affirme que le juge a fondé sa conclusion sur une [traduction] « appréciation a posteriori inacceptable ». Plus précisément, l’exposé de l’invention du brevet doit permettre au public d’utiliser immédiatement l’invention (Kirin‑Amgen Inc. c. Hoechst Marion Roussel Ltd, [2005] R.P.C. 9 (H.L.), au paragraphe 77). En l’espèce toutefois, le juge de première instance a déclaré que « le lecteur versé dans l’art sait […] que le sildénafil est l’ingrédient actif de l’invention et qu’il sera en mesure de réaliser l’invention à l’expiration du brevet en 2014 » (Décision, au paragraphe 144). L’appelante soutient par conséquent que le juge de première instance n’avait pas le droit de se fonder sur ce que le lecteur versé dans l’art sait maintenant, mais qu’il était tenu de se fonder sur ce que le lecteur versé dans l’art savait au moment du dépôt. Elle ajoute qu’au moment du dépôt, le lecteur versé dans l’art n’aurait pas été en mesure de discerner quel composé était du sildénafil.

 

[42]           Pfizer répond comme suit aux arguments de l’appelante. Elle avance deux arguments. En premier lieu, elle cite l’arrêt Consolboard, précité, pour affirmer que les attaques portées contre la validité d’un brevet en raison de son mémoire descriptif sont de nature technique et qu’elles ne devraient pas faire échec à une invention méritoire.

 

[43]           En second lieu, Pfizer affirme que la Loi n’impose aucune obligation en ce qui concerne la « meilleure manière » de réaliser l’invention, sauf dans le cas de machines, et que la Loi n’impose pas non plus l’obligation d’établir des distinctions entre les inventions, sauf en ce qui concerne les procédés. Elle relève que dans la décision Sanofi Aventis Canada Inc. c. Apotex Inc., 2009 CF 676, (2009) 77 C.P.R. (4th) 99 [la décision Sanofi], la juge Snider de la Cour fédérale a expressément examiné et écarté l’idée que la décision Minerals Separation (C. de l’Éch.), précitée, impose l’obligation d’expliquer la meilleure manière de réaliser l’invention, sauf dans le cas de machines.

 

1.b)      Divulgation : Vu la conclusion tirée quant à ce qui constitue l’invention, l’exposé de l’invention était‑il suffisant?

 

[44]           Deux des arguments invoqués par l’appelante au sujet du caractère suffisant ont davantage trait à la question de savoir si le juge de première instance a bien apprécié la preuve qu’à celle de savoir si les conditions relatives à l’exposé de l’invention concernent le brevet 446 dans son ensemble ou la revendication 7 en particulier.

 

[45]           L’appelante soutient tout d’abord que le juge de première instance a commis une erreur en déclarant que « la revendication 7 et le sildénafil correspondent à l’invention revendiquée » (Décision, au paragraphe 131). L’appelante fait valoir que l’expert a témoigné qu’il n’était pas possible de discerner quel composé était du sildénafil. À l’appui de cette opinion, l’appelante souligne le fait qu’au paragraphe 135 de ses motifs, le juge affirme que « le lecteur versé dans l’art [doit] entreprendre un projet de recherche mineur pour déterminer quelle revendication constitue la véritable invention ».

 

[46]           Ensuite, l’appelante affirme que le juge de première instance a tenu compte de facteurs étrangers et non pertinents, et plus particulièrement du fait que l’appelante avait attendu treize ans avant de contester la validité du brevet (en 2007), que Pfizer avait identifié il y a onze ans le sildénafil comme étant l’ingrédient actif et que le Viagra avait été lancé aux États‑Unis il y a neuf ans.

 

[47]           Pfizer répond ce qui suit. Premièrement, elle soutient que, même si l’invention devait être interprétée à la lumière de la totalité du brevet et pas seulement en fonction de la revendication 7, [traduction] « un brevet ne doit pas être interprété selon la règle contra proferentem ». Le brevet doit plutôt être interprété de façon téléologique, avec un esprit disposé à comprendre et « avec le souci judiciaire de confirmer une invention vraiment utile » (citant la décision Mobil Oil Corp. c. Hercules Canada Inc. (1994), 57 C.P.R. (3d) 488, au paragraphe 62 (C.F 1re inst.), inf. pour d’autres motifs à (1995) 63 C.P.R. (3d) 473 (C.A.)). Pfizer affirme que l’exposé de l’invention est suffisant parce qu’il fournit suffisamment d’éléments de preuve pour appuyer la conclusion que la personne versée dans l’art sélectionnerait un des composés particulièrement privilégiés et qu’elle se concentrerait en particulier sur les deux composés revendiqués individuellement dans les revendications 6 et 7 du brevet 446. La personne versée dans l’art entreprendrait ensuite un « projet de recherche mineur » (et non une expérimentation).

 

[48]           Deuxièmement, Pfizer cite l’arrêt Consolboard, précité, à la page 520, à l’appui de la proposition que la contrepartie donnée par le breveté en échange du brevet est la suivante : [traduction] « une fois la période de monopole terminée, le public [pourra], en n’ayant que le mémoire descriptif, utiliser l’invention avec le même succès que l’inventeur ». Dans le cas qui nous occupe, suivant Pfizer, l’appelante a déjà été en mesure de le faire puisqu’elle a déposé auprès du ministre de la Santé une présentation portant sur un médicament contenant du sildénafil.

 

2.a)      Utilité : L’intimée devait‑elle démontrer l’utilité dans l’exposé de l’invention du brevet?

[49]           L’appelante soutient que l’octroi du brevet 446 reposait sur une prédiction valable plutôt que sur une utilité démontrée. Elle maintient que notre Cour a confirmé que la question de savoir si un brevet est fondé sur l’utilité démontrée doit être tranchée en fonction de ce que le brevet révèle, et non sur ce que le breveté peut avoir fait en secret et ne pas avoir dévoilé. À l’appui de cet argument, elle invoque l’arrêt de notre Cour Eli Lilly Canada Inc. c. Apotex Inc., 2007 CAF 97, (2007) 78 C.P.R. (4th) 388 [l’arrêt Eli Lilly] : « il [faut] se demander si la divulgation était suffisante pour que la personne versée dans l’art sache comment utiliser l’invention ou si elle était suffisante pour que la personne versée dans l’art puisse prédire valablement que l’invention fonctionnerait » (Mémoire de l’appelante, paragraphe 7).

