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Date : 20110209

Dossier : A‑247‑10

Référence : 2011 CAF 51

 

CORAM :      LE JUGE NOËL

                        LE JUGE EVANS

                        LA JUGE SHARLOW

 

ENTRE :

WAYNE ANTHONY HILLARY

appelant

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

intimé

 

 

 

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 8 février 2011

Jugement rendu à Toronto (Ontario), le 9 février 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                   LE JUGE EVANS

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                                LE JUGE NOËL

                                                                                                                         LA JUGE SHARLOW

 

 


Date : 20110209

 

Dossier : A‑247‑10

 

Référence : 2011 CAF 51

 

CORAM :      LE JUGE NOËL

                        LE JUGE EVANS

                        LA JUGE SHARLOW

 

ENTRE :

WAYNE ANTHONY HILLARY

appelant

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

intimé

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE EVANS

Introduction

[1]               Wayne Anthony Hillary, un citoyen de la Jamaïque, est au début de la quarantaine. Il est arrivé au Canada à titre de résident permanent en 1982, à l’âge de 13 ans, et a quitté l’école après sa 9e année. Une mesure d’expulsion a été prise contre lui au motif qu’il a fait l’objet d’une série de déclarations de culpabilité pour des infractions criminelles depuis 1987. On a diagnostiqué chez lui une schizophrénie, il est séropositif pour le VIH et il est dépendant au crack.

 

[2]               M. Hillary affirme qu’il y a lieu de rouvrir la décision par laquelle la Section d’appel de l’immigration (la SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (la Commission) a rejeté l’appel qu’il avait interjeté de la mesure d’expulsion prise contre lui, étant donné que la SAI l’a privé d’une audience équitable lorsqu’elle a omis de vérifier s’il comprenait la nature de la procédure afin de déterminer s’il avait besoin de l’assistance d’un représentant désigné.

 

[3]               À mon avis, compte tenu des faits en l’espèce, le devoir d’agir équitablement n’obligeait pas la SAI à faire cette vérification. Le fait que la SAI savait que M. Hillary était schizophrène n’était pas en soi suffisant pour l’obliger à vérifier d’office son niveau de compréhension et, si elle estimait qu’il n’était pas en mesure de comprendre la nature de la procédure, à l’informer qu’un représentant lui serait commis pour l’assister.

 

[4]               M. Hillary interjette appel de la décision de la Cour fédérale (2010 CF 638) par laquelle le juge Russell (le juge) a rejeté sa demande de contrôle judiciaire visant à faire annuler la décision rendue le 7 août 2009 par la SAI. Dans cette décision, la SAI a rejeté la demande présentée par M. Hillary visant à faire rouvrir la décision rendue le 21 février 2007 par une autre formation de la SAI, statuant que la mesure d’expulsion était valide et que, dans les circonstances, rien ne justifiait la suspension de son renvoi.

 

[5]               Le juge a certifié la question suivante en application de l’article 79 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR) :

Lorsqu’il est prouvé que le demandeur souffre d’une maladie mentale, la SAI a-t-elle l’obligation de déterminer, conformément au paragraphe 167(2), si le demandeur est en mesure de comprendre la nature de la procédure d’appel? Dans l’affirmative, quelles sont les mesures formelles que la Commission devrait prendre dans l’instance pour s’acquitter de son obligation?

 

La première mesure d’expulsion

[6]               Une première mesure d’expulsion a été prise contre M. Hillary en 1991 en raison de ses déclarations de culpabilité pour des infractions criminelles. Cependant, dans une décision rendue le 31 mai 1993, la SAI a accordé un sursis de cinq ans à l’exécution de la mesure d’expulsion, sous réserve de certaines conditions.

 

[7]               Dans les motifs de sa décision, la SAI a cité un rapport du Dr Bruce Ally, rédigé en 1993 alors que M. Hillary purgeait une peine d’emprisonnement. Le Dr Ally a déclaré que M. Hillary avait [traduction] « finalement subi un examen psychiatrique au cours duquel on a diagnostiqué une schizophrénie ». Il a ajouté que M. Hillary « doit être traité en milieu surveillé » parce que sinon il risquait de cesser de prendre ses médicaments et qu’« [a]lors, ses pensées recommencent à être désordonnées et il est incapable de contrôler ou d’organiser ses pensées et a bientôt de nouveaux démêlés avec la justice ». Pour ces raisons, le Dr Ally a conclu qu’« il serait inadmissible de libérer ce client et de le laisser à lui‑même ».

