Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20110125

Dossier : A‑101‑10

Référence : 2011 CAF 24

 

CORAM :      LA JUGE SHARLOW

                        LA JUGE DAWSON

                        LA JUGE LAYDEN‑STEVENSON

 

 

ENTRE :

Syndicat des travailleurs et travailleuses des Postes

appelant

et

SOCIÉTÉ CANADIENNE DES POSTES

intimée

 

 

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 17 janvier 2011

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 25 janvier 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                        LA JUGE LAYDEN‑STEVENSON

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                       LA JUGE SHARLOW

                                                                                                                          LA JUGE DAWSON

 


Date : 20110125

Dossier : A‑101‑10

Référence : 2011 CAF 24

 

CORAM :      LA JUGE SHARLOW

                        LA JUGE DAWSON

                        LA JUGE LAYDEN‑STEVENSON

 

 

ENTRE :

Syndicat des travailleurs et travailleuses des Postes

appelant

et

SOCIÉTÉ CANADIENNE DES POSTES

intimée

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE LAYDEN‑STEVENSON

[1]               L’appelant, le Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes (le syndicat), interjette appel de l’ordonnance par laquelle un juge de la Cour fédérale (le juge de première instance) a accueilli la demande de contrôle judiciaire présentée par la Société canadienne des postes (Postes Canada) relativement à une décision rendue par un agent d’appel du Tribunal de santé et sécurité au travail Canada en vertu de la partie II du Code canadien du travail, L.R.C. 1985, ch. L‑2 (le Code). Les motifs du juge de première instance sont publiés à 2010 CF 154, 364 F.T.R. 177.

 

[2]               Postes Canada avait soulevé devant l’agent d’appel une objection suivant laquelle le délai dans lequel le syndicat pouvait faire appel des instructions données par une agente de santé et de sécurité avait expiré. Interprétant le paragraphe 146(1) du Code, l’agent d’appel a conclu que le syndicat avait interjeté appel dans le délai imparti. Saisi d’une demande de contrôle judiciaire de cette décision, le juge de première instance a conclu que la norme de contrôle applicable à la décision de l’agent d’appel était celle de la décision correcte et que la décision de l’agent d’appel n’était ni correcte ni raisonnable.  

 

[3]               Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis de faire droit à l’appel, d’annuler l’ordonnance du juge de première instance et de rétablir la décision de l’agent d’appel.

 

[4]               L’affaire a commencé lorsque le syndicat a déposé une plainte dans laquelle il alléguait que Postes Canada avait contrevenu à diverses dispositions de la partie II du Code, laquelle concerne la santé et la sécurité au travail. Il n’est pas nécessaire que j’en dise davantage au sujet des faits parce que les questions en litige dans le présent appel sont étroitement circonscrites. Les parties sont d’accord, dans le présent appel, pour dire que la lettre du 23 décembre 2008 que l’agente de santé et de sécurité a écrite et qui a été transmise au syndicat le même jour est le document sur lequel reposait la décision de l’agent d’appel. Il est également acquis aux débats qu’en raison de la fermeture des bureaux du syndicat pendant la période des Fêtes, le syndicat n’a reçu le document qu’à la réouverture de ses bureaux, le 5 janvier 2009.

 

Les dispositions législatives

[5]               Le texte des dispositions législatives citées dans les présents motifs est reproduit à l’annexe  A. C’est l’interprétation du paragraphe 146(1) qui est en litige et, par souci de commodité, le texte de ce paragraphe est reproduit ci‑dessous. Je tiens à signaler que l’article 146.2 confère divers pouvoirs aux agents d’appel, y compris celui d’« abréger ou [de] proroger les délais applicables à l’introduction de la procédure, à l’accomplissement d’un acte, au dépôt d’un document ou à la présentation d’éléments de preuve ».

 

Code canadien du travail

 (L.R.C. 1985, ch. L‑2)

 

146. (1) Tout employeur, employé ou syndicat qui se sent lésé par des instructions données par l’agent de santé et de sécurité en vertu de la présente partie peut, dans les trente jours qui suivent la date où les instructions sont données ou confirmées par écrit, interjeter appel de celles‑ci par écrit à un agent d’appel.