 

[50]           Étant donné que l’exposé de l’invention du brevet 446 ne mentionne pas les composés ayant fait l’objet d’essais cliniques, une personne versée dans l’art devrait sélectionner un composé parmi les quintillions d’options. Une personne versée dans l’art ne saurait donc pas, au moment de la sélection, si ce composé est bel et bien le sildénafil. Pour l’appelante, [traduction] « la sélection doit être effectuée en tenant pour acquis que chaque composé mentionné dans le brevet 446 aura la même utilité que le composé non identifié » (Mémoire de l’appelante, paragraphe 74).

 

[51]           L’appelante affirme par ailleurs que le juge de première instance n’a cité aucune décision qui appuyait l’idée que [traduction] « il suffit, pour satisfaire à l’exigence imposée par la loi quant à la suffisance du mémoire descriptif, de déclarer de façon générale que l’utilité de l’invention promise par le brevet a été démontrée et de se contenter de présenter des éléments de preuve au sujet de l’utilité démontrée à une date ultérieure non précisée » (Mémoire de l’appelante, au paragraphe 102). Selon l’appelante, le juge de première instance ne s’est jamais demandé [traduction] « si le brevet 446 fournit au lecteur des connaissances concrètes lui permettant de savoir que le sildénafil est effectivement efficace pour traiter la dysfonction érectile » (Mémoire de l’appelante, au paragraphe 104).

 

[52]           Pfizer répond à l’appelante en soutenant qu’elle interprète mal le raisonnement suivi dans l’arrêt Eli Lilly, précité, et que la question de savoir si un brevet établit l’utilité de l’invention est une question de fait à laquelle on répond en examinant ce que l’inventeur a effectivement fait. Elle soutient que, dans l’affaire Eli Lilly, le juge a d’abord conclu que l’invention était fondée sur une prédiction valable, et qu’il a ensuite décidé que le fondement de la prédiction n’était pas suffisamment expliqué. Cet arrêt n’appuie donc pas la proposition que la réponse à la question de savoir si une invention est fondée sur une prédiction valable ou sur son utilité démontrée dépend uniquement de l’exposé de l’invention. Il appuie plutôt le principe que, dès lors que le tribunal conclut qu’un brevet est fondé sur une prédiction valable, il doit ensuite s’assurer que le fondement de la prédiction est correctement divulgué.

 

[53]           Pfizer affirme également que l’appelante confond l’exigence d’utilité de l’invention prévue à l’article 2 avec l’obligation prévue à l’article 27 suivant laquelle le brevet doit faire état de l’usage auquel l’inventeur destine son invention. Elle relève que la Cour suprême a expressément prévenu de ne pas confondre ces deux concepts dans l’arrêt Consolboard, précité, tout comme notre Cour l’a fait plus récemment, dans l’arrêt Ranbaxy, précité. Dans l’arrêt Consolboard, la Cour suprême a expressément déclaré que l’obligation d’utilité « est une condition essentielle pour qu’il y ait invention », tandis que celle prévue à l’article 27 « est une exigence de divulgation, indépendante de [l’obligation d’utilité] » (Consolboard, à la page 162).

 

2.b)      Utilité : L’étude 350 révèle‑t‑elle que l’invention était utile?

[54]           L’appelante affirme qu’à la date du dépôt, Pfizer n’avait ni démontré ni prédit de façon valable l’utilité de l’invention. Elle soutient en premier lieu que le juge de première instance n’a pas appliqué le bon critère en ce qui concerne l’utilité. En second lieu, elle affirme que le juge de première instance aurait dû parvenir à une conclusion différente vu l’ensemble de la preuve dont il disposait.

 

[55]           S’agissant du critère de l’utilité, l’appelante affirme que le juge de première instance s’est mépris en utilisant le critère de la « moindre parcelle ». Elle fait valoir que le critère de la « moindre parcelle » ne s’applique que lorsque le brevet ne promet pas un résultat précis. Lorsqu’un brevet promet un résultat précis, l’invention doit accomplir ce résultat pour que son utilité puisse être démontrée. L’appelante soutient par ailleurs que le juge de première instance n’avait pas le droit de se fonder sur la décision Wellcome (CF), précitée, à l’appui de la proposition que, dans le contexte du droit des brevets, l’utilité est une norme moins exigeante que celle de l’utilité dans le contexte des mises à l’essai en vue de satisfaire à des normes réglementaires, étant donné que la Cour suprême a infirmé la décision Wellcome (CF) dans l’arrêt Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd., 2002 CSC 77, [2002] 4 R.C.S. 153 [l’arrêt Wellcome (CSC)].

 

[56]           En ce qui concerne les conclusions de fait du juge de première instance, l’appelante affirme que, dans les faits, l’étude 350 ne démontrait pas l’utilité dans le traitement de la dysfonction érectile. L’appelante considère l’étude 350 comme une simple « étude pilote » et fait remarquer que la taille de l’échantillon se limitait à 16 patients. Elle signale des éléments de preuve montrant que l’étude n’était qu’une [traduction] « évaluation préliminaire de l’efficacité potentielle » du sildénafil. Selon l’appelante, l’un des experts de Pfizer, M. Brock, a reconnu en contre‑interrogatoire que l’étude 350 visait uniquement à fournir une « indication » que des recherches plus poussées s’imposaient.