 

La seconde mesure d’expulsion

[8]               En 1998, peu après que la Commission eut annulé la mesure d’expulsion de 1991, M. Hillary a repris ses activités criminelles et a été déclaré coupable de plusieurs infractions. Son expulsion a de nouveau été ordonnée et une mesure de renvoi a été prise contre lui par la Section de l’immigration de la Commission le 5 juin 2005.

 

[9]               Dans son appel de cette mesure d’expulsion, M. Hillary était représenté devant la SAI par un conseiller juridique, mais non par l’avocat qui le représente en l’espèce. Dans son témoignage devant la SAI, M. Hillary a nié avoir commis la plupart des infractions dont il avait été déclaré coupable, accusant les policiers, les témoins et les victimes d’avoir menti lors de ses procès et reprochant à l’avocat de la poursuite de l’avoir contraint à plaider coupable. Au vu de ce témoignage, la SAI a conclu que M. Hillary n’éprouvait aucun remords et était un piètre candidat à la réadaptation.

 

[10]           La SAI a indiqué qu’elle ne pouvait évaluer dans quelle mesure M. Hillary risquait d’être privé, en raison de son renvoi, des médicaments pour le VIH et la schizophrénie ainsi que des services de soutien d’organismes communautaires qu’il recevait à Toronto, car le conseil n’avait présenté aucun élément de preuve relativement à l’accessibilité des centres de soins en Jamaïque. Ni la mère de M. Hillary, avec laquelle il habitait au moment de l’audience, ni sa sœur, laquelle vivait également à Toronto, n’ont témoigné pour son compte.

 

[11]           La SAI a également fait observer que le diagnostic de schizophrénie posé par le Dr Ally n’était pas à jour et remontait à 14 ans. Le seul autre document dans le dossier qui mentionnait la santé mentale de M. Hillary était un rapport médical de 1995 indiquant que M. Hillary [traduction] « a des antécédents de schizophrénie, laquelle a été traitée avec 10 mg de Zyprexa une fois par jour ». La SAI ne disposait d’aucun élément de preuve indiquant si cette maladie était alors sous contrôle et quel traitement, le cas échéant, M. Hillary recevait.

 

[12]           Deux ans après que la SAI eut rejeté l’appel de la seconde mesure d’expulsion, M. Hillary a demandé à la SAI de rouvrir sa décision. La SAI a rejeté la requête en réouverture.

 

Dispositions législatives

[13]           Les dispositions suivantes de la LIPR s’appliquent au rejet par la SAI de la requête en réouverture, lequel fait l’objet du présent appel.

71. L’étranger qui n’a pas quitté le Canada à la suite de la mesure de renvoi peut demander la réouverture de l’appel sur preuve de manquement à un principe de justice naturelle.

 

 

167.

[…]

(2) Est commis d’office un représentant à l’intéressé qui n’a pas dix‑huit ans ou n’est pas, selon la section, en mesure de comprendre la nature de la procédure.

71. The Immigration Appeal Division, on application by a foreign national who has not left Canada under a removal order, may reopen an appeal if it is satisfied that it failed to observe a principle of natural justice.

 

167.

(2) If a person who is the subject of proceedings is under 18 years of age or unable, in the opinion of the applicable division, to appreciate the nature of the proceedings, the Division shall designate a person to represent the person.

 

La décision de la SAI faisant l’objet du présent contrôle

[14]           À l’appui de sa demande dans laquelle il priait la SAI de rouvrir sa décision de rejeter son appel de la seconde mesure d’expulsion au motif qu’il y avait eu manquement à un principe de justice naturelle, M. Hillary a souscrit un affidavit attestant ce qui suit :

[traduction]

10. Je crois vraiment que, lors de l’audience devant la SAI, des éléments de preuve ont été présentés indiquant clairement que j’étais schizophrène. Tout au long de l’audience, j’étais extrêmement confus et je ne comprenais pas ce qui se passait. Je trouvais que la procédure se déroulait extrêmement vite et j’étais incapable de suivre.

