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Cour d’appel fédérale

Federal Court of Appeal

 

Date : 20110202

Dossier : A‑55‑10

Référence : 2011 CAF 37

 

CORAM :      LA JUGE SHARLOW

                        LA JUGE TRUDEL

                        LE JUGE STRATAS

 

ENTRE :

LE COMITÉ DES MEMBRES DE LA COLLECTIVITÉ DE LA BANDE INDIENNE D’ADAMS LAKE

appelant

et

THOMAS PHIL DENNIS, DE LA BANDE INDIENNE D’ADAMS LAKE, AGISSANT EN QUALITÉ DE RÉSIDENT ET D’ÉLECTEUR AINSI QUE POUR LE COMPTE DE PARENTS ET D’AUTRES MEMBRES DE LA BANDE INDIENNE D’ADAMS LAKE

 

intimé

 

 

 

Audience tenue à Vancouver (Colombie‑Britannique), le 30 novembre 2010

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 2 février 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                               LE JUGE STRATAS

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                       LA JUGE SHARLOW

                                                                                                                             LA JUGE TRUDEL

 


Cour d’appel fédérale

Federal Court of Appeal

Date : 20110202

Dossier : A‑55‑10

Référence : 2011 CAF 37

 

CORAM :      LA JUGE SHARLOW

                        LA JUGE TRUDEL

                        LE JUGE STRATAS

 

ENTRE :

LE COMITÉ DES MEMBRES DE LA COLLECTIVITÉ DE LA BANDE INDIENNE D’ADAMS LAKE

appelant

et

THOMAS PHIL DENNIS, DE LA BANDE INDIENNE D’ADAMS LAKE, AGISSANT EN QUALITÉ DE RÉSIDENT ET D’ÉLECTEUR AINSI QUE POUR LE COMPTE DE PARENTS ET D’AUTRES MEMBRES DE LA BANDE INDIENNE D’ADAMS LAKE

 

intimé

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

LE JUGE STRATAS

 

[1]               Il s’agit d’un appel et d’un appel incident d’un jugement de la Cour fédérale : 2010 CF 62. Le juge a déclaré que le Comité des membres de la collectivité de la bande indienne d’Adams Lake (le Comité) avait perdu la compétence de se prononcer sur certains appels en matière d’élection. D’après le juge, ce pouvoir a été perdu parce qu’un des membres du Comité a démissionné juste avant que les membres restants signent le document dans lequel ils avaient consigné leur décision. Il a estimé qu’il n’y avait plus quorum. Le juge a donc annulé les décisions du Comité rejetant les appels en matière d’élection.

 

[2]               Pour les motifs exposés ci‑dessous, je ne peux souscrire à cette décision. Je ferais donc droit à l’appel et rejetterais l’appel incident, j’annulerais le jugement de la Cour fédérale et je rejetterais la demande de contrôle judiciaire. Cette décision aura pour effet de rétablir les décisions du Comité rejetant les appels en matière d’élection.

 

A.        Les faits

 

[3]               Les élections de la bande sont régies par les Adams Lake Secwepemc Election Rules (les Règles électorales). La bande a approuvé et adopté ces règles après avoir obtenu l’appui de la majorité de ses membres au cours d’un référendum. Dans le présent appel, toutes les parties conviennent que les Règles électorales régissaient l’élection de bande tenue le 14 février 2009. À la suite de cette élection, un chef et un conseil de bande ont été élus pour un mandat de trois ans. L’intimé, Thomas Phil Dennis, s’était porté candidat aux élections. Il n’a pas été élu.

 

[4]               Aux termes des Règles électorales, un membre de la bande peut interjeter appel du résultat de l’élection sur le fondement d’allégations d’inadmissibilité d’un candidat, de pratiques de corruption ou de violation de règles électorales susceptible de toucher les résultats de l’élection. De tels appels font l’objet d’une enquête, sont examinés et tranchés par un organe désigné comme le Comité. M. Dennis et d’autres ont interjeté appel des résultats de l’élection, alléguant des irrégularités.

