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Date : 20100922

Dossier : A-451-09

Référence : 2010 CAF 240

 

CORAM :      LE JUGE SEXTON

                        LE JUGE EVANS

                        LA JUGE SHARLOW

 

ENTRE :

ELI LILLY AND COMPANY et

ELI LILLY CANADA INC.

appelantes

et

APOTEX INC.

intimée

 

 

 

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 22 septembre 2010.

Jugement prononcé à l’audience à Ottawa (Ontario), le 22 septembre 2010.

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :                                                    LE JUGE EVANS

 

 


Date : 20100922

Dossier : A-451-09

Référence : 2010 CAF 240

 

CORAM :      LE JUGE SEXTON

                        LE JUGE EVANS

                        LA JUGE SHARLOW

 

 

ENTRE :

ELI LILLY AND COMPANY et

ELI LILLY CANADA INC.

appelantes

et

APOTEX INC.

intimée

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

(prononcés à l’audience à Ottawa (Ontario), le 22 septembre 2010)

 

LE JUGE EVANS

A.        INTRODUCTION

[1]               Eli Lilly et Eli Lilly Canada Inc. (Lilly) ont interjeté appel d’une décision de la Cour fédérale (2009 CF 991) par laquelle la juge Gauthier (juge) a conclu que Lilly n’avait pas réussi à prouver qu’Apotex Inc. avait contrefait l’un ou l’autre de ses huit brevets de procédés quand Apotex a importé au Canada, après le 3 juin 1998, environ 7 500 kg de céfaclor, composé utilisé dans ses médicaments antibiotiques.

 

[2]               La juge a conclu que Lilly n’avait pas prouvé que le fournisseur d’Apotex, soit Lupin Laboratories Inc. (Lupin), de l’Inde, avait fabriqué du céfaclor en vrac à partir d’un composé intermédiaire (7-ACCA) obtenu grâce à un procédé visé par les brevets de Lilly. Le céfaclor en soi n’est plus protégé par un brevet.

 

[3]               Elle a également conclu qu’Apotex avait contrefait les brevets de Lilly en important du céfaclor en vrac avant le 3 juin 1998, lequel avait été fabriqué à l’extérieur du Canada à partir d’un composé intermédiaire que les fournisseurs d’Apotex avaient obtenu grâce à un procédé breveté. Apotex a interjeté un appel incident à l’égard de cette partie de la décision de la juge.  

 

B.        APPEL DE LILLY

[4]               La question en litige dans l’appel interjeté par Lilly est essentiellement factuelle : Lupin a-t-elle utilisé un procédé non breveté, au lieu d’un procédé breveté, quand elle a fabriqué le composé intermédiaire nécessaire pour fournir à Apotex le céfaclor en vrac importé après le 3 juin 1998?

 

[5]               La question de savoir si une partie s’est acquittée de son fardeau de preuve est une question de fait. Les tribunaux d’appel ne modifient la conclusion de fait d’un juge de première instance que lorsqu’ils peuvent relever une erreur manifeste et dominante dans ses conclusions, ou lorsque le juge a commis une erreur de droit, par exemple, en admettant ou en excluant des éléments de preuve qui étaient déterminants quant au résultat.

 

[6]               Nous ne sommes pas convaincus que la juge saisie du dossier, qui a rédigé des motifs soigneusement étayés et exhaustifs après un procès de six mois, ait commis une erreur justifiant notre intervention. 

 

[7]               En faisant valoir que la juge a commis une erreur en concluant qu’elle n’avait pas réussi à démontrer la contrefaçon selon la prépondérance des probabilités, Lilly n’a relevé aucune erreur évidente et déterminante dans l’analyse de la preuve effectuée par la juge. Surtout à la lumière des conclusions sur la crédibilité tirées par la juge, sa décision était pleinement justifiée.

 

[8]               Lilly nous a effectivement invités à soupeser la preuve à nouveau et à tirer nos propres conclusions, surtout le fait que la fiche maîtresse de médicament (FMM) déposée auprès de Santé Canada, ainsi que les dépôts réglementaires auprès de la Food and Drug Administration des États-Unis, démontraient que Lupin utilisait un procédé contrefait dans la fabrication du produit intermédiaire. Un tribunal d’appel ne devrait pas accepter une telle invitation. Faire autrement équivaudrait à empiéter sur le domaine du juge de première instance et gaspiller inutilement les ressources publiques et privées. 