 

11. Compte tenu de la maladie mentale dont je souffrais à l’époque, j’estime qu’il m’aurait été utile d’avoir un représentant désigné. Je ne savais pas à ce moment‑là que j’avais cette possibilité et, si je l’avais su, j’en aurais demandé un.

 

 

[15]           Dans ses motifs de rejet de la requête en réouverture, la SAI a souligné ce qui suit : M. Hillary était représenté par un conseil, lequel n’a fait part d’aucune préoccupation au sujet de la capacité de M. Hillary à lui donner des instructions; aucune demande n’a été faite pour obtenir un représentant désigné; M. Hillary connaissait bien la procédure devant la SAI, étant donné qu’il avait obtenu gain de cause dans son appel de la première mesure d’expulsion; il a témoigné et a produit des éléments de preuve en vue d’établir l’existence de motifs d’ordre humanitaire justifiant un sursis d’exécution de la seconde mesure d’expulsion; rien dans le comportement ou l’attitude de M. Hillary à l’audience ne laissait entendre qu’il avait besoin d’un représentant désigné; il s’était écoulé deux ans entre le rejet de l’appel par la SAI et la requête en réouverture.

 

[16]           Bref, le tribunal saisi de la requête en réouverture a conclu que rien ne prouvait que M. Hillary avait été incapable de « raconter son histoire » en appel, et que rien n’obligeait la SAI à soulever la possibilité qu’un représentant lui soit commis d’office et à évaluer son niveau de compréhension de la nature de la procédure.

 

[17]           De plus, le tribunal a constaté des lacunes dans la preuve produite en appel. Il a relevé notamment ce qui suit : l’absence de preuve à jour concernant la schizophrénie de M. Hillary et son traitement, ainsi que l’accessibilité des centres de soins en Jamaïque; et le défaut de produire toute preuve émanant de sa mère et de sa sœur. Cependant, le tribunal a attribué ces lacunes à la conduite de l’appel par le conseil, non à l’incapacité de M. Hillary à donner des instructions adéquates.

 

[18]           Par conséquent, en refusant de rouvrir la décision d’appel, le tribunal a conclu que la manière inadéquate dont le conseil s’est occupé de l’appel interjeté devant la SAI ne découlait pas d’un manquement à un principe de justice naturelle par le tribunal. Rien ne permettait de croire qu’un représentant désigné aurait demandé au conseil de mener l’affaire différemment, « de manière à modifier l’issue de l’appel ».

 

Décision de la Cour fédérale

[19]           Le juge a formulé ainsi la question soulevée dans la demande de contrôle judiciaire. Étant donné qu’il savait que M. Hillary était atteint de schizophrénie, le tribunal de la SAI qui a instruit l’appel était‑il tenu, en vertu des principes de justice naturelle, de l’informer qu’il était possible qu’un représentant lui soit commis d’office et de vérifier s’il comprenait la nature de la procédure?

 

[20]           Le juge a exposé (aux par. 26‑27), et semble avoir accepté, les explications de l’avocat du demandeur concernant le rôle d’un représentant désigné par la Commission dans le cas d’un mineur ou d’une personne qui n’est pas en mesure de comprendre la nature d’une procédure, notamment : donner des instructions au conseil et s’assurer qu’il s’acquitte de ses fonctions; s’assurer que la preuve nécessaire est soumise à la Commission; et, le cas échéant, témoigner. Le représentant désigné peut être un membre de la famille ou un ami connaissant bien les procédures devant la Commission, ou bien un avocat ou un travailleur social, par exemple.

 

[21]           Le juge a déclaré que le paragraphe 167(2) de la LIPR exige qu’un représentant soit commis d’office lorsque la Commission estime que l’intéressé ne comprend pas la nature de la procédure. Cependant, il a conclu qu’aucun précédent ne permettait de soutenir que, uniquement parce qu’elle sait que l’intéressé a une maladie mentale, la Commission est tenue d’informer la personne qu’un représentant pourrait lui être commis d’office et de vérifier sa compréhension de la nature de la procédure.

