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Date : 20110218

Dossier : A-91-09

Référence : 2011 CAF 62

 

CORAM :      LE JUGE NOËL

                        LE JUGE NADON

                        LA JUGE TRUDEL

 

ENTRE :

LUC BEAULNE

demandeur

et

ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

défenderesse

 

 

 

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 15 février 2011.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 18 février 2011.

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                 LE JUGE NADON

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                               LE JUGE NOËL

                                                                                                                            LA JUGE TRUDEL

 

 


Date : 20110218

Dossier : A-91-09

Référence : 2011 CAF 62

 

CORAM :      LE JUGE NOËL

                        LE JUGE NADON

                        LA JUGE TRUDEL

 

ENTRE :

LUC BEAULNE

demandeur

et

ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

défenderesse

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

LE JUGE NADON

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire déposée par le demandeur à l’encontre de la décision de la Commission des relations de travail de la fonction publique (la « Commission ») rejetant sa plainte en vertu de l’article 13 de la Loi sur les relations de travail au Parlement (la « Loi ») contre la défenderesse, l’Alliance de la fonction publique du Canada.

 

[2]               Selon la plainte du demandeur, déposée le 13 février 2007, la défenderesse a manqué à son devoir de représentation équitable en représentant son ex-amie, non-membre de l’unité de négociation, dans une affaire personnelle n’impliquant que le demandeur et son ex-amie, tous deux employés de la Chambre des Communes mais travaillant à des endroits différents. Selon le demandeur, la défenderesse a pris une position antagoniste à la sienne dans cette affaire en prenant la défense de son ex-amie.

 

[3]               En outre, la plainte relate que la défenderesse a omis de déposer un grief suite au licenciement du demandeur par son employeur le 6 novembre 2006, malgré le fait que le demandeur le lui avait demandé à maintes reprises.

 

[4]               L’audition de la plainte du demandeur s’est déroulée durant une période de neuf jours devant le Commissaire John A. Mooney (le « commissaire »). Après avoir conclu qu’il avait compétence pour entendre la plainte du demandeur, le commissaire s’est adressé au mérite de la plainte.

 

[5]               À son avis, la plainte portait sur des événements distincts, soit des événements ayant eu lieu durant la période 2001 à 2003 et d’autres événements ayant eu lieu durant l’année 2006. Quant aux événements de 2001 à 2003, à savoir le manquement de la défenderesse à son obligation de représentation équitable, le commissaire a conclu que la défenderesse avait manqué à son devoir en ce que le président de l’unité de négociation, dont faisait partie le demandeur, avait fait preuve de mauvaise foi envers ce dernier en prenant partie en faveur de son ex-amie, non-membre de l’unité de négociation.

 

[6]               Malheureusement pour le demandeur, le commissaire a jugé que ce dernier n’avait pas déposé sa plainte en temps opportun – l’ayant déposée le 13 février 2007, soit presque quatre ans après les événements – et n’a pu, par conséquent, conclure en sa faveur. Selon le commissaire, il n’existait aucune circonstance exceptionnelle ou indépendante de la volonté du demandeur pouvant lui permettre d’excuser le délai de quatre ans. Au paragraphe 308 de ses motifs, le commissaire écrit :

[308]     Le plaignant n’a pas établi que des circonstances exceptionnelles ou indépendantes de sa volonté l’ont empêché d’agir plus rapidement. Sa seule explication est que c’était la faute de la défenderesse qui l’avait rendu malade. Quoique le témoignage du Dr. LaRue démontre que le plaignant était souffrant depuis au moins 2003, cette preuve n’établit pas que l’état de santé du plaignant l’empêchait de déposer une plainte.

 

[7]               Suite à cette conclusion, le commissaire s’est penché vers les événements de 2006, soit l’omission de la défenderesse de déposer un grief suite au licenciement du demandeur par l’employeur le 6 novembre 2006.

