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Cour d’appel fédérale

 

Federal Court of Appeal

 

 

Date : 20101125

 

Dossiers : A-129-09

A-135-09

A-139-09

 

Référence : 2010 CAF 320

 

CORAM :      LE JUGE NOËL

                        LE JUGE PELLETIER

                        LA JUGE TRUDEL

 

Dossier : A-129-09

 

ENTRE :

 

APOTEX INC.

 

appelante

 

et

 

LUNDBECK CANADA INC.

 

intimée

 

et

 

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

 

intimé

 

et

 

H. LUNDBECK A/S

 

            intimée

 

 

 

 

 

Dossier : A-135-09

 

ENTRE :

 

MYLAN PHARMACEUTICALS ULC

(auparavant Genpharm ULC)

 

appelante

 

et

 

LUNDBECK CANADA INC.

 

intimée

 

et

 

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

 

intimé

 

et

 

H. LUNDBECK A/S

 

            intimée

 

 

Dossier : A-139-09

 

ENTRE :

 

COBALT PHARMACEUTICALS INC.

 

appelante

 

et

 

LUNDBECK CANADA INC., H. LUNDBECK A/S

et LE MINISTRE DE LA SANTÉ

 

intimés

 

 

 

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 14 septembre 2010.

 

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 25 novembre 2010.

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                      LE JUGE NOËL

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                       LE JUGE PELLETIER

LA JUGE TRUDEL

 


Cour d’appel fédérale

 

Federal Court of Appeal

 

 

 

Date : 20101125

 

Dossiers : A-129-09

A-135-09

A-139-09

 

Référence : 2010 CAF 320

 

CORAM :      LE JUGE NOËL

                        LE JUGE PELLETIER

                        LA JUGE TRUDEL

 

Dossier : A-129-09

 

ENTRE :

 

APOTEX INC.

 

appelante

 

et

 

LUNDBECK CANADA INC.

 

intimée

 

et

 

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

 

intimé

 

et

 

H. LUNDBECK A/S

 

            intimée

 

 

 

 

 

 

 

 

Dossier : A-135-09

 

ENTRE :

 

MYLAN PHARMACEUTICALS ULC

(auparavant Genpharm ULC)

 

appelante

 

et

 

LUNDBECK CANADA INC.

 

intimée

 

et

 

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

 

intimé

 

et

 

H. LUNDBECK A/S

 

            intimée

 

 

Dossier : A-139-09

 

ENTRE :

 

COBALT PHARMACEUTICALS INC.

 

appelante

 

et

 

LUNDBECK CANADA INC., H. LUNDBECK A/S

et LE MINISTRE DE LA SANTÉ

 

intimés

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

LE JUGE NOËL

[1]               Il s’agit de trois appels de jugements dans lesquels le juge Harrington de la Cour fédérale (le juge de première instance) a accueilli les demandes qu’a présentées Lundbeck Canada Inc. (l’intimée ou Lundbeck) en vue d’interdire au ministre de la Santé (le ministre) de délivrer un avis de conformité (AC) à Apotex Inc. (Apotex), Mylan Pharmaceuticals ULC, auparavant Genpharm ULC (Genpharm), et Cobalt Pharmaceuticals Inc. (Cobalt) (collectivement les appelantes), conformément à l’article 6 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133, à l’égard de la version générique du médicament de chacune des appelantes qui contient de l’escitalopram destiné à être utilisé comme antidépresseur, jusqu’à l’expiration du brevet canadien no 1,339,452 (le brevet 452).

 

[2]               Les demandes portées devant la Cour fédérale ont été entendues consécutivement au cours d’une période de trois semaines allant du 1er décembre au 18 décembre 2008. Bien qu’elles n’aient pas été réunies, le juge de première instance a décidé de les trancher dans un seul et même jeu de motifs. Les motifs qui suivent s’appliquent à chacun des trois appels.

 

[3]               La question à trancher dans les trois appels est de savoir si le juge de première instance a eu raison de conclure que les allégations d’invalidité respectives des appelantes au sujet du brevet 452 n’étaient pas justifiées et que, en conséquence, celles-ci n’avaient pas réussi à prouver que leur version générique de l’escitalopram ne violerait pas ce brevet. Pour les motifs exposés ci‑après, je suis d’avis que les appels devraient être rejetés.

 

LES FAITS

[4]               Apotex, Genpharm et Cobalt ont déposé un avis d’allégation (AA) les 20 avril, 23 janvier et 18 juin 2007 respectivement et y ont formulé un certain nombre d’allégations, dont certaines sont communes et d’autres sont propres à chacune d’elles. Au cœur de chaque AA est l’allégation que le brevet 452 est un brevet de sélection invalide et l’invention alléguée était à la fois évidente et antériorisée. De plus, le brevet 452 ne porterait pas sur une invention utile, ne permettrait pas de prédire de façon valable l’invention (Apotex), fournirait des renseignements insuffisants (Apotex, Genpharm et Cobalt) et serait ambigu (Apotex et Genpharm).

 

[5]               Intitulé « Enantiomères du citalopram et de ses dérivés », le brevet 452 a été demandé en juin 1989 par l’intimée, sur le fondement d’une date de priorité britannique fixée au mois de juin 1988. Le brevet a été délivré en 1997 et il expire en 2014. Il revendique l’escitalopram à titre d’antidépresseur utile et comporte une description de deux méthodes permettant de l’obtenir.

 

[6]               Les revendications en litige sont les revendications 1 et 3, ainsi que la revendication 5, dans la mesure où elle dépend de la revendication 3 :

[TRADUCTION]

- 1 -

Un composé retenu à partir de (+)-1-(3-diméthylaminopropyl)-1-(4-fluorophényl)-1, 3-dihydroisobenzofuran-5-carbonitrite essentiellement pur et ses sels d’addition acides non toxiques.

 

[…]

 

- 3 -

Une formulation pharmaceutique sous une forme posologique unitaire utile comme antidépresseur comprenant un diluant ou un adjuvant pharmaceutiquement acceptable et, en tant qu’ingrédient actif, une quantité efficace du composé défini dans la revendication 1.

 

[…]

 

- 5 -

Une formulation pharmaceutique sous une forme posologique unitaire, utile comme antidépresseur selon la revendication 3 ou 4, dans laquelle la quantité de l’ingrédient actif présent varie de 0,1 à 100 milligrammes par dose unitaire.

 

 

[7]               Il convient également de reproduire la revendication 2 :

[TRADUCTION]

 

Un composé énuméré à la revendication 1, le sel acide pamoïque du (+)-1-(3-dimethylaminopropyl)-1-(4-fluorophenyl-1, 3-dihydroisobenzofuran-5-carbonitrile.

 

 

[8]               Dans le brevet 452, il est mentionné que le citalopram a été divulgué dans le brevet américain no 4,136,193 (brevet américain 193), lequel est maintenant expiré. Le brevet américain 193 divulguait une formule qui peut produire quelques centaines de composés ; le citalopram y a été expressément revendiqué comme antidépresseur utile.

 

[9]               Il appert également du brevet 452 qu’un précurseur du citalopram, un diol, a été divulgué dans le brevet américain no 4,650,884 (brevet américain 884), déposé en août 1985 et intitulé « Nouvel intermédiaire et nouvelle méthode de préparation ».

 

[10]           Le juge de première instance a présenté un résumé utile des concepts chimiques pertinents ; ce résumé n’est pas contesté par les parties (Motifs, paragraphes 22 à 28). Selon ce résumé, le composé chimique en cause dans la présente affaire, l’escitalopram, est l’un des deux énantiomères du citalopram, qui est un mélange racémique. L’escitalopram est également connu comme le citalopram (+) et le S-citalopram.

 

[11]           Les molécules ayant pour centre un atome de carbone. tel le composé en espèce, présentent une structure tridimensionnelle. Si cet atome de carbone est lié à quatre atomes différents ou groupes d’atomes (comme dans le cas qui nous concerne), la molécule est décrite comme ayant un centre asymétrique. Ces composés chimiques sont identiques mais ils existent sous deux formes spatiales appelées « énantiomères », qui sont non superposables et des images spéculaires l’une de l’autre. Ces molécules asymétriques sont dites « chirales », du mot grec qui signifie main, puisque la main gauche est l’image spéculaire de la main droite et vice versa, et qu’on ne peut pas superposer les deux mains. Lors de la synthèse d’une molécule présentant ces caractéristiques, on obtient un mélange égal des deux énantiomères. Ce mélange est appelé « mélange racémique » ou « racémate ».

 

[12]           Dans le cas d’un médicament qui est un racémate, bien que leur formule moléculaire soit la même, les deux énantiomères peuvent interagir différemment dans le corps humain. À l’instar de l’analogie de la clé et de la serrure, le racémate et chacun de ses énantiomères peuvent réagir de différentes façons avec des biomolécules dans l’organisme humain; par conséquent, ils peuvent avoir des propriétés pharmacologiques qui leurs sont propres.

 

[13]           En raison de leur formule chimique identique, deux types de nomenclatures non apparentés s’appliquent pour identifier les énantiomères. La première nomenclature dépend du sens dans lequel l’énantiomère fait tourner le plan de la lumière polarisée. Si le plan est tourné dans le sens horaire, l’énantiomère est dit (+), d ou dextrogyre; si le plan est tourné dans le sens antihoraire, l’énantiomère est dit (-), 1 ou lévogyre. L’escitalopram est l’énantiomère (+) du citalopram; il fait tourner le plan de polarisation de la lumière dans le sens horaire. Étant donné qu’un racémate est un mélange de deux énantiomères faisant tourner la lumière polarisée dans des directions opposées, il est représenté par (+/-).

 

[14]           La seconde nomenclature est la convention Cahn-Ingold-Prelog, qui précise la configuration absolue. Les substituants situés autour du centre chiral sont évalués selon leur « taille », soit selon leur numéro atomique. Si la rotation du substituant ayant le numéro atomique le plus grand au substituant ayant le numéro atomique le plus petit se fait dans le sens horaire, on dit que l’énantiomère est rectus ou R. Si la rotation se fait dans le sens antihoraire, l’énantiomère est sinister ou S. Un racémate porte une désignation (R, S). L’escitalopram  est l’énantiomère S du citalopram.

 

[15]           Le résumé qui précède est tiré du témoignage d’expert du professeur Davies, qui a témoigné pour Lundbeck dans les trois instances, et de celui de M. Newton, qui a témoigné pour Genpharm et Cobalt dans leurs instances respectives (Motifs, paragraphe 28). Les parties ont fait appel à sept autres experts : le professeur Clark a témoigné pour Lundbeck dans les trois instances, M. Keana, M. McClelland et le professeur Ward ont témoigné pour Apotex, le professeur Chong et M. Collicott ont comparu pour Genpharm et M. Kissinger a comparu pour Cobalt.

 

[16]           Chaque expert a donné son opinion sur les racémates, sur leurs méthodes de séparation et le degré de difficulté que ce processus peut comporter (Motifs, paragraphes 63 à 72). En bout de ligne, le juge de première instance a conclu qu’il y avait lieu d’accorder préférence à l’opinion des professeurs Davies et Clark, qui ont témoigné pour Lundbeck dans les trois instances.