 

[5]               Bien avant les controverses suscitées par l’élection – en fait, avant que des membres se soient portés candidats à l’élection – la bande avait constitué le Comité. Cinq personnes avaient été nommées. Cela vient du fait que l’article 19 des Règles électorales énonçait : [traduction] « Un comité composé de cinq (5) personnes dirige et tranche toutes les procédures ayant pour but de contester une élection conformément aux Règles électorales […] ». Les Règles électorales ne contiennent aucune disposition permettant d’assouplir l’exigence que le comité soit composé de cinq membres.

 

[6]               Aux termes de l’article 27 des Règles électorales, le Comité doit trancher les appels dans les 30 jours. Les cinq membres du Comité se sont réunis, ont fait enquête sur les appels et ont reçu des observations pendant un certain nombre de jours. Il a consacré les deux derniers jours de la période de 30 jours à examiner le fond des appels.

 

[7]               À 15 h 10, le tout dernier jour, une fois les délibérations terminées et au moment où les membres du Comité étaient en train de voter, un des cinq membres de ce Comité, M. Rodney Jules, a soudainement donné sa démission. Il a produit une lettre dans laquelle il exposait les motifs de sa démission. Tous ses motifs concernent le fond des appels qui lui avaient été soumis. Il était préoccupé par la procédure suivie pour le vote par correspondance, la période prévue pour le vote des absents et la nécessité pour le Comité d’examiner toutes les irrégularités soulevées dans chacun des appels et d’en évaluer la gravité. La lettre de démission montre qu’il avait pris sa décision au sujet des appels, qu’il avait en fait des motifs à l’esprit et qu’il savait qu’il serait mis en minorité, dans les appels, par les quatre autres membres.

 

[8]               La lettre de démission de M. Jules concluait par une déclaration selon laquelle le Comité [traduction] « ne peut se prononcer sans un effectif complet », ce qui « renvoie à la collectivité » le soin de trancher ces appels. Le juge s’est fondé sur cette déclaration (au paragraphe 9 de ses motifs) pour conclure que la démission de M. Jules visait à contrer les travaux du Comité et, de cette façon, à soumettre les appels à la collectivité. Cette intention allait toutefois directement à l’encontre des Règles électorales, adoptées par la collectivité au cours d’un référendum, qui prévoient que les appels doivent être soumis au Comité, et non pas à la collectivité elle‑même.

 

[9]               Après cette démission soudaine, le Comité a consulté un conseiller juridique au sujet de l’article 19 et de l’exigence selon laquelle un [traduction] « comité composé de cinq (5) personnes dirige et tranche toutes les procédures ayant pour but de contester une élection conformément aux Règles électorales ». Le Comité, qui ne comprenait alors que quatre membres, a mis un terme au processus de vote, sans autre délibération, et a unanimement rejeté les appels. Un appel a été rejeté pour le motif que la preuve n’établissait pas l’existence d’un moyen d’appel valide. Les autres appels ont été rejetés pour le motif que les violations techniques des Règles électorales constatées n’avaient pas eu d’incidence sur les résultats de l’élection. Le Comité a préparé des documents dans lesquels il rejetait chacun des appels. Les quatre membres restants ont signé ces documents.

 

B.        La décision de la Cour fédérale

 

[10]           Le juge a conclu, sur le fondement de plusieurs sources, que l’exigence des cinq personnes prévue à l’article 19 des Règles électorales établissait un quorum et constituait donc « une exigence fondamentale liée à la compétence qui ne peut être excusée par le droit d’une instance décisionnelle de déterminer sa propre procédure ou […] par le consentement des parties » (au paragraphe 21). Le juge a estimé que la démission du membre avait privé le Comité du quorum de cinq personnes. Le Comité n’avait donc plus compétence pour se prononcer sur les appels. Le juge a par conséquent accueilli la demande de contrôle judiciaire, annulé les décisions du Comité rejetant les appels électoraux présentés par M. Dennis et ordonné que ces appels soient réexaminés quant au fond par un comité nouvellement constitué. Il a accordé aux demandeurs des dépens de 1 500 $, y compris les débours.