 

[22]           Il a ajouté qu’il est possible que, dans certaines circonstances, l’équité impose une telle obligation. Cependant, cela dépend de l’examen de l’ensemble du contexte de l’espèce, et le juge n’a rien trouvé dans le contexte de la présente affaire qui donne naissance à une obligation d’information et de vérification.

 

[23]           Toutefois, il était d’accord avec l’avocat de M. Hillary pour dire que, si la Commission avait violé un principe de justice naturelle en omettant d’informer et de vérifier, le tribunal aurait dû ordonner la réouverture de la décision dans le cas où la désignation d’un représentant aurait pu ne rien changer, et non n’aurait rien changé, à l’issue de l’appel.

 

Analyse

(i) Les questions préliminaires

[24]           Deux observations préliminaires s’imposent. La première concerne la question certifiée par le juge :

Lorsqu’il est prouvé que le demandeur souffre d’une maladie mentale, la SAI a-t-elle l’obligation de déterminer, conformément au paragraphe 167(2), si le demandeur est en mesure de comprendre la nature de la procédure d’appel? Dans l’affirmative, quelles sont les mesures formelles que la Commission devrait prendre dans l’instance pour s’acquitter de son obligation?

 

[25]           Cette question est trop générale et abstraite pour pouvoir recevoir une réponse utile. Cependant, je présume que le juge pose en réalité les questions subsidiaires suivantes. La réponse à la question de savoir si la SAI a l’obligation de se forger une opinion sur la compréhension par l’appelant de la nature de la procédure repose‑t‑elle sur l’analyse de l’ensemble du contexte factuel? Ou le fait que la SAI savait que M. Hillary était schizophrène était‑il en soi suffisant pour l’obliger à informer celui‑ci de la possibilité qu’elle lui commette un représentant et à vérifier sa capacité à comprendre la nature de la procédure? J’aborderai la question certifiée sous cet angle.

 

[26]           Par ailleurs, le dossier dont la Cour est saisie est peu étoffé. Ainsi, par exemple, les motifs que la SAI a invoqués pour rejeter l’appel de M. Hillary n’indiquent pas si elle s’est interrogée sur la capacité de celui‑ci à comprendre la nature de la procédure. La transcription de l’audience n’avait été soumise ni à la SAI lorsqu’elle a décidé de rejeter la requête en réouverture de l’appel de M. Hillary, ni au juge lorsqu’il a instruit la demande de contrôle judiciaire. La SAI ne disposait d’aucune information à jour concernant la santé mentale de M. Hillary et son incidence probable sur sa capacité à comprendre la nature de la procédure. Ni M. Hillary ni son conseil de l’époque n’ont signalé à la SAI qu’il ne comprenait pas la nature de la procédure.

 

(ii) La norme de contrôle et l’équité procédurale

[27]           Il s’agit d’un cas inhabituel puisque la décision faisant l’objet du contrôle est celle par laquelle un tribunal administratif a jugé qu’une autre formation du tribunal n’avait violé aucun principe de justice naturelle en rejetant un appel. Comme l’article 71 de la LIPR ne permet à la SAI de rouvrir un appel que lorsqu’il y a manquement à un principe de justice naturelle, la Cour doit déterminer si le tribunal a commis une erreur lorsqu’il a conclu qu’il n’y avait pas eu manquement lors de l’audition de l’appel et a, de ce fait, refusé de rouvrir la décision.

 

[28]           Il est de jurisprudence constante qu’un décideur administratif n’a pas à faire l’objet de retenue judiciaire lorsqu’il s’agit de déterminer s’il a accordé à l’intéressé une occasion équitable de participer à une procédure qui s’est soldée par une décision défavorable : Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, au par. 129; Khosa c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339, au par. 43. À mon avis, ce principe s’applique également en l’espèce puisque la SAI était tenue de déterminer si une autre formation du même tribunal avait violé un principe de justice naturelle.

 

[29]           En l’absence d’une appréciation des faits indépendante par la SAI ou le juge, la Cour doit répondre à la question certifiée en décidant elle‑même si le tribunal de la SAI qui a rejeté l’appel de M. Hillary a violé un principe de justice naturelle en omettant de vérifier sa compréhension de la nature de la procédure d’appel.