 

Canada Labour Code

(R.S.C. 1985, c. L‑2)

 

146. (1) An employer, employee or trade union that feels aggrieved by a direction issued by a health and safety officer under this Part may appeal the direction in writing to an appeals

officer within thirty days after the date of the direction being issued or confirmed in writing.

 

 

Décision de l’agent d’appel

[6]               Comme nous l’avons déjà dit, l’agent d’appel a conclu que l’appel du syndicat avait été interjeté dans le délai prescrit. Il a souligné que la Loi d’interprétation, L.R.C. 1985, ch. I‑21, prévoit que les lois doivent s’interpréter de la manière la plus équitable et la plus large qui soit compatible avec la réalisation de leur objet (article 12). Il a conclu que la question principale était l’interprétation de l’expression « confirmées par écrit » et a estimé que le délai ne commence à courir qu’à partir du moment où la personne qui s’estime lésée reçoit la confirmation écrite. Il a jugé crédible l’affirmation du syndicat suivant laquelle la lettre n’avait été reçue que le 5 janvier 2009 et il a conclu que le syndicat avait interjeté appel avant l’expiration du délai de 30 jours.

 

Décision du juge de première instance

[7]               Le juge de première instance a procédé à une analyse de la norme de contrôle et a conclu que la norme applicable était celle de la décision correcte. Il a expliqué que la détermination d’un délai était une question qui est étrangère au domaine d’expertise des agents d’appel et que cette question requérait « certitude et cohérence ». Il n’a relevé aucune ambiguïté dans la loi et a conclu que l’expression « confirmées par écrit » ne donnait aucunement à penser que la confirmation était liée à la réception de la décision de l’agente de santé et de sécurité. Suivant le juge de première instance, la question pertinente n’était pas le moment où les instructions avaient été « confirmées par écrit au syndicat », mais plutôt la date à laquelle elles avaient été « données ou confirmées par écrit par l’agente de santé et de sécurité ». Il a estimé que, bien que l’omission de recevoir une décision pût, dans certaines circonstances, être un facteur pris en compte dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire prévu à l’alinéa 146.2f) du Code, ce facteur ne retardait pas en soi le moment où le délai de prescription prescrit au paragraphe 146(1) commençait à courir. Le juge de première instance a conclu que l’interprétation de l’agent d’appel était à la fois incorrecte et déraisonnable. Une interprétation raisonnable serait axée sur la confirmation par écrit de l’agente de santé et de sécurité et non sur la réception de cette confirmation par le plaignant.

 

Questions en litige

[8]               Le présent appel soulève deux questions :

a)      Le juge de première instance a‑t‑il commis une erreur en arrêtant la norme de contrôle applicable?

b)      Le juge de première instance a‑t‑il commis une erreur en estimant que l’interprétation que l’agent d’appel avait faite du paragraphe 146(1) était déraisonnable?

 

Norme de contrôle applicable en appel

[9]               Lorsqu’une décision en matière de contrôle judiciaire est portée en appel, le rôle de la juridiction d’appel consiste à décider si la juridiction inférieure a employé la norme de contrôle appropriée et si elle l’a appliquée correctement (Prairie Acid Rain Coalition c. Canada (Ministre des Pêches et des Océans), [2006] 3 R.C.F. 610, au paragraphe 14 (C.A.), autorisation d’appel refusée, [2006] C.S.C.R. no 197; Telfer c. Canada (Agence du revenu), 2009 CAF 23, [2009] D.T.C. 5046, aux paragraphes 18 et 19).

 

Le juge de première instance a‑t‑il commis une erreur en arrêtant la norme de contrôle applicable?