 

LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES

[17]           Compte tenu de la date à laquelle le brevet 452 a été demandé, la version de la Loi sur les brevets, L.R.C. 1985, ch. P-4 (la Loi sur les brevets), qui était en vigueur avant le 1er octobre 1989 s’applique. Le mot « invention » est défini comme suit à l’article 2 :

 

Toute réalisation, tout procédé, toute machine, fabrication ou composition de matières, ainsi que tout perfectionnement de l'un d'eux, présentant le caractère de la nouveauté et de l'utilité.

 

… any new and useful art, process, machine, manufacture or composition of matter, or any new and useful improvement in any art, process, machine, manufacture or composition of matter;

 

[18]           Le paragraphe 27(1), qui concerne la divulgation, se lit comme suit:

 

Sous réserve des autres dispositions du présent article, l’auteur de toute invention ou le représentant légal de l’auteur d’une invention peut, sur présentation au commissaire d’une compétition exposant les faits, appelée dans la présente loi le « dépôt de la demande », et en se conformant à toutes les autres prescriptions de la présente loi, obtenir un brevet qui lui accorde l’exclusive propriété d’une invention qui n’était pas :

 

a) connue ou utilisée par une autre personne avant que lui-même l’ait faite;

 

b) décrite dans un brevet ou dans une publication imprimée au Canada ou dans tout autre pays plus de deux ans avant la présentation de la pétition ci-après mentionnée;

 

c) en usage public ou en vente au Canada plus de deux ans avant le dépôt de sa demande au Canada.

 

Subject to this section, any inventor or legal representative of an inventor of an invention that was

 

(a) not known or used by any other person before he invented it,

 

(b) not described in any patent or in any publication printed in Canada or in any other country more than two years before presentation of the petition hereunder mentioned, and

(c) not in public use or on sale in Canada for more than two years prior to his application in Canada,

 

may, on presentation to the Commissioner of a petition setting out the facts, in this Act termed the filing of the application, and on compliance with all other requirements of this Act, obtain a patent granting to him an exclusive property in the invention.

 

 

[19]           Le paragraphe 34(1), qui porte sur le mémoire descriptif, est ainsi libellé :

 

Dans le mémoire descriptif, le demandeur :

 

a) décrit d’une façon exacte et complète l’invention et son application ou exploitation, telles que les a conçues l’inventeur;

 

b) expose clairement les diverses phases d’un procédé, ou le mode de construction, de confection, de composition ou d’utilisation d’une machine, d’un objet manufacturé ou d’un composé de matières, dans des termes complets, clairs, concis et exacts qui permettent à toute personne versée dans l’art ou la science dont relève l’invention, ou dans l’art ou la science qui s’en rapproche le plus, de confectionner, construire, composer ou utiliser l’objet de l’invention;

 

[…]

An application shall in the specification of the invention

 

(a) correctly and fully describe the invention and its operation or use as contemplated by the inventor;

 

(b) set out clearly the various steps in a process, or the method of constructing, making, compounding or using a machine, manufacture or composition of matter, in such full, clear, concise and exact terms as to enable any person skilled in the art or science to which it pertains, or with which it is mostly closely connected, to make, construct, compound or use it;

 

 

LA DÉCISION DE LA COUR FÉDÉRALE

[20]           Bien qu’il ait été saisi de demandes distinctes, le juge de première instance a décidé de rendre un seul jeu de motifs. Il a expliqué que les avocats des appelantes avaient été invités à assister aux trois audiences, que des mémoires des faits et du droit avaient été échangés dans les trois demandes et que celles-ci comportaient beaucoup plus d’aspects identiques que d’aspects distinctifs (Motifs, paragraphe 20). Il a ajouté qu’il préciserait les distinctions pertinentes, le cas échéant, dans ses motifs (Motifs, paragraphe 21).

 

[21]           Le juge de première instance a souligné au début de son analyse que l’interprétation du brevet était au coeur du litige et a exposé les principes applicables énoncés par la Cour suprême du Canada dans Free World Trust c.  Électro Santé Inc., 2000 CSC 66, [2000] 2 R.C.S. 1024 [Free World Trust], et Whirlpool Corp. c. Camco Inc., 2000 CSC 67, [2000] 2 R.C.S. 1067.

 

[22]           Selon le juge de première instance, l’invention divulguée dans le brevet 452 porte sur les deux nouveaux énantiomères du citalopram, y compris leurs sels pharmaceutiquement acceptables et leur utilisation comme antidépresseurs. Il est également mentionné dans le brevet 452 que les tentatives antérieures de séparation du citalopram, lesquelles avaient été précédemment divulguées dans le brevet américain 193, avaient échoué et que l’on a découvert qu’un précurseur du citalopram, un diol divulgué dans le brevet américain 884, pouvait être séparé en ses énantiomères et, de manière stéréosélective, converti en énantiomère du citalopram. Le brevet 452 comporte une description de deux méthodes permettant d’obtenir l’escitalopram (Motifs, paragraphe 41).

 

[23]           En ce qui concerne la question du brevet de sélection, il s’agissait de savoir si l’escitalopram procurait un avantage spécial ou inattendu par rapport au citalopram (Motifs, paragraphe 37). Le juge de première instance a conclu qu’au mieux, l’escitalopram était environ 1,6 fois plus puissant que le citalopram, ce qui n’était pas suffisamment inattendu pour tenir lieu de fondement à un brevet de sélection, « puisqu’il est possible qu’une grande partie, et de fait, parfois l’ensemble, de l’activité biologique désirée du mélange racémique réside dans un énantiomère plutôt que l’autre ». (Motifs, paragraphe 43). Le juge a donc conclu que, si le brevet 452 était un brevet de sélection, il était invalide.

 

[24]           Cependant, le juge de première instance a conclu que le brevet 452 n’était pas un brevet de sélection. À son avis, il s’agissait plutôt d’un brevet relatif à une nouvelle substance, soit l’escitalopram essentiellement pur. Il en est arrivé à cette conclusion en se fondant sur le fait que ce composé particulier n’avait pas été divulgué, et encore moins revendiqué, dans les brevets américains 193 ou 884 (Motifs, paragraphe 42). Pour tirer cette conclusion, le juge de première instance a rejeté l’argument selon lequel la revendication d’un racémate dans un brevet vaut automatiquement revendication et divulgation de ses deux énantiomères (Motifs, paragraphe 47).

 

[25]           En ce qui concerne l’antériorité, le juge de première instance a décidé, après avoir passé la preuve en revue, que les documents produits par les appelantes, y compris les brevets antérieurs, ne divulguaient pas l’escitalopram à titre d’antidépresseur utile et ne pouvaient donc pas constituer le fondement d’une allégation d’antériorité découlant de la divulgation antérieure. Même si le destinataire versé dans l’art savait que le citalopram comportait deux énantiomères et qu’il ne serait peut-être pas surprenant que l’un puisse être plus actif que l’autre, il était impossible de connaître les qualités des deux énantiomères sans les séparer et les tester (Motifs, paragraphes 50 à 52).

 

[26]           Lorsqu’il a examiné la question de l’évidence, le juge de première instance a appliqué la démarche en quatre étapes que la Cour suprême du Canada a décrite dans Apotex Inc. c. Sanofi‑Synthelabo Canada Inc., 2008 CSC 61, [2008] 3 R.C.S. 265 [Sanofi]. D’abord, il a conclu que le destinataire versé dans l’art était « une équipe constituée autour d’un chimiste médical qui est secondé par des collaborateurs possédant d’autres ensembles de compétences tels que des chimistes analystes et des psychiatres » et qu’« une connaissance théorique et une expérience pratique des méthodes de séparation de racémates sont essentielles » (Motifs, paragraphes 36 et 53 à 58).

 

[27]           Passant à la deuxième étape, le juge de première instance a souligné que l’interprétation des revendications pertinentes ne posait aucune difficulté : la revendication 1 portait sur l’escitalopram essentiellement pur et ses sels d’addition acides non toxiques, la revendication 3 portait sur une composition chimique sous forme posologique unitaire jouant un rôle d’antidépresseur ; et la revendication 5 portait sur une forme posologique unitaire dans laquelle la quantité d’ingrédient actif varie entre 0,1 et 100 milligrammes par dose unitaire. Il a ajouté que le brevet 452 n’indiquait pas que l’escitalopram était meilleur que le citalopram (Motifs, paragraphe 59).

 

[28]           Pour ce qui est de la différence entre l’antériorité et le concept inventif sous-jacent au brevet 452, le juge de première instance a conclu que l’antériorité divulguait l’utilité du citalopram comme antidépresseur, mais qu’elle ne divulguait pas ses deux énantiomères ni ne prévoyait que l’un d’eux puisse servir d’antidépresseur. Il a conclu que l’étape inventive résidait dans la séparation du citalopram en quantité suffisante pour permettre l’analyse mentionnée dans le brevet; en l’absence de cette séparation, il était impossible de déterminer l’utilité des énantiomères (Motifs, paragraphe 60).

 

[29]           Lors de la quatrième étape, qui portait sur la question de savoir si l’invention revendiquée était évidente aux yeux du destinataire versé dans l’art, le juge de première instance, après avoir passé en revue le témoignage des experts, a examiné les méthodes qui étaient disponibles en 1988 pour séparer le citalopram, la méthode qu’a employée Lundbeck à cette fin et l’allégation selon laquelle l’antériorité divulguait cette séparation (Motifs, paragraphes 63 à 74). Il a d’abord souligné que la motivation n’a pas été d’un grand secours en l’espèce (Motifs, paragraphes 79 à 83). En ce qui a trait à la séparation du citalopram ou de son précurseur (le diol, qui est un racémate), le juge de première instance a décrit les deux mécanismes qui permettaient de séparer le citalopram à la date de la revendication : la méthode classique de cristallisation fractionnée et le HPLC (chromatographie liquide à haute performance) chiral (Motifs, paragraphes 84 à 88). Plus loin, le juge de première instance a mentionné la recherche que Lundbeck a menée sur une période de huit ans pour séparer le citalopram (Motifs, paragraphes 90 à 102). Il a conclu qu’il n’était pas évident de tenter de séparer le citalopram et que, en tout état de cause, il n’allait certainement pas de soi que les tentatives allaient aboutir (Motifs, paragraphe 103).

 

[30]           Le juge de première instance a ajouté qu’une étape inventive était nécessaire pour séparer le citalopram, de sorte que l’allégation d’évidence n’avait pas été établie (Motifs, paragraphe 124).

 

[31]           Le juge de première instance s’est ensuite attardé à l’argument de Genpharm, qui soutenait que l’escitalopram était antériorisé au motif que l’organisme humain séparait lui-même le citalopram en ses deux énantiomères. Selon Genpharm, l’ingestion de citalopram conformément aux brevets américains 193 et 884 donnait lieu à la production d’escitalopram dans l’organisme. Genpharm a formulé cette proposition en se fondant sur l’arrêt de la Chambre des lords dans Merrell Dow Pharmaceuticals Inc. c. HN Norton and Co. Ltd., [1995] UKHL 14, [1996] RPC 76 [Merrell Dow] (Motifs, paragraphes 125 à 128).

 

[32]           Après avoir fait une distinction entre la situation de l’arrêt Merrell Dow et la présente affaire, le juge de première instance a décidé que l’argument de Genpharm selon lequel l’organisme humain sépare le citalopram en escitalopram essentiellement pur reposait sur de la conjecture (Motifs, paragraphe 129).