 

[11]           Il ressort clairement des motifs du juge (aux paragraphes 21 et 22) qu’il regrettait la perte de compétence du Comité en raison d’une démission « malheureuse et très tardive ». Il a estimé que le Comité avait agi de façon équitable, régulière et diligente. Il a reconnu que sa décision risquait de créer « de l’incertitude politique », « imposera des contraintes administratives à la bande » et causera « des frais et inconvénients supplémentaires ». Ces regrets n’ont toutefois pas empêché le juge de rendre l’ordonnance qui fait maintenant l’objet du présent appel et de l’appel incident.

 

C.        Les arguments des parties présentés à notre Cour

 

[12]           Devant notre Cour, l’appelant a soutenu que le Comité avait compétence pour trancher les appels même lorsqu’il n’était composé que de quatre membres. Il affirme que l’article 19 précise uniquement [traduction] « une exigence relative à la composition du Comité » et non pas [traduction] « une exigence quant au quorum » et qu’il existait certains précédents à l’appui de cette interprétation : Montreal Trust Co. c. The Oxford Pipe Line Co., [1942] O.R. 260 (H.C.), conf. par. [1942] O.R. 490 (C.A.); Murray c. Rockyview (Municipal District No. 44) (1980), 110 D.L.R. (3d) 641, 12 Alta. L.R. (2d) 342; Canada (P.G.) c. Allard, [1982] 2 C.F. 706, 49 N.R. 301 (C.A.); Boucher c. Métis National of Alberta Association, 2009 ABCA 5, [2009] 2 W.W.R. 581. Il a également soutenu que le Comité avait la compétence inhérente voulue pour trancher les appels avec une formation de quatre membres. Il a enfin affirmé que le Comité était maître de sa propre procédure et qu’il pouvait poursuivre le processus de vote avec une formation de quatre membres s’il décidait de le faire.

 

[13]           Je ne souscris pas aux arguments de l’appelant. L’article 19 est rédigé de façon particulièrement stricte. Il exige, de façon inconditionnelle et non ambiguë, que les appels soient examinés et tranchés par cinq personnes. Il convient d’examiner les décisions citées par l’appelant avec prudence parce qu’elles ne contiennent pas le texte des dispositions pertinentes et qu’elles concernent des dispositions qui permettent d’assouplir les conditions relatives au quorum ou des dispositions qui n’imposent aucune exigence quant au quorum. Pour ce qui est des pouvoirs inhérents, « les tribunaux administratifs créés par une loi […] ne possèdent aucune compétence inhérente » (voir Tranchemontagne c. Ontario (Directeur du Programme ontarien de soutien aux personnes handicapées), 2006 CSC 14 au paragraphe 16, [2006] 1 R.C.S. 513); il est donc difficile de comprendre comment le Comité créé par les Règles électorales pourrait posséder une telle compétence. Enfin, le Comité est maître de sa propre procédure (Knight c. Indian Head School Division No. 19, [1990] 1 R.C.S. 653 à la page 685, 69 D.L.R. (4th) 489), mais, en l’absence d’un pouvoir exprès de modifier ou de ne pas suivre les Règles électorales, il ne peut modifier les exigences de l’article 19.

 

[14]           L’intimé soutient que l’article 19 a été intentionnellement formulé à titre de mesure de « protection démocratique » de façon à permettre à un membre de démissionner et d’empêcher le Comité de trancher un appel, obligeant ainsi la collectivité tout entière à se prononcer sur l’appel. L’intimé a toutefois admis en plaidoirie que le dossier ne démontrait pas l’existence d’une telle intention. En outre, si telle avait été l’intention des rédacteurs, on aurait pu s’attendre à ce qu’ils prévoient une règle exigeant que les décisions soient unanimes, à défaut de quoi l’appel pourrait être porté devant l’ensemble de la collectivité. Il n’existe pas de telle règle.

 

[15]           L’intimé a également soutenu que sa bande avait besoin d’être gouvernée de façon démocratique et efficace pour pouvoir s’occuper des problèmes et des difficultés qu’il voit dans sa collectivité. Il a présenté ses observations de façon passionnée, éloquente et émouvante. Nous sommes toutefois une cour d’appel et ne pouvons qu’examiner les éléments de preuve figurant au dossier et analyser la question juridique précise en litige dans le présent appel : y a‑t‑il lieu d’annuler les décisions du Comité parce que la démission d’un de ses membres lui a fait perdre le quorum exigé par l’article 19 des Règles électorales?