 

[57]           L’appelante conteste également les paramètres d’efficacité utilisés dans l’étude 350. Les données tirées des journaux des patients n’atteignaient pas le seuil de signification statistique et le RigiScan a révélé tout au plus une augmentation statistiquement significative de la durée des érections. L’appelante fait aussi remarquer que, durant la période de stimulation sexuelle visuelle de deux heures, les résultats du RigiScan ont montré que les patients du groupe placebo obtenaient des érections objectivement mesurées suffisantes pour avoir des rapports sexuels, et ce, plus souvent que ceux qui prenaient du sildénafil. En outre, l’appelante conteste de façon générale les données du RigiScan, soulignant que l’un des experts de Pfizer a déclaré en contre‑interrogatoire que l’appareil [traduction] « ne permet pas de bien prédire la réponse au traitement ». Finalement, l’appelante mentionne les admissions faites lors du contre‑interrogatoire de deux des experts de Pfizer, MM. Gerald B. Brock et George Christ, admissions selon lesquelles le simple fait de provoquer une érection ne démontre pas en soi l’efficacité dans le traitement de la dysfonction érectile.

 

[58]           Pfizer affirme que le juge de première instance savait que la norme de la « moindre parcelle » ne pouvait être appliquée directement et a saisi la distinction. Elle ajoute que la Cour suprême n’a pas infirmé cette partie de la décision Wellcome (CF), précitée, qui expliquait la différence entre les normes réglementaires et les normes relatives à l’utilité du brevet. Pfizer soutient également que le degré de preuve n’est pas exigeant en ce qui


concerne l’utilité démontrée et que, par invention utile, il faut entendre une invention utile pour l’objet revendiqué, et non utile au sens d’une approbation ou d’une acceptation commerciale.

 

[59]           En ce qui concerne les conclusions de fait du juge de première instance, Pfizer affirme qu’elles ne sont entachées d’aucune erreur manifeste et dominante. Premièrement, elle soutient que les érections constituent effectivement un paramètre clinique approprié et elle cite des experts qui affirment que la personne versée dans l’art comprendrait qu’un composé qui provoque des érections est utile pour le traitement de la dysfonction érectile.

 

[60]           Deuxièmement, Pfizer soutient qu’il n’était pas nécessaire que les résultats tirés des journaux des patients atteignent le seuil de signification statistique pour être pertinents aux fins de la démonstration de l’utilité. La signification statistique correspond à une valeur p de 0,005 ou moins. Une valeur p de 0,005 signifierait qu’il y a une probabilité de 95 % que les érections observées dans l’étude soient attribuables au médicament et non un effet du hasard. En fait, la valeur p enregistrée était de 0,0692, ce qui signifie qu’il y avait une probabilité de 93,1 % que les résultats obtenus n’aient pas été le fruit du hasard. Même si ce résultat n’atteint pas le seuil de signification statistique, Pfizer maintient qu’il mérite d’être pris en considération.

 

[61]           Troisièmement, Pfizer affirme que les arguments de l’appelante en ce qui a trait à la petite taille de l’échantillon de l’étude 350 ne sont pas fondés, car les petites études étaient courantes à l’époque. Le juge de première instance a conclu que Pfizer avait pris en compte la petite taille de l’échantillon dans la détermination des valeurs p utilisées pour évaluer les résultats.

 

[62]           Pfizer affirme enfin qu’une grande partie des arguments de l’appelante reposent sur des extraits du témoignage de son expert, M. Brock, qui sont cités hors contexte. Pfizer affirme que le juge de première instance avait la possibilité d’examiner la transcription au complet et qu’il a estimé que M. Brock ne s’était jamais écarté de sa conclusion que l’étude 350 démontrait l’utilité du sildénafil pour le traitement de la dysfonction érectile, mais avait reconnu que, prise isolément, l’étude ne pouvait conduire à une approbation réglementaire.

 

ANALYSE

[63]           Je vais d’abord examiner la question de l’exposé de l’invention : est‑ce à bon droit que le juge de première instance a conclu que l’exposé de l’invention du brevet 446 était suffisant pour répondre aux exigences des paragraphes 27(3) et 27(4) de la Loi? Pour répondre à cette question, il nous faut définir l’invention et préciser ensuite comment elle fonctionne.

 

1.a)      Divulgation : En quoi consiste l’invention revendiquée?

[64]           Il s’agit d’une pure question de droit. Le litige qui nous est soumis porte sur la question de savoir si l’invention est définie par le brevet 446 dans son ensemble, ou si la revendication 7 doit être considérée comme une invention en soi. La décision rendue par le juge de première instance à cet égard est assujettie à la norme de contrôle de la décision correcte (Housen c. Nikolaisen, [2002] 2 R.C.S. 235, 2002 CSC 33 [l’arrêt Housen], au paragraphe 8).

 

[65]           Après avoir examiné attentivement l’arrêt de notre Cour Apotex ACE (CAF) et la décision Boehringer, précitée, je conclus que le juge de première instance a eu raison de limiter l’invention à ce qui était décrit dans la revendication 7.

 

[66]           Dans la décision Boehringer, précitée, le brevet portait sur une classe de « morpholines de substitution ». Toutefois, la revendication 8 du brevet visait un composé précis, la « 2­phényl‑3‑méthylmorpholine ». Le mémoire descriptif ne mentionnait pas seule la 2­phényl­3‑méthylmorpholine, mais décrivait plutôt [traduction] « en termes généraux certains procédés de production d’une classe de morpholines de substitution assez vaste pour en inclure plusieurs milliards, dont la plupart n’avaient jamais été préparées ni testées » (210). Le juge Thurlow (tel était alors son titre) de la Cour de l’Échiquier a conclu à la page 214 :

[traduction] […] à mon avis, en raison de la présence de la revendication no 8, il devient nécessaire de lire le mémoire descriptif non seulement pour vérifier ce qu’il dit et expose concernant une invention supposée de procédés pour la préparation de la classe de substances, mais également pour voir, le cas échéant, ce qu’il dit et expose concernant une invention de la 2‑phényl‑3‑méthylmorpholine et les procédés pour sa production. En effet, si les exigences de l’article  36 de la Loi sur les brevets à l’égard de la description, etc., de l’invention de la 2‑phényl‑3‑méthylmorpholine sont respectées, le simple fait que l’information exigée soit mélangée avec la description d’une autre invention supposée et incluse dans la description ne rendra pas à lui seul la revendication n8 invalide.

[Non souligné dans l’original.]

