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Federal Court of Appeal

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Cour d'appel fédérale

 

 

Date : 20101005

                                                                                                                      Dossier : A-50-10

Référence : 2010 CAF 255

 

CORAM :      LE JUGE NADON

                        LA JUGE SHARLOW

                        LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

 

ENTRE :

PAUL CHEUNG ET LIONS COMMUNICATIONS INC.

appelants

et

TARGET EVENT PRODUCTION LTD.

intimée

 

 

 

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 16 septembre 2010.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 5 octobre 2010.

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                    LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

Y ONT SOUSCRIT :                                                              LE JUGE NADON

                                                                                                LA JUGE SHARLOW

 

 


 

Federal Court of Appeal

emblem

Cour d'appel fédérale

 

Date : 20101005

Dossier : A-50-10

Référence : 2010 CAF 255

 

CORAM :      LE JUGE NADON

                        LA JUGE SHARLOW                     

                        LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

 

ENTRE :

PAUL CHEUNG ET LIONS COMMUNICATIONS INC.

appelants

et

TARGET EVENT PRODUCTION LTD.

intimée

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

[1]      Le procès visé dans la présente instance portait sur des revendications relatives à une marque de commerce et à des droits d’auteur en liaison avec un marché de nuit. Les appelants, Paul Cheung et Lions Communications Inc. (Lions), interjettent appel, et l’intimée Target Event Production Ltd. (Target) interjette appel incident, du jugement rendu par la juge Simpson de la Cour fédérale (la juge du procès). La décision de la juge du procès est publiée sous (2010), 360 F.T.R. 54, 80 C.P.R. (4th) 413. À mon avis, plusieurs allégations d’erreur ont trait aux conclusions de fait de la juge du procès et ne justifient pas l’intervention de notre Cour. Cependant, je suis convaincu que la juge du procès a commis une erreur en ce qui concerne les questions ayant trait à la mesure injonctive et à l’adjudication des dépens sur la base avocat-client. Par conséquent, pour les motifs exposés ci-dessous, j’accueillerais l’appel en partie.

 

Historique

[2]        Le contexte factuel étant décrit en détail dans les motifs de la juge du procès, il n’en sera donné qu’un bref résumé dans ce qui suit. Raymond Cheung est président de Target. De 2000 à 2007, Target exploitait un marché de nuit d’été dans le quartier chinois de Richmond (Colombie-Britannique).

 

[3]        En 2002, Raymond Cheung a créé un logo pour le marché de nuit. Le logo (un cercle bleu en gras) comprenait le texte « Richmond Night Market Summer Festival » en anglais et le nom « Marché de nuit d’été Richmond » en caractères chinois. Target faisait la promotion de son marché par diverses activités promotionnelles et de mise en marché qui sont entièrement décrites dans les motifs du juge (par. 23).

 

[4]        Raymond Cheung a écrit (et révisé) un certain nombre de documents ayant trait au marché de Target. Les documents suivants étaient particulièrement importants : des formulaires de demande du vendeur à deux côtés (l’un pour les vendeurs de nourriture et l’autre pour les vendeurs de marchandises) qui incluaient un contrat (au recto) et des règles et règlements (au verso), ainsi qu’un plan du marché indiquant les emplacements des kiosques de nourriture et de marchandises, des kiosques de commanditaires, des toilettes, du bureau et de la scène (le plan du site).

 

[5]        Le marché de Target est devenu populaire. En 2007, il comptait environ trois cent vendeurs de nourriture et de marchandises. De 2004 à 2007, il était tenu en un même lieu pris en location (la propriété de Vulcan). Vers la fin de 2007, par suite de l’incapacité de Target et de son locateur à s’entendre sur des conditions de location, Target a décidé de trouver un nouvel emplacement pour son marché. Cependant, ne réussissant pas à trouver un emplacement convenable, Target n’a pas ouvert de marché en 2008 ou 2009.