 

D.        Le Comité a‑t‑il perdu le quorum et, si c’est le cas, à quel moment?

 

[16]           Comme cela a été mentionné ci‑dessus, le juge de la Cour fédérale a estimé que la démission du membre avait fait perdre au Comité le quorum de cinq personnes et, par conséquent, la compétence de trancher les appels. Le juge a estimé que la « compétence d’une instance décisionnelle est assujettie au maintien du quorum prévu du début à la fin du processus décisionnel en question » (au paragraphe 12). À son avis, le quorum devait être maintenu jusqu’à l’achèvement du processus décisionnel. Comme le Comité a perdu le quorum avant l’achèvement de ce processus, il a perdu son pouvoir de trancher les appels en matière d’élection.

 

[17]           Dans sa plaidoirie, l’appelant a admis que le Comité n’avait pas respecté l’exigence des cinq personnes prévue à l’article 19. Il a plutôt insisté sur la question de savoir si le Comité pouvait continuer à siéger avec une formation de quatre membres. Il n’a donc pas traité de la conclusion du juge selon laquelle le Comité avait perdu le quorum avant l’achèvement du processus décisionnel. L’intimé n’a pas non plus abordé cette question.

 

[18]           À mon avis, d’après le dossier qui a été déposé dans le présent appel, le Comité a terminé le processus décisionnel avant de perdre le quorum. Lorsqu’il a perdu le quorum, il restait seulement à terminer une tâche administrative, à savoir signifier officiellement sa décision et la communiquer aux parties. Cependant, étant donné que la Cour n’a pas entendu d’arguments sur cette question et qu’il n’est pas nécessaire que je me prononce sur ce point pour trancher l’appel, je m’abstiendrai de rendre une décision définitive à ce sujet. Cependant, à l’intention des futurs plaideurs, j’aimerais formuler quelques remarques sur cette question.

 

[19]           Le juge de la Cour fédérale a jugé avec raison que le Comité devait conserver le quorum jusqu’à l’achèvement de son processus décisionnel. L’arrêt qui fait autorité sur ce point est IBM Canada Ltd. c. Canada (Sous‑ministre du Revenu national, Douanes et Accise ‑‑ MRN), [1992] 1 C.F. 663, (1991), 129 N.R. 369 (C.A.). Il faut qu’il y ait « une intention commune » et que chaque membre soit « informé, dans les grandes lignes à tout le moins, du point de vue de chacun de ses collègues »; il faut que le Comité, en tant que groupe, « à un certain point, […] en arriv[e] à une décision collectivement » et que chaque membre participe « individuellement à cette décision collective en y souscrivant ou en exprimant sa dissidence » : IBM, à la page 675. Les membres agissant de concert doivent prendre « une décision commune, qu’elle soit unanime ou pas » : IBM, à la page 674. En fait, cela veut dire qu’il doit y avoir quorum jusqu’à la fin du processus décisionnel, soit jusqu’à ce que tous les membres aient pris leur décision.

 

[20]           Le juge n’a toutefois pas décidé si, d’après les faits, il y avait quorum pendant tout le processus décisionnel. Il a par contre conclu qu’il n’y avait pas quorum au moment où la décision a été rendue, à savoir lors de la signature de la feuille de papier sur laquelle était officiellement consignée la décision collective. Pour reprendre les termes du juge, le Comité « a rend[u] ses décisions en l’absence d’un effectif de cinq membres » et s’est « prononc[é] sur les appels […] en l’absence de l’un de ses membres » (non souligné dans l’original, aux paragraphes 10 et 12).

 

[21]           Dans IBM, la Cour a jugé que le quorum n’était peut‑être pas nécessaire au moment même où la décision est rendue. Le juge Décary, parlant au nom de la Cour, a dit qu’« il n’existe à cet égard aucune règle absolue, car les dispositions législatives, les règles de pratique et les pratiques proprement dites peuvent différer d’un tribunal à un autre » : IBM, à la page 675. Il a également déclaré que « la signature n’entraîne pas nécessairement la participation »; l’élément essentiel est de déterminer s’il y avait quorum pendant tout le processus décisionnel, eu égard à l’« l’intention commune » décrite au paragraphe 20 des présents motifs : IBM, à la page 675.