[10]           Le syndicat affirme que le juge de première instance a commis une erreur en ne suivant pas la jurisprudence existante suivant laquelle la norme de contrôle applicable aux décisions rendues par les agents d’appel en vertu du Code est celle de la décision raisonnable. Plus précisément, le syndicat cite l’arrêt Martin c. Canada (P.G.), [2005] 4 R.C.F. 637 (C.A.) (Martin), rendu par notre Cour, ainsi que la décision de la Cour fédérale P&O Ports Inc. Syndicat international des débardeurs et des magasiniers (Section Locale 500), 2008 CF 846, 331 F.T.R. 104 (P&O Ports). Postes Canada fait valoir, d’une part, que l’arrêt Martin est antérieur aux arrêts Dunsmuir c. Nouveau‑ Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190 (Dunsmuir) et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Khosa, [2009] 1 R.C.S. 339 (Khosa) de la Cour suprême, et que l’arrêt Martin n’est donc pas déterminant, et, d’autre part, que la décision P&O Ports portait sur une question différente.

 

[11]           Il est vrai que l’arrêt Dunsmuir nous enseigne que l’analyse de la norme de contrôle n’est pas nécessaire lorsque la jurisprudence « établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier » (au paragraphe 62). Les décisions Martin et P&O Ports portaient toutes deux sur l’analyse que l’agent d’appel avait faite de la notion de « danger » au sens du Code. L’arrêt Martin portait aussi sur une autre question qui ne nous intéresse pas en l’espèce. Le juge de première instance a pris acte de ces deux précédents et a établi une distinction en expliquant que les questions en cause dans ces affaires étaient différentes de celles qui lui étaient soumises. Vu la directive donnée par la Cour suprême au paragraphe 54 de l’arrêt Khosa suivant laquelle l’analyse de la norme de contrôle est nécessaire lorsque « les catégories établies par la jurisprudence ne sont pas concluantes », j’estime que le juge de première instance n’a pas commis d’erreur en procédant comme il l’a fait.

 

[12]           Le syndicat soutient en outre que le juge de première instance a commis une erreur en ne concluant pas que la norme de contrôle applicable était celle de la décision raisonnable. Je suis du même avis que le syndicat à ce sujet. Je rejette la prétention de Postes Canada selon laquelle la question avait trait à la compétence. Suivant l’arrêt Dunsmuir, « la “compétence” s’entend au sens strict de la faculté du tribunal administratif de connaître de la question » (au paragraphe 59). Postes Canada a admis, lors de l’instruction de l’appel, que la loi confère à l’agent d’appel le pouvoir d’interpréter la disposition contestée. Le juge de première instance fait observer à juste titre, au paragraphe 18 de ses motifs, qu’on « ne peut contester que l’agent d’appel avait le pouvoir de mener une enquête et, ce faisant, d’interpréter et d’appliquer le paragraphe 146(1) du Code ». En conséquence, la question n’est pas une question de compétence au sens que l’on donne de nos jours à cette expression.

 

[13]           Le juge de première instance a repris à son compte la présomption dont il est question au paragraphe 25 de l’arrêt Khosa suivant laquelle l’interprétation, par un tribunal administratif, de sa loi habilitante est habituellement susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable. Il a signalé les clauses privatives fortes que l’on trouve aux articles 146.3 et 146.4 du Code. Il a discuté de l’objet de la partie II du Code – prévenir les accidents et les maladies liés à l’occupation d’un emploi – et reconnu que l’exhaustivité du régime prévu par le Code indiquait qu’il convenait de faire preuve d’une grande déférence. Il a estimé que les agents d’appel possédaient une expertise plus étendue que celle de la Cour quant aux décisions factuelles relatives aux enquêtes prévues par le Code. Il a toutefois conclu que, de par sa nature, la question en cause n’était pas une question qui tenait au contexte. Se fondant sur l’arrêt de notre Cour Canada (Procureur général) c. Mowat, 2009 CAF 309, [2009] A.C.F. no 1359, autorisation d’appel accordée, [2009] C.S.C.R. no 545 (arrêt non encore rendu), il a conclu qu’il s’agissait d’une question de droit général étrangère au domaine d’expertise des agents d’appel et requérant de la cohérence, et qui commande donc l’application de la norme de contrôle de la décision correcte.