 

[30]           Toutefois, cela ne signifie pas que l’exercice par la SAI de son pouvoir discrétionnaire en matière de procédure, que lui confère expressément ou implicitement la LIPR, est assujetti chaque fois à un contrôle judiciaire de novo. Le présent contrôle judiciaire porte sur la question de savoir si, eu égard aux circonstances, l’intéressé a été privé de la possibilité raisonnable de donner sa version des faits et, le cas échéant, de répondre aux arguments invoqués à son encontre.

 

(iii) Le paragraphe 167(2) de la LIPR

[31]           Le paragraphe 167(2) oblige la SAI à commettre un représentant lorsqu’elle estime que l’appelant ne comprend pas la nature de la procédure. Interprétée littéralement, cette disposition ne s’applique pas aux faits de l’espèce, car le tribunal de la SAI qui a instruit l’appel de M. Hillary ne semble pas s’être forgé d’opinion sur la question de savoir si celui‑ci comprenait la nature de la procédure.

 

[32]           Cependant, cette disposition vise à offrir à une personne qui n’est pas en mesure de comprendre la nature de la procédure une possibilité raisonnable, grâce à l’assistance d’un représentant désigné, de participer à la procédure et d’assurer la protection adéquate de ses intérêts. Cet objectif serait compromis si un tribunal pouvait se soustraire à l’application du paragraphe 167(2) en omettant simplement de se forger une opinion sur la capacité de la personne ou en refusant de commettre un représentant alors qu’il devait être évident dans les circonstances que la personne ne comprenait pas la nature de la procédure.

 

[33]           Par conséquent, il doit exister des circonstances dans lesquelles la SAI a l’obligation de se forger une opinion sur le niveau de compréhension de la personne. De plus, il doit être loisible au tribunal judiciaire saisi d’une demande de contrôle judiciaire de déterminer si l’opinion de la SAI concernant la capacité de la personne de comprendre la nature de la procédure reposait sur un fondement rationnel.

 

[34]           La seule question dont la Cour est saisie en l’espèce est celle de savoir si le tribunal de la SAI qui a rejeté l’appel de M. Hillary a empêché celui‑ci de bénéficier d’un principe de justice naturelle. Le principe de justice naturelle pertinent en l’espèce est le droit d’être représenté lors d’une audience devant un tribunal administratif. Si elle n’est pas représentée, la personne peut ne pas être en mesure de participer efficacement au processus décisionnel, en particulier lorsqu’elle affronte un adversaire plus puissant, comme un ministère.

 

[35]           Le droit d’être représenté dans une procédure administrative s’entend normalement du droit d’une partie de nommer quelqu’un, souvent un conseiller juridique, pour mener l’affaire devant le tribunal en son nom. Toutefois, le paragraphe 167(2) de la LIPR reconnaît que, pour que ses intérêts soient adéquatement protégés dans le cadre d’une procédure devant la Commission, l’intéressé qui est mineur ou qui n’est pas en mesure de comprendre la nature de la procédure a également besoin de l’assistance d’un représentant désigné qui se montre sensible à ses besoins particuliers et veille à ses intérêts.

 

[36]           Le paragraphe 167(2) précise la teneur du droit d’être représenté à une audience devant la Commission. En conséquence, le défaut de la Commission de se conformer aux obligations procédurales expresses et implicites que lui impose sa loi habilitante peut constituer un manquement à un principe de justice naturelle. Les facteurs énumérés dans l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, aux par. 21‑28, indiquent que, lorsqu’un résident permanent interjette appel d’une mesure de renvoi devant la SAI, le contenu de l’obligation d’équité est dense. Les facteurs suivants sont particulièrement importants à cet égard : la nature de l’intérêt individuel en jeu; la nature pratiquement judiciaire du processus décisionnel de la SAI; et, en l’espèce, la vulnérabilité particulière de M. Hillary découlant de sa maladie mentale.

 

(iv) Le tribunal d’appel de la SAI a‑t‑il violé un principe de justice naturelle?