 

[22]           La jurisprudence postérieure à l’arrêt IBM montre qu’il convient d’examiner les contextes législatif et factuel pour déterminer si l’absence d’une signature a un effet sur la décision prise. Dans Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 3 C.F. 127, 224 N.R. 227 (1re inst.), la Cour a jugé qu’il était nécessaire que tous les membres de la Commission fassent formellement connaître leur décision. Dans cette affaire, la Commission agissait en vertu de l’article 69.1 de la Loi sur l’immigration, L.R.C. 1985, ch. I‑2, qui énonce qu’en cas de partage des voix, la décision est réputée être rendue en faveur du demandeur d’asile. Il est nécessaire que les commissaires fassent formellement connaître leurs décisions pour savoir s’il y a réellement partage des votes. Dans Mehael c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 838 (1re inst.), une affaire qui portait sur la même disposition législative, la Cour a jugé qu’il était possible de ne pas tenir compte de l’absence d’une signature si la preuve démontrait que le commissaire n’ayant pas signé avait en fait participé à la décision et que sa position sur le fond de la décision était claire (au paragraphe 13). Dans cette affaire, la partie concernée ne s’était pas acquittée de son fardeau de présentation.

 

[23]           Pour en revenir à la présente affaire, l’article 19 des Règles électorales exige que les cinq membres du Comité [traduction] « tranch[ent] » les appels. Le verbe « trancher » n’est pas défini et il n’est exigé que les décisions soient formellement rendues par écrit. À la différence de l’affaire Singh, dans laquelle il fallait formellement faire connaître les décisions selon le régime législatif particulier applicable, les Règles électorales ne contiennent aucune disposition faisant de la notification formelle des décisions une étape essentielle du processus du Comité. Enfin, le dossier ne contenait aucun élément démontrant l’existence d’une pratique, selon laquelle on exigeait que le Comité notifie formellement ses décisions.À mon avis, il existe en l’espèce un argument factuel solide selon lequel il n’y a pas eu perte du quorum exigé à l’article 19. Les cinq membres du Comité, y compris le membre démissionnaire, ont examiné les appels pendant plusieurs jours (voir les paragraphes 6 à 9 des présents motifs). Lorsque les délibérations ont pris fin et que le vote a commencé, les cinq membres, qui ont été mis au courant des opinions des autres membres dans le cadre de leurs délibérations, étaient parvenus à une décision quant au fond des appels :

 

a)         Quatre membres avaient décidé de rejeter les appels. Ces quatre membres ont par la suite attesté la prise de leur décision en signant un document.

b)         Le membre démissionnaire avait également pris sa décision. Dans sa lettre de démission, il a exprimé son désaccord avec les autres membres du Comité quant au fond des appels et exposé ses motifs. Il s’agit d’une affaire où, à la différence de l’affaire Mehael, il existe de nombreux éléments de preuve indiquant que le membre démissionnaire a participé au processus global de la prise de décision et était parvenu à une conclusion sur l’affaire.

 

On pourrait soutenir que les décisions du Comité respectaient l’exigence du quorum imposée par l’article 19 des Règles électorales et qu’elles ne devraient donc pas être annulées.

 

[24]           Cependant, comme je l’ai mentionné précédemment, les parties n’ont pas soulevé ce point dans leurs observations écrites ou orales, de sorte que je m’abstiendrai de me prononcer définitivement à cet égard. Je préfère plutôt trancher le présent appel sur le fondement d’un point qui a été largement débattu – à savoir que la Cour ne devrait pas annuler les décisions du Comité sur le fondement de son pouvoir discrétionnaire.

 

E.         Le pouvoir discrétionnaire de ne pas annuler les décisions

 

[25]           À mon avis, il y a lieu de faire droit à l’appel pour le motif que, même si le Comité a perdu la compétence de rendre ses décisions par lesquelles il rejetait les appels électoraux, il y avait lieu d’exercer un pouvoir discrétionnaire et de ne pas annuler ses décisions.

 

[26]           Le juge a conclu que le Comité avait perdu sa compétence, mais il a déclaré avec raison (au paragraphe 21) qu’il possédait, aux termes du paragraphe 18.1(3) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7, le pouvoir de ne pas annuler les décisions du Comité. Le juge a mentionné certains facteurs militant contre l’annulation des décisions du Comité, mais a finalement décidé de les annuler.