 

[33]           Le juge de première instance a ensuite commenté l’allégation de Genpharm selon laquelle la revendication 1 était ambiguë parce que l’expression « escitalopram essentiellement pur » n’y était pas définie. De l’avis du juge, il n’y avait aucune ambiguïté, étant donné que les exemples fournis indiquaient une pureté de plus de 99 p. 100 et que, selon un expert, les mots « essentiellement pur » signifiaient pur à au moins 95 p. 100, puisque les méthodes courantes de mesure de la pureté ne peuvent déceler les impuretés que si elles sont présentes à un taux supérieur à 5 p. 100 (Motifs, paragraphe 130). Le juge de première instance a également rejeté la suggestion d’Apotex selon laquelle les désignations +/- utilisées étaient ambiguës parce que différents solvants pouvaient faire tourner la lumière dans différentes directions, ce qui aurait pour effet de modifier la désignation en question. Le juge a souligné que les solvants qui devaient être utilisés avaient été décrits de manière détaillée dans le brevet (Motifs, paragraphe 131).

 

[34]           De plus, le juge de première instance a rejeté l’argument d’Apotex selon lequel le brevet 452 n’énonçait pas une prédiction valable d’utilité, puisqu’il reposait sur des études menées sur des rongeurs. Selon le juge de première instance, les essais réalisés sur des rongeurs, laquelle méthode avait également été utilisée pour le citalopram, permettaient valablement de prédire que l’escitalopram serait un antidépresseur utile pour l’humain. Le juge de première instance a conclu que « [l]’utilité était promise, l’utilité était prédite et l’utilité a été démontrée » (Motifs, paragraphe 134).

 

[35]           En dernier lieu, le juge de première instance a rejeté l’allégation d’Apotex selon laquelle l’escitalopram n’était pas utile parce que le sel d’acide pamoïque à la revendication 2 était toxique. Invoquant l’arrêt Burton Parsons Chemicals, Inc. c. Hewlett-Packard (Canada) Ltd., [1976] 1 R.C.S. 555, [Burton Parsons], il a conclu que le destinataire versé dans l’art n’utiliserait pas un sel toxique (Motifs, paragraphe 139).

 

LES ERREURS ALLÉGUÉES

Questions communes aux trois appelantes

Le brevet 452 est un brevet de sélection invalide

[36]           Les trois appelantes soutiennent que le brevet 452 est un brevet de sélection invalide. À leur avis, le brevet 452 est un brevet de sélection, parce que l’escitalopram a été divulgué dans le brevet américain 193, dans lequel le citalopram et son utilisation à titre d’antidépresseur ont été revendiqués. Bien qu’elles aient formulé leur argument de façon différente, Apotex et Genpharm font toutes les deux valoir que le juge de première instance a mal compris et mal appliqué les règles de droit relatives aux brevets de sélection en exigeant une divulgation antérieure permettant de réaliser l’invention ou une revendication de l’escitalopram pour qu’il soit possible de considérer le brevet 452 comme un brevet de sélection.

 

[37]           Invoquant principalement le jugement que la Cour suprême du Canada a rendu dans Sanofi, les appelantes affirment que les tribunaux ont considéré les brevets relatifs aux énantiomères comme des brevets de sélection même si les énantiomères n’étaient pas antériorisés. Elles citent également le jugement que cette Cour a rendu dans Pfizer Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2008 CAF 108 [Pfizer], pour démontrer que les brevets portant sur l’énantiomère d’un racémate précédemment divulgué ont été considérés comme des brevets de sélection. Les décisions qu’a rendues la Cour fédérale dans Janssen‑Ortho Inc. c. Novapharm Ltd., 2004 CF 1631 [Janssen-Ortho I], et Janssen-Ortho Inc. c. Novapharm Ltd., 2006 CF 1234 [Janssen-Ortho II] sont également mentionnées.

 

[38]           Pour sa part, Genpharm insiste sur le fait que, dans le brevet 452, l’escitalopram est décrit comme une [traduction] « découverte étonnante ». Selon Genpharm, la « surprise » constitue la « qualité spéciale » qui confirmerait que l’escitalopram a été sélectionné à partir du citalopram.

 

[39]           Apotex reproche au juge de première instance d’avoir commis une erreur en interprétant les revendications énoncées dans le brevet américain 193 du point de vue d’un avocat spécialisé en brevets. En remarquant qu’il serait peu avisé de rédiger le brevet américain 193 de façon à ce qu’il couvre des composés non testés, parce que le brevet pourrait ainsi être contesté au motif qu’il revendique plus que nécessaire, le juge de première instance a examiné la question sous l’angle du rédacteur de brevets plutôt que sous l’angle d’une personne dotée de compétences usuelles dans l’art et s’est posé des questions qu’il ne pouvait se poser dans le cadre de l’interprétation du brevet.

 

[40]           Apotex fait valoir qu’en décrivant l’objet du brevet américain 193 au moyen d’une formule chimique sans faire mention de données optiques, le rédacteur voulait englober tous les composés comportant la même formule chimique : le racémate, le R-citalopram et le S-citalopram. Il s’ensuit que le brevet américain 193 divulgue et revendique l’escitalopram.

 

Antériorité

[41]           Les trois appelantes soutiennent que l’escitalopram a été antériorisé par le brevet américain 193. Selon Apotex, l’escitalopram est formé « toujours », « inévitablement » et « sans possibilité d’erreur » dès la fabrication de citalopram et le juge de première instance en est arrivé à cette conclusion lorsqu’il a souligné que quiconque produirait de l’escitalopram contreferait le brevet américain 193 (Motifs, paragraphe 83). Genpharm invoque également ce passage.

 

[42]           Pour sa part, Cobalt fait valoir que la conclusion du juge de première instance selon laquelle le brevet américain 193 ne divulguait pas les énantiomères du citalopram est incompatible avec sa conclusion portant qu’un étudiant de premier cycle en chimie organique aurait su que le citalopram comportait deux énantiomères. Étant donné que la personne versée dans l’art lirait le brevet dans l’intention de le comprendre, Cobalt allègue que les brevets américains 193 et 884 ont divulgué les deux énantiomères du citalopram et en ont permis l’obtention.

 

[43]           Genpharm soutient que l’escitalopram a été antériorisé, parce que les deux brevets américains 193 et 884 prévoyaient l’ingestion de citalopram, laquelle devait mener à la production d’escitalopram essentiellement pur dans l’organisme. De l’avis de Genpharm, le juge de première instance a eu tort de rejeter la preuve présentée sur ce point à titre de « pure conjecture » sans l’analyser.

 

Questions communes à Genpharm et à Cobalt

Évidence

[44]           En ce qui concerne l’évidence, Genpharm fait valoir qu’il n’y avait pas de différence entre l’état de la technique et le brevet 452. Plus précisément, elle affirme que, étant donné que les brevets américains 193 et 884 divulguaient à la personne versée dans l’art le citalopram et ses deux énantiomères et que l’utilité de ceux-ci à titre d’antidépresseurs était connue, le brevet 452 n’ajoute rien aux connaissances actuelles. En tout état de cause, il était plus ou moins évident que l’essai serait fructueux.

 

[45]           Genpharm ajoute que le juge de première instance a commis une erreur en présumant qu’une quantité de 100 milligrammes d’escitalopram était nécessaire pour les essais. Pour ce qui est de la séparation du citalopram au moyen de la méthode HPLC chirale, Genpharm fait valoir que le juge de première instance a commis une erreur manifeste et dominante en concluant que l’utilisation de colonnes analytiques n’aurait pas permis d’obtenir une quantité suffisante de matière aux fins de la détection et des tests biologiques requis par le brevet 452. Genpharm ajoute qu’il aurait été évident en 1988 d’utiliser le diol intermédiaire, divulgué dans le brevet américain 884, pour obtenir de l’escitalopram essentiellement pur.

 

[46]           Quant à la conclusion du juge de première instance selon laquelle les experts ont bénéficié de données rétrospectives pour former leur opinion, Genpharm souligne que le juge n’a pas fait la distinction entre la rétrospection inévitable et celle qui n’est pas permise. Elle ajoute que, en raison des U.S. Food and Drug Administration 1987 Guidelines (les lignes directrices de 1987 de la FDA), les sociétés pharmaceutiques ont été incitées à séparer les racémates afin d’obtenir des renseignements sur les propriétés des énantiomères. Enfin, Genpharm soutient que M. Bøgesø, le coinventeur du citalopram, avait des préjugés qui l’ont empêché de séparer rapidement le citalopram et que la personne versée dans l’art n’aurait pas de préjugé de cette nature.

 

[47]           Cobalt ajoute qu’il était évident pour Lundbeck de séparer le citalopram, puisque le citalopram et ses énantiomères étaient connus de la personne versée dans l’art, tout comme leur utilisation à titre d’antidépresseur. L’obtention de l’escitalopram devait donc aller de soi pour Lundbeck et la tentative avait de bonnes chances de réussir.

 

L’équité procédurale et le caractère insuffisant des motifs

[48]           Genpharm et Cobalt reprochent au juge de première instance d’avoir commis une erreur en utilisant des éléments de preuve qui n’avaient pas été présentés dans leur instance respective et en rendant un seul jeu de motifs pour trois affaires différentes.

 

[49]           De l’avis de Genpharm, le juge de première instance ne donne pas suffisamment de précisions sur les conclusions précises qu’il a tirées au sujet de Genpharm en ce qui a trait à l’antériorité et à l’évidence. Selon Genpharm, cette lacune [traduction] « rend impossible toute révision significative et l’empêche de plaider correctement son appel » (mémoire des faits et du droit de Genpharm, paragraphe 48).

 

[50]           Cobalt ajoute que, étant donné que Lundbeck a eu accès aux documents produits dans les trois instances et qu’elle a formulé des observations dans lesquelles elle a comparé les éléments de preuve, elle a bénéficié d’un avantage stratégique qui a nui à Cobalt.

 

Questions propres à Apotex

Prédiction valable

[51]           Apotex soutient que l’utilité de l’escitalopram n’a pas été prévue de façon valable. Plus précisément, [traduction] « le brevet 452 ne comportait aucun élément permettant de mettre en corrélation la capacité du citalopram d’entraîner des modifications de la fonction motrice chez les souris et des effets sur les cellules du cerveau chez le rat avec son effet antidépresseur clinique chez l’humain » (mémoire des faits et du droit d’Apotex, paragraphe 68). De l’avis d’Apotex, sans ces données corrélationnelles, il n’y a aucun fondement factuel pour établir une prédiction valable.

 

[52]           Apotex ajoute que l’invention du brevet 452 n’est pas utile, parce qu’elle se rapporte à un sel pamoïque dont Lundbeck a admis la toxicité dans une demande de brevet en 2004. De plus, elle ajoute que le juge de première instance a commis une erreur en interprétant la revendication 1 du brevet 452 comme une revendication excluant ce sel, parce qu’il aurait été évident aux yeux de la personne versée dans l’art qu’il ne fallait pas utiliser un sel toxique. Selon Apotex, le rôle du juge de première instance était de déterminer comment la personne versée dans l’art interpréterait les mots de la revendication 1 « sels d’addition acides non toxiques » à la date de délivrance du brevet 452. Apotex soutient que le juge de première instance a commis une erreur quant à la façon dont il a interprété la revendication 1.

