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Date : 20110225

Dossier : A‑148‑10

Référence : 2011 CAF 73

CORAM :      LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE NADON

                        LA JUGE TRUDEL

 

ENTRE :

WORLD FUEL SERVICES CORPORATION

appelante

et

LE NAVIRE « NORDEMS »

et

LES PROPRIÉTAIRES DU NAVIRE « NORDEMS » ET TOUTES LES AUTRES PERSONNES AYANT UN DROIT SUR CE NAVIRE

et

REEDEREI « NORD » KLAUS E. OLDENDORFF GMBH

et

PARTENREEDEREI ms « NORDEMS »

et

PARKROAD CORPORATION

 

intimés

 

 

Audience tenue à Montréal (Québec), le 16 décembre 2010

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 25 février 2011

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                              LE JUGE NADON

Y ONT SOUSCRIT :                                                                             LE JUGE LÉTOURNEAU

                                                                                                                           LA JUGE TRUDEL

 


Date : 20110225

Dossier : A‑148‑10

Référence : 2011 CAF 73

CORAM :      LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE NADON

                        LA JUGE TRUDEL

 

ENTRE :

WORLD FUEL SERVICES CORPORATION

appelante

et

LE NAVIRE « NORDEMS »

et

LES PROPRIÉTAIRES DU NAVIRE « NORDEMS » ET TOUTES LES AUTRES PERSONNES AYANT UN DROIT SUR CE NAVIRE

et

REEDEREI « NORD » KLAUS E. OLDENDORFF GMBH

et

PARTENREEDEREI ms « NORDEMS »

et

PARKROAD CORPORATION

 

intimés

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE NADON

[1]               Il s’agit d’un appel interjeté à l’égard de la décision en date du 25 mars 2010, publiée sous la référence 2010 CF 332, par laquelle le juge Harrington de la Cour fédérale (le juge de première instance) a fait droit à une requête en jugement sommaire présentée par les intimées Partenreederei ms « Nordems » et Reederei « Nord » Klaus E. Oldendorf GMBH et a rejeté une


requête similaire présentée par l’appelante World Fuel Services Corporation. En conséquence, le juge de première instance a rejeté la déclaration de l’appelante avec dépens en faveur de tous les intimés sauf l’intimée Parkroad Corporation (Parkroad).

 

[2]                           Bien que l’action intentée contre les intimés, soit une action au montant de 328 282,09 $ US relative à un défaut de paiement (montant facturé de 304 905,97 $ US plus frais administratifs et intérêts de 23 282,12 $ US) à l’égard de la fourniture de 500 tonnes métriques de combustible liquide (le combustible de soute) au vraquier ms « Nordems » battant pavillon chypriote (le navire) à Cape Town, en Afrique du Sud, semble relativement simple, il n’en est rien. Comme le juge de première instance le souligne dans le premier paragraphe de ses motifs, le litige dont il était saisi et dont nous sommes maintenant saisis dans le présent appel soulève des questions difficiles, soit la responsabilité des propriétaires du navire à l’égard de la fourniture de combustible de soute et la responsabilité in rem (réelle) du navire lui‑même relativement au montant que l’appelante sollicite, indépendamment de la responsabilité des propriétaires.

 

[3]                           Plus précisément, l’appel met à nouveau en relief les différences très importantes entre le droit maritime canadien et le droit maritime américain en ce qui concerne les droits des fournisseurs d’approvisionnements nécessaires – y compris le combustible de soute – qui cherchent à faire valoir leurs créances contre le navire auquel les approvisionnements en question ont été fournis (voir la décision que nous avons récemment rendue dans Kent Trade & Finance c. JP Morgan Chase Bank, [2009] 4 R.C.F. 109 (C.A.) (Le Lanner). L’action intentée par l’appelante découle du type de transaction que le juge Stone a bien décrit au paragraphe 22 des motifs qu’il a rédigés dans l’arrêt Imperial Oil c. Petromar Inc., 2001 CAF 391, [2002] 3 C.F. 190 (Imperial Oil), où il s’est exprimé comme suit :


 

[22]     Bien que la présente controverse concerne des transactions qui seraient liées au Canada ou aux États‑Unis, il n’est pas inhabituel, dans le domaine de la navigation maritime, qu’un navire soit approvisionné en carburant en application d’un contrat qui a été conclu entre des parties se trouvant dans plusieurs pays, négocié dans un pays et exécuté dans un autre parfois par une personne qui n’était pas partie au contrat initial. Fort heureusement, aucune complexité de cette nature n’existe en l’espèce.

