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Federal Court of Appeal

Cour d'appel fédérale

Date : 20110214

Dossier : A-240-10

Référence : 2011 CAF 58

 

CORAM :      LE JUGE SEXTON

                        LA JUGE LAYDEN-STEVENSON            

                        LE JUGE STRATAS

 

ENTRE :

JANSSEN-ORTHO INC. et

DAIICHI SANKYO COMPANY, LIMITED

 

appelantes

et

Apotex Inc. et le ministre de la SantÉ

intimés

 

 

 

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 14 février 2011

Jugement rendu à l'audience à Toronto (Ontario), le 14 février 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :                            LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

 


Federal Court of Appeal

Cour d'appel fédérale

 Date : 20110214

Dossier : A-240-10

Référence : 2011 CAF 58

 

CORAM :      LE JUGE SEXTON

                        LA JUGE LAYDEN-STEVENSON            

                        LE JUGE STRATAS

 

ENTRE :

JANSSEN-ORTHO INC. et

DAIICHI SANKYO COMPANY, LIMITED

 

appelantes

et

Apotex Inc. et le ministre de la Santé

intimés

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

(prononcés à l'audience à Toronto (Ontario), le 14 février 2011)

 

 

LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

[1]               Les appelantes, Janssen-Ortho Inc. et Daiichi Sankyo Company, Limited (collectivement Janssen), interjettent appel de l'ordonnance en date du 14 juin 2010 par laquelle le juge Shore de la Cour fédérale (le juge) s'est récusé et a renvoyé l'affaire au juge en chef de la Cour fédérale.

 

[2]               Le contexte ayant donné lieu à l'ordonnance se résume comme suit.  Sur demande présentée par Janssen en vertu du paragraphe 6(1) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), D.O.R.S./93-133 (le Règlement), le juge a prononcé une ordonnance d'interdiction visant la lévofloxacine, objet du brevet canadien no 1,305,080 (le brevet 080). Notre Cour a accueilli l'appel formé contre cette ordonnance. Dans son jugement, notre Cour a annulé l'ordonnance du juge et lui a renvoyé l'affaire pour qu'il rende une nouvelle décision en tenant pour acquis que l'intimée Apotex Inc. n'a pas commis d'abus de procédure en formulant les allégations qui se retrouvent dans son avis d'allégations et en s'opposant à la demande d'ordonnance d'interdiction. La Cour a également demandé au juge d'apprécier la preuve indépendamment des conclusions tirées dans Janssen-Ortho c. Novopharm Limited, 2006 CF 1234, 300 F.T.R. 166. Après le prononcé du jugement et des motifs de jugement de notre Cour, le brevet 080 a expiré.

 

[3]               Janssen a cherché à faire réexaminer l'affaire alors que l'intimée a demandé que celle-ci soit rejetée en raison de son caractère théorique. Après réception des plaidoiries écrites, le juge s'est récusé.

 

[4]               Janssen fait valoir que le juge a commis une erreur en se récusant parce que, ce faisant, il a contrevenu aux termes du jugement de notre Cour. De plus, ses motifs de récusation étaient insuffisants. Malgré les observations pertinentes de l'avocat de Janssen, nous sommes d'avis de rejeter l'appel.

 

[5]               Dans l'arrêt Bande indienne Wewaykum c. Canada, [2003] 2 R.C.S. 259, aux paragraphes 57 à 59 (Wewaykum), la Cour suprême a souligné que la confiance du public dans notre système juridique prend sa source dans la conviction fondamentale selon laquelle ceux qui rendent jugement doivent non seulement toujours le faire sans partialité ni préjugé, mais doivent également être perçus comme agissant de la sorte. L'essence de l'impartialité réside dans l'obligation qu'a le juge d'aborder avec un esprit ouvert l'affaire qu'il doit trancher.

 

[6]               Nous convenons avec l'intimée que lorsque Cour a renvoyé l'affaire au juge, elle s'attendait implicitement à ce qu'il exerce sa fonction judiciaire en toute impartialité. On ne saurait blâmer le juge qui se récuse lorsqu'il ne possède pas la qualité fondamentale sur laquelle repose l'impartialité – être libre de toute tendance, inclinaison, ou prédisposition conduisant à privilégier un résultat particulier.

 

[7]               Janssen soutient que le juge a commis une erreur en se récusant au motif qu'il arriverait à la même conclusion que dans sa décision initiale et que ce serait là un manque d'indépendance judiciaire. Janssen fait observer que les juges sont régulièrement et légitimement appelés à statuer à nouveau sur des affaires sur lesquelles ils se sont déjà prononcés et que la décision du juge en l'espèce était fondée sur une conception erronée de son obligation d'analyser en toute indépendance la question qui lui était soumise. Citant l'édition de 2004 de la publication du Conseil canadien de la magistrature, Principes de déontologie judiciaire, Janssen soutient que les facteurs énoncés à la section (E.19) intitulée « Anciens clients », concernant les conflits d'intérêts et la crainte raisonnable de partialité, régissent les récusions dans toutes les circonstances. Selon Janssen, il n'y avait clairement aucune crainte réelle ou raisonnable de partialité en l'occurrence.