 

[6]        Paul Cheung avait une certaine expérience de l’organisation d’événements publics à Vancouver (Colombie-Britannique), dont un marché chinois semblable au marché de Target à Richmond. En 2008, lorsque Paul Cheung a appris que Target n’avait pas renouvelé son bail, il a décidé d’ouvrir un marché de nuit sur la propriété alors vacante de Vulcan. Il a constitué Lions en société pour exploiter le marché. Paul Cheung est devenu l’actionnaire majoritaire de Lions et le directeur de l’exploitation. L’ouverture partielle du marché de Lions sur la propriété de Vulcan a eu lieu à la fin de juin, et l’ouverture complète, à la fin de juin 2008.

 

[7]        En mai 2008, Target a intenté une action à Paul Cheung et à Lions devant la Cour fédérale. Target alléguait que Paul Cheung et Lions avaient violé ses droits d’auteur et commercialisaient de manière trompeuse ses marques de commerce en liaison avec leur marché récemment ouvert.

 

La décision de la Cour fédérale

[8]        Les motifs de la juge du procès comptent 241 par.. En ce qui concerne les allégations de violation du droit d’auteur, la juge du procès a conclu :

(1)        Paul Cheung et Lions ont violé les droits d’auteur de Target en utilisant le plan du site ou une reproduction d’une partie importante du plan lorsqu’ils ont demandé un permis pour leur marché, loué des kiosques à des vendeurs et construit leur marché (par. 45 à 49 et 11 et 112);

 

(2)        Lions a violé les droits d’auteur de Target en utilisant les règles en liaison avec ses quarante premiers vendeurs; il n’y a pas eu de violations importantes en ce qui concerne les révisions des règles qui ont suivi (par. 105 à 108);

 

(3)        Lions n’a pas violé les droits d’auteur de Target sur les contrats puisque les contrats de Lions ne constituaient pas des reproductions de parties importantes (par. 103).

[9]        En ce qui concerne les allégations de commercialisation trompeuse, la juge du procès a déterminé que les noms de Target constituaient des marques de commerce depuis janvier 2007 (les marques) parce qu’ils bénéficiaient d’un achalandage important et qu’ils avaient acquis un caractère distinctif en liaison avec Target, le marché de nuit de Target sur la propriété de Vulcan et le président de Target, Raymond Cheung (par. 159). Cependant, lorsque Target a omis d’ouvrir un marché en 2009, ces marques, intrinsèquement faibles, ont perdu leur caractère distinctif ainsi que l’achalandage s’y rattachant. La juge du procès a également conclu ce qui suit :

(1)        Lions a fait de la commercialisation trompeuse relativement aux marques de commerce de Target en liaison avec des visiteurs éventuels du marché en 2008. Premièrement, Lions a choisi des noms pour son marché et en a fait un usage abondant d’une manière qui était susceptible de causer de la confusion chez les visiteurs en les amenant à croire que le marché de Lions était une continuation  du marché de Target (par. 227). Deuxièmement, il y avait une possibilité de préjudice pour Target, parce que, si celle-ci avait exploité un marché en 2008, la conduite de Lions aurait nui à sa capacité d’attirer des visiteurs à son nouvel emplacement (par. 228).

 

(2)        Lions n’a pas fait de commercialisation trompeuse relativement aux marques de commerce de Target en liaison avec un vendeur quelconque de son marché puisqu’il n’y avait généralement pas de confusion dans l’esprit des vendeurs quant à l’identité de l’organisateur du marché (par. 191, 201).

 

(3)        L’utilisation par Lions de documents accessoires ne constituait pas une commercialisation trompeuse puisqu’il n’y avait pas de confusion quant au fait que c’était Lions qui faisait usage de ces documents et, dans certains cas, que les documents de Lions n’étaient pas des reproductions de parties importantes de ces documents accessoires (par. 212 à 218).

