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Cour d’appel fédérale

  CANADA

Federal Court of Appeal


 

Date : 20101209

Dossier :A-106-10

Référence : 2010 CAF 336

 

CORAM :      LE JUGE SEXTON

                        le juge Evans

                        le juge Pelletier

 

ENTRE :

                                        LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

demandeur

et

 

RAMDASS SOMWARU

défendeur

                                                                                     

 

 

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 6 décembre 2010

Jugement rendu à Toronto (Ontario), le 9 décembre 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                 LE JUGE SEXTON

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                              LE JUGE EVANS                        le juge Pelletier



Cour d’appel fédérale

  CANADA

Federal Court of Appeal


 

Date : 20101209

Dossier :A-106-10

Référence : 2010 CAF 336

 

CORAM :      LE JUGE SEXTON

                        le juge Evans

                        le juge Pelletier

 

 

ENTRE :

                                        LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

demandeur

et

 

RAMDASS SOMWARU

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

LE JUGE SEXTON

[1]               Il s’agit de la demande de contrôle judiciaire de la décision CUB 74046 du juge-arbitre Durocher. Le conseil arbitral et le juge‑arbitre ont tous deux conclu qu’il existait un motif valable pour le retard mis par le défendeur à soumettre sa demande de prestations sous le régime de la Loi sur l’assurance‑emploi, L.C. 1996, ch. 23 (la Loi).

 

[2]               Je suis d’avis d’accueillir la demande. La conclusion du juge‑arbitre selon laquelle le retard du défendeur était justifié par un motif valable est déraisonnable compte tenu de la jurisprudence de notre Cour statuant qu’on attend généralement de celui qui demande une prestation qu’il prenne des mesures concrètes pour vérifier les obligations que la Loi lui impose.

 

[3]               La fermeture de l’usine où il travaillait a contraint le défendeur à prendre sa retraite le 31 décembre 2008, et il a commencé à toucher une pension de retraite. Il a présenté une demande de prestations d’assurance‑emploi le 31 mars 2009, prenant effet le 29 mars 2009, et il a cherché à la faire rétroagir au 31 décembre 2008, disant avoir cru que le fait de toucher une pension de retraite l’empêchait de recevoir des prestations d’assurance‑emploi. Il a présenté une demande après avoir appris d’un ami que ce n’était pas le cas.

 

[4]               Le paragraphe 10(4) de la Loi permet de donner effet rétroactivement à une demande de prestations s’il existait un « motif valable » justifiant le retard mis à la présenter pendant toute la durée de celui‑ci :

Lorsque le prestataire présente une demande initiale de prestations après le premier jour où il remplissait les conditions requises pour la présenter, la demande doit être considérée comme ayant été présentée à une date antérieure si le prestataire démontre qu’à cette date antérieure il remplissait les conditions requises pour recevoir des prestations et qu’il avait, durant toute la période écoulée entre cette date antérieure et la date à laquelle il présente sa demande, un motif valable justifiant son retard.

 

An initial claim for benefits made after the day when the claimant was first qualified to make the claim shall be regarded as having been made on an earlier day if the claimant shows that the claimant qualified to receive benefits on the earlier day and that there was good cause for the delay throughout the period beginning on the earlier day and ending on the day when the initial claim was made.

 

 

 

[5]               La Commission de l’assurance-emploi du Canada a refusé de faire rétroagir la demande estimant que le défendeur n’avait pas démontré l’existence d’une cause valable justifiant le retard. Le conseil arbitral a accueilli l’appel du défendeur et conclu qu’il avait agir [traduction] « de façon raisonnable en l’espèce ».

 

[6]               Le juge‑arbitre a rejeté l’appel formé par la Commission contre cette décision du conseil arbitral. Malgré l’argument de la Commission que l’ignorance de la loi ne pouvait valablement justifier une demande tardive, le juge‑arbitre a statué qu’[traduction] « il existe des cas où l’ignorance de la loi a été considérée comme un motif valable de faire rétroagir une demande, lorsque son auteur avait démontré avoir agi de façon raisonnable et prudente ». Il n’a cité aucune décision ayant reconnu l’ignorance de la loi comme motif valable. Selon le juge‑arbitre, il était fort possible qu’une personne raisonnable ait pu, comme le défendeur, penser qu’on ne pouvait demander de prestations d’assurance‑emploi lorsqu’on touchait une pension de retraite.

 

[7]               Le seul motif qu’a fait valoir le défendeur pour justifier son retard est son ignorance de la loi. Il s’agit donc de déterminer si l’auteur d’une demande qui n’a pris aucune mesure concrète pour vérifier le bien‑fondé de ce qu’il pensait peut invoquer son ignorance de la loi et sa bonne foi comme « motif valable » au sens du paragraphe 10(4). 

 

[8]               Dans Canada c. Carry, 2005 CAF 367, le juge Linden a précisément écarté cet argument, aux paragraphes 4 et 5 de l’arrêt :

 

Le juge-arbitre a confirmé la décision du conseil arbitral au motif qu’il n’était pas déraisonnable de considérer qu’un motif valable existait en l’espèce. Or, la jurisprudence de la Cour interdit clairement une telle conclusion en l’espèce car l’on s’attend à ce qu’une personne raisonnable vérifie assez rapidement si elle a droit à des prestations d’assurance-emploi. La Cour a déjà statué que l’ignorance de la loi et la bonne foi, qui ont été invoquées en l’espèce pour justifier le délai de neuf mois, ne constituent pas des motifs valables. (Je souligne.)