 

[67]           Dans la décision Apotex ACE (CF), précitée, le juge Hughes a, non sans réticences, suivi la décision Boehringer, précitée, déclarant, au paragraphe 116 :

[116]    Si je devais aborder la question sans les contraintes que m’impose la jurisprudence, je conclurais en fait que la demande 340 vise une seule invention, une classe de composés, dont les composés individuels, tels que le lisinopril, ne sont que des illustrations. Cependant, les décisions Boehringer et Hoechst, précitées, m’obligent à conclure différemment, sur le mince fondement que la demande 340 contenait non seulement des exemples, mais aussi des revendications spécifiques visant les composés individuels que sont l’énalapril, l’énalaprilat et le lisinopril, dont chacun, selon la théorie de cette jurisprudence, constitue une invention différente de celle de la classe. Une juridiction supérieure pourra être persuadée d’une autre position, mais en raison de l’intégrité de la jurisprudence de la Cour, je dois conclure que la demande 340 divulgue des inventions distinctes à l’égard de chaque membre de la classe, le lisinopril, l’énalapril et l’énalaprilat.

 

[68]           Saisi de l’appel de ce jugement, notre Cour a, dans l’arrêt Apotex ACE (CAF), précité, confirmé le raisonnement du juge Hughes dans les termes suivants, au paragraphe 31 :

[31]     Ce dernier [le juge Hughes] n’affirme nulle part que ces décisions énoncent comme principe général que chaque revendication contenue dans un brevet représente une invention distincte. Ce qu’il soutient est en fait beaucoup plus limité, à savoir que, dans des litiges comme la présente espèce, où une seule demande de brevet contient des revendications distinctes pour une classe de composés chimiques et pour un seul composé faisant partie de cette classe, chaque revendication divulgue une invention distincte.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[69]           En l’espèce, le juge de première instance a retenu l’interprétation de la revendication 7 du brevet 446 à laquelle notre Cour avait souscrit dans l’arrêt Apotex‑Viagra, précité. Suivant cette interprétation, la revendication 7 vise un composé (le sildénafil) qui fait partie d’une catégorie de composés (ceux qui correspondent à la formule I) servant au traitement de la dysfonction érectile. En conséquence, la revendication 7 constitue une invention distincte. La question de l’utilité et celle de l’exposé de l’invention doivent par conséquent être tranchées sur ce fondement.

 

[70]           La tentative faite par l’appelante pour établir une distinction entre les paragraphes 27(3) et 27(4) de la Loi n’a aucune incidence sur la méthode qu’il convient d’appliquer. L’alinéa 27(3)a) prévoit que « [l]e mémoire descriptif doit décrire d’une façon exacte et complète l’invention et son application ou exploitation, telles que les a conçues son inventeur » (non souligné dans l’original). Quant au paragraphe 27(4), il dispose : « Le mémoire descriptif se termine par une ou plusieurs revendications définissant distinctement et en des termes explicites l’objet de l’invention dont le demandeur revendique la propriété ou le privilège exclusif ». Bien qu’il soit vrai, comme le soutient l’appelante, que le fait qu’une revendication satisfait aux exigences du paragraphe 27(4) ne signifie pas nécessairement que l’invention satisfait aussi aux exigences du paragraphe 27(3) relatives à l’exposé de l’invention, force est de constater que, dans le cas qui nous occupe, les deux conditions sont identiques : c’est la revendication 7 qui constitue l’invention revendiquée. Par conséquent, lorsque l’alinéa 27(3)a) indique que l’invention doit être décrite d’une façon complète, il faut comprendre que cet alinéa exige que la revendication 7 soit décrite de façon complète. Dans le brevet, la revendication 7 expose clairement la formule du sildénafil; elle est donc décrite de façon claire.

 

[71]           Le fait de considérer que l’invention revendiquée correspond à la revendication 7 plutôt qu’à l’ensemble du brevet 446 répond à l’argument de l’appelante suivant lequel le juge de première instance a mal appliqué le critère posé dans les arrêts Consolboard et Ranbaxy. L’appelante soutient que le juge de première instance n’avait pas le droit de conclure que le brevet était clair parce que la revendication 7 était claire. Le juge de première instance n’était toutefois jamais effectivement tenu de conclure que le brevet 446 lui‑même était clair. Il devait plutôt conclure que le brevet 446 exposait clairement l’invention révélée par la revendication 7. C’est bien ce qu’il a fait et, en agissant ainsi, il n’a pas commis d’erreur.

 

[72]           L’argument de l’appelante suivant lequel les conditions relatives à la meilleure manière s’appliquent est non fondé. Dans la décision Sanofi, précitée, la juge Snider a examiné attentivement la Loi et a conclu, à bon droit selon moi, ce qui suit :

[329]    Comme le montre le libellé de la Loi, l’obligation relative à la « meilleure manière » ne naît que dans le cas du brevet d’une machine. Ni le libellé ni l’idée sous‑jacente indiquant que le titulaire du brevet est tenu d’exposer la meilleure manière de mettre l’invention en pratique ne figurent ailleurs au paragraphe 34(1), ni ailleurs dans la Loi sur les brevets.

 

[…]

 

[330]      Comme le législateur a décidé d’inclure l’obligation de la « meilleure manière » à l’égard des brevets au sujet d’une machine seulement, les tribunaux sont tenus de respecter ce choix. Par conséquent, il serait contraire aux principes d’interprétation des lois d’appliquer cette obligation à d’autres brevets que les brevets au sujet d’une machine.

 

[…]

 

[332]      Je fais également observer que les mots du président Thorson dans l’arrêt Minerals Separation, précité, doivent être mis en contexte. Les mots du président Thorson n’étaient qu’une observation incidente; dans l’arrêt, le président Thorson n’a nulle part appliqué la notion de la meilleure manière ou de la bonne foi. En outre, les mots du juge Dickson dans l’arrêt Consolboard, cités ci‑dessus, concernaient la question de la suffisance. Bref, je n’interprète aucun de ces arrêts comme s’il intégrait l’obligation relative à la « meilleure manière » au brevet d’un composé.