 

(4)        Les références de Lions à des articles relatifs au marché de Target sur son site Web ne constituaient pas de la commercialisation trompeuse, parce qu’elles ne créaient aucune confusion entre les deux marchés (par. 219 à 221).

 

(5)        La correspondance de Lions avec les entreprises voisines ne constituait pas une commercialisation trompeuse parce qu’elle les informait que Lions et non Target était la société exploitante (par. 222 à 226).

 

 

 

[10]      Paul Cheung a été tenu solidairement responsable des dommages-intérêts pour la violation du droit d’auteur et la commercialisation trompeuse, parce que la juge du procès a conclu qu’il avait (avant l’existence de Lions) élaboré une stratégie visant à recréer le marché de Target en utilisant une reproduction de parties importantes du plan du site (par. 233, 234). Cependant, comme les agissements de Paul Cheung et de Lions n’ont pas porté préjudice à Target sur le plan pécuniaire, des dommages-intérêts de seulement 15 000 $ ont été accordés.

 

[11]      La juge du procès a déclaré qu’il existait un droit d’auteur sur le plan du site et que ce droit d’auteur avait été violé en 2008 sur la propriété de Vulcan lors de la construction du marché de Lions. Elle a interdit à Paul Cheung et Lions de continuer à violer le droit d’auteur en « exploitant un marché qui constitue une reproduction d’une partie importante » du site du plan.   Des dépens sur la base avocat-client ont été accordés à Target.

 

Vue d’ensemble des allégations d’erreurs

[12]      Les parties allèguent d’innombrables erreurs susceptibles de révision. Par exemple, Paul Cheung et Lions soutiennent que la juge du procès a commis une erreur en ce qui a trait au droit d’auteur en ne considérant pas comme il se devait l’originalité et la nature fonctionnelle du plan du site et en ne concluant pas qu’ils avaient le droit d’utiliser le site du plan. En ce qui a trait à la marque de commerce, ils soutiennent que la juge du procès a commis une erreur en concluant que les marques de Target avaient acquis un caractère distinctif suffisant, en ne concluant pas que ce caractère distinctif avait été abandonné, en ne concluant pas que les marques ne bénéficiaient pas de la protection des marques de commerce ou que les noms du marché de Lions étaient suffisamment différents des marques de Target. Ils soutiennent en  outre que la juge du procès a commis une erreur en permettant à Target de modifier sa plaidoirie au procès, en ne donnant aucun poids ou en donnant un poids inapproprié à un élément de preuve particulier; en ne considérant pas qu'il y avait eu abus de procédure ou de droit; en considérant les revendications de Target relativement à des dates sans importance et en évaluant le montant des dommages-intérêts.

 

[13]      Dans son appel incident, Target soutient que la juge du procès a commis une erreur en ne concluant pas que l’utilisation des contrats par les appelants constituait une violation du droit d’auteur, en ne concluant pas à d’autres violations relativement aux règles et en déterminant le montant des dommages-intérêts. 

 

[14]      Ces allégations d’erreurs constituent essentiellement une contestation des conclusions de fait de la juge du procès, de ses conclusions mixtes de fait et de droit (desquelles il n’y a pas de questions de droit isolables) ainsi que de l'opportunité de l’exercice de son pouvoir discrétionnaire. Je ne suis pas convaincu que la juge du procès a commis quelque erreur de droit, ou toute autre erreur, qui permettrait à la Cour d’intervenir relativement aux questions précédentes. Cependant, certaines autres allégations d’erreur appellent d’autres commentaires.

 

[15]      Plus particulièrement, Paul Cheung et Lions soutiennent que la juge du procès a outrepassé sa compétence relativement à la revendication fondée sur la commercialisation trompeuse et a commis une erreur en concluant à des dommages-intérêt relativement à cette revendication. Ils affirment en outre que la juge a commis une erreur en statuant que Paul Cheung était solidairement responsable, en interdisant à Paul Cheung et à Lions d’exploiter leur marché et en adjugeant les dépens sur la base avocat-client. Target affirme que la juge du procès a commis une erreur en concluant que les marques avaient perdu en 2009 leur caractère distinctif et en accordant une mesure injonctive inopportune. Chacune de ces questions sera traitée sous les titres donnés ci-dessous. 