[37]           L’avocat de M. Hillary ne prétend pas que son client a été privé d’une audience équitable parce que la SAI n’a pas commis de représentant pour l’assister dans le cadre de la procédure d’appel. Un tel argument serait indéfendable. On ne peut déduire du fait que M. Hillary est schizophrène qu’il ne comprenait pas la nature de la procédure.

 

[38]           On ne saurait non plus affirmer que, à lumière de la preuve documentaire dont elle disposait et du comportement de M. Hillary à l’audience, notamment ses réponses aux questions que lui a posées le conseil, il aurait dû être évident aux yeux de la SAI que celui‑ci ne comprenait pas la nature de la procédure et qu’il était donc nécessaire qu’un représentant lui soit commis d’office.

 

[39]           On ne peut que tirer la conclusion suivante : il est possible que la schizophrénie de M. Hillary ait affecté sa capacité à comprendre la nature de la procédure à un point tel que le seul fait d’être représenté par un conseil n’ait pas suffi à lui permettre de protéger ses intérêts et de participer de manière significative au processus. Cependant, ce n’est pas assez pour établir que la décision par laquelle la SAI a rejeté l’appel de M. Hillary était viciée en raison d’un manquement à un principe de justice naturelle.

 

[40]           La SAI peut toujours exercer son pouvoir discrétionnaire de soulever elle‑même la question et de vérifier la capacité de l’appelant. Toutefois, si la SAI n’effectue pas une telle vérification, la Cour ne devrait intervenir que si elle est convaincue, à la lumière de l’examen de l’ensemble du contexte, que l’inaction de la Commission était déraisonnable et que l’équité exigeait que la SAI soit proactive.

 

[41]           À mon avis, étant donné la nature contradictoire de la procédure devant la SAI, ce n’est que dans des circonstances exceptionnelles que le tribunal sera obligé d’effectuer des vérifications lorsque l’appelant est représenté par un conseil qui n’a pas soulevé la question de la capacité de son client à comprendre la nature de la procédure. Tel n’est pas le cas en l’espèce.

 

[42]           La SAI n’a pas la responsabilité première d’identifier les appelants qui sont particulièrement vulnérables, tel qu’indiqué au paragraphe 19(1) des Règles de la section d’appel de l’immigration, DORS/2002‑230 (les Règles), lequel impose au conseil de l’appelant et au ministre l’obligation d’aviser la SAI s’il croit qu’un représentant devrait être commis d’office à l’appelant parce que celui‑ci n’est pas en mesure de comprendre la nature de la procédure.

 

[43]           De même, les Directives no 8 de la Commission, Directives sur les procédures concernant les personnes vulnérables qui comparaissent devant la CISR, entrées en vigueur le 15 décembre 2006, prévoient (à la section 7.3) que le conseil est le mieux placé pour porter à l’attention de la Commission la vulnérabilité particulière d’une personne pouvant nécessiter une certaine adaptation d’ordre procédural. Cependant, la Commission peut également agir de sa propre initiative (section 7.4).

 

[44]           Je souscris, pour l’essentiel, aux motifs invoqués par le juge pour conclure que, au vu du dossier dont il disposait, le seul fait que le tribunal de la SAI qui a instruit l’appel savait que M. Hillary était schizophrène n’était pas suffisant pour l’obliger à vérifier s’il y avait lieu de commettre un représentant en vertu du paragraphe 167(2) de la LIPR. Le dossier de la SAI ne contenait aucun élément de preuve concernant l’état actuel de sa santé mentale, son traitement et la mesure dans laquelle cela risquait d’affecter sa compréhension de la nature de la procédure.

 

[45]           Certes, il était pour le moins improbable que le rejet par M. Hillary, lors de l’audition de l’appel devant la SAI, de toute responsabilité à l’égard de la vingtaine d’infractions dont il avait été déclaré coupable l’aide à obtenir gain de cause en appel. Néanmoins, on ne pouvait déduire de son témoignage que sa compréhension de la nature de la procédure était affectée au point d’obliger la SAI à effectuer des vérifications additionnelles concernant sa capacité mentale même si la question n’avait pas été soulevée par son conseil.

