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Cour d'appel fédérale

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Federal Court of Appeal

Date : 20101026

Dossier : A-13-10

Référence : 2010 CAF 282

 

CORAM :      LE JUGE NADON

                        LE JUGE PELLETIER

                        LE JUGE STRATAS

 

ENTRE :

HOSPIRA HEALTHCARE CORPORATION

appelante

et

ELI LILLY CANADA INC. et

ELI LILLY AND COMPANY

intimées

 

 

 

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 19 octobre 2010

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 26 octobre 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                        LE JUGE PELLETIER

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                         LE JUGE NADON

                                                                                                                        LE JUGE STRATAS

 

 


Cour d'appel fédérale

emblem

 

Federal Court of Appeal

Date : 20101026

Dossier : A-13-10

Référence : 2010 CAF 282

 

CORAM :      LE JUGE NADON

                        LE JUGE PELLETIER

                        LE JUGE STRATAS

 

ENTRE :

HOSPIRA HEALTHCARE CORPORATION

appelante

et

ELI LILLY CANADA INC. et

ELI LILLY AND COMPANY

intimées

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit de l’appel de la décision par laquelle le juge Lemieux de la Cour fédérale a rejeté l’appel de la décision de la protonotaire Tabib qui faisait droit à une demande de nouvelle production de documents plus complète dans une action en contrefaçon.

 

[2]               Eli Lilly Canada Inc. et Eli Lilly and Company (Eli Lilly) sont titulaires du brevet sur une étape intermédiaire du processus de fabrication à sept étapes de la drogue gemcitabine. Le processus breveté est connu sous le nom de réaction SN2. Il s’agit d’une amélioration d’un processus antérieur connu sous le nom de réaction SN1. Eli Lilly n’a aucune revendication relativement aux autres étapes du processus de fabrication ni relativement à la drogue gemcitabine elle‑même. Hospira vend au Canada la gemcitabine fabriquée en Chine par Jiangsu Hansen Pharmaceutical Co. Ltd (Hansen). L’allégation dans l’action en contrefaçon d’Eli Lilly est que Hansen utilise la réaction SN2 dans son processus de fabrication.

 

[3]               Hospira a déposé un affidavit de documents dans lequel elle a dressé une liste de copies expurgées de sa présentation abrégée de drogue nouvelle et d’un rapport de lot pour la fabrication de la drogue.

 

[4]               La protonotaire Tabib a ordonné à l’appelante Hospira de préparer et de signifier un nouvel affidavit de documents énumérant des documents qui comprennent [traduction] « la partie ouverte et la partie fermée de la fiche maîtresse du médicament, les parties pertinentes de la présentation abrégée de drogue nouvelle, à savoir les parties qui ont trait au processus de fabrication en vrac de la gemcitabine utilisée par Hospira, ainsi que les modifications apportées à ces documents, et les dossiers de lot et les certificats d’analyse de la gemcitabine importée en vrac au Canada par Hospira ».

 

[5]               Selon la norme de contrôle applicable à l’ordonnance de la protonotaire sur la divulgation et la production, l’ordonnance doit être « manifestement erronée » pour que la Cour fédérale ou notre Cour puisse intervenir. C’est le cas, par exemple, lorsqu’un protonotaire exerce son pouvoir discrétionnaire sur le fondement d’un mauvais principe ou d’une mauvaise appréciation des faits. Voir Merck & Co. Inc. et al. c. Apotex Inc., 2003 CAF 488; Novopharm Limited c. Eli Lilly Canada Inc., 2008 CAF 287, aux paragraphes 52 et 57.

 

[6]               Hospira a fait valoir deux arguments devant notre Cour. Le premier est que la protonotaire a commis une erreur de principe en acceptant le témoignage d’expert du Dr. Kjell, Ph.D., un chimiste employé par Eli Lilly qui avait travaillé sur le processus de glycosylation pendant plusieurs années et qui figurait parmi les inventeurs de la réaction SN2. Hospira soutenait que le témoignage du Dr. Kjell devait être rejeté d’emblée parce qu’il était un employé d’Eli Lilly et qu’il manquait pour cette raison de l’indépendance et l’impartialité requises d’un témoin expert.