 

 

[9]               Le juge Létourneau a tiré une conclusion analogue dans Canada c. Brace, 2008 CAF 118, aux paragraphes 12 et 13 :

 

Vu l’ensemble des faits de l’espèce, nous sommes d’avis qu’il n’était pas raisonnablement loisible au juge-arbitre de conclure comme il l’a fait. En appliquant comme il se doit le critère prévu par la loi aux faits de l’espèce, force est de conclure qu’une personne se trouvant dans la situation du défendeur se serait renseignée au sujet de ses droits et obligations et qu’elle aurait entrepris des démarches pour protéger sa demande de prestations. Et il aurait été normal de s’adresser pour ce faire à la Commission.

Nous sommes d’accord avec l’avocat de l’appelant pour dire que le juge-arbitre a effectivement accepté comme un motif valable justifiant le retard le manque d’expérience du défendeur avec le système et le fait qu’il s’était fié à l’avis que son employeur lui avait donné alors qu’il n’était plus justifié de s’y fier. (Je souligne.)

 

 

[10]           Le juge-arbitre s’est appuyé sur les commentaires du juge Marceau dans Canada (Procureur général) c. Albrecht, [1985] 1 C.F. 710 (C.A.). Le juge Marceau a toutefois clarifié sa pensée dans un arrêt ultérieur, Canada (Procureur général) c. Caron (1986), 69 N.R. 132, au paragraphe 5 (C.A.) :

 

Ce qu’affirme la décision [du juge-arbitre] est tout simplement que l’erreur de l’intimée sur sa situation et son droit d’obtenir des prestations d’assurance-chômage jointe à sa bonne foi constituait le motif justificatif requis C’est justement cette façon de voir qu’on ne peut accepter si on ne veut pas que la volonté du Parlement ne soit frustrée et qu’ont rejeté déjà les arrêts Pirotte [Pirotte c.Commission d’assurancechômage, [1977] 1 C.F. 314] et Albrecht. Et il convient de répéter ce que ce dernier arrêt affirmait comme étant l’idée à retenir : c’est en principe uniquement en démontrant qu’il a fait ce qu’une personne raisonnable et prudente aurait fait dans les mêmes circonstances, soit pour faire clarifier sa situation par rapport à son emploi, soit pour s’enquérir de ses droits et obligations en vertu des dispositions de la Loi de 1971 sur l’assurance-chômage, qu’un réclamant, qui omet de faire sa réclamation au moment où il cesse d’exercer son emploi et ne touche plus de rémunération, pourra obtenir que son retard soit excusé et que sa demande soit considérée rétroactivement. Il peut arriver, je suppose, des cas où l’inaction et l’attente pourraient être compréhensibles malgré tout, mais il faudrait, je pense, des circonstances fort exceptionnelles … (Je souligne.)

 

 

 

[11]           Il est donc établi en droit que, sauf circonstances exceptionnelles, on attend d’une personne dans la situation du défendeur, qui demande des prestations, qu’elle « vérifie assez rapidement » les obligations que lui impose la Loi. Parce que le défendeur n’a rien fait de tel, il était déraisonnable pour le juge‑arbitre de conclure que constituait un motif valable justifiant la demande tardive l’impression du défendeur que sa pension de retraite l’empêchait de demander des prestations. On ne saurait dire que les circonstances de l’espèce sont « exceptionnelles ».


 

[12]           Pour les motifs exposés ci-dessus, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie sans frais. La décision du juge-arbitre sera infirmée et l’affaire sera renvoyée au juge-arbitre en chef ou à la personne qu’il aura désignée, pour qu’il rende une nouvelle décision en tenant pour acquis que l’appel interjeté contre la décision du conseil arbitral doit être accueilli.

 

« J. Edgar Sexton »

j.c.a.

 

 

« Je suis d’accord

            John M. Evans j.c.a. »

 

 

« Je suis d’accord

            J.D. Denis Pelletier j.c.a. »

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Ghislaine Poitras, LL.L., Trad. a.


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

                                                

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                            A-106-10

 

(CONTRÔLE JUDICIAIRE DE LA DÉCISION RENDUE LE 25 FÉVRIER 2010 PAR MONSIEUR LE JUGE DUROCHER, EN QUALITÉ DE JUGE‑ARBITRE DANS LE DOSSIER CUB 74046)

 

INTITULÉ :                                                                           PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA c. RAMDASS SOMWARU

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                     Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                   Le 6 décembre 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                LE JUGE SEXTON    

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                             LE JUGE EVANS

                                                                                                LE JUGE PELLETIER

 

 

COMPARUTIONS :

 

Derek Edwards

POUR LE DEMANDEUR

 

 

Ramdass Somwaru

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DEMANDEUR

 

 

 

Ramdass Somwaru

Kitchener (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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