 

[27]           Une semaine seulement après que le juge eut rendu sa décision, la Cour suprême du Canada a rendu son jugement dans l’affaire Mines Alertes Canada c. Canada (Pêches et Océans), 2010 CSC 2, [2010] 1 R.C.S. 6. Cet arrêt nous fournit d’autres indications sur le pouvoir d’une cour de révision de ne pas annuler la décision d’un organisme administratif, même lorsqu’il existe des motifs de le faire.

 

[28]           Dans Mines Alerte Canada, la Cour suprême a jugé que certains aspects du processus d’évaluation environnementale n’étaient pas conformes à la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale, L.C. 1992, ch. 37 : les autorités responsables « ont outrepassé les pouvoirs qui leur sont reconnus par la loi » et ont agi de façon non conforme « aux exigences de la [Loi] » (aux paragraphes 42 et 52). Toutefois, les décisions de fond qu’ont prises les autorités responsables à la fin de ce processus non conforme n’ont pas été contestées. La Cour suprême a adopté une approche fondée sur la prépondérance des inconvénients; elle a pris en compte une très large gamme de facteurs et conclu qu’il n’y avait « aucune raison » d’annuler les décisions de fond prises et d’obliger tous les intéressés à recommencer le processus d’évaluation (au paragraphe 52). La Cour a reconnu qu’une telle approche revenait à « confirmer la validité d’un processus par ailleurs jugé non conforme aux exigences de la LCEE. » Elle a toutefois estimé que cela était préférable aux répercussions potentiellement disproportionnées qu’aurait eu sur les parties, et la collectivité en général, l’annulation de la décision.

 

[29]           Le message que contient Mines Alerte Canada est qu’il convient de prendre en considération toute une série de facteurs pratiques et on ne devrait pas accorder une importance indue à une erreur juridique ou à la non‑conformité d’une disposition : les aspects pratiques peuvent l’emporter sur les aspects juridiques.

 

[30]           La Cour peut substituer sa propre conclusion discrétionnaire à cet égard à celle contestée lorsque « le juge de première instance n’a [pas] accordé suffisamment d’importance à tous les éléments pertinents » : Mines Alerte Canada, au paragraphe 43. Voir également Friends of the Oldman River Society c. Canada (Ministre des Transports), [1992] 1 R.C.S. 3, au paragraphe 104, et Mazda Canada Inc. c. Mitsui O.S.K. Lines Co., 2008 CAF 219, [2009] 2 F.C.R. 382, aux paragraphes 17 à 20.

 

[31]           À mon avis, le juge n’a pas accordé suffisamment d’importance à tous les éléments pertinents. Il a pris en compte certains facteurs comme le risque d’incertitude politique, les fardeaux administratifs ainsi que les frais et inconvénients supplémentaires que pourrait entraîner une nouvelle décision sur les appels électoraux. Se fondant sur ces facteurs et eu égard à l’importance de faire respecter l’exigence de l’article 19 des Règles électorales en matière de quorum, le juge a tiré la conclusion suivante : « Il ne s’agit pas de facteurs qui devraient empêcher l’octroi d’une réparation discrétionnaire en l’espèce » (au paragraphe 21). Toutefois, comme nous le verrons plus loin, d’autres éléments pertinents devraient être pris en considération et, comme l’indique Mines Alerte Canada, l’exigence réglementaire d’un quorum, même de la façon dont l’a interprétée le juge, ne devait pas nécessairement l’emporter sur d’autres facteurs.

 

[32]           Premièrement, les motifs du membre démissionnaire constituent un élément important qui doit guider l’exercice du pouvoir discrétionnaire en l’espèce. Le membre démissionnaire avait clairement exposé sa décision et ses motifs dans sa lettre de démission. Il a démissionné pour empêcher le Comité d’achever le mandat que lui donnaient les Règles électorales et pour faire ce qu’il pouvait pour empêcher que la décision prenne effet. Sa démission n’a eu aucune incidence sur l’issue des appels : comme je l’ai mentionné plus haut, de façon très concrète, quatre des cinq membres du Comité avaient déjà décidé de rejeter les appels.