 

[14]           Il me semble que, n’eut été de l’arrêt Mowat, le juge de première instance aurait probablement retenu la norme de la décision raisonnable comme norme de contrôle applicable. Je suis de cet avis parce que, à l’exception du facteur de la nature de la question en litige et de celui de l’expertise de l’agent d’appel par rapport à l’expertise de la Cour pour y répondre, tous les facteurs que le juge de première instance a analysés indiquaient que la déférence s’imposait. Dans l’arrêt Mowat, la Cour a jugé que la question en litige revêtait une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble et qu’elle était étrangère au domaine d’expertise du tribunal administratif. En pareil cas, la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte (Dunsmuir, au paragraphe 54). Dans l’arrêt Mowat, ni les interprétations contradictoires en présence ni l’absence de clause privative n’ont été jugées déterminantes.

 

[15]           Dans le cas qui nous occupe, bien qu’il ait conclu que l’interprétation du paragraphe 146(1) était une question de droit général, le juge de première instance n’a pas considéré que cette question revêtait une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble. Il aurait d’ailleurs eu du mal à tirer pareille conclusion. À mon humble avis, l’interprétation de la disposition en cause soulève une question distincte qui s’inscrit dans le cadre d’une des nombreuses étapes d’un système administratif complexe. Il s’agit d’une question de droit découlant de la loi constitutive de l’agent d’appel et nul n’a laissé entendre que cette question aurait des incidences importantes sur d’autres aspects du système juridique. Le syndicat soutient que la disposition en cause ne revêt pas une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble et, à l’instruction du présent appel, Postes Canada a reconnu et accepté la justesse de ce point de vue.

 

[16]           De plus, bien que le juge de première instance ait estimé qu’elle devait être interprétée de façon cohérente, cette disposition n’avait pas fait l’objet d’interprétations incompatibles. Exiger que l’on réponde de la même manière à toute question de droit général pourrait entraîner l’application de la norme de la décision correcte à pratiquement toutes les questions de droit, qu’elles revêtent ou non une importance capitale pour le système juridique, et ce, peu importe que des courants jurisprudentiels contradictoires se soient dessinés ou non à leur sujet et que les questions portent ou non sur l’interprétation de la loi habilitante du décideur. Cette hypothèse ne saurait être envisagée parce que, comme nous l’avons déjà signalé, l’interprétation qu’un tribunal administratif fait de sa propre loi constitutive commande la déférence (Khosa, au paragraphe 25).

 

[17]           De plus, la détermination de la norme de contrôle applicable est fonction de l’intention du législateur (Dunsmuir, au paragraphe 30, Khosa, au paragraphe 30). Bien qu’elle ne soit pas décisive à cet égard, l’existence d’une clause privative « est révélatrice de l’intention du législateur » (Dunsmuir, au paragraphe 31). L’article 146.3 du Code prévoit que les décisions de l’agent d’appel sont définitives et non susceptibles de recours judiciaires. L’article 146.4 est formulé en des termes encore plus forts. Aucun de ces deux articles ne permet de penser qu’il y a lieu de faire une distinction selon la nature de la question ou de la disposition.

 

[18]           À mon avis, le régime exhaustif prévu par la loi est conçu en partie pour faciliter le règlement rapide des questions de santé et de sécurité. Compte tenu de la présomption dont bénéficient les agents d’appel en ce qui concerne la façon dont il interprètent leur loi constitutive, du caractère distinctif de la question en litige, du régime détaillé et exhaustif prévu par la loi, de l’expertise des agents d’appel qui exercent leurs activités dans le cadre de ce régime et, enfin, de l’existence de clauses privatives fortes, la norme de la décision raisonnable est la norme de contrôle appropriée. L’interprétation de la disposition contestée ne satisfait pas aux conditions prévues pour entrer dans l’une ou l’autre des exceptions reconnues à la règle générale de la déférence.

 

Le juge de première instance a‑t‑il commis une erreur en estimant que l’interprétation que l’agent d’appel avait faite du paragraphe 146(1) était déraisonnable?

[19]           Après avoir adopté la norme de contrôle de la décision correcte, le juge de première instance a conclu que l’interprétation que l’agent d’appel avait faite du paragraphe 146(1) était incorrecte. Il a également qualifié cette interprétation de déraisonnable. Par souci de commodité, je reproduis de nouveau la disposition en question.