 

[8]               En concluant que cette partie de la plainte devait aussi être rejetée, le commissaire a tenu compte de plusieurs facteurs, notamment : le fait que le demandeur n’avait pas exprimé de façon claire son intention de déposer un grief suite à son licenciement dans les six courriels qu’il adressait à la défenderesse entre le 23 novembre 2006 et le 1er janvier 2007; le fait que le demandeur, dans son courriel du 22 janvier 2007, exprimait dans des termes sans équivoque son intention de déposer un grief; le fait que les courriels qu’il avait expédiés après le 23 novembre 2006, dont celui du 22 janvier 2007, n’avaient pas été reçus par la défenderesse en raison de l’existence d’un filtre informatique qui éliminait tout courriel contenant des propos considérés pornographiques.

 

[9]               Même s’il était d’avis que les termes utilisés par le demandeur dans ses courriels ne constituaient pas de la pornographie (à son avis, au pire, des jurons inoffensifs) et que la défenderesse aurait dû informer ceux qui devaient s’adresser à elle de l’existence du filtre informatique, le commissaire concluait que dans les circonstances, la défenderesse n’avait pas agi de façon discriminatoire à l’égard du demandeur, puisque le but du filtre informatique était de filtrer tous les courriels qui lui étaient adressés par ses membres. En d’autres mots, le filtre informatique n’avait pas pour but de filtrer uniquement les courriels du demandeur. Plus particulièrement, le commissaire se disait d’avis que l’installation du filtre, même si elle démontrait un manque de jugement de la part de la défenderesse, ne constituait pas une conduite arbitraire ou capricieuse, ou encore de la mauvaise foi de la part de la défenderesse.

 

[10]           En concluant ainsi, le commissaire soulignait que le demandeur aurait pu déposer son propre grief, considérant qu’il avait été délégué syndical et vice-président de son unité de négociation en 2003 et qu’il avait, durant cette période, suivi un cours de formation concernant la présentation de griefs.

 

[11]           Le commissaire soulignait, par ailleurs, que le demandeur n’avait fourni aucune explication raisonnable justifiant son omission de déposer lui-même son grief, sauf pour l’explication qu’il était malade à cette époque en raison des agissements de la défenderesse. Face à cette explication, le commissaire indiquait à nouveau qu’il n’y avait aucune preuve devant lui que la maladie du demandeur était telle qu’il ne pouvait agir et contester son licenciement. Aux paragraphes 324 et 325 de ses motifs, le commissaire ajoutait ce qui suit :

[324]     Le plaignant aurait dû également s’occuper de son statut d’employé bien avant son licenciement. Le plaignant savait depuis le 9 décembre 2004 que son congé de maladie allait expirer en novembre 2006 (pièce P-2, page 92). Il aurait dû demander à la défenderesse bien avant son licenciement de prolonger son congé de maladie, comme l’a expliqué Mme Lemire dans son témoignage.

 

[325]     Je rejette l’allégation du plaignant que la défenderesse ait tenté de le faire congédier. Il n’y a aucune preuve que l’agent négociateur soit responsable de son licenciement.

 

[12]           À mon avis, la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

 

[13]           Le représentant du demandeur, M. Doucet, a tenté de nous convaincre qu’il y avait des circonstances exceptionnelles qui justifiaient le retard à déposer la plainte à l’égard de la première période. Ces circonstances, dont la maladie du demandeur et le fait qu’il avait tenté de régler le problème à l’interne, ont été considérées par le commissaire, mais il n’a pas été convaincu qu’il devait faire exception à la règle qu’une plainte doit être déposée dans un délai raisonnable.

 

[14]           À mon avis, cette conclusion du commissaire, eu égard à la preuve, n’est pas déraisonnable.

 

[15]           Comme argument additionnel, M. Doucet a prétendu que, de toute façon, il n’y avait pas eu de délai à déposer la plainte, puisqu’il n’y avait, en réalité, qu’une seule période sous considération. En d’autres mots, selon M. Doucet, les événements de 2001 à 2003 ne pouvaient être scindés de ceux de 2006.

 

[16]           À mon avis, cette prétention doit être rejetée, puisqu’il est évident que la plainte du demandeur porte sur des événements différents, à savoir le défaut de représentation équitable relatif aux événements de 2001 à 2003 impliquant son ex-amie et l’omission de la défenderesse de déposer un grief suite à son licenciement de novembre 2006. Avec respect, je ne puis déceler le lien entre ces deux événements qui ferait en sorte que nous devrions considérer la plainte comme portant sur un seul événement.