 

 

[73]           Pour arriver à cette conclusion, la juge Snider a pris acte de l’arrêt de la Cour suprême Apotex Inc. c. Sanofi‑Synthelabo Canada Inc., 2008 CSC 61, [2008] 3 R.C.S. 265, dans lequel, le juge Rothstein souligne l’importance d’être fidèle à la Loi, au paragraphe 12 :

[12]      Il convient d’abord de citer le juge Judson s’exprimant au nom de notre Cour dans l’arrêt Commissioner of Patents c. Farbwerke Hoechst Artiengesellschaft Vormals Meister Lucius & Bruning, [1964] R.C.S. 49, p. 57 :

 

[traduction]  Il n’existe pas, en common law, de droit inhérent à un brevet. L’inventeur obtient son brevet conformément à la Loi sur les brevets. Un point c’est tout.

 

L’affirmation la plus récente voulant que le droit des brevets soit entièrement issu de la loi est celle de lord Walker dans l’arrêt Synthon B.V. c. SmithKline Beecham plc, [2006] 1 All E.R. 685, [2005] Royaume‑UniHL 59, par. 57‑58 :

 

[traduction]  L’origine du droit des brevets est purement législative et étonnamment ancienne […] Eu égard à l’interprétation et à l’application des dispositions législatives sur les brevets, la doctrine jurisprudentielle a largement contribué au fil des ans à clarifier les notions abstraites des lois et à en assurer l’application uniforme.

 

Il est tout de même salutaire de se faire rappeler de temps à autre que les concepts généraux auxquels se réfèrent les avocats spécialisés en droit des brevets prennent appui sur un texte législatif et ne sauraient avoir aucun autre véritable fondement.

 

 

[74]           Je conclus donc que les conditions relatives à l’exposé de l’invention ne valent que pour la revendication 7. En conséquence, c’est à bon droit que le juge de première instance a conclu que la revendication 7 était l’invention revendiquée.

 

1.b)      Suffisance de la divulgation : Vu la conclusion tirée quant à ce qui constitue l’invention , l’exposé de l’invention était‑il suffisant?

 

[75]           Il s’agit d’une question mixte de fait et de droit, car le juge de première instance était tenu d’apprécier les éléments de preuve dont il disposait en fonction d’une norme juridique, celle de la suffisance. Les conclusions du juge de première instance ne peuvent être infirmées que s’il a commis une erreur manifeste et dominante (Housen, précité, aux paragraphes 28 et 36).

 

[76]           Pour qu’un brevet soit valide, l’invention qu’il revendique doit être suffisamment divulguée. Le mémoire descriptif représente le marché conclu entre, d’une part, Sa Majesté, agissant pour le public, et, d’autre part, l’inventeur (Consolboard, précité). Par conséquent, le brevet doit comporter suffisamment de renseignements pour permettre à une personne versée dans l’art de mettre l’invention en pratique. Les revendications doivent fournir des détails assez précis et ne pas avoir une portée trop large. Si les obligations en matière de divulgation ne sont pas respectées, le brevet sera invalide même s’il est nouveau et utile et qu’il n’est pas évident. Ces obligations, qui sont relatives au mémoire descriptif du brevet, sont énoncées aux paragraphes 27(3) et 27(4) de la Loi.

 

[77]           À mon avis, le juge de première instance n’a pas commis d’erreur. L’invention en cause en l’espèce se trouve dans le composé divulgué à la revendication 7, et non dans le brevet dans son ensemble. Cette manière de voir permet de donner des réponses plus claires aux questions posées dans l’arrêt Consolboard, précité : « En quoi consiste l’invention? » et « Comment fonctionne‑t‑elle? » L’invention est le composé dont il est question dans la revendication 7. Le juge de première instance a retenu l’interprétation que le juge Mosley avait faite de la revendication 7 dans la décision Apotex‑Viagra, précitée, au paragraphe 35, et que notre Cour avait confirmée en appel, au paragraphe 11 : « l’utilisation du sildénafil (ou d’un sel de sildénafil) sous la forme d’un médicament administré par voie orale destiné au traitement de la dysfonction érectile chez l’homme » (Décision, aux paragraphes 40 et 41). On peut donc sans peine répondre à la première question : l’invention porte sur l’utilisation du sildénafil pour le traitement de la dysfonction érectile. La réponse à la question « Comment fonctionnelle‑t‑elle » se trouve dans le reste du brevet, où se trouve décrit le mécanisme d’action.

 

[78]           Par ailleurs, le juge de première instance a également conclu que, même si le brevet 446 était considéré comme un tout, le lecteur versé dans l’art serait en mesure de concentrer son analyse et de ne retenir que deux des composés énumérés, en l’occurrence les « composés particulièrement privilégiés » énumérés séparément dans les revendications 6 et 7. « Le lecteur versé dans l’art procéderait ensuite à des tests sur ces deux composés pour déterminer lequel fonctionne. En l’espèce, la revendication 7 est celle qui vise le composé qui fonctionne et la revendication 7 décrit clairement et de façon suffisante le sildénafil » (Décision, au paragraphe 146). Bien que l’appelante soutienne que le juge de première instance a commis une erreur en tirant cette conclusion, il ressort clairement de sa décision que le juge de première instance a retenu le témoignage de l’expert sur ce point et qu’il est arrivé à une conclusion que la preuve lui permettait de tirer. J’estime donc qu’il n’a pas commis d’erreur manifeste et dominante.

 

[79]           Quant aux arguments de l’appelante au sujet de certaines des observations du juge de première instance que l’appelante qualifie d’« étrangères », je n’ai aucun mal à convenir avec Pfizer que ces observations n’ont donné lieu à aucune erreur susceptible de révision. Pfizer souligne à juste titre que le juge de première instance devait décider si l’exposé de l’invention était suffisant à la date du dépôt. En conséquence, tout ce qui a pu se produire par la suite ne tire pas à conséquence. J’estime néanmoins que, bien que malavisées dans les circonstances, les observations du juge de première instance ne permettent pas de conclure que ce dernier a commis une erreur susceptible de révision. Comme l’invention revendiquée correspond au composé visé à la revendication 7, l’exposé de l’invention est suffisant.