 

146. (1) Tout employeur, employé ou syndicat qui se sent lésé par des instructions données par l’agent de santé et de sécurité en vertu de la présente partie peut, dans les trente jours qui suivent la date où les instructions sont données ou confirmées par écrit, interjeter appel de celles‑ci par écrit à un agent d’appel.

146. (1) An employer, employee or trade union that feels aggrieved by a direction issued by a health and safety officer under this Part may appeal the direction in writing to an appeals

officer within thirty days after the date of the direction being issued or confirmed in writing.

 

 

[20]           Pour être considéré comme ayant été fait dans le délai prescrit, l’appel doit être interjeté « dans les trente jours qui suivent la date où les instructions sont données ou confirmées par écrit ». Comme il a déjà été mentionné, le document pertinent était daté du 23 décembre 2008, date à laquelle il a également été transmis au syndicat. Le cœur de l’exercice d’interprétation consistait à se demander à quel moment le document emportait confirmation par écrit.

 

[21]           L’agent d’appel a conclu que la confirmation s’était produite le 5 janvier 2009, lorsque le syndicat avait rouvert ses bureaux après la période des Fêtes et reçu le document. Le juge de première instance n’était pas de cet avis. Appliquant la norme de la décision correcte. Il a conclu que « rien ne donne aucunement à penser que la confirmation est liée à la réception ou à la communication des instructions aux parties intéressées ». Suivant le juge de première instance, la loi ne comporte aucune ambiguïté. Il a expliqué que, bien que l’omission de voir le document puisse être un facteur pris en compte par le Tribunal dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire pour proroger les délais d’appel en vertu de l’alinéa 146.2f), la prorogation ne retardait pas le moment où le délai de prescription commence à courir. Le juge de première instance s’est dit d’avis qu’interpréter l’expression « confirmées par écrit » comme désignant le moment où les instructions sont confirmées et reçues était une interprétation qu’il était déraisonnable de donner au Code. Cependant, pour arriver à cette conclusion, le juge de première instance a dû recourir à ce qu’il estimait être l’interprétation « correcte ».

 

[22]           Le syndicat soutenait que l’agent d’appel avait fourni des motifs clairs et rationnels à l’appui de sa décision, en s’appuyant sur des principes d’interprétation des lois et en se conformant à la jurisprudence relative à l’interprétation de dispositions législatives semblables. Postes Canada ne conteste pas, à raison selon moi, l’intelligibilité ou le degré de justification des motifs exposés par l’agent d’appel. Elle affirme que interprétation de l’agent d’appel était à la fois incorrecte et déraisonnable. Comme j’ai conclu que la norme de la décision correcte ne s’appliquait pas, la seule question qu’il reste à régler est celle de savoir si cette décision appartenait aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, au paragraphe 47).

 

[23]           Dans l’arrêt Celgene Corp. c. Canada (P.G.), 2011 CSC 1, la Cour suprême a confirmé le principe selon lequel l’interprétation des lois consiste à examiner le sens ordinaire des mots et le contexte législatif dans lequel ils s’inscrivent : « S’il est clair, le libellé prévaut; sinon, il cède le pas à l’interprétation qui convient le mieux à l’objet prédominant de la loi » (au paragraphe 21).

 

[24]           L’expression « confirmées par écrit » se prête en soi à diverses interprétations. Elle peut signifier : « consignées par écrit », « tapées à l’ordinateur », « imprimées », « mises à la poste » et bien d’autres choses, y compris « reçues ». Par conséquent, l’expression n’est pas en soi claire. À mon avis, la raison d’être de la confirmation est d’informer la personne ou l’entité au profit de laquelle la confirmation est donnée. C’est le raisonnement qu’a suivi l’agent d’appel pour parvenir à sa conclusion. Bien que le juge de première instance ait conclu que « rien ne donne […] à penser que la confirmation est liée à la réception ou à la communication des instructions aux parties intéressées », il résulte du rapprochement des paragraphes 145(1), 145(1.1), 145(5) et 145(6) du Code que la confirmation est notamment censée profiter à la personne qui s’estime lésée.