 

[8]               On peut parler de crainte raisonnable de partialité lorsqu'une partie demande la récusation du juge, et non lorsque le juge a, de lui-même, déterminé qu'il n'a pas l'impartialité nécessaire pour trancher une affaire. Comme l'a souligné la Cour suprême au paragraphe 62 de l'arrêt Wewaykum, lorsque la partialité peut être établie– en l'occurrence le juge a déclaré qu'elle existait –, elle entraînera inévitablement l'inhabilité du juge concerné. La Cour suprême a ajouté, au paragraphe 64, que la preuve de la partialité réelle est très difficile à apporter, parce que le droit n’admet pas que l’on questionne un juge sur les influences extérieures agissant sur sa pensée

 

[9]               Janssen insiste pour dire que le juge avait l'état d'esprit nécessaire pour statuer équitablement sur la demande d'interdiction, mais qu'il s'est néanmoins récusé inutilement. La seule « preuve » de l'état d'esprit du juge se trouve dans les motifs de l'ordonnance de récusation. Il y explique qu'il ne pouvait statuer à nouveau sur la cause « sans rendre la même décision, et ce, pour les mêmes motifs ». Certes, le jugement de notre Cour n'empêchait pas le juge de parvenir à la même conclusion, mais il lui demandait effectivement de statuer d'une manière différente. Les motifs du juge, lus dans leur ensemble et correctement interprétés, indiquent qu'il estimait qu'il ne pouvait pas rendre une nouvelle décision sur l'affaire qui lui était soumise parce qu'il avait la conviction irrévocable qu'il parviendrait à la même conclusion, et ce pour les mêmes motifs que ceux sur lesquels reposait sa décision initiale. Nous acceptons cette décision et n'avons aucune raison de la mettre en doute.

 

[10]           La présente affaire s'inscrit dans un ensemble de circonstances exceptionnelles. Nous ne nous attendons pas à ce que les juges ou les tribunaux administratifs, appelés à réexaminer une affaire ou à rendre une nouvelle décision, aient lieu de se récuser simplement parce qu'ils ont déjà examiné l'affaire précédemment. Il faut une raison beaucoup plus fondamentale pour justifier une récusation. De fait, il nous apparaît difficile de croire que des juges ou des tribunaux administratifs se déclareraient partiaux simplement parce qu'on leur demande de réexaminer une affaire ou de statuer à nouveau sur une affaire. Les récusations devraient être tout à fait exceptionnelles en pareilles circonstances.

 

[11]           Pour ces motifs, l'appel sera rejeté avec dépens.

 

 

« Carolyn Layden-Stevenson »

j.c.a.

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

Dossier :                                                                            A-240-10

 

(APPEL D'UNE ORDONNANCE DE MONSIEUR LE JUGE SHORE EN DATE DU 14 JUIN 2010, DOSSIER NUMÉRO T-1508-05)

 

INTITULÉ :                                                                           JANSSEN-ORTHO INC. et  DAIICHI SANKYO COMPANY, LIMITED c.

Apotex Inc. et le ministre de la Santé

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                     Toronto (Ontario)

 

 

DATE DE L'AUDIENCE :                                                   LE 14 FÉVRIER 2011

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

DE LA COUR :                                                                      (LES JUGES SEXTON,

                                                                                                LAYDEN-STEVENSON ET STRATAS)

 

PRONONCÉS À L'AUDIENCE PAR :                                LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

 

 

Comparutions :

 

Neil Belmore

Greg Beach

 

Michael Charles

POUR L’APPELANTE

JANSSEN-ORTHO INC.

 

POUR L'APPELANTE DAIICHI SANKYO COMPANY, LIMITED

 

David E. Lederman

 

 

Aucune comparution

POUR L’INTIMÉE APOTEX INC.

 

POUR L’INTIMÉ MINISTRE DE LA SANTÉ

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Belmore, McIntosh Neidrauer, s.r.l.

 

 

Bereskin & Parr, s.r.l.

POUR L’APPELANTE JANSSEN-ORTHO INC.

 

POUR L’APPELANTE DAIICHI SANKYO COMPANY, LIMITED

 

Goodmans, s.r.l.

 

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

POUR L’INTIMÉE APOTEX INC.

 

POUR L’INTIMÉ MINISTRE DE LA SANTÉ

 

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