 

Ambiguïté

[53]           Apotex allègue que le brevet 452 n’enseigne pas à la personne versée dans l’art comment utiliser les solvants pour obtenir de l’escitalopram. En raison de cette absence d’indication, il n’est pas permis de dire que le brevet a été défini dans des termes « complets, clairs, concis et exacts » (article 34 de la Loi sur les brevets).

 

Caractère insuffisant de la divulgation

[54]           En dernier lieu, Apotex soutient que la divulgation du brevet 452 est insuffisante, parce qu’elle propose une fausse piste en ce qui a trait à l’administration d’escitalopram chez l’être humain et que le juge de première instance [traduction] « a cru que l’allégation d’Apotex devait être formulée en application de l’article 53 de la Loi sur les brevets » plutôt que de l’article 34 (mémoire des faits et du droit d’Apotex, paragraphe 90). De l’avis d’Apotex, si le questionnement approprié avait été mené, l’allégation relative au caractère insuffisant de la divulgation aurait été justifiée.

 

ANALYSE ET DÉCISION

[55]           Avant d’entreprendre l’analyse, il est utile de rappeler que les questions de droit doivent être tranchées selon la norme de la décision correcte et que les conclusions de fait ne peuvent être infirmées en l’absence d’une erreur manifeste et dominante (Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235). La détermination des exigences juridiques relatives à l’existence d’un brevet de sélection ainsi que l’interprétation des revendications pertinentes des brevets qu’a examinées le juge de première instance donnent lieu à des questions de droit. La plupart des autres questions sont des questions de fait.

 

[56]           Les appelantes réitèrent essentiellement en appel les arguments qu’elles ont invoqués devant le juge de première instance. La plupart de ces questions sont commentées dans les motifs qui suivent. Dans le cas de celles qui ne le sont pas, je souscris aux motifs que le juge de première instance a invoqués pour les trancher.

 

 

Brevet de sélection

[57]           La question du brevet de sélection, qui a une importance vitale pour la cause de chacune des appelantes, se présente en termes simples : les appelantes soutiennent que le brevet 452 est un brevet de sélection et que, puisque le juge de première instance a conclu que le composé sélectionné ne comportait aucun avantage spécial, le brevet est invalide.

 

[58]           Le juge de première instance a conclu que le brevet 452 n’était pas un brevet de sélection parce que, à son avis, l’escitalopram était un composé original qui n’avait pas été sélectionné à partir d’un composé précédemment breveté. Il a donc mené son analyse sur la base que le brevet 452 était un brevet ordinaire portant sur un composé original; ayant conclu que ce composé était à la fois nouveau et utile (voir la définition du mot « invention » à l’article 2 de la Loi sur les brevets), il a jugé que le brevet était valide. Au même moment, il a mentionné clairement que l’utilité revendiquée à l’égard de l’escitalopram n’était pas supérieure à celle du citalopram, de sorte que l’invention décrite dans la revendication ne procurait aucun avantage spécial par rapport au citalopram.

 

[59]           La question de savoir si le brevet 452 est un « brevet de sélection » dépend du sens juridique à donner à ces mots. L’expression « brevet de sélection » ne figure pas dans la Loi sur les brevets. Cependant, dans l’arrêt Sanofi, la Cour suprême du Canada a décidé suivant le courant jurisprudentiel s’inscrivant dans la foulée de l’arrêt I. G. Farbenindustrie A. G.’s Patents (1930), 47 R.P.C. 289 (Ch. D.) [Farbenindustrie], que l’existence d’un système de brevets de genre et de sélection est acceptable en principe sous le régime de la Loi sur les brevets. La Cour suprême cite la décision Farbenindustrie pour délimiter les brevets devant être considérés comme des brevets de sélection (Sanofi, paragraphe 9) :

 

La description classique du brevet de sélection figure dans l’arrêt [Farbenindustrie], où le juge Maugham explique à la p. 321 que les brevets portant sur des produits chimiques (dont bien sûr les composés pharmaceutiques) se divisent souvent en deux [traduction] « catégories nettement distinctes ». La première, celle des brevets d’origine, formée des brevets protégeant une invention source, à savoir la découverte d’une nouvelle réaction ou d’un nouveau composé. La seconde catégorie, celle des brevets visant une sélection des composés décrits en termes généraux et revendiqués dans le brevet d’origine. Le juge Maugham précise que les composés sélectionnés ne doivent pas avoir été réalisés auparavant, sinon le brevet de sélection [traduction] « ne satisfait pas à l’exigence de nouveauté ». Cependant, le composé sélectionné qui est « nouveau » et qui « possède une propriété particulière imprévue » remplit l’exigence de l’étape inventive. Le juge Maugham ajoute à la p. 322 que le brevet de sélection [traduction] « ne diffère pas en soi de tout autre brevet ».

 

[non souligné dans l’original]

 

 

[60]           En reconnaissant que l’existence d’un système de brevets de genre et de sélection était admise en droit canadien, la Cour suprême du Canada a expliqué que cette admission allait de pair avec la Loi sur les brevets (Sanofi, paragraphe 31) :

 

Le paragraphe 27(1) de la Loi dispose qu’un brevet ne peut être délivré que pour une invention qui n’était pas « connue ou utilisée » ni « décrite » dans un brevet ou une publication plus de deux ans avant la demande. Se prononçant dans le contexte des brevets de genre et de sélection, lord Wilberforce a dit ce qui suit dans l’arrêt E. I. Du Pont de Nemours & Co. (Witsiepe’s) Application, [1982] F.S.R. 303 (H.L.), p. 311 :

 

[traduction] C’est l’absence de découverte des avantages particuliers, ainsi que la non-réalisation qui permettent à ces personnes de faire une invention liée à un élément de la catégorie.

 

Le composé réalisé pour les besoins du brevet de sélection n’a été que valablement prédit lors de l’obtention du brevet de genre. Il n’avait pas été réalisé et ses avantages particuliers n’étaient pas connus. C’est pourquoi on ne saurait refuser un brevet à celui qui, le premier, réalise le composé et découvre ses avantages particuliers.

 

 

[61]           Il appert de ce qui précède qu’un brevet de sélection doit être précédé d’un brevet antérieur – appelé brevet de genre ou brevet d’origine – qui, selon les remarques que le juge Maugham a formulées dans la décision Farbenindustrie, décrit en termes généraux et revendique des composés à partir desquels une sélection est faite. Le fait que la sélection soit effectuée à partir de composés qui sont décrits en termes généraux et revendiqués dans un brevet antérieur ne signifie pas nécessairement que le composé sélectionné est antériorisé (Sanofi, paragraphe 19). Tant et aussi longtemps que le composé sélectionné est nouveau – c’est-à-dire qu’il n’a pas été réalisé auparavant – et qu’il présente un avantage spécial qui lui est propre et qui n’était pas précédemment connu, l’obtention d’un brevet demeure possible (Sanofi, paragraphes 10 et 31). Cependant, aucune conclusion définitive ne peut être tirée en l’absence d’une analyse complète (Eli Lilly Canada Inc. c. Novopharm Limited, 2010 CAF 197, paragraphes 27 à 33 [Eli Lilly]). À cet égard, il convient de répéter que le brevet de sélection ne diffère pas en soi de tout autre brevet (Sanofi, paragraphe 9).

 

[62]           À la lumière de ces principes, il faut d’abord se demander si les brevets américains 193 et 884, ensemble ou séparément, décrivent en termes généraux et revendiquent des composés à partir desquels l’escitalopram a été sélectionné. À cet égard, le récent jugement que cette Cour a rendu dans Eli Lilly et au sujet duquel les parties ont présenté des observations supplémentaires n’est guère utile, étant donné qu’il a été admis que le composé en cause dans cette affaire avait été sélectionné à partir d’une catégorie de composés pour lesquels un brevet avait précédemment été obtenu (Eli Lilly, paragraphe 7).

 

[63]           Le juge de première instance a répondu à cette question par la négative. Plus précisément, il a conclu que c’est le citalopram qui était revendiqué dans le brevet américain 193 et que cette revendication n’englobait pas l’escitalopram. Apotex a fait valoir que la revendication englobait néanmoins l’escitalopram, parce que l’objet du brevet était décrit au moyen d’une formule chimique non accompagnée de données optiques permettant de faire la distinction entre le racémate et les énantiomères.

 

[64]           Cependant, le juge de première instance a décidé que la personne versée dans l’art aurait, à la date de la revendication, interprété la formule comme une formule renvoyant uniquement au composé qu’elle permet d’obtenir, c’est-à-dire seulement le racémate. Il en est arrivé à cette conclusion parce qu’aucun renseignement sur les aspects stéréochimiques n’avait été fourni. Il a donc décidé que la personne versée dans l’art n’aurait pas considéré le brevet américain 193 comme un brevet couvrant autre chose que le racémate (voir l’affidavit du professeur Davies, au paragraphe 85, dossier d’appel A-129-09, vol. 4, à la page 934; dossier d’appel A‑135‑09, vol. 4, à la page 1099; dossier d’appel A-139-09, vol. 4, à la page 1337).

 

[65]           En concluant ainsi, le juge de première instance a reconnu que la composition chimique du citalopram – et la formule chimique s’y rapportant – révélaient l’existence des énantiomères. Cependant, il a rejeté l’argument selon lequel cette composition permettait en soi de dire que les énantiomères étaient revendiqués dans le brevet américain 193. Plus précisément, il a refusé d’admettre que l’arrêt Sanofi permettait de dire que la revendication d’un racémate équivalait automatiquement la revendication des deux énantiomères de celui-ci (Motifs, paragraphe 47).

 

[66]           Cette conclusion ne m’apparaît nullement erronée. Contrairement à ce qu’Apotex a soutenu, la Cour suprême n’a pas décidé, dans Sanofi, que la revendication d’un racémate englobait automatiquement les énantiomères de celui-ci. La conclusion tirée dans Sanofi, selon laquelle le brevet de genre englobait également les énantiomères, est fondée sur les revendications 1 et 14 dudit brevet, dans lesquelles le racémate et les deux énantiomères étaient revendiquées de façon explicite (Sanofi, paragraphes 101 et 103).

 

[67]           Les appelantes ont ajouté que, compte tenu du jugement que cette Cour a rendu dans Pfizer, le brevet portant sur l’énantiomère d’un racémate précédemment divulgué peut être considéré comme un brevet de sélection. Elles ont raison. Cependant, il faut aussi tenir compte des particularités des brevets en cause. Dans Pfizer, le brevet qui a été considéré comme un brevet de sélection (le brevet 546) énonce que l’énantiomère en question faisait partie des composés précédemment revendiqués dans le brevet antérieur (de genre) (Pfizer, paragraphe 47). Aucune précision de cette nature ne figure dans le brevet 452.

 

[68]           Quant à la décision que la Cour fédérale a rendue dans Janssen-Ortho II, il importe de souligner que le juge Hughes, qui a entendu l’action en contrefaçon, n’a pas considéré le brevet en litige dans cette affaire-là comme un brevet de sélection, même si la revendication pertinente concernait l’énantiomère d’un racémate précédemment divulgué. Ce faisant, il a refusé de suivre le raisonnement appliqué dans Janssen-Ortho I, où le juge Mosley avait considéré le même brevet comme un brevet de sélection dans une instance antérieure relative à un avis de conformité. Cependant, le juge Mosley a décidé que le brevet était un brevet de sélection uniquement après avoir conclu que la personne versée dans l’art possédait sans doute les connaissances nécessaires pour séparer les deux énantiomères (Janssen-Ortho I, paragraphe 53), conclusion à laquelle le juge Hughes n’a pas souscrit à la lumière de la preuve présentée dans l’action en contrefaçon (Janssen-Ortho II, paragraphe 104).