 

[9]               Nous ne pensons pas non plus que la juge ait commis des erreurs juridiques en admettant certains éléments de preuve testimoniale et documentaire. Le juge de première instance doit souvent soupeser des éléments opposés pour rendre des décisions en matière de preuve. Il doit donc exercer son pouvoir discrétionnaire pour rendre ces décisions. Le tribunal d’appel doit faire preuve d’une grande retenue à l’égard de ces décisions et ne pas substituer simplement son opinion à celle du juge de première instance saisi de l’affaire. 

 

[10]           Lilly prétend que la juge a commis une erreur de droit en admettant le témoignage de M. Satpute, vice-président de la fabrication du principe actif de Lupin, et, au moment pertinent, directeur principal de la manufacture de Lupin en Inde où le 7-ACCA était fabriqué. Lilly prétend que le témoignage de M. Satpute sur le procédé utilisé pour fabriquer le produit intermédiaire constituait une preuve par ouï-dire inadmissible parce qu’il était fondé sur des renseignements qui lui avaient été donnés par des scientifiques à l’emploi de Lupin. La juge n’a pas abordé cette question dans ses motifs.

 

[11]           Nous ne sommes pas d’avis que la juge a commis une erreur en n’excluant pas le témoignage de M. Satpute en tant que ouï-dire. Son témoignage était largement fondé sur sa connaissance directe du procédé de fabrication utilisé pour produire le composé 7-ACCA dans le but de répondre à l’importante commande d’Apotex pour la fabrication de céfaclor en vrac. Le fait qu’il ait pu se fonder sur les notes de certaines autres personnes pour se rafraîchir la mémoire ou pour se rappeler certains détails techniques du procédé utilisé ne justifie pas qu’il faille qualifier son témoignage de ouï-dire. Quoi qu’il en soit, la preuve par ouï-dire n’est pas automatiquement prescrite. La juge a conclu (par. 252) que le témoignage de M. Satpute était « très crédible », une première impression qui, selon elle, a été confirmée quand elle a lu et relu la transcription du témoignage. 

 

[12]           Lilly prétend également que la juge a commis une erreur de droit en excluant le témoignage de M. Satpute en vertu de l’article 248 des Règles des Cours fédérales. Lors de l’enquête préalable, un dirigeant d’Apotex a affirmé qu’il ne connaissait pas le procédé utilisé par Lupin alors que, en fait, à l’insu de Lilly, Lupin avait écrit une lettre, datée du 4 juillet 2000, à M. Ivor Hughes, avocat d’Apotex, pour l’informer qu’elle était disposée à collaborer au litige.

 

[13]           Nous ne sommes pas d’accord avec la prétention de Lilly. Il ressort des motifs de la juge portant sur l’admissibilité des éléments de preuve contestés (par. 235-256) qu’elle était consciente de l’inquiétude sous-jacente de Lilly, notamment que les tactiques d’Apotex avaient eu pour effet de « piéger » Lilly et, par conséquent, de la priver de la possibilité de bien examiner la preuve sur laquelle Apotex a fondé sa défense.

 

[14]           Cependant, la juge a décidé d’admettre les éléments de preuve contestés après avoir examiné les longues observations des parties sur ces questions et a offert de suspendre le procès dans le but de permettre à Lilly d’essayer d’obtenir plus de renseignements et de rouvrir les interrogatoires préalables quand elle s’est rendue compte qu’Apotex avait l’intention d’appeler des témoins en provenance de l’Inde, une offre que Lilly a refusée. En ce qui concerne le témoignage de M. Satpute, elle a affirmé (par. 256) que, « en l’espèce », ce ne serait pas dans le meilleur intérêt de la justice « d’écarter la totalité » du témoignage et qu’elle exercerait le pouvoir discrétionnaire résiduel dont elle dispose pour admettre cette partie de la preuve. 

 

[15]           En tirant cette conclusion, la juge n’a, à notre avis, commis aucune erreur de principe justifiant l’intervention de cette Cour.