 

[4]               L’appelante reproche au juge de première instance d’avoir commis plusieurs erreurs. D’abord, soutient‑elle, il a eu tort de conclure qu’elle n’avait aucune créance personnelle contre les propriétaires ni aucune créance réelle contre le navire. Ensuite, elle fait valoir que le juge de première instance a commis une erreur en concluant que le droit américain ne régissait pas le contrat de fourniture du combustible de soute. Enfin, elle affirme que le juge a commis une erreur en concluant que, si le droit américain s’appliquait, il n’accordait pas de privilège maritime dans les circonstances de la présente affaire.

 

LES FAITS

[5]               Je résume maintenant brièvement les faits qui, pour la plupart, ne sont pas contestés et révèlent des complexités de la nature de celles que le juge Stone a décrites dans l’arrêt Imperial Oil.

 

[6]               À l’époque pertinente, le navire appartenait à l’intimée Partenreederei ms « Nordems » (les propriétaires du navire) et était géré par l’intimée Reederi « Nord » Klaus E. Oldendorf GMBH (les gestionnaires), toutes deux des entités allemandes. Quant à l’intimée Parkroad, qui est une entité sud‑coréenne, elle était, à l’époque pertinente, un sous‑affréteur à temps du navire.

 

[7]               Également à l’époque pertinente, le vendeur du combustible de soute était World Fuel Services (Singapore) Pte Ltd (World Fuel Singapore), société de Singapour et filiale de l’appelante, société de la Floride, ou l’appelante elle‑même. J’ai employé le mot « ou » parce que les parties ne s’entendent pas sur la question de savoir si l’appelante a le droit d’intenter la présente action, d’où le présent appel. Au paragraphe 37 de ses motifs, le juge de première instance a tranché cette question comme suit :

[traduction]

[37]     Quant à l’allégation des défendeurs selon laquelle la partie qui a signé une entente avec Parkroad n’était pas World Fuel Services Corporation [l’appelante], mais plutôt World Fuel Services (Singapore) Pte. Ltd., le dossier ne renferme tout simplement pas suffisamment de renseignements à ce sujet pour que je puisse rejeter l’action sur ce fondement. Compte tenu des dispositions relatives au crédit et des conditions générales, je présumerai que la société World Fuel Services Corporation de Miami est une demanderesse légitime, mais qu’il n’appartient pas à World Fuel Services (Singapore) Pte. Ltd. de soutenir plus tard qu’elle est la partie contractante et n’est pas liée par le jugement rendu en l’espèce.

 

[8]               Le navire a reçu livraison du combustible de soute les 15 et 16 octobre 2008, par suite d’un échange de courriels entre Parkroad et World Fuel Services Seoul, division de World Fuel Singapore. Selon le courriel envoyé à Parkroad pour confirmer la vente du combustible de soute, la vente était effectuée [traduction] « sur le crédit du navire » et [traduction] « le pouvoir de grever le navire d’un privilège maritime [était] présumé ». Le courriel comportait également l’avis suivant : [traduction] « les avis d’exonération apposés sur les reçus de livraison du combustible de soute seront inopérants et ne constituent pas un abandon du privilège du vendeur ». Enfin, dans ce même courriel, Parkroad était informée que la vente était assujettie aux conditions générales du vendeur, lesquelles prévoyaient notamment que la vente serait régie par les lois des États‑Unis et de l’État de la Floride.

 

[9]               Le reçu de livraison du combustible de soute figure sur du papier à en‑tête de Caltex Oil (SA)(Pty)(Ltd.) (Caltex) et fait état de la livraison de 500,001 tonnes métriques le 16 octobre 2008. Le capitaine du navire a apposé l’avis suivant sur ce reçu :

[traduction]

Le service/l’approvisionnement est effectué pour le compte des affréteurs à temps du navire, MM. Parkroad Corp. Au nom du propriétaire du navire, je déclare par les présentes que ni le propriétaire ni le navire ne sont responsables du paiement du service/de l’approvisionnement.