 

[69]           Apotex ajoute que le juge de première instance a commis une erreur en disant que l’existence d’un brevet de sélection était assujettie à la condition que le composé sélectionné ait été divulgué ou revendiqué de façon explicite dans un brevet antérieur. La décision que la Section de première instance de la Cour fédérale a rendue dans Pfizer Canada Inc. c. Apotex Inc. (1997), 77 C.P.R. (3d) 547, à la page 556, est invoquée. Cependant, ce n’est pas ce qu’a fait le juge de première instance. Par définition, un brevet de sélection porte sur un composé faisant partie de ceux qui ont été revendiqués et décrits en termes généraux dans un brevet antérieur. Le juge de première instance a plutôt conclu que l’escitalopram n’était pas visé par cette description, parce qu’il ne figurait pas parmi les composés précédemment décrits et revendiqués.

 

[70]           Lorsqu’il a interprété les revendications du brevet américain 193, le juge de première instance a souligné qu’il était connu à l’époque pertinente que certains énantiomères étaient toxiques et qu’il était impossible de déterminer l’utilité de l’escitalopram sans d’abord séparer le citalopram, ce qui n’avait pas encore été fait. Après avoir mentionné qu’il pouvait être fatal de revendiquer plus que nécessaire, il a conclu que la personne versée dans l’art n’aurait pas interprété les revendications pertinentes comme couvrant les énantiomères (Motifs, paragraphe 48) :

 

[…] Si, pour revendiquer l’utilité d’un mélange racémique pour le traitement de la dépression, il faut revendiquer la même utilité pour chacun des deux énantiomères, alors, dans ces circonstances, l’inventeur aurait revendiqué plus que nécessaire et cela lui aurait été fatal. […]

 

 

[71]           La seule attaque importante à l’égard de ce raisonnement est l’argument d’Apotex selon lequel, pour en arriver à cette conclusion, le juge de première instance n’a pas interprété les revendications du point de vue de la personne versée dans l’art, mais plutôt de celui de l’agent des brevets ou de l’avocat spécialisé en brevets qui est préoccupé par le risque rattaché à la revendication des deux énantiomères.

 

[72]           La critique est justifiée. Il ne convient pas d’interpréter une revendication en tenant compte des questions liées à la validité ou à la contrefaçon. Cependant, lorsqu’on s’éloigne du point de vue du rédacteur préoccupé par les questions de validité, il n’en demeure pas moins que la personne versée dans l’art n’interpréterait pas la revendication comme une revendication englobant des composés dont l’utilité promise n’était pas connue. Après avoir conclu qu’il était impossible dans les faits de savoir, à la date de la revendication, lequel des deux énantiomères du racémate serait utile pour le traitement de la dépression, le juge de première instance a mentionné que la revendication n’allait pas au-delà du composé dont l’efficacité était connue et qui a été revendiqué de façon explicite à cette fin, soit le racémate. Bien que les appelantes s’opposent à la constatation qui sous-tend cette conclusion, le juge de première instance pouvait la faire à la lumière du dossier dont il était saisi (voir l’affidavit de M. Bøgesø, au paragraphe 24 du dossier d’appel A-129-09, vol. 2, à la page 245; dossier d’appel A-135-09, vol. 2, à la page 202; dossier d’appel A-139-09, vol. 4, à la page 1054; voir également l’affidavit du professeur Clark, dossier d’appel A-129-09, vol. 3, à la page 513; dossier d’appel A-135-09, vol. 3, à la page 464; dossier d’appel A-139-09, vol. 5, à la page 1492).

 

[73]           Genpharm a ajouté que le brevet 452 avait été rédigé par l’inventeur comme un brevet de sélection, de sorte qu’il devrait être traité comme tel. À cet égard, Genpharm souligne le texte suivant qui figure sous la rubrique « Summary of invention » (résumé de l’invention) : [traduction] « […] il a été démontré à notre surprise que la quasi-totalité [de l’activité] résidait dans [l’escitalopram] ». Le juge de première instance a qualifié ces mots d’« exagération », après avoir souligné qu’il n’y avait aucune promesse que l’escitalopram était meilleur que le citalopram (Motifs, paragraphe 59).

 

[74]           Genpharm semble soutenir, à cet égard, que puisqu’un brevet de sélection doit revendiquer un avantage particulier décrit comme une « surprise », la revendication relative à un résultat surprenant permet de dire que le brevet en cause est un brevet de sélection. Cependant, la surprise en question doit être liée à un avantage par rapport à ceux qu’offre un composé ayant déjà fait l’objet d’un brevet.

 

[75]           Dans la présente affaire, la remarque [traduction] « […] à notre surprise […] la quasi‑totalité [de l’activité] résidait dans [l’escitalopram] » ne permet pas de dire que le composé est meilleur que le citalopram comme antidépresseur. Cela explique pourquoi le brevet ne comporte aucune allégation selon laquelle l’escitalopram est supérieur au citalopram. Effectivement, la preuve montre qu’à la date de la revendication et jusqu’en 1992, M. Bøgesø, le coinventeur, estimait que le citalopram et l’escitalopram étaient aussi puissants l’un que l’autre (voir l’article publié par M. Bøgesø en 1992, dossier d’appel A-135-09, vol. 24, à la page 7562). À cet égard, le juge de première instance a souligné deux fois dans son jugement que ce n’est qu’après le brevet 452 que l’on a constaté que l’escitalopram était plus puissant que le citalopram (Motifs, paragraphes 50 et 133). Il est indéniable qu’aucun avantage spécial n’est revendiqué en termes explicites dans le brevet 452 et qu’aucune revendication de cette nature ne peut être déduite de la déclaration qu’invoque Genpharm.

 

[76]           Au soutien de leur allégation selon laquelle le brevet portant sur l’escitalopram était un brevet de sélection, Apotex et Genpharm ont cité un extrait des motifs du juge de première instance qui, de prime abord, semble aller à l’encontre de l’analyse globale qu’il a faite. Lorsqu’il a examiné le degré de motivation derrière l’invention, le juge de première instance s’est exprimé comme suit (Motifs, paragraphe 83) :

 

Il y a aussi des éléments de preuve produits par M. Newton dans le cadre des demandes mettant en cause Genpharm et Cobald selon lesquels les sociétés pharmaceutiques ne souhaitaient pas particulièrement séparer des racémates qui étaient visés par un brevet délivré à une concurrente. Il n’y avait pas de bonhomie à cela. Non seulement la brevetée aurait-elle une longueur d’avance pour ce qui est de séparer le racémate, mais au mieux on aboutirait à des contrats de licence croisés. Si un concurrent produisait l’escitalogram, il ne pourrait probablement pas l’utiliser parce qu’il contreferait le brevet du citalogram. En revanche, Lundbeck ne pourrait pas utiliser l’escitalopram. Les activités de recherche et de développement ont fort bien pu se concentrer sur d’autres molécules, comme l’a donné à entendre le professeur Davies. Qu’il suffise de dire que je ne trouve pas utiles les éléments de preuve relatifs à la motivation pour déterminer si l’invention de l’escitalopram était évidente.

 

[Souligné par les appelantes]

 

 

[77]           De l’avis d’Apotex et de Genpharm, ces remarques signifient que l’invention visée par le brevet 452 constituait une contrefaçon des deux brevets américains ou de l’un d’eux, ce qui peut signifier uniquement que l’escitalopram avait été précédemment divulgué et revendiqué. À mon avis, cette conclusion irait à l’encontre de l’analyse et rendrait les motifs incohérents.

 

[78]           Malgré que les mots auraient pu être mieux choisis, le juge de première instance a simplement souligné que les concurrents n’étaient pas motivés à réaliser la séparation du citalopram, parce qu’ils craignaient que la production d’escitalopram puisse donner lieu à une contravention du brevet relatif au citalopram. C’est là la seule façon d’interpréter l’extrait en question, lorsqu’il est lu dans le contexte de l’ensemble des motifs.

 

[79]           En conséquence, à mon avis, le juge de première instance a eu raison de conclure que le brevet 452 est un brevet ordinaire portant sur un composé original et que sa validité devait être évaluée sur cette base.

 

Antériorité

[80]           Apotex et Cobalt soutiennent que le brevet 452 se heurte à une antériorité, particulièrement par les deux brevets américains. Pour sa part, Genpharm fait valoir, en invoquant la décision anglaise Merrell Dow, que le brevet 452 est antériorisé, parce que l’ingestion de citalopram mentionnée dans les brevets américains 193 et 884 découlait de directives qui, lorsque suivies, entraînait la production d’escitalopram essentiellement pur dans l’organisme humain.

 

[81]           Le critère de l’antériorité a été formulé à nouveau dans Sanofi, où le juge Rothstein a souligné qu’une invention se heurte à une antériorité, c’est-à-dire qu’elle n’est pas nouvelle, lorsqu’elle est divulguée et rendue réalisable. Citant les motifs du jugement que lord Hoffman avait rendu dans Synthon B.V. c. SmithKline Beecham plc, [2006] 1 All ER 685 UKHL 59, le juge Rothstein a expliqué que, suivant l’exigence de la divulgation antérieure, « le brevet antérieur doit divulguer ce qui, une fois réalisé, contreferait nécessairement le brevet... » (Sanofi, paragraphe 25). À l’étape de la divulgation, la personne versée dans l’art « se contente de lire le brevet antérieur pour en comprendre la teneur » et les essais successifs sont exclus (Sanofi, paragraphe 25). Le caractère réalisable s’entend de « la possibilité qu’une personne versée dans l’art ait pu réaliser l’invention » (Sanofi, paragraphe 26). Le caractère réalisable de l’invention doit être examiné uniquement lorsque l’objet de l’invention est divulgué. Les essais successifs sont permis à cette étape (Sanofi, paragraphe 27).

 

[82]           Le juge de première instance a suivi ce raisonnement. Il a décidé que l’escitalopram n’avait pas été divulgué (et, par conséquent, qu’il n’avait pas été antériorisé) par les deux brevets américains. Il a tiré cette conclusion parce que, « si l’un ou l’autre des brevets américains antérieurs était exploité, le résultat serait un racémate, et non un énantiomère » (Motifs, paragraphe 46). Je ne vois aucune erreur sur ce point. Par ailleurs, le juge de première instance a rejeté à juste titre l’argument selon lequel les deux énantiomères étaient automatiquement revendiqués dans les brevets américains 193 et 884 (voir le paragraphe 66 qui précède).

 

[83]           Pour sa part, Genpharm fait valoir que l’ingestion de citalopram entraîne la production d’escitalopram essentiellement pur par l’organisme humain. Invoquant le raisonnement suivi dans Merrell Dow, Genpharm affirme que l’escitalopram a été antériorisé et que le juge de première instance a eu tort de rejeter la preuve qu’elle avait présentée au motif qu’elle constituait de la « pure conjecture ». Selon Genpharm, le juge de première instance devait analyser cette preuve et a commis une erreur en omettant de le faire. Plus précisément, il n’a pas apprécié la différence entre une conclusion fondée sur la conjecture uniquement parce qu’elle n’est pas appuyée par la preuve et une conclusion rationnelle qui repose sur la preuve (R. c. Hehn, 2008 BCCA 170, paragraphes 20 et 26).