 

Questions en litige

[16]    (1)        La compétence de la Cour fédérale aux termes de l’alinéa 7b) de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T‑13

 

(2)        La perte du caractère distinctif

(3)        Les exigences en matière de dommages-intérêt pour commercialisation trompeuse

(4)        La responsabilité personnelle de Paul Cheung

(5)        La mesure injonctive

(6)        Les dépens sur la base avocat-client

 

Les normes de contrôle judiciaire

[17]      Avant de nous pencher sur les questions en litige, il convient d’examiner les normes de contrôle applicable aux conclusions de la juge du procès. Les questions de droit sont susceptibles de révision selon la norme de la décision correcte et les questions de fait ainsi que les questions mixtes de fait et de droit ne le sont qu’en cas d’erreur manifeste et dominante, sauf lorsqu’une question mixte de fait et de droit contient une question de droit isolable, auquel cas elle est susceptible de révision selon la norme de la décision correcte. Le rôle d’une cour d’appel n’est pas de rédiger un meilleur jugement que le juge du procès, mais de contrôler les motifs du juge à la lumière des arguments des parties et de la preuve pertinente : Housen c. Nikolaisen, [2002] 2 R.C.S. 235. 

 

[18]      La question des dépens relève du pouvoir discrétionnaire. Une cour d’appel ne peut modifier une décision discrétionnaire que si celle-ci repose sur une erreur de droit ou si le juge du procès a exercé erronément son pouvoir discrétionnaire en accordant un poids insuffisant à des éléments pertinents, en ne considérant pas des facteurs pertinents ou en considérant des facteurs non pertinents : Elders Grain Co. c. Ralph Misener (Le), [2005] 3. R.C.F 367 (C.A.). 

 

La compétence de la Cour fédérale aux termes de l’alinéa 7b) de la Loi sur les marques de commerce

[19]      Au procès, Target a demandé réparation relativement à des violations reprochées de l’al. 7b) de la Loi sur les marques de commerce. L’alinéa est rédigé comme suit :

 

7. Nul ne peut

 

[…]

 

b) appeler l’attention du public sur ses marchandises, ses services ou son entreprise de manière à causer ou à vraisemblablement causer de la confusion au Canada, lorsqu’il a commencé à y appeler ainsi l’attention, entre ses marchandises, ses services ou son entreprise et ceux d’un autre;

 

7. No person shall

 

[…]

 

(b) direct public attention to his wares, services or business in such a way as to cause or be likely to cause confusion in Canada, at the time he commenced so to direct attention to them, between his wares, services or business and the wares, services or business of another;

 

 

 

[20]      L’alinéa 7b) est, à une exception près, l’expression juridique du délit de commercialisation trompeuse en common law. Pour se prévaloir de cet alinéa, le demandeur doit prouver qu’il possède une marque de commerce valide opposable : Nissan Canada Inc. c. BMW Canada Inc., 2007 CAF 255, 60 C.P.R. (4th) 181, par. 14 (BMW). À défaut d’une telle marque de commerce, la Cour fédérale, et par extension la présente Cour, n’a pas compétence pour statuer sur une revendication relative à une commercialisation trompeuse. 