 

[16]           Pour arriver à cette décision, nous ne sommes pas tenus d’accepter le fait qu’Apotex, sans aucune explication, n’ait pas réussi à fournir les réponses aux questions en temps utile, à corriger les réponses erronées et à produire des documents en temps opportun. Dans les circonstances de l’espèce, la juge a bien exercé son pouvoir discrétionnaire quand elle a accepté les éléments de preuve présentés plus tard dans le procès. Cependant, ce n’est jamais judicieux de ne pas se conformer aux règles régissant les interrogatoires préalables et les parties ne peuvent s’attendre à ce qu’une telle conduite soit toujours excusée au procès.

 

C.        L’APPEL INCIDENT D’APOTEX

[17]           Apotex forme un appel incident à l’égard de la conclusion de la juge selon laquelle elle a contrefait les brevets de Lilly quand, avant le 3 juin 1998, elle a importé du céfaclor en vrac de fournisseurs  étrangers qui l’avaient produit à partir d’un composé intermédiaire obtenu grâce aux procédés visés par les brevets de Lilly. Selon Apotex, en concluant que l’importation de céfaclor contrefaisait les droits conférés à Lilly en vertu de la Loi sur les brevets, la juge a étendu la portée de la protection au-delà de l’utilisation de l’invention revendiquée (en l’espèce, les procédés utilisés dans la fabrication du produit intermédiaire), et a accordé une portée extraterritoriale à la loi qui n’était pas dans l’intention du législateur.

 

[18]           Après avoir fait un examen approfondi de la jurisprudence pertinente, la juge a rejeté l’argument d’Apotex, alléguant qu’il s’agissait d’un principe juridique établi au Canada depuis plus d’une centaine d’années qu’un brevet de procédé peut être contrefait par l’importation, l’usage et la vente au Canada d’un produit fabriqué à l’extérieur du pays par une personne grâce au procédé breveté. Elle a fait remarquer que la Cour suprême du Canada avait récemment souscrit à la règle, connue sous le nom de « doctrine Saccharin » (Saccharin Corporation Ltd. c. Anglo-Continental Chemical Works, [1901] 1 Ch. 414 (Eng. Ch. D.)) : voir Monsanto Canada Inc. c. Schmeiser, 2004 CSC 34, [2004] 1 R.C.S. 902, surtout le par. 44.

 

[19]           La juge a aussi rejeté l’argument subsidiaire d’Apotex portant que, si tant est qu’elle soit pertinente, la doctrine Saccharin ne devrait pas s’appliquer si des « changements importants » sont apportés au produit fabriqué grâce au procédé breveté avant l’importation du produit final. Elle a appliqué (par. 326-329) le droit actuel, qui exige seulement que le procédé breveté joue un « rôle important » dans la fabrication du produit importé, et elle a conclu que c’était le cas.  

 

[20]           Nous ne relevons aucune erreur juridique dans l’analyse faite par le juge de l’état du droit au Canada sur l’une ou l’autre de ces questions.

 

D.        CONCLUSIONS

[21]           Pour ces motifs, l’appel de Lilly et l’appel incident d’Apotex seront rejetés, avec dépens dans les deux cas.

 

 

« John M. Evans »

j.c.a.

 

Traduction certifiée conforme

Mylène Borduas


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    A-451-09

 

APPEL D’UNE DÉCISION RENDUE PAR LA JUGE JOHANNE GAUTHIER DE LA COUR FÉDÉRALE LE 1ER OCTOBRE 2009, DOSSIER N° T-1321-97

 

INTITULÉ :                                                   ELI LILLY AND COMPANY ET ELI LILLY CANADA INC. c.

                                                                        APOTEX INC.

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Ottawa (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 22 septembre 2010

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE

LA COUR :                                                    LES JUGES  SEXTON, EVANS, SHARLOW

 

PRONONCÉS À L’AUDIENCE PAR :       LE JUGE EVANS

 

COMPARUTIONS :

 

Anthony Creber

Isabelle Raasch

 

POUR LES APPELANTES

 

H.B. Radomski

Sandon Shogilev

Myles Hastie

POUR L’INTIMÉE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Gowling Lafleur Henderson S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Ottawa (Ontario)

 

POUR LES APPELANTES

 

Goodmans s.r.l.

Toronto (Ontario)

 

POUR L’INTIMÉE

 

 

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