 

2.a)      Utilité : L’intimée devait‑elle démontrer l’utilité dans l’exposé de l’invention du brevet?

[80]           Je passe maintenant à la seconde question, celle de savoir si c’est à bon droit que le juge de première instance a conclu que le brevet 446 satisfaisait à l’obligation d’utilité prévue à l’article 2 de la Loi, qui exige que le brevet présente les caractères de la nouveauté et de l’utilité. Le principe général est le suivant : à la date pertinente (la date de dépôt), il doit y avoir eu démonstration de l’utilité de l’invention, ou à défaut, une prédiction valable de l’utilité de l’invention. On peut et, normalement, on doit présenter d’autres éléments de preuve que ceux qui se trouvent dans le mémoire descriptif.

 

[81]           La question de savoir si Pfizer devait inclure ou non dans le brevet des éléments de preuve au sujet de l’utilité est une question de droit qui est par conséquent assujettie à la norme de contrôle de la décision correcte (Housen, précité, au paragraphe 8).

 

[82]           Je souscris à la prétention de Pfizer et à la conclusion du juge de première instance suivant lesquelles il n’est pas nécessaire que le brevet démontre l’utilité dans l’exposé de l’invention, dès lors que l’arbitre des faits estime que cette preuve a été faite en cas de contestation juridique.

 

[83]           D’un côté, je ne souscris pas à l’interprétation que l’appelante fait de l’affaire Eli Lilly, précitée, dans laquelle notre Cour et la Cour fédérale se sont dites d’avis que l’invention était fondée sur une prédiction valable. Le débat était axé non pas sur la question de savoir si l’invention démontrait l’utilité, mais bien sur la détermination de la norme de divulgation exigée lorsque le brevet repose sur une prédiction valable. En conséquence, l’affaire Eli Lilly ne portait pas sur la détermination du fondement de l’utilité mais plutôt sur la question de savoir si, s’agissant de la prédiction valable, l’invention avait effectivement fait l’objet d’une prédiction valable.

 

[84]           D’un autre côté, je ne puis accepter sans réserve l’interprétation que Pfizer fait des arrêts Consolboard et Ranbaxy, précités. Dans l’arrêt Consolboard, la Cour suprême s’est demandé si le brevet devait divulguer l’usage auquel l’inventeur destinait son invention : en d’autres termes, la Cour a distingué entre l’utilité au sens de réalisation de ce qui est promis et l’utilité au sens d’utilité pratique. C’est la raison pour laquelle le juge Dickson (devenu par la suite juge en chef), cite à la page 525 l’extrait suivant de Halsbury’s Laws of England, (3e éd.), vol. 29, à la page 59 : « Ce n’est pas l’utilité pratique de l’invention ni son utilité commerciale qui importe ». Le juge Dickson conclut, à la page 526, que l’inventeur :

doit dire ce qu’il revendique avoir inventé. Il n’est pas obligé de vanter l’effet ou l’avantage de sa découverte s’il décrit son invention de manière à le produire.

 

 

[85]           De même, dans l’arrêt Ranbaxy, notre Cour s’est penchée sur les obligations prévues au paragraphe 27(3) en ce qui concerne l’exposé de l’invention. Voici ce que j’ai écrit, dans cet arrêt, aux paragraphes 57 et 58 :

[57]     La question de savoir si un breveté a obtenu suffisamment de données pour étayer son invention n’est pas pertinente, à mon sens, au regard de l’application du paragraphe 27(3). L’analyse à cet égard met en cause le caractère suffisant de la divulgation et non le caractère suffisant des données sous‑jacentes à l’invention. Permettre à Ranbaxy d’attaquer l’utilité, la nouveauté et/ou l’évidence du brevet 546 par le biais de l’exigence de divulgation élargit indûment la portée de l’obligation de l’inventeur suivant le paragraphe 27(3), et ignore l’objet de cette disposition.

 

[58]    Bien qu’il soit vrai que le paragraphe 27(3) exige que l’inventeur « décrive d’une façon exacte et complète » son invention, cette disposition veut qu’on s’assure que le breveté fournit l’information nécessaire à la personne versée dans l’art pour qu’elle utilise l’invention avec le même succès que le breveté.

 

[86]           Dans l’arrêt Ranbaxy, il ne s’agissait donc pas tant de définir les obligations prévues à l’article 2 en ce qui concerne l’utilité, mais de compléter les exigences énoncées au paragraphe 27(3) en ce qui concerne l’exposé de l’invention. Suivant l’arrêt Ranbaxy, pour ce qui est des obligations du breveté en matière de divulgation, il suffit que le breveté fournisse suffisamment de renseignements pour permettre à quelqu’un d’autre de mettre l’invention en pratique; l’arrêt Ranbaxy ne dit pas que le breveté est tenu de démontrer l’utilité de l’invention dans le brevet.

 

[87]           Bien qu’il n’y ait pas de jurisprudence précisant s’il est nécessaire ou non de démontrer l’utilité dans l’exposé de l’invention du brevet, je suis d’avis que la réponse est qu’il n’est pas nécessaire que l’utilité soit démontrée dans l’exposé de l’invention du brevet. Premièrement, il n’y a rien dans la Loi qui donne à penser qu’une telle démonstration est nécessaire. Deuxièmement, il n’existe a priori aucune raison de penser que l’exposé de l’invention du brevet devrait contenir une preuve de tous les éléments requis pour qu’on puisse obtenir le brevet. Au §25 de leur ouvrage, Hughes &Woodley expliquent comme suit l’objectif visé par l’exposé de l’invention :

[traduction]  La description de l’invention […] vise à fournir au public une description adéquate de l’invention de nature à permettre à un ouvrier, versé dans l’art auquel l’invention appartient, de construire ou d’exploiter l’invention quand sera terminée la période de monopole. Essentiellement, ce qui doit figurer dans le mémoire descriptif (qui comprend à la fois la divulgation, c.‑à‑d., la partie descriptive de la demande de brevet, et les revendications) c’est une description de l’invention et de la façon de la produire ou de la construire, à laquelle s’ajoutent une ou plusieurs revendications qui exposent les aspects nouveaux pour lesquels le demandeur demande un droit exclusif. Le mémoire descriptif doit définir la portée exacte et précise de la propriété et du privilège exclusifs revendiqués.