 

[21]      Les motifs abondants de la juge du procès montrent qu’elle n’est parvenue à la conclusion que les marques de Target étaient des marques de commerce valide qu’après avoir attentivement examiné et considéré la preuve. Ses conclusions quant à l’existence de ces marques de commerce ne révèlent aucune erreur manifeste et dominante. La juge du procès a alors analysé la question de savoir si Target avait établi les éléments requis pour fonder sa revendication au titre de l’alinéa 7b). En procédant ainsi, elle a pris en considération le contexte factuel pertinent (y compris la conduite des appelants relativement aux vendeurs et aux visiteurs du marché), les documents accessoires de Target, le site Web des appelants et les communications des appelants avec  les entreprises voisines. En dépit des références incidentes de la juge du procès aux concepts de droits d’auteur ou à d’autres activités non pertinentes du point de vue de l’analyse d’une marque de commerce, les motifs de la juge, lorsqu’ils sont interprétés dans leur totalité, révèlent une analyse qui était axée comme il se devait sur les marques valides et opposables de Target. Je ne suis donc pas convaincu que sa décision révèle une erreur quelconque justifiant l’intervention de la Cour.

 

La perte du caractère distinctif

[22]      Target soutient que, comme la juge du procès a conclu à un « énorme achalandage » en liaison avec ses marques, il était déraisonnable qu’elle conclût que les marques avaient perdu leur caractère distinctif lorsque Target a omis d’ouvrir un marché de nuit en 2009 (par. 227). Notamment, la juge du procès a également conclu que les marques de Target étaient « intrinsèquement faibles » et que leur « caractère distinctif acquis n’était pas […] durable » (par. 160)

 

[23]      La décision qu’une marque de commerce a perdu son caractère distinctif constitue une conclusion de fait : Suzanne's Inc. c. Auld Phillips Ltd., 2005 CAF 429, 46 C.P.R. (4th) 81, par. 5. De plus, l’on comprend depuis longtemps qu’une marque de commerce peut perdre son caractère distinctif du fait de son défaut d’usage ou de son abandon : General Motors Corp. c. Bellows, [1949] R.C.S. 678, 10 C.P.R. 101, par. 25. Je ne suis pas convaincu que la juge du procès a commis une erreur manifeste et dominante en concluant que les marques avaient perdu leur caractère distinctif en 2009.

 

Les exigences en matière de dommages-intérêts pour commercialisation trompeuse

[24]      En plus de prouver la possession d’une marque de commerce valide et opposable, le critère en trois volets pour la commercialisation trompeuse requiert que soit donnée la preuve de : 1) l’existence d’un achalandage, 2) l’induction en erreur du public par suite d’une assertion trompeuse et 3) des dommages réels ou éventuels causés au demandeur : Remo Imports Ltd. c. Jaguar Cars Ltd., [2008] 2 R.F.C 132, par. 89; Kirkbi AG c. Gestion Ritvik Inc., [2005] 3 R.C.S. 302, par. 66 à 69. Les appelants affirment avec raison qu’il est nécessaire de démontrer l’élément du dommage du critère en trois volets et que le dommage ne peut être présumé : BMW au par. 35; PharmaCommunications Holdings Inc. c. Avencia International Inc., 2009 CAF 144, 79 C.P.R. (4th) 460, par. 6 à 12.

 

[25]      Selon les appelants, Target n’a pas démontré l’élément dommage du critère et la juge du procès a donc commis une erreur en concluant que la commercialisation trompeuse avait été démontrée. Aux paragraphes 227 et 228 de ses motifs, la juge du procès déclare :

À mon avis, la demanderesse a établi la commercialisation trompeuse en liaison avec les visiteurs éventuels. Il ne fait aucun doute qu’un énorme achalandage était associé aux noms de Target et que Lions a choisi des noms pour son événement qui étaient susceptibles de causer de la confusion tant en anglais qu’en chinois. Il les a ensuite employés abondamment d’une manière visant à créer de la confusion dans l’esprit des visiteurs éventuels. Ils ont été amenés à croire que le marché tenu en 2008 était le prolongement du populaire événement de Target.

 

Je suis également convaincue qu’il y avait une possibilité de préjudice envers Target. Si celle‑ci avait exploité un marché en 2008, le comportement de Lions aurait nui à sa capacité d’attirer des visiteurs à son nouvel emplacement.