 

[46]           De fait, même l’affidavit souscrit par M. Hillary au soutien de sa demande de contrôle judiciaire, deux ans après que la SAI eut rejeté son appel, n’atteste pas qu’il n’était pas en mesure de donner des instructions à son conseil et n’avait pas compris que l’appel lui donnait la possibilité d’expliquer pourquoi il ne devrait pas être expulsé. M. Hillary s’est contenté d’affirmer qu’il trouvait que la procédure [traduction] « se déroulait extrêmement vite » et qu’il était « incapable de suivre », et qu’il était « extrêmement confus et […] ne comprenai[t] pas ce qui se passait ». Il n’a pas attribué sa confusion à sa maladie mentale.

 

[47]           Dans la plupart des cas, comme l’indiquent les Règles et les Directives no 8, la SAI devrait pouvoir se fier au conseil pour soulever toute préoccupation à cet égard et pour remettre en question, le cas échéant, la pertinence de tenir pour acquis, comme il est courant de le faire, que les appelants comprennent la nature de la procédure devant la Commission.

 

[48]           En outre, M. Hillary était représenté par un conseil dont la compétence n’a pas été directement attaquée en l’espèce, bien que, comme l’a fait remarquer la SAI, la manière dont il s’est occupé de l’appel puisse sembler douteuse. Son conseil lors de l’audition de l’appel devant la SAI n’a pas laissé entendre que M. Hillary avait besoin d’une aide supplémentaire. La Cour ne peut remettre en question la stratégie du conseil et conclure que M. Hillary n’était effectivement pas représenté.

 

[49]           Je n’ajouterais qu’une seule chose. Je souscris à l’opinion du juge selon laquelle, si l’équité procédurale avait obligé la SAI à vérifier d’office si M. Hillary comprenait la nature de la procédure, l’omission de faire cette vérification aurait constitué un manquement à un principe de justice naturelle, sauf dans le cas où la désignation d’un représentant aurait pu ne rien changer, non n’aurait rien changé, à l’issue de l’appel. Voir également Stumf c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 148, au par. 5; Duale c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 150, aux par. 20‑21.

 

Conclusions

[50]           Pour ces motifs, et malgré les excellents arguments de l’avocat, je suis d’avis de rejeter l’appel et de répondre comme suit à la question certifiée :

 

Question :         Lorsqu’il est prouvé que l’appelant souffre d’une maladie mentale, la SAI a-t-elle l’obligation de déterminer, conformément au paragraphe 167(2), si l’appelant est en mesure de comprendre la nature de la procédure d’appel? Dans l’affirmative, quelles sont les mesures formelles que la Commission devrait prendre dans l’instance pour s’acquitter de son obligation?

 

Réponse :         La question de savoir si les principes de justice naturelle obligent la SAI à effectuer des vérifications afin de lui permettre de se forger une opinion sur la question de savoir si l’appelant qui est atteint d’une maladie mentale comprend la nature de la procédure repose sur l’examen de l’ensemble des circonstances de l’affaire. Comme aucune obligation de ce genre n’a pris naissance en l’espèce, il n’est pas nécessaire d’examiner la question hypothétique des mesures procédurales qui auraient été nécessaires pour satisfaire à l’obligation.

 

 

« John M. Evans »

j.c.a.

 

 

 

« Je suis d’accord

     Marc Noël, j.c.a. »

 

 

« Je suis d’accord

     K. Sharlow, j.c.a. »

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jenny Kourakos, LL.L.

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    A‑247‑10

 

APPEL DU JUGEMENT RENDU LE 11 JUIN 2010 PAR MONSIEUR LE JUGE RUSSELL DE LA COUR FÉDÉRALE, DOSSIER NO IMM‑4357‑09

 

INTITULÉ :                                                   WAYNE ANTHONY HILLARY c.
LE MINISTRE DE
LA CITOYENNETÉ
ET DE
L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 8 février 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE EVANS

 

Y ONT SOUSCRIT :                                     LE JUGE NOËL

                                                                        LA JUGE SHARLOW

 

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 9 février 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Aadil Mangalji

 

POUR L’APPELANT

Kristina Dragaitis

Nadine Silverman

 

POUR L’INTIMÉ

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

LONG MANGALJI  LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR L’APPELANT

 

MYLES J. KIRVAN

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR L’INTIMÉ

 

 

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