 

[84]           Il n’est pas nécessaire de s’attarder à cette question ou aux arguments que Lundbeck invoque pour contester l’application de la décision Merrell Dow aux faits de la présente affaire car, en tout état de cause, le juge de première instance a conclu, après avoir passé la preuve en revue, que l’organisme humain ne produit que du citalopram partiellement séparé (Motifs, paragraphe 129). Cette conclusion repose sur deux articles rédigés en 1995, selon lesquels il était nécessaire d’utiliser une colonne de HPLC chirale après le prélèvement d’échantillons de sang pour séparer le citalopram (voir l’affidavit du professeur Davies, paragraphes 103 à 106, dossier d’appel A-135-09, vol. 4, aux pages 1103 et 1104; voir également les articles de Rochat, dossier d’appel A-135-09, vol. 21, aux pages 6525 à 6538). Le juge de première instance pouvait, à la lumière de la preuve dont il était saisi, conclure que l’organisme humain ne produit pas d’escitalopram essentiellement pur.

 

Évidence

[85]           Genpharm et Cobalt contestent toutes les deux la conclusion du juge de première instance selon laquelle l’escitalopram n’est pas évident. Bien qu’Apotex ne se soit pas opposée à cet aspect de la décision dans son mémoire des faits et du droit, son avocat a avancé des arguments à ce sujet au cours de l’audience.

 

[86]           Dans l’arrêt Sanofi, le juge Rothstein a résumé la démarche élaborée dans les décisions anglaises Windsurfing International Inc.v. Tabur Marine (Great Britain) Ltd., [1985] R.P.C. 59 (C.A), et Pozzoli SPA v. BDMO SA, [2007] F.S.R. 37, [2007] EWCA Civ 588 (Sanofi, paragraphe 67), à l’égard de l’examen relatif à l’évidence :

 

(1)  a) Identifier la « personne versée dans l’art ».

      b) Déterminer les connaissances générales courantes pertinentes de cette personne.

 

(2)  Définir l’idée originale de la revendication en cause, au besoin par voie d’interprétation.

 

(3)  Recenser les différences, s’il en est, entre ce qui ferait partie de « l’état de la technique » et l’idée originale qui sous-tend la revendication ou son interprétation.

 

(4)  Abstraction faite de toute connaissance de l’invention revendiquée, ces différences constituent-elles des étapes évidentes pour la personne versée dans l’art ou dénotent-elles quelque inventivité?

 

 

[87]           Le juge Rothstein a ajouté que le recours à la notion d’« essai allant de soi » pourrait être indiqué dans les « domaines d’activité où les progrès sont souvent le fruit de l’expérimentation », comme le secteur pharmaceutique (Sanofi, paragraphe 68). Il a mentionné des facteurs non exhaustifs à appliquer « selon la preuve offerte dans le cas considéré » (Sanofi, paragraphe 69) :

 

1.   Est‑il plus ou moins évident que l’essai sera fructueux?  Existe‑t‑il un nombre déterminé de solutions prévisibles connues des personnes versées dans l’art?

 

2.   Quels efforts — leur nature et leur ampleur — sont requis pour réaliser l’invention?  Les essais sont‑ils courants ou l’expérimentation est‑elle longue et ardue de telle sorte que les essais ne peuvent être qualifiés de courants?

 

3.   L’antériorité fournit‑elle un motif de rechercher la solution au problème qui sous‑tend le brevet?

 

De plus, le juge Rothstein a mentionné que « les mesures concrètes ayant mené à l’invention peuvent constituer un autre facteur important » (Sanofi, paragraphe 70).

 

[88]           Le juge de première instance a suivi cette démarche et conclu que l’escitalopram essentiellement pur n’était pas évident.

 

[89]           D’abord, il a constaté que la personne versée dans l’art était « une équipe constituée autour d’un chimiste médical qui est secondé par des collaborateurs possédant d’autres ensembles de compétences tels que des chimistes analystes et des psychiatres » et qu’« une connaissance théorique et une expérience pratique des méthodes de séparation de racémates sont essentielles » (Motifs, paragraphes 36 et 58). Même si le juge n’a pas décrit de façon explicite les connaissances générales communes possédées par cette équipe, il est admis que ces connaissances englobaient les principes de chimie applicables à l’objet du brevet 452, y compris la chiralité, les énantiomères, les stéréoisomères, les racémates et l’activité optique, ainsi que la connaissance des méthodes de séparation des racémates et l’expérience connexe.

 

[90]           En deuxième lieu, le juge de première instance a identifié l’invention comme étant l’escitalopram essentiellement pur et ses sels d’addition acides non toxiques, selon la description figurant dans la revendication 1 du brevet 452. Il a également conclu que les revendications 3 et 5 se comprenaient aisément. À cet égard, Genpharm et Cobalt ont affirmé que le juge de première instance avait décrit l’invention comme « la séparation du mélange racémique en quantités suffisamment grandes pour permettre l’analyse mentionnée dans le brevet » (Motifs, paragraphe 60). Cependant, ce n’est pas le cas. Une lecture objective démontre que le juge de première instance a conclu que l’invention était l’escitalopram essentiellement pur et son effet thérapeutique utile. L’étape inventive était la séparation du citalopram, puisque c’est ce qui a permis d’obtenir ce composé et d’en identifier les propriétés.

 

[91]           En troisième lieu, le juge de première instance a décrit la différence entre l’état de la technique et l’invention. Il a conclu que, même si l’antériorité divulguait l’utilité du mélange racémique de citalopram en tant qu’antidépresseur, elle ne divulguait ou ne rendait pas réalisable les énantiomères et ne prévoyait même pas que l’un des deux puisse servir d’antidépresseur (Motifs, paragraphe 60). Plus précisément, l’antériorité ne montrait pas comment séparer le citalopram pour obtenir de l’escitalopram essentiellement pur.

 

[92]           En quatrième lieu, le juge de première instance a appliqué les facteurs énoncés dans l’arrêt Sanofi à l’égard du critère de « l’essai allant de soi » et constaté que la différence entre le concept inventif et l’état de la technique ne constituait pas une étape qui aurait été évidente pour la personne versée dans l’art. En appliquant ce critère, le juge a conclu que la motivation n’était pas instructive (Motifs, paragraphe 79).

 

[93]           Genpharm et Cobalt s’opposent à cette dernière conclusion. Genpharm cite les lignes directrices de 1987 de la FDA, qui faisaient clairement état de la possibilité que des renseignements concernant les propriétés des énantiomères soient exigés avant que la mise en marché du racémate soit approuvée. De l’avis de Genpharm, ces lignes directrices constituent une preuve très sérieuse de la motivation et le juge de première instance a commis une erreur en la rejetant.

 

[94]           L’existence et l’ampleur de la motivation derrière une invention représentent des questions de fait. Le juge de première instance a fait remarquer que la preuve concernant les lignes directrices de 1987 de la FDA était mince et qu’aucun organisme de réglementation n’avait exigé que les détails sur les énantiomères soient fournis (Motifs, paragraphe 79). Dans ces circonstances, il a refusé d’attribuer aux lignes directrices en question l’effet que Genpharm leur donnait et je ne vois aucune erreur à cet égard.

 

[95]           Cobalt reproche également au juge de première instance de ne pas avoir tenu compte de sa constatation selon laquelle l’intimée avait minimisé son intérêt à séparer le citalopram, comme il l’avait reconnu au paragraphe 82 de ses motifs. Cependant, le juge n’a pas dit que la motivation n’était pas un facteur; il a simplement conclu que ce facteur n’était pas « utile » en l’espèce (Motifs, paragraphe 83).

 

[96]           Pour sa part, Genpharm conteste la conclusion du juge de première instance au sujet des efforts requis pour séparer le citalopram et du fait que l’utilisation d’une méthode HPLC chirale et la séparation du diol n’étaient pas des étapes évidentes. Quant aux efforts requis pour séparer le citalopram, Genpharm soutient que le juge de première instance a commis une erreur lorsqu’il a mené son analyse en supposant qu’une quantité de 100 milligrammes était nécessaire pour les essais. Selon Genpharm, une quantité de 1,25 milligramme était suffisante. À mon avis, il était loisible au juge de première instance de conclure qu’une quantité de 100 milligrammes était nécessaire pour les essais (voir le contre-interrogatoire de M. Newton et le rapport qui y est mentionné, dossier d’appel A-135-09, vol. 29, aux pages 9465 et 9569).

 

[97]           Quant aux méthodes de séparation disponibles, Genpharm affirme que la preuve montre que la personne versée dans l’art aurait décidé d’utiliser une méthode HPLC chirale en s’attendant raisonnablement à ce que cette méthode fonctionne et aurait choisi des colonnes qui produiraient de la matière en quantité suffisante pour permettre les essais biologiques requis par le brevet 452. À cet égard, Genpharm soutient qu’il appert nettement de la preuve que l’utilisation de colonnes analytiques aurait pu permettre de produire la matière nécessaire aux fins des essais. Effectivement, elle ajoute que les colonnes Chiralcel OD et β-Cyclobond étaient disponibles avant la date pertinente et ont subséquemment été utilisées pour séparer le citalopram. Encore là, la question est de savoir si le juge de première instance pouvait, à la lumière de la preuve, conclure que l’utilisation de la méthode par HPLC chirale n’était pas évidente.

 

[98]           Le juge de première instance a conclu qu’« une colonne analytique permet de déterminer les composés et les impuretés présents dans un mélange réactionnel donné, mais contrairement à la HPLC préparative, ne peut servir à obtenir une grande quantité du composé désiré » (Motifs, paragraphe 100 [non souligné dans l’original]). En d’autres termes, les colonnes analytiques comme celles que Genpharm a mentionnées n’auraient pas permis d’obtenir de la matière en quantité suffisante pour les essais requis par le brevet 452. Le juge de première instance a ajouté que, même si l’expert qui a témoigné pour Genpharm a affirmé qu’il aurait pu séparer le citalopram à l’époque pertinente, « en vérité, aucun d’entre eux [les experts] n’avait jamais tenté de séparer le citalopram, et il s’agit maintenant d’une tâche relativement aisée » (Motifs, paragraphe 106). À mon avis, il était loisible au juge de première instance de conclure que l’utilisation de la méthode par HPLC chirale n’était pas évidente.

 

[99]           Genpharm reproche également au juge de première instance d’avoir commis une erreur en concluant que la séparation du citalopram à l’aide du diol n’était pas évidente et que l’utilisation de l’acide de Mosher ne reposait sur aucun fondement. Genpharm affirme que l’utilisation du diol, qui a été divulgué dans le brevet américain 884, était un point de départ logique et que l’un de ses experts avait utilisé l’acide de Mosher comme réactif à l’époque pertinente.

 

[100]       Quant à l’utilisation du diol, le juge de première instance a formulé les remarques suivantes (paragraphe 103) :

 

[…] En cristallisation fractionnée, le point de départ logique était le citalopram lui-même. En cas d’échec, on pouvait alors essayer de séparer d’autres molécules comme le diol. Les spécialistes retenus par les [intimés] n’ont pas suffisamment pris leurs distances par rapport aux connaissances qu’ils détenaient de l’invention alléguée revendiquée. Pourquoi avoir choisi le diol du brevet 884 au lieu des cinq précurseurs du brevet 183? Sans entrer dans les détails de chimie, qui ont été l’objet de débats intenses, il est clair que la fermeture du cycle du diol et le moment de cette réaction étaient déterminants, ce qui a entraîné des discussions sur les réactions SN1 et SN2. En outre, il existait un nombre presque infini de réactifs et de conditions possibles.