 

[25]           Dans la décision Toney c. Bande de la Première nation d’Annapolis Valley, 2004 CF 1728, 267 F.T.R. 186, la Cour fédérale s’est penchée sur le paragraphe 240(2) du Code, qui exige que la plainte soit déposée « dans les quatre‑vingt‑dix jours qui suivent la date du congédiement ». Le juge Kelen a estimé qu’une interprétation suivant laquelle le délai de prescription commençait à courir au moment où le plaignant était présumé avoir reçu un avis l’informant qu’il avait été congédié était raisonnable.

 

[26]           De l’avis du juge de première instance, l’interprétation proposée par l’agent d’appel rendrait redondant le pouvoir discrétionnaire prévu à l’alinéa 146.2f) (pouvoir de proroger les délais). Je suis d’accord avec le syndicat pour dire que le pouvoir discrétionnaire prévu à l’alinéa 146.2f) demeure pertinent. Suivant l’interprétation de l’agent d’appel, ce pouvoir discrétionnaire ne s’appliquait que dans le cas des appels interjetés après l’expiration du délai de 30 jours suivant la réception du document. Le juge de première instance s’inquiétait aussi de la possibilité que d’éventuels appelants se soustraient à la livraison. Là encore, je suis d’accord avec le syndicat pour dire que la fonction normale de constatation des faits exercée par l’agent d’appel sert à déterminer à quel moment la réception a lieu.

 

[27]           Comme il a déjà été dit, le tribunal qui procède à un contrôle judiciaire en appliquant la norme de la décision raisonnable se demande si le processus décisionnel suivi par le tribunal est suffisamment justifié, transparent et intelligible. Ni les parties ni le juge de première instance dans ses motifs n’ont laissé entendre qu’il y avait lieu de reprocher quoi que ce soit à l’agent d’appel à cet égard.

 

[28]           La Cour se demande aussi si la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Le contrôle judiciaire selon la norme de la décision raisonnable part du principe que l’interprétation d’une disposition n’appelle pas une seule solution précise (Dunsmuir, au paragraphe 47, Khosa, au paragraphe 25). Qui plus est, le principe de la déférence [traduction] « reconnaît que, dans beaucoup de cas, les personnes qui se consacrent quotidiennement à l’application de régimes administratifs souvent complexes possèdent ou acquièrent une grande connaissance ou sensibilité à l’égard des impératifs et des subtilités des régimes législatifs en cause » (Dunsmuir, au paragraphe 49, Khosa, au paragraphe 25, citant David J. Mullan, « Establishing the Standard of Review : The Struggle for Complexity? » (2004), 17 C.J.A.L.P. 59, à la page 93).

 

[29]           Appliquant en l’espèce la norme de contrôle de la décision raisonnable, il m’est impossible de conclure que la décision de l’agent d’appel n’appartenait pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier. Elle n’était pas incompatible avec l’objet de la loi. En fait, elle en favorisait la réalisation. Comme il était raisonnablement loisible à l’agent d’appel d’interpréter le délai comme il l’a fait, le juge de première instance a commis une erreur en concluant le contraire.

 

[30]           J’accueillerais l’appel, j’annulerais l’ordonnance du juge de première instance et je rétablirais la décision de l’agent d’appel. J’adjugerais les dépens de l’appel au syndicat.

 

 

« Carolyn Layden‑Stevenson »

j.c.a.

 

 

« Je suis d’accord.

K. Sharlow, j.c.a. »

 

« Je suis d’accord

Eleanor R. Dawson, j.c.a. »

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.
ANNEXE A

DES MOTIFS RENDUS DANS L’AFFAIRE

Syndicat des travailleurs et travailleuses des Postes

c. SOCIÉTÉ CANADIENNE DES POSTES

A‑101‑10

25 janvier 2011

 

 

Code canadien du travail

(L.R.C. 1985, c. L‑2)

 

145 (1.1) Il confirme par écrit toute instruction verbale :

 

a) avant de quitter le lieu de travail si l’instruction y a été donnée;

 

 

b) dans les meilleurs délais par courrier ou par fac‑similé ou autre mode de communication électronique dans tout autre cas.