 

 

[88]           En d’autres termes, l’exposé de l’invention fournit aux praticiens, non pas une preuve, mais des orientations : il explique comment mettre l’invention en application. Il ne leur prouve pas son utilité, bien qu’ils puissent exiger cette preuve en introduisant une instance en invalidité.

 

[89]           D’ailleurs, dans sa décision la plus récente portant sur l’utilité, l’arrêt Wellcome (CSC), précité, la Cour suprême ne mentionne nulle part la nécessité de prouver l’utilité dans l’exposé de l’invention. Au paragraphe 56 de ses motifs, le juge Rothstein écrit :

[56]     Lorsque la nouvelle utilisation est l’élément essentiel de l’invention, l’utilité requise pour qu’il y ait brevetabilité (art. 2) doit, dès la date de priorité, être démontrée ou encore constituer une prédiction valable fondée sur l’information et l’expertise alors disponibles. Si un brevet qu’on a tenté d’étayer par une prédiction valable est par la suite contesté, la contestation réussira si, comme l’a affirmé le juge Pigeon dans l’arrêt Monsanto Co. c. Commissaire des brevets, [1979] 2 R.C.S. 1108, p. 1117, la prédiction n’était pas valable à la date de la demande ou si, indépendamment du caractère valable de la prédiction, « [i]l y a preuve de l’inutilité d’une partie du domaine visé ».

 

 

[90]           L’argument de l’appelante suivant lequel Pfizer était tenue d’inclure dans l’exposé de l’invention du brevet des éléments de preuve pour démontrer l’utilité est non fondé. On peut satisfaire aux exigences en matière de démonstration de l’utilité en présentant des éléments de preuve au cours d’une instance en invalidité plutôt que dans le brevet lui‑même. Il semble que, dès lors que l’exposé de l’invention cite une étude qui démontre l’utilité, il n’y ait aucune autre exigence à satisfaire pour respecter l’article 2.

 

2.b)      Utilité : L’étude 350 révèle‑t‑elle que l’invention était utile?

[91]           La question de savoir si le juge de première instance n’a pas appliqué le bon critère pour se prononcer sur l’utilité est une question de droit à laquelle s’applique la norme de contrôle de la décision correcte. En ce qui concerne la dernière conclusion du juge de première instance, l’appelante soutient que [traduction] « l’utilité promise est une question de droit », citant l’arrêt Laboratoires Servier c. Apotex Inc., 2009 CAF 222, (2009) 74 C.P.R. (4th) 443. J’estime toutefois qu’il s’agit là d’une interprétation erronée de cet arrêt. Au paragraphe 101 de ses motifs, la juge Layden‑Stevenson explique :

[101]    La détermination de ce que promet le brevet est un élément de l’interprétation des revendications, une question de droit. 

 

[92]           Comme Pfizer le souligne, la Cour ne dit pas dans cet arrêt que la question de savoir si l’invention respecte la promesse contenue dans le brevet est une question de droit. Au contraire, dans l’arrêt French’s Complex Ore Reduction Co. c. Electrolytic Zinc Process Co., [1930] R.C.S. 462, le juge Rinfret écrit ce qui suit, à la page 466 :

[traduction]  La question de savoir si dans un cas donné il y a invention, nouveauté ou utilité est toujours une question de fait qui dépend des circonstances particulières de l’affaire et qui est à trancher en fonction des témoignages de ceux qui possèdent une compétence et un savoir techniques leur permettant de comprendre la réalisation, la machine, la fabrication, le procédé ou la composition des matières, ainsi que tout perfectionnement de l’un des susdits, présentant le caractère de la nouveauté et faisant l’objet d’une concession de brevet.

 

 

[93]           Ainsi donc, dès lors que le juge de première instance ne s’est pas mépris sur le critère applicable, les conclusions qu’il a tirées au sujet de l’utilité ne peuvent être infirmées que s’il a commis une erreur manifeste et dominante.

 

[94]           Je suis convaincu que le juge de première instance n’a pas commis d’erreur susceptible de révision. En ce qui concerne la norme de l’utilité, le juge de première instance a déclaré que « bien qu’elle soit essentielle à la brevetabilité, l’utilité est un critère préliminaire peu exigeant » (Décision, au paragraphe 77). Il a ensuite cité l’arrêt Consolboard, précité, qui cite lui‑même Halsbury’s, précité, à l’appui de la proposition que l’utilité pratique n’importe pas. Il se réfère ensuite au paragraphe 271 de la décision Aventis, précitée, dans laquelle la juge Mactavish déclare : « Pour être brevetable, une invention doit être nouvelle, inventive et utile. Lorsque le mémoire descriptif ne promet pas un résultat précis, aucun degré particulier d’utilité n’est exigé, la [traduction] « moindre parcelle » d’utilité suffit » (Décision, au paragraphe 78). Plus loin, il réitère encore : « Comme la juge Mactavish l’a écrit dans Aventis, précité, la “moindre parcelle d’utilité” suffit lorsqu’il s’agit de démontrer la brevetabilité » (Décision, au paragraphe 87).

 

[95]           Bien que les conclusions du juge de première instance semblent dénoter une certaine confusion de sa part en ce qui concerne la norme d’utilité applicable, on ne saurait dire qu’il a commis une erreur susceptible de révision. Tout d’abord, le juge de première instance signale qu’indépendamment de la norme de la « moindre parcelle d’utilité », il faut présenter des éléments de preuve démontrant que l’invention permet d’obtenir le résultat visé, tout en ajoutant qu’il n’est pas nécessaire que ce résultat soit utile sur le plan commercial. Au paragraphe 75 de sa décision, il cite l’extrait suivant de l’ouvrage de Hughes and Woodley, précité :

[traduction]  §11.    Une condition essentielle à la validité du brevet est que l’invention revendiquée soit utile […] Par utile, on entend surtout le fait que l’invention décrite dans le brevet produira les résultats promis par le brevet.