 

 

[26]      En somme, les appelants soutiennent que les conclusions de la juge du procès ne satisfont pas à l’élément dommage du critère parce qu’il n’y a pas eu de dommage réel en 2008 et que l’inférence de la juge du procès sur des dommages éventuels constituait une application inopportune du critère juridique. Je n’estime pas qu’il soit nécessaire de traiter la question des dommages éventuels pour régler la question parce que je suis convaincu que Target a subi des dommages réels en l’espèce. Je renvoie particulièrement au principe résumé par le juge Belobaba dans 2 for 1 Subs Ltd. c. Ventresca (2006), 48 C.P.R. (4th) 311, 17 B.L.R. (4th) 179. par. 55 (C.S.J. Ont.) :

[traduction] Il a également été démontré qu’il était satisfait à la troisième exigence, soit l’existence de dommages réels ou éventuels. Dans les cas où le défendeur est un concurrent direct du demandeur, on peut prouver l’existence de dommages en démontrant une probabilité de pertes de ventes et d’affaires au profit du concurrent. Mais lorsque, comme c’est le cas en l’espèce, les parties ne sont pas des concurrents directs parce que le défendeur s’est installé dans les locaux du demandeur et qu’il n’y a pas d’autre concession 2 for 1 Subs dans la région, le dommage causé au demandeur est la perte de contrôle sur l’impact de son nom commercial dans le marché du défendeur et la création d’un obstacle éventuel à l’utilisation de sa marque de commerce lorsqu’il entrera de nouveau dans le marché du défendeur (référence omise). 

 

[27]      À cet égard, voir aussi : Orkin Exterminating Co. c. Pestco Co. of Canada (1985), 50 O.R. (2d) 726, par. 48, 49 et 75 (C.A.); Walt Disney Productions v. Triple Five Corp. (1994), 17 Alta. L.R. (3d) 225, par. 87 à 94 (C.A.); Enterprise Rent-A-Car Co. v. Singer, [1996] 2 C.F. 694, par. 80 et 81 (1re inst.), confirmé par 146 F.T.R. 158, 79 C.P.R. (3d) 45 (C.A.F.).

 

[28]      Les arrêts cités ci-dessus enseignent que l’utilisation de la marque de commerce peut causer à son propriétaire une perte réelle du contrôle de sa marque, malgré l’absence du propriétaire dans le marché en cause. Une telle perte suffit à fonder le troisième élément du critère tripartite. Lus dans leur totalité, les motifs de la juge du procès démontrent qu’un tel préjudice a été établi au procès. La conclusion de la juge du procès que Target a subi des préjudices suffisants pour satisfaire au critère juridique pertinent ne comporte aucune erreur manifeste et dominante.

 

La responsabilité personnelle de Paul Cheung

[29]      Comme cela est noté plus haut, la juge du procès a conclu que Paul Cheung et Lions étaient solidairement responsables. Ceux-ci soutiennent que cette conclusion est erronée en ce que la plupart des violations et la commercialisation trompeuse se sont produits après la date de constitution de la société. Ils soutiennent que le simple fait que Paul Cheung a dû s’engager lui-même dans la plus grande partie des activités de la société ne devrait pas le priver de son droit à la protection normale contre la responsabilité personnelle.

[30]      Outre le témoignage des témoins, la juge du procès disposait des aveux contenus dans l’exposé de la défense selon lesquels Paul Cheung avait lui-même entrepris la promotion et l’organisation du marché d’été de 2008 à Richmond, qu’il avait lui-même déposé la demande de permis et qu’il avait lui-même dirigé, contrôlé et administré toutes les activités de Lions.