 

[7]               L’avocat de Hospira n’a cité aucune source à l’appui de sa proposition selon laquelle le manque d’indépendance d’un employé vis-à-vis de son employeur suffit à l’empêcher de donner un témoignage d’opinion pour le compte de son employeur. Rien, à ma connaissance, ne fonde une proposition aussi catégorique qui aurait des conséquences importantes.

 

[8]               Quoique les tribunaux se soient exprimés sur le fait qu’il était souhaitable que les experts soient indépendants vis-à-vis des parties et que leurs opinions soient impartiales (voir par exemple, National Justice Campania Naverai SA c. Prudential Assurance Co. Ltd. (The Ikarian Reefer), [1993] 2 Lloyd’Rep. 68, aux pages 81 et 82), il convient de distinguer l’indépendance de l’impartialité. Différentes décisions traitent de la question de l’indépendance comme d’un obstacle à l’admissibilité du témoignage d’un expert, plutôt que comme un facteur à considérer pour évaluer le poids à accorder à ce témoignage. Ces décisions sont examinées dans United City Properties c. Tong, 2010 BCSC 111. Il n’est pas nécessaire que nous tranchions cette question pour régler la présente affaire. Je dirais toutefois qu’il ressort de l’examen de bon nombre de ces décisions que l’on conteste au titre du manque d’indépendance se révèle en fait souvent être un manque d’impartialité. Le manque d’impartialité est le problème qui a donné lieu aux récentes modifications des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, auxquelles l’avocat de Hospira a fait référence.

 

[9]               Aucune des décisions invoquées par Hospira n’étaye la proposition selon laquelle le témoignage d’un expert validement qualifié doit être rejeté sur le seul fondement de son manque d’indépendance. Merck & Co c. Apotex Inc., 2004 CF 567, [2004] A.C.F. no 684, traite de la question du caractère approprié d’une ordonnance de confidentialité. Aucune décision n’a été rendue quant à l’admission ou au rejet du témoignage de l’expert. Dans Biovail Pharmaceuticals Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), 2005 CF 9, [2005] A.C.F. no 7, après avoir répété le passage souvent cité de The Ikarian Reefer, la Cour a accepté à titre de témoin expert le vice-président, Technologie pharmaceutique, de la demanderesse, en dépit des objections des défendeurs qui invoquaient les intérêts financiers du témoin dans l’issue du procès. Dans Lundbeck Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2009 CF 146, [2009] A.C.F. no 249, la Cour a rejeté la contestation de la qualité d’expert d’un certain témoin pour le motif qu’il avait témoigné vingt fois pour la même partie au cours des trente dernières années. La Cour a accepté son témoignage après avoir estimé qu’il ressortait de son contre-interrogatoire qu’il était objectif.

 

[10]           La protonotaire a apprécié le témoignage du Dr. Kjell à la lumière de son contre‑interrogatoire et de l’opinion d’expert présentée pour le compte de Hospira. On ne peut pas dire qu’elle s’est clairement trompée en se livrant à cet exercice ou qu’elle a commis une erreur lors de cet exercice.

 

[11]           Le deuxième argument de Hospira est que la protonotaire a commis une erreur en appliquant le critère de la pertinence. La protonotaire a appliqué le critère de la pertinence générale qui pose la question de savoir s’il est probable que le document nuise à la propre cause de la partie, fasse avancer la cause de la partie adverse ou soit susceptible de lancer la partie adverse dans une enquête qui pourrait aboutir à l’un ou l’autre de ces effets. S’il est probable que la divulgation d’un document aboutisse à l’un quelconque de ces résultats, il est pertinent et doit être divulgué et produit.