 

 

[96]           De plus, le juge de première instance a conclu que « les patients qui ont reçu du sildénafil ont bénéficié d’une amélioration importante de leur fonction érectile » (non souligné dans l’original). Une constatation d’amélioration importante constitue, à mon sens, une indication que le juge de première instance a conclu qu’on n’avait pas affaire à une simple « parcelle d’utilité ».

 

[97]           C’est également à bon droit que le juge de première instance a conclu que l’inventeur n’était pas tenu de respecter les normes d’autorisation réglementaire pour démontrer l’utilité. À l’appui de cette proposition, il a fait siens les propos exprimés par le juge Wetston dans la décision Wellcome (CF), précitée, au paragraphe 104 :

[104]     A&N plaident que le critère de l’utilité applicable à l’invention pharmaceutique se définit par l’innocuité et l’efficacité […] À mon avis, ces exigences sont excessives lorsqu’il s’agit de la brevetabilité des médicaments et elles créent une norme trop élevée pour le brevet. En effet, quel impact aurait une telle norme sur la recherche sur les médicaments?

 

[98]           L’appelante soutient que la Cour suprême a infirmé la décision du juge Wetston sur ce point dans l’arrêt Wellcome (CSC), précité, mais les motifs de la Cour ne confirment pas cette opinion. Au paragraphe 77, le juge Binnie écrit :

Les appelantes contestent la conclusion du juge de première instance.  Dans leur mémoire (mais non dans leur plaidoirie), elles allèguent que l’utilité doit être démontrée au moyen d’essais cliniques préalables sur des êtres humains, établissant la toxicité, les caractéristiques métaboliques, la biodisponibilité et d’autres éléments. Ces facteurs sont conformes à ce que la présentation d’une drogue nouvelle doit comporter pour que le ministre de la Santé puisse en évaluer l’« innocuité » et l’« efficacité ».  […]

 

Les conditions préalables en matière de preuve que doit remplir le fabricant qui souhaite commercialiser une drogue nouvelle visent un objectif différent de celui visé par le droit des brevets. Dans le premier cas, on parle d’innocuité et d’efficacité alors que, dans le deuxième cas, il est question d’utilité, mais dans le contexte de l’inventivité. De par sa nature, la règle de la prédiction valable présuppose l’existence d’autres travaux à accomplir.

 

 

[99]           Dans l’arrêt Wellcome (CSC), la Cour suprême n’a pas infirmé la décision de la Cour fédérale en ce qui concerne la norme d’utilité exigée. En outre, l’affaire Wellcome portait sur la doctrine de la prédiction valable, au sujet de laquelle l’appelante admet que la norme d’utilité qui s’applique est plus exigeante que lorsque l’inventeur est en mesure de démontrer l’utilité.

 

[100]       En conséquence, bien que le juge de première instance ait peut‑être mal appliqué le critère de la « moindre parcelle » parce qu’en l’espèce, il existait une promesse expresse que le sildénafil serait efficace pour le traitement de la dysfonction érectile, son erreur ne tire en fin de compte pas à conséquence. Le juge de première instance a conclu que l’étude 350 révélait une amélioration « importante » de la fonction érectile. De plus, il a déclaré, à raison, qu’en l’espèce, le critère de l’utilité était celui de savoir si l’invention permettait de réaliser ce qu’elle promettait et que le degré de preuve exigé n’était pas aussi élevé que celui qui est requis dans le cas d’épreuves cliniques. Il a par conséquent conclu qu’il disposait de plus qu’une parcelle d’utilité, de sorte que l’erreur qu’il a commise ne justifie pas notre intervention.

 

[101]       Quant à ses conclusions de fait, le juge de première instance s’est explicitement attardé à chacun des griefs formulés par l’appelante : la question de savoir si les érections constituent un paramètre clinique approprié, l’utilité des résultats consignés dans les journaux, qui n’étaient pas statistiquement significatifs, et les données obtenues grâce au RigiScan. Il a tout d’abord jugé que l’appareil RigiScan est « le meilleur outil disponible pour mesurer la rigidité du pénis et la durée d’une érection, qui est la seule méthode objective pour déterminer si une érection est suffisante pour un rapport sexuel » (Décision, au paragraphe 86). Il a ensuite abordé les problèmes de la signification statistique, qui ont déjà été évoqués, et a conclu que « [b]ien que l’étude puisse ne pas avoir respecté les normes d’autorisation réglementaire, la Cour est convaincue que cela suffit à établir l’utilité démontrée de l’invention » (Décision, au paragraphe 88).

 

[102]       J’estime que le dossier permettait au juge de première instance de tirer ces conclusions et qu’il n’a donc pas commis d’erreur manifeste et dominante en concluant que l’étude 350 révélait l’utilité.


DISPOSITIF

[103]       Je rejetterais par conséquent l’appel et j’adjugerais les dépens à Pfizer tant devant notre Cour que devant la juridiction inférieure.

 

 

« M. Nadon »

j.c.a.

 

« Je suis d’accord.

            Pierre Blais, J.C. »

 

« Je suis d’accord.

            Johanne Trudel, j.c.a. »

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 

 

 

 

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    A‑292‑09

 

INTITULÉ :                                                   NOVOPHARM LTD. c. PFIZER CANADA INC. et autres

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 24 mars 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE NADON

 

Y ONT SOUSCRIT :                                     LE JUGE EN CHEF BLAIS

                                                                        LA JUGE TRUDEL

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 23 septembre 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

David W. Aitken

Marcus Klee

 

POUR L’APPELANTE

 

Andrew M. Shaugnessy

Vincent de Grandpré

 

POUR LES INTIMÉS

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Osler, Hoskin & Harcourt LLP

Ottawa (Ontario)

 

POUR L’APPELANTE

 

Torys LLP

Toronto (Ontario)

 

POUR LES INTIMÉS

 

 

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