 

[31]      Aux par. 229 à 233 de ses motifs, la juge du procès a fait ressortir les facteurs dont elle a tenu compte pour conclure que Paul Cheung était « solidairement responsable du paiement de toute indemnité pécuniaire qui pourrait être accordée ». Elle a trouvé appui sur le raisonnement de la Cour dans la décision Mentmore Manufacturing Co. c. National Merchandise Manufacturing Co. (1978), 89 D.L.R. (3d) 195, 40 C.P.R. (2d) 164 (C.A.F.), où la Cour a statué que la responsabilité personnelle pouvait s’appliquer dans des circonstances où l’objectif de l’individu n’est pas la direction des activités de la société, mais la poursuite délibérée, volontaire et en toute connaissance d’un type de conduite qui constitue probablement une violation ou qui montre de l’indifférence vis-à-vis le risque qu’il en soit ainsi. Il faut laisser une marge de manœuvre pour permettre une « appréciation large des circonstances de chaque cas ».

 

[32]      Sur le fondement des facteurs qu’elle a énoncés et compte tenu que la juge du procès a eu le bénéfice de voir et d’entendre les témoins, je ne peux pas dire que sa décision relative à la responsabilité personnelle de Paul Cheung était manifestement erronée. Par conséquent, il n’y a pas de fondement justifiant l’intervention de la Cour, même si la décision rendue avait été autre.   À défaut d’erreur manifeste et dominante, il n’est pas loisible à la Cour de substituer son avis à celui de la juge du procès.

 

Mesure injonctive

[33]      Les appelants font valoir que la juge du procès a commis une erreur en leur interdisant d’« exploiter » un marché qui est une reproduction de parties importantes du plan du site parce que les seules réparations applicables à une violation de droit d’auteur sont celles prévues par la Loi sur le droit d’auteur, 1985 ch. C‑42. La loi ne prévoit pas d’interdictions visant une « utilisation » ou une « exploitation ». Target est d’accord sur ce point, de même que moi.   L’affirmation de Target selon laquelle il convient de modifier l’injonction pour qu’elle corresponde aux dispositions législatives pertinentes et les reflète est correcte. Il était loisible à la juge du procès d’interdire aux appelants de continuer à commettre des actes de violation du droit et c’est ce qu’elle a fait. Un préjudice ne devrait pas être causé à Target du fait que la portée de l’injonction, telle qu’elle est libellée, est trop large.   L’énoncé correct de la mesure injonctive est le suivant : il est interdit à Paul Cheung et à Lions Communications Inc. de continuer à violer le droit d’auteur de Target Event Production Ltd sur le plan du site du marché en reproduisant ce plan, ou toute partie importante de celui-ci, sous une forme matérielle quelconque. 

 

Les dépens sur la base avocat-client

[34]    Le principe fondamental est que l'adjudication des dépens représente un compromis entre l’indemnisation de la partie ayant gain de cause et l’imposition d’une charge qui ne soit pas indue à la partie déboutée : Apotex Inc. v. Wellcome Foundation Ltd. (1998), 159 F.T.R. 233, 84 C.P.R. (3d) 303, par. 7 (1re inst.), confirmé par (2001), 199 F.T.R. 320, 270 N.R. 304 (C.A.). La règle générale est que les dépens sont consécutifs à l’événement et que, sauf circonstances exceptionnelles, ils doivent être adjugés sur une base partie-partie à la partie victorieuse.  Cependant, il demeure que les dépens relèvent du pouvoir discrétionnaire de la Cour : Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 r. 400(1). Les facteurs non exhaustifs qui doivent être considérés aux fins de l’adjudication des dépens sont décrits au par. 400(3) des Règles, notamment « toute autre question que [la cour] juge pertinente » : al. 400(3)o).

 

[35]      L’adjudication des dépens sur la base avocat-client est exceptionnelle. La Cour suprême du Canada a maintes fois déclaré que des dépens sur la base avocat-client ne devraient être adjugés que lorsque l’une des parties a fait montre d’une conduite répréhensible, scandaleuse ou outrageante : Young c. Young, [1993] 4 R.C.S. 3, par. 66; Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, par. 77; Hamilton c. Open Window Bakery Ltd., [2004] 1 R.C.S. 303, par. 26. 