 

[12]           Hospira a soutenu que la présomption de véracité des documents réglementaires produits haussait la barre en ce qui concerne la question de savoir s’il était probable que les documents que cherchait à obtenir Ely Lilly feraient avancer sa cause, nuiraient à la cause de Hospira ou mèneraient à une enquête pouvant produire l’un ou l’autre de ces résultats. En fait, l’argument de Hospira concernait l’exigence qu’il soit « probable » qu’un document donne lieu à l’un de ces résultats afin d’être considéré comme pertinent. Selon Hospira, il était improbable que les documents demandés contredisent les documents réglementaires qu’elle avait produits.

 

[13]           Il est vrai que les documents réglementaires produits constituent une base pour la prise de mesures administratives et que, dans cette mesure, ils peuvent être considérés comme véridiques sauf s’il existe des raisons de penser le contraire. Cela dit, cette réalité pratique est sans conséquence dans le cadre d’une action en contrefaçon. Une partie ne peut pas s’opposer à la production de documents pour la raison que, dans un contexte réglementaire, elle a déposé des documents qui contredisent les allégations du demandeur dans une action en contrefaçon. La probabilité de la pertinence des documents demandés ne dépend pas de la bonne foi d’une partie, mais du contenu de ces documents.

 

[14]           Les dossiers de lot à la production desquels Hospira s’oppose constituent le meilleur exemple de cette proposition. Dès lors que Hospira a concédé que les dossiers de lot en question [traduction] « constitueraient une preuve directe du processus réellement utilisé par Hansen pour fabriquer la gemcitabine » (voir le deuxième paragraphe à la page 3 de l’ordonnance de la protonotaire), leur pertinence était manifeste, en dépit des documents réglementaires produits par Hospira. Quant à la portée de l’ordonnance de production, l’ordonnance de la protonotaire se limitait aux lots de gemcitabine importés au Canada et n’a pas la portée illimitée que l’avocat de Hospira lui attribue, même si cette production pourrait constituer une obligation continue.

 

[15]           Hospira s’est également opposée à la production des documents réglementaires non expurgés qu’elle a produits. Hospira soutenait que, puisque la seule chose qui intéressait Eli Lilly était une unique étape du processus de fabrication à plusieurs étapes, sa demande visant à obtenir la divulgation entière des documents réglementaires non expurgés équivalait à une recherche à l’aveuglette. Comme la protonotaire l’a fait remarquer à la page 10 de son ordonnance, [traduction] « étant donné que Lilly a réussi à établir certains motifs de mettre en doute la fiabilité de cette partie des documents réglementaires produits sur lesquels Hospira entend s’appuyer, il se peut que les autres parties des documents réglementaires produits fassent ressortir d’autres motifs de mettre en question les parties qui ont été divulguées; ils sont par conséquent pertinents ». Je ne peux affirmer que la protonotaire a commis une erreur en appliquant aux faits le principe de la pertinence générale de la manière qu’elle l’a fait. En conséquence, rien ne justifie notre intervention.

 

[16]           Je rejetterais donc l’appel avec dépens.

 

 

« J.D. Denis Pelletier »

j.c.a.

 

 

« Je suis d’accord.

            M. Nadon, j.c.a. »

 

« Je suis d’accord.

            David Stratas, j.c.a. »

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                            A-13-10

 

INTITULÉ :                                                                           HOSPIRA HEALTHCARE CORPORATION et ELI LILLY CANADA INC. et ELI LILLY AND COMPANY

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                     OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                   LE 26 OCTOBRE 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :                       LE JUGE PELLETIER.

                                                                                                LE JUGE NADON

                                                                                                LE JUGE STRATAS

 

DATE DES MOTIFS :                                                          LE 26 OCTOBRE 2010

 

COMPARUTIONS :

 

SUSAN BEAUBIEN

POUR L’APPELANTE

 

PATRICK SMITH

JOHN NORMAN

POUR LES INTIMÉES

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

MACERA & JARZYNA LLP

OTTAWA (ONTARIO)

 

POUR L’APPELANTE

 

GOWLING LAFLEUR HENDERSON LLP

OTTAWA (ONTARIO)

POUR LES INTIMÉES

 

 

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