 

[33]           En outre, il convient d’évaluer le coût qu’entraînerait la reprise des appels non seulement de façon abstraite, mais aussi eu égard aux autres besoins de la bande. Le dossier montre que la bande a des besoins financiers importants. L’annulation de la décision du Comité obligerait la bande à consacrer du temps et des ressources à des appels qui, en fait, ont déjà fait l’objet d’enquêtes, été examinés et été tranchés. Par contre, aucun élément de preuve ne permet de penser qu’une assemblée des membres de la bande pour s’entendre sur la composition d’un nouveau comité et la reprise des appels aurait quelque effet bénéfique que ce soit.

 

[34]           Un autre facteur important est que la reprise des appels serait déraisonnable sur le plan pratique. Même si, d’ici 2012, un nouveau Comité était nommé, une nouvelle décision était prise à l’égard des appels et tous les recours intentés devant les Cours fédérales étaient terminés, le mandat de trois ans du Conseil et du chef de bande serait alors expiré et il faudrait de toute façon tenir une nouvelle élection.

 

[35]           Il y a encore un autre facteur important : la difficulté de nommer de nouveaux membres du Comité pour statuer sur les appels. En l’espèce, le Comité a été constitué avant que les candidats à l’élection aient été annoncés. Les appels ont donc été tranchés avec toutes les apparences de l’équité et de l’impartialité. Le nouveau Comité sera constitué après les résultats de l’élection et pendant que règne la controverse actuelle. L’apparence d’équité et d’impartialité risque d’en souffrir.

 

[36]           Compte tenu de ce qui précède, et même si le Comité a perdu le quorum prévu à l’article 19 des Règles électorales, j’exercerais le pouvoir discrétionnaire que m’accorde le paragraphe 18.1(3) de la Loi sur les Cours fédérales pour rejeter, conformément aux principes énoncés dans Mines Alerte Canada, la demande de contrôle judiciaire. Les décisions du Comité rejetant les appels électoraux seraient donc maintenues.

 

F.         Décision relative à l’appel incident

 

[37]           M. Dennis a interjeté un appel incident sur des questions très restreintes. Il sollicite une ordonnance interdisant aux quatre membres restants du Comité de rendre une nouvelle décision sur les appels. Il sollicite également une ordonnance obligeant le Comité nouvellement constitué à tenir compte de certaines questions lorsqu’il statuera à nouveau sur les appels. Il demande enfin l’exécution de l’adjudication des dépens prévue dans le jugement de la Cour fédérale. Étant donné que j’ai décidé qu’il y avait lieu d’annuler la décision de la Cour fédérale, toutes ces questions sont désormais théoriques.

 


G.        Dispositif proposé

 

[38]           Pour les motifs qui précèdent, je ferais droit à l’appel et rejetterais l’appel incident, j’annulerais le jugement de la Cour fédérale et je rejetterais la demande de contrôle judiciaire. Compte tenu des circonstances de l’espèce, je n’adjugerais aucuns dépens devant notre Cour ni devant la Cour fédérale.

 

 

« David Stratas »

j.c.a.

 

 

 

« Je suis d’accord.

      K. Sharlow, j.c.a. »

 

« Je suis d’accord.

      Johanne Trudel, j.c.a. »

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    A‑55‑10

 

APPEL D’UN JUGEMENT DU JUGE BARNES EN DATE DU 19 JANVIER 2010, DANS LE DOSSIER No T‑587‑09

 

INTITULÉ :                                                   Le Comité de la bande indienne d’Adams Lake c. Thomas Phil Dennis, de la bande indienne d’Adams Lake, agissant en qualité de résident et d’électeur ainsi que pour le compte de parents et d’autres membres de la bande indienne d’Adams Lake

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 30 novembre 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE STRATAS

 

Y ONT SOUSCRIT :                                     LA JUGE SHARLOW

                                                                        LA JUGE TRUDEL

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 2 février 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Maria Morellato, c.r.

Leah Pence

 

POUR L’APPELANT

 

Thomas Phil Dennis

POUR SON PROPRE COMPTE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Mandell Pinder

Avocats

Vancouver (Colombie‑Britannique)

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