 

[36]      Étant donné la nature exceptionnelle des dépens sur la base avocat-client, le juge de première instance doit généralement donner quelques explications sur la raison de l’adjudication de ces dépens. Autrement, la cour d’appel se voit obligée de spéculer sur le fondement sur lequel le juge de première instance a exercé son pouvoir discrétionnaire.   Les cas où le dossier, sans plus, suffit à justifier une telle adjudication sont extrêmement rares.

 

[37]      En l’espèce, la juge du procès n’a pas donné d’explication pour l’adjudication des dépens avocat-client. Les motifs du jugement ne sont pas non plus utiles à cet égard. Quoiqu’une certaine conduite de la part de Lions ait été décrite comme « sordide », il n’a pas été conclu que cette même conduite était illégale.  La juge du procès n’a nullement fait référence dans ses motifs à quelque conduite répréhensible, scandaleuse ou outrageante.   De plus, le dossier ne révèle aucune conduite qui semble atteindre ce seuil.

[38]      L’argument de Target selon lequel il se peut que les dépens sur la base avocat-client aient été accordés pour dédommager une partie innocente pour les dépenses autrement non nécessaires du litige n’est pas convainquant. Un certain nombre d’allégations de Target n’ont pas été faites au procès.   De plus, la juge du procès a conclu que le président de Target n’était, à plusieurs égards, pas crédible (par. 66 à 71). Ces observations et l’absence de toute conclusion précise quant à la question des dépens rendent le qualificatif de partie innocente accolé à Target, aux fins d’adjudication des dépens, tout à fait inapproprié.  

 

[39]      Comme rien dans les motifs ou le dossier ne justifie l’adjudication des dépens sur la base avocat-client, j’accueillerais l’appel à cet égard.

 

Conclusion

[40]      J’accueillerais l’appel en partie et je rejetterais l’appel incident. J’annulerais le jugement de la juge du procès en ce qui a trait à la mesure injonctive et à l’adjudication des dépens. Rendant le jugement qui aurait dû l’être, je remplacerais la formulation de la décision par ce qui suit :

 

(1)        Il est interdit à Paul Cheung et à Lions Communications Inc. de continuer à violer le droit d’auteur de Target Event Production Ltd sur le plan du site du marché en reproduisant ce plan, ou toute partie importante de celui-ci, sous une forme matérielle quelconque;

 

(2)        Target a droit à ses dépens à la Cour fédérale sur une base partie-partie. Les demandes visant à ce que des directives soient données à l’officier taxateur peuvent, le cas échéant être présentées à la juge du procès conformément à la règle 403.

 

[41]      Comme les deux parties ont en partie gain de cause, je n’adjugerais pas de dépens relativement au présent appel.

 

« Carolyn Layden-Stevenson »

j.c.a.

 

« Je suis d’accord,

M. Nadon, j.c.a. »

 

« Je suis d’accord,

K. Sharlow, j.c.a. »

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 

 

 


 

COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                            A-50-10

 

APPEL D’UN JUGEMENT DE LA COUR FÉDÉRALE DATÉE DU 11 JANVIER 2010; DOSSIER NO T-702-08

 

INTITULÉ :                                       PAUL CHEUNG et al c. TARGET EVENT PRODUCTION LTD.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                     Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                   Le 16 septembre 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                             LE JUGE NADON

                                                                                                LA JUGE SHARLOW

 

DATE DES MOTIFS :                                                          Le 5 octobre 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Howard K. Knopf

Katherine Ducey

 

POUR LES APPELANTS

 

Paul Smith

POUR L’INTIMÉE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Macera & Jarzyna LLP

Campbell, Froh, May ET Rice LLP

 

POUR LES APPELANTS

 

Smiths IP

POUR L’INTIMÉE

 

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