 

 

[101]       Pour ce qui est de l’utilisation de l’acide de Mosher, le juge de première instance a décidé qu’il n’y avait aucune raison de croire que, dans le cadre d’essais de routine, l’acide de Mosher jouerait un rôle majeur dans la réaction de fermeture du cycle. Cela ne participait pas des connaissances générales communes ni de l’état de la technique (Motifs, paragraphe 110). À mon avis, le juge de première instance pouvait en arriver à la conclusion qu’il a tirée au sujet de l’utilisation du diol et de l’acide de Mosher, eu égard à la preuve dont il était saisi.

 

[102]       En dernier lieu, Genpharm fait valoir que le rejet de l’avis des experts qu’elle a présentés parce qu’ils se sont fondés jusqu’à un certain point sur une analyse rétrospective pour exprimer leur opinion constituait également une erreur. Genpharm invoque à cet égard le jugement que cette Cour a rendu dans Apotex Inc. c. Bayer AG, 2007 CAF 243, au paragraphe 25. Toutefois, le juge de première instance a plutôt conclu que ces experts s’étaient fondés sur des connaissances qui n’étaient pas disponibles à la date de la revendication (Motifs, paragraphes 106 à 111). Je ne puis voir aucune erreur dans cette conclusion.

 

[103]       Il n’a pas été démontré que le juge de première instance a commis une erreur en concluant que l’escitalopram n’était pas évident.

 

Utilité

[104]       Apotex s’oppose au rejet par le juge de première instance de l’allégation selon laquelle l’invention du brevet 452 n’était pas utile, parce qu’elle couvrait le sel de l’acide pamoïque de l’escitalopram dont la toxicité a plus tard été constatée. L’argument découle d’une demande de brevet que l’intimée a présentée au Danemark en 2004 et dans laquelle il est mentionné que le brevet américain équivalant au brevet 452 :

 

 

 

 

[TRADUCTION]

 

[…] décrit la base libre de l’escitalopram sous forme d’une huile, le sel de l’acide oxalique, le sel d’addition de l’acide pamoïque et de l’acide L-(+)-tartrique de l’escitalopram. Du fait de la toxicité des sels d’addition de l’acide pamoïque, ils ne sont pas appropriés dans des produits pharmaceutiques.

 

[non souligné dans l’original]

 

 

[105]       En l’absence d’explication de la part de l’intimée (ce qui est effectivement le cas), cet énoncé équivaut à une admission selon laquelle le sel de l’acide pamoïque de l’escitalopram est toxique au point où il n’est pas approprié dans des produits pharmaceutiques. Le juge de première instance a mené son analyse sur ce fondement. Cependant, invoquant l’arrêt Burton Parsons, il a refusé d’invalider le brevet 452 pour cette raison car, à son avis, la personne versée dans l’art aurait évité d’utiliser ce sel (Motifs, paragraphes 139 et 140).

 

[106]       Il est indéniable que, si le sel de l’acide pamoïque de l’escitalopram ne peut être utilisé dans les produits pharmaceutiques, la revendication 2 du brevet 452 est invalide pour cause d’absence d’utilité, car c’est précisément ce qui est revendiqué (la revendication 2 est reproduite au paragraphe 7 des présents motifs). Je conviens avec Apotex que la question qui devait être examinée était de savoir si la revendication 1 couvrait également le sel de l’acide pamoïque lorsqu’elle était interprétée du point de vue du destinataire versé dans l’art, auquel cas cette revendication serait également invalide. Le juge de première instance a répondu à cette question par la négative (Motifs, paragraphe 139).

 

[107]       Selon Apotex, il n’y a aucune raison d’exclure le sel de l’acide pamoïque de la portée de la revendication 1 étant donné que, à la date de celle-ci, rien ne laissait croire que le sel pamoate était toxique. Apotex ajoute que l’inventeur devait nécessairement savoir que la revendication 1 engloberait le sel de l’acide pamoïque, puisque celui-ci figure parmi les « sels d’addition non toxiques » préférés. Qui plus est, si le sel pamoate était exclu de la portée de la revendication 1, la revendication 2, qui dépend de la première, perdrait tout son sens.

 

[108]       Examinée de façon isolée, la revendication 1 est claire et dépourvue d’ambiguïté : elle englobe l’escitalopram essentiellement pur et ses sels d’addition acides non toxiques. Lorsqu’une revendication ne peut être interprétée que d’une seule façon, il n’y a pas lieu d’utiliser la divulgation ou le mémoire descriptif pour en modifier le sens. La personne versée dans l’art qui sait que certains sels d’addition acides sont toxiques et que d’autres ne le sont pas comprendrait que la revendication 1 couvre exactement ce qui y est énoncé, soit l’escitalopram essentiellement pur et ses sels d’addition acides qui sont « non toxiques » [non souligné dans l’original]. Étant donné que le sel de l’acide pamoïque de l’escitalopram est toxique, il est exclu de la portée de la revendication 1.

 

[109]       Invoquant la décision Halford c. Seed Hawk Inc., 2004 CF 88, (2004) 31 C.P.R. (4th) 434, aux paragraphes 90 à 96 (décision infirmée en appel, mais pour d’autres raisons) [Halford], Apotex soutient néanmoins que la revendication 1, dont dépend la revendication 2, doit recevoir un sens qui est compatible avec celle-ci.

 

[110]       Ce qui a été décidé dans Halford, c’est qu’une revendication indépendante ne peut être interprétée de façon à rendre redondante une revendication dépendante (Halford, paragraphe 98). Si la revendication 1 était interprétée de façon à couvrir le sel de l’acide pamoïque, comme Apotex le propose, la revendication 2 deviendrait redondante. La revendication 1 doit être interprétée en fonction du texte qui y figure. La preuve montre que l’inventeur a eu tort au sujet des propriétés du sel de l’acide pamoïque, de sorte qu’il ne peut s’en prendre qu’à lui-même en ce qui a trait au texte de la revendication 2, comme il en a été décidé dans Free World Trust (paragraphe 51). Cependant, le sens de la revendication 1 demeure clair et dépourvu d’ambiguïté.

 

[111]       Il n’a pas été établi que le juge de première instance avait commis une erreur en rejetant l’allégation d’Apotex selon laquelle la revendication 1 est invalide pour cause d’absence d’utilité en raison du caractère toxique des sels de l’acide pamoïque.

 

[112]       Apotex ajoute que l’utilité de l’escitalopram n’était pas prévue d’une façon valable dans le brevet 452. À cet égard, elle fait valoir que le brevet 452 ne comportait aucun élément établissant une corrélation entre l’effet du citalopram sur les rongeurs et son effet sur les humains.

 

[113]       Comme l’a souligné le juge de première instance, la prédiction valable doit avoir un fondement factuel, l’inventeur doit avoir un raisonnement clair et valable permettant d’inférer de ce fondement factuel le résultat souhaité et il doit y avoir divulgation suffisante (voir Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd., 2002 CSC 77, [2002] 4 R.C.S. 453).

 

[114]       En appliquant cette approche, le juge de première instance a souligné que les tests avaient été réalisés sur des rongeurs; tel a également été le cas pour les tests de citalopram. Puisque le citalopram était un antidépresseur utile lorsqu’il était ingéré par des humains, il s’ensuivait que la prédiction relative à l’escitalopram était valable (Motifs, paragraphe 133).

 

[115]       Je ne puis voir aucune erreur dans ce raisonnement.

 

Caractère suffisant de la divulgation

[116]       Apotex soutient que le brevet 452 est ambigu, parce qu’il ne précise pas à la personne versée dans l’art les solvants à utiliser pour obtenir de l’escitalopram, c’est-à-dire que le brevet n’expose pas la méthode permettant d’utiliser l’invention en des termes « complets, clairs, concis et exacts », conformément au paragraphe 34(1) de la Loi sur les brevets. Le juge de première instance a rejeté cet argument au motif que les solvants avaient été décrits de manière détaillée (Motifs, paragraphe 131). Effectivement, le brevet 452 indique la concentration pour l’utilisation des solvants en cause. La question de savoir si le texte du brevet énonce la méthode permettant d’utiliser l’invention en des termes suffisamment clairs et exacts est une question de fait. La conclusion du juge de première instance à ce sujet ne m’apparaît nullement erronée.

 

[117]       Apotex fait également valoir que les renseignements divulgués dans le brevet 452 sont insuffisants, parce que l’énoncé suivant conduit à une fausse piste (Motifs, paragraphe 147) : [traduction] « les résultats de l’administration à des êtres humains ont été très gratifiants ». Le juge de première instance a convenu que cet énoncé était faux, car, à l’époque pertinente, l’escitalopram n’avait pas encore été administré à des êtres humains. Cependant, il a décidé que (ibidem) : « compte tenu que le brevet comporte deux pages entières d’évaluation de l’escitalopram chez des rongeurs ainsi qu’un tableau de résultats d’essais pharmacologiques, je considère que la phrase précitée n’a induit personne en erreur. En outre, il n’y a aucune preuve d’une tentative d’induire en erreur ». Je ne vois aucune raison de modifier cette conclusion.

 

[118]       Apotex réplique néanmoins que cette conclusion ne règle pas son allégation selon laquelle l’invention n’a pas été décrite correctement, de sorte qu’elle va à l’encontre de l’article 34 de la Loi sur les brevets. À mon humble avis, il était loisible au juge de première instance de conclure que, étant donné que personne n’a été induit en erreur, l’invention a été décrite correctement.

 

L’équité procédurale et le caractère suffisant des motifs

[119]       Genpharm reproche au juge de première instance d’avoir tenu compte de la preuve présentée dans d’autres instances et d’avoir rédigé un seul jeu de motifs pour trancher les trois demandes. En ce qui concerne la preuve, Genpharm fait valoir que le juge de première instance ne pouvait, à la lumière du dossier constitué dans la demande qui la concerne, conclure qu’une quantité de 100 milligrammes était nécessaire pour les essais requis par le brevet 452, qu’il faudrait utiliser la colonne de HPLC analytique quelque 40 000 fois pour obtenir une quantité suffisante de matière (Motifs, paragraphe 112) et que l’acide de Mosher n’était pas connu et utilisé comme agent chiral (Motifs, paragraphe 110).

 

[120]       À mon avis, le juge de première instance pouvait tirer ces conclusions en se fondant sur le dossier dans l’affaire Genpharm. En contre-interrogatoire, M. Newton, l’expert de Genpharm, a reconnu avoir écrit dans un rapport qu’une quantité de 100 milligrammes d’escitalopram serait suffisante pour faire les essais requis par le brevet 452 (dossier d’appel A-135-09, vol. 29, à la page 9467). Le nombre 40 000 a été proposé à M. Collicott, un autre expert de Genpharm, en contre‑interrogatoire sur la base de l’article rédigé par Rochat (dossier d’appel A-135-09, vol. 28, aux pages 9076 à 9083). Quant à l’acide de Mosher, même si le professeur Chong a déclaré que cet acide était [traduction] « un agent réactif couramment utilisé pour dérivatiser des alcools et acides aminés chiraux », M. Newton, un autre expert qui a témoigné pour Genpharm, a reconnu en contre-interrogatoire qu’il n’avait jamais utilisé d’acide de Mosher pour des travaux préparatoires et que, avant 1988, il n’avait connaissance d’aucune personne ayant utilisée de l’acide de Mosher dans le cadre de travaux préparatoires (dossier d’appel A-135-09, vol. 29, aux pages 9533 à 9535).