 

[17]           Quant aux événements de 2006, le commissaire a clairement expliqué pourquoi, dans les circonstances, il ne pouvait conclure en faveur du demandeur. En venant à cette conclusion, le commissaire a considéré tous les faits pertinents mis en preuve, il les a sous-pesés et a conclu que la défenderesse n’avait pas agi de façon abusive ou discriminatoire à l’égard du demandeur. À mon avis, cette conclusion ne peut être qualifiée de déraisonnable.

 

[18]           Un dernier point avant de conclure. À la fin de l’audition, M. Doucet, pour le demandeur, nous a demandé de relever le demandeur de l’obligation de payer les dépens accordés contre lui par le juge Pelletier dans une ordonnance en date du 15 octobre 2010. L’ordonnance du juge Pelletier rejette une requête du demandeur visant l’annulation d’une ordonnance de notre Cour rendue le 28 mai 2010 et visant aussi à faire témoigner le commissaire Mooney devant cette Cour.

 

[19]           Après avoir conclu que la requête du demandeur était abusive et que cet abus méritait d’être sanctionné, le juge Pelletier s’est exprimé comme suit aux paragraphes 9 et 10 de ses motifs :

[9]     La Cour est d’avis que cette requête est un flagrant abus de procédure et qu’elle mérite d’être sanctionnée. Le dossier déposé par la défenderesse fait état du fait qu’en conséquence des deux ordonnances précédentes rendues par cette Cour par lesquelles monsieur Beaulne a été condamné à payer les frais de ces requêtes, celui-ci est redevable de la somme de 2 457,08 $ (1 228, 54 $ x 2) à la défenderesse. Elle [la défenderesse] demande que monsieur Beaulne s’acquitte de cette obligation dans les 30 jours qui suivent, faute de quoi sa demande sera rejetée. Ceci me semble imposer une entrave financière injustifiée à l’accès à cette Cour, accès auquel monsieur Beaulne a droit. D’autre part, l’entêtement de monsieur Beaulne ou de son représentant sur cette question a causé un préjudice financier à la demanderesse et retarde le progrès du dossier.

 

[10]      La défenderesse a droit aux dépens de la présente requête, que la Cour fixe à

1 228,54 $ (ce qui inclut les déboursés et les taxes).  L’obligation de payer les dépens découlant de cette requête est suspendue tant que la Cour ne se sera pas prononcée sur la demande de monsieur Beaulne.

 

[Non souligné dans l’original]

 

[20]           Le demandeur interprète le paragraphe 10 des motifs de la décision du juge Pelletier comme nous permettant de le relever de l’obligation de payer les dépens adjugés par notre collègue. Cela, à mon avis, n’est clairement pas le sens qui doit être donné aux propos du juge Pelletier. Il ne peut faire de doute quant à l’intention du juge Pelletier. En ordonnant la suspension du paiement des dépens jusqu’à ce que notre Cour dispose de la demande de contrôle judiciaire, il permettait ainsi au demandeur de procéder à l’audition de sa demande de contrôle judiciaire. Le juge Pelletier n’a pas, par ailleurs, assujetti son ordonnance à la décision du banc d’appel, de sorte qu’elle demeure tenante, peu importe le résultat de l’appel.

 

[21]           Pour ces motifs, je rejetterais la demande de contrôle judiciaire, mais, en raison des circonstances particulières du dossier, je n’accorderais pas de dépens à la défenderesse.

 

 

« M. Nadon »

j.c.a.

 

« Je suis d’accord.

            Marc Noël j.c.a.

 

« Je suis d’accord.

            Johanne Trudel j.c.a. »

 

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                                            A-91-09

 

INTITULÉ :                                                                           LUC BEAULNE c. ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                     Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                   le 15 février 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                LE JUGE NADON

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                             LE JUGE NOËL

                                                                                                LA JUGE TRUDEL

 

DATE DES MOTIFS :                                                          le 18 février 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Robert Doucet

 

 

POUR LE DEMANDEUR

 

James Cameron

Wassim Garzouzi

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Myles J. Kirvan

Sous procureur général du Canada

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

 

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