 

145 (6) Aussitôt après avoir donné les instructions visées aux paragraphes (1), (2) ou (2.1), ou avoir rédigé le rapport visé au paragraphe (5) en ce qui concerne une enquête qu’il a menée à la suite d’une plainte, l’agent en transmet copie aux personnes dont la plainte est à l’origine de l’enquête.

 

 

 

146. (1) Tout employeur, employé ou syndicat qui se sent lésé par des instructions données par l’agent de santé et de sécurité en vertu de la présente partie peut, dans les trente jours qui suivent la date où les instructions sont données ou confirmées par écrit, interjeter appel de celles‑ci par écrit à un agent d’appel.

 

 

146.2 Dans le cadre de la procédure prévue au paragraphe 146.1(1), l’agent d’appel peut :

f) abréger ou proroger les délais applicables à l’introduction de la procédure, à l’accomplissement d’un acte, au dépôt d’un document ou à la présentation d’éléments de preuve;

 

 

146.3 Les décisions de l’agent d’appel sont définitives et non susceptibles de recours judiciaires.

 

146.4 Il n’est admis aucun recours ou décision judiciaire — notamment par voie d’injonction, de certiorari, de prohibition ou de quo warranto — visant à contester, réviser, empêcher ou limiter l’action de l’agent d’appel exercée dans le cadre de la présente partie.

 

 

Loi d’interprétation

(L.R.C. 1985, c. I‑21)

 

12. Tout texte est censé apporter une solution de droit et s’interprète de la manière la plus équitable et la plus large qui soit compatible avec la réalisation de son objet.

Canada Labour Code

(R.S.C. 1985, c. L‑2)

 

145 (1.1) A health and safety officer who has issued a direction orally shall provide a written version of it

(a) before the officer leaves the work place, if the officer was in the work place when the direction was issued; or

(b) as soon as possible by mail, or by facsimile or other electronic means, in any other case.

 

 

145 (6) If a health and safety officer issues a direction under subsection (1), (2) or (2.1) or makes a report referred to in subsection (5) in respect of an investigation made by the officer pursuant to a complaint, the officer shall immediately give a copy of the direction or report to each person, if any, whose complaint led to the investigation.

 

146. (1) An employer, employee or trade union that feels aggrieved by a direction issued by a health and safety officer under this Part may appeal the direction in writing to an appeals officer within thirty days after the date of the direction being issued or confirmed in writing.

 

 

 

 

146.2 For the purposes of a proceeding under subsection 146.1(1), an appeals officer may

(f) abridge or extend the time for instituting the proceeding or for doing any act, filing any document or presenting any evidence;

 

 

 …

 

146.3 An appeals officer’s decision is final and shall not be questioned or reviewed in any court.

 

146.4 No order may be made, process entered or proceeding taken in any court, whether by way of injunction, certiorari, prohibition, quo warranto or otherwise, to question, review, prohibit or restrain an appeals officer in any proceeding under this Part.

 

 

 

Interpretation Act

(R.S.C. 1985, c. I‑21)

 

12. Every enactment is deemed remedial, and shall be given such fair, large and liberal construction and interpretation as best ensures the attainment of its objects.


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    A‑101‑10

 

(APPEL D’UN JUGEMENT RENDU PAR LE JUGE DE MONTIGNY LE 16 FÉVRIER 2010 DANS LE DOSSIER T‑743‑09)

 

INTITULÉ :                                                   Syndicat des travailleurs et travailleuses des Postes c. SOCIÉTÉ CANADIENNE DES POSTES

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 17 janvier 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LA JUGE LAYDEN‑STEVENSON

 

Y ONT SOUSCRIT :                                     LA JUGE SHARLOW

                                                                        LA JUGE DAWSON 

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 25 janvier 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Paul Cavalluzzo

Jo‑Anne Pickel

 

POUR L’APPELANT

 

Stephen Bird

 

POUR L’INTIMÉE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Cavalluzzo Hayes Shilton

McIntyre & Cornish LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR L’APPELANT

 

Bird Richard

Avocats

Ottawa (Ontario)

POUR L’INTIMÉE

 

 

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