 

[121]       En ce qui a trait au caractère suffisant des motifs, Genpharm fait valoir que le juge de première instance n’explique pas ses conclusions de manière suffisante dans ses motifs de façon à en permettre un examen valable en appel, étant donné qu’il n’y établit pas une distinction assez claire entre les trois instances (Via Rail Canada Inc. c. Office national des transports, [2001] 2 C.F. 25 (CA)). Selon Genpharm, il est impossible de déterminer le fondement de quelques-unes des conclusions formulées contre elle.

 

[122]       Au cours de l’audition de l’appel, l’avocat de Genpharm a donné à titre d’exemple la conclusion du juge de première instance selon laquelle l’analyse du professeur Clark était « bien équilibrée » (Motifs, paragraphe 111). De l’avis de l’avocat, cette conclusion n’aurait pu être tirée à la lumière du dossier concernant Genpharm. L’avocat sous-entend par là que le juge de première instance s’est nécessairement fondé sur des éléments de preuve présentés dans les autres instances.

 

[123]       L’argument ainsi exposé ne concerne pas le caractère suffisant des motifs, mais plutôt l’absence d’éléments de preuve à l’appui des conclusions tirées. Si l’avocat estime que la preuve n’appuie pas les conclusions du juge de première instance, il lui appartient de faire cette démonstration. À cet égard, le juge de première instance a souligné ce qui suit au sujet de la preuve qu’a présentée le professeur Clark dans le dossier de Genpharm (Motifs, paragraphe 111) :

 

[…] il a pris soin de distinguer ce qui était connu et disponible en 1988 par opposition aux développements ultérieurs, notamment de nouvelles générations de colonnes, de meilleurs matériaux d’emballage qui amélioraient la capacité de séparation et de meilleures balances préparatoires. Il a expliqué que ces améliorations avaient permis la séparation de quantités suffisantes de matière pour permettre des essais biologiques et non uniquement de la détection.

 

 

Cette conclusion qui sous-tend l’évaluation de l’analyse du professeur Clark par le juge de première instance est fondée sur la preuve présentée dans le dossier de Genpharm (voir le dossier d’appel A-135-09, vol. 3, aux pages 467 à 470).

 

[124]       Cobalt soutient elle aussi que les motifs sont insuffisants. Ainsi, elle fait valoir que, lorsqu’il a critiqué les « experts » (Motifs, paragraphes 103 et 106 à 109), le juge de première instance n’a pas donné de détails à ce sujet, de sorte qu’elle ne peut déterminer les éléments de preuve sur lesquels le juge s’est fondé pour écarter l’opinion des experts qu’elle a présentés. Encore là, il est sous-entendu que le juge de première instance pourrait s’être fondé sur la preuve présentée dans les autres instances. Cependant, après avoir évalué les avis exprimés par les différents experts, le juge a finalement conclu que le citalopram n’aurait pu être séparé à l’époque en l’absence de génie inventif. Pour en arriver à cette conclusion, le juge s’est fondé sur le témoignage des professeurs Davies et Clark, qui ont été appelés tous les deux par Lundbeck dans la demande de Cobalt (Motifs, paragraphes 108 et 109).

 

[125]       Dans la même veine, Cobalt soutient que le juge de première instance s’est servi de la critique de M. Chong (Genpharm) au sujet d’une étude menée par Rhodia ChiRex pour juger l’étude en question non concluante. Toutefois, le juge de première instance ne renvoie pas uniquement à M. Chong : « Monsieur Chong, entre autres, fait aussi la remarque que […] » (Motifs, paragraphe 115 [non souligné dans l’original]). Sa conclusion, au paragraphe 114, selon laquelle l’étude ne démontrait pas l’évidence parce qu’elle « ne permettait qu’une sélection préliminaire » et qu’il « aurait été nécessaire par la suite de procéder à une optimisation du procédé avec des meilleurs agents trouvés » est appuyée des éléments de preuve autres que la critique de l’étude formulée par M. Chong.

 

[126]       Cobalt s’oppose également au rejet par le juge de première instance de l’article d’Elati publié en 2007. À cet égard, le juge de première instance s’est fondé sur les admissions formulées par M. Newton (Genpharm) et M. McClelland (Apotex). Cependant, il a également invoqué des raisons qui sont entièrement indépendantes de ces admissions. Ainsi, au paragraphe 118, le juge de première instance a expliqué qu’il « n’accorde aucun poids à l’article d’Elati » parce que, même si l’article énumère différentes façons de séparer des racémates, il ne comporte aucune mention de quelque article publié avant 1990 et que « Elati revendique même un brevet relativement à son procédé ». Il a ajouté qu’il « n’est certainement pas évident qu’une telle mesure aurait été prise ou que le procédé d’Elati aurait été utilisé » (Motifs, paragraphe 119). Fait important à souligner, ce n’est qu’après avoir formulé ces conclusions que le juge de première instance a souligné que, « en tout état de cause, l’article d’Elati comportait des failles, comme l’ont admis MM. Newton et McClelland » (Motifs, paragraphe 119).

 

[127]       En ce qui a trait à l’utilisation apparemment inappropriée du témoignage de M. Newton (Genpharm), le juge de première instance s’est fondé sur l’affirmation de celui-ci selon laquelle, lorsqu’un médicament racémique est ingéré, les deux énantiomères existent sous la forme de deux composés séparés en solution et réagissent avec les récepteurs de différentes manières (Motifs, paragraphe 126). Cependant, le juge de première instance commentait alors l’antériorité découlant d’une utilisation antérieure, allégation que Cobalt n’a pas invoquée (Motifs, paragraphe 125).

 

[128]       Quant à la mention par le juge de première instance du fait que M. McClelland (Apotex), n’avait aucune difficulté à comprendre l’invention (Motifs, paragraphe 142), le juge de première instance a formulé cette remarque dans le contexte d’une question que Cobalt n’a pas soulevée, soit la question de savoir si le brevet 452 comportait des défauts de langue au point de ne pouvoir être compris.

 

[129]       Cobalt formule d’autres arguments visant à démontrer qu’elle avait été lésée par la décision du juge de première instance de formuler un seul jeu de motifs. Il aurait été préférable que le juge de première instance prononce des motifs distincts, ne serait-ce que pour éviter cette série d’attaques visant son jugement, mais je suis convaincu qu’il était conscient, tout au long de son examen, des points communs et différents que les appelantes ont soulevés et qu’aucune injustice ne découle du fait qu’il n’a formulé qu’un seul jeu de motifs.

 

[130]       Je rejetterais les trois appels avec dépens en faveur de Lundbeck dans chaque affaire.

 

« Marc Noël »

j.c.a.

 

« Je suis d’accord.

          J.D. Denis Pelletier j.c.a. »

 

« Je suis d’accord.

          Johanne Trudel j.c.a. »

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                                                A-129-09

 

APPEL D’UNE VERSION PUBLIQUE DES MOTIFS DES ORDONNANCES RENDUES PAR LE JUGE HARRINGTON, DE LA COUR FÉDÉRALE, LE 25 FÉVRIER 2009, DANS LE DOSSIER No T-991-07

 

INTITULÉ :                                                               APOTEX INC. et

                                                                                    LUNDBECK CANADA INC.

                                                                                    LE MINISTRE DE LA SANTÉ et

                                                                                    H. LUNDBECK A/S

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                         Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                       Le 14 septembre 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                    LE JUGE NOËL

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                 LE JUGE PELLETIER et

                                                                                    LA JUGE TRUDEL

 

DATE DES MOTIFS :                                              Le 25 novembre 2010

 

COMPARUTIONS :

 

Richard Naiberg

Andrew Brodkin

POUR L’APPELANTE

 

Marie Lafleur

Julie Desrosiers

Hilal El Ayoubi

Alain Leclair

POUR LES INTIMÉES

(Lundbeck Canada Inc. et Lundbeck A/S)

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Goodmans LLP

Toronto (Ontario)

POUR L’APPELANTE

 

Fasken Martineau DuMoulin s.r.l.

Montréal (Québec)

POUR LES INTIMÉES

(Lundbeck Canada Inc. et Lundbeck A/S)

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                                    A-135-09

 

APPEL D’UNE VERSION PUBLIQUE DES MOTIFS DES ORDONNANCES RENDUES PAR LE JUGE HARRINGTON, DE LA COUR FÉDÉRALE, LE 25 FÉVRIER 2009, DANS LE DOSSIER No T -372-07

 

INTITULÉ :                                                   MYLAN PHARMACEUTICALS ULC (AUPARAVANT GENPHARM ULC) et LUNDBECK CANADA INC.,

                                                                        LE MINISTRE DE LA SANTÉ et

                                                                        H. LUNDBECK A/S

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 14 septembre 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE NOËL

 

Y ON SOUSCRIT :                                       LE JUGE PELLETIER et

                                                                        LA JUGE TRUDEL

                                                                       

DATE DES MOTIFS :                                  Le 25 novembre 2010

 

COMPARUTIONS :

 

J. Bradley White

Marcus Klee

 

POUR L’APPELANTE

 

Marie Lafleur

Julie Desrosiers

Hilal El Ayoubi

Alain Leclair

POUR LES INTIMÉES

(Lundbeck Canada Inc. et Lundbeck A/S)

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Osler, Hoskin & Harcourt LLP

Ottawa (Ontario)

 

POUR L’APPELANTE

 

Fasken Martineau DuMoulin s.r.l.

Montréal (Québec)

POUR LES INTIMÉES

(Lundbeck Canada Inc. et Lundbeck A/S)

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                                    A-139-09

                                                                                               

 

(APPEL D’UNE VERSION PUBLIQUE DES MOTIFS DES ORDONNANCES RENDUES PAR LE JUGE HARRINGTON, DE LA COUR FÉDÉRALE, LE 25 FÉVRIER 2009, DANS LE DOSSIER No T -1395-07.)

 

INTITULÉ :                                                   COBALT PHARMACEUTICALS INC. et LUNDBECK CANADA INC.,

                                                                        H. LUNDBECK A/S et

                                                                        LE MINISTRE DE LA SANTÉ

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 14 septembre 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE NOËL

 

Y ONT SOUSCRIT :                                     LE JUGE PELLETIER et

                                                                        LA JUGE TRUDEL

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 25 novembre 2010

 

COMPARUTIONS :

 

Douglas N. Deeth

Heather E.A. Watts

 

POUR L’APPELANTE

 

Marie Lafleur

Julie Desrosiers

Hilal El Ayoubi

Alain Leclair

POUR LES INTIMÉES

(Lundbeck Canada Inc. et Lundbeck A/S)

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Deeth Williams Wall LLP

Toronto (Ontario)

 

POUR L’APPELANTE

 

Fasken Martineau DuMoulin s.r.l.

Montréal (Québec)

POUR LES INTIMÉES

(Lundbeck Canada Inc. et Lundbeck A/S)

 

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