 

[10]           Le 20 octobre 2008, une facture de 304 905,97 $ US a été établie par World Fuel Services Seoul et envoyée au navire, aux propriétaires de celui‑ci et à Parkroad à une adresse en Corée du Sud, probablement l’adresse commerciale de Parkroad; selon cette facture, le paiement devait être versé à la banque de l’appelante située à Chicago, en Illinois, aux États‑Unis.

 

[11]           Quelque temps après la livraison du combustible de soute, Parkroad a fait faillite et n’a pas payé l’approvisionnement en question. En conséquence, le navire a été saisi le 12 décembre 2008 à Baie-Comeau, au Québec. Les propriétaires ont fourni un cautionnement pour obtenir la mainlevée de leur navire et ont contesté l’action intentée contre eux et contre le navire. Bien entendu, Parkroad n’a pas tenté de contester l’action engagée contre elle.

 

[12]           Il convient ici de commenter brièvement les contrats d’affrètement en vertu desquels le navire a été exploité.

 

[13]           Le 9 mai 2007, les propriétaires et AS Klaveness Chartering d’Oslo, en Norvège, ont conclu un contrat d’affrètement à temps à l’aide du formulaire de New York Produce Exchange Form de 1992. Selon ce contrat, le navire a été affrété à temps pour une période allant de 34 à 37 mois, au gré de l’affréteur, et celui‑ci a entre autres obtenu le droit de sous‑affréter le navire. Le navire a donc été sous‑affrété à sept occasions, le dernier sous‑affrètement ayant été consenti en faveur de Parkroad, qui a pris livraison du navire au Japon le 25 février 2008 et l’a retourné le 30 octobre de la même année à sa partie contractante, Cosco Oceania Chartering Pty Ltd. (Cosco), de l’Australie.

 

[14]           Il importe de préciser que le contrat d’affrètement principal et le contrat qui avait été conclu entre Cosco et Parkroad comportaient tous les deux une clause concernant le paiement du combustible de soute et l’interdiction de grever le navire de privilèges. Plus précisément, la clause interdisait expressément aux affréteurs de faire livrer du combustible de soute sur le crédit des propriétaires et, par le fait même, sur le crédit de leur navire. Voici le texte de la clause pertinente :

[traduction]

Les affréteurs ne seront, directement ou indirectement, liés par aucun privilège ou charge qui pourrait avoir priorité sur le titre et le droit des propriétaires du navire, et ne permettront pas que ce privilège soit maintenu. Les affréteurs s’engagent, pendant la durée de validité du présent contrat d’affrètement, à ne pas se procurer de fournitures, d’approvisionnements nécessaires ou de services, incluant les frais de port et de combustible de soute, sur le crédit des propriétaires ou sur le temps du propriétaire.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[15]           Je souligne également que les deux contrats d’affrètement prévoyaient que les arbitrages se dérouleraient à Londres et que tous les différends seraient régis par le droit anglais.

 

LES DIFFÉRENCES ENTRE LE DROIT CANADIEN ET LE DROIT AMÉRICAIN

[16]           Avant d’examiner les motifs du juge de première instance, il convient d’examiner brièvement les différences entre notre droit et celui des États‑Unis en ce qui concerne les droits des fournisseurs d’approvisionnements nécessaires. Il sera également utile d’exposer brièvement les arguments que les parties ont fait valoir devant le juge de première instance, lesquels arguments sont essentiellement les mêmes dans le présent appel.

 

[17]      Les différences entre notre droit et celui des États‑Unis revêtent une importance cruciale pour le présent appel car, contrairement au droit maritime américain, le droit maritime canadien ne prévoit pas la création d’un privilège maritime en faveur d’un fournisseur d’approvisionnements nécessaires. De plus, selon le droit maritime canadien, pour que le fournisseur d’approvisionnements nécessaires ait gain de cause dans l’action réelle qu’il intente, le propriétaire du navire doit être personnellement responsable, alors que cette responsabilité n’est pas nécessaire en droit américain.

 

[18]           Qui plus est, en droit américain, l’affréteur est réputé avoir obtenu du propriétaire du navire le pouvoir de grever le navire d’un privilège maritime relativement aux approvisionnements nécessaires lorsque le fournisseur n’est pas au courant de l’existence d’une clause interdisant ce type de privilège dans le contrat d’affrètement. En d’autres termes, il existe une présomption selon laquelle le fournisseur d’approvisionnements nécessaires a conclu un contrat sur le crédit du navire et la seule façon de réfuter cette présomption est de démontrer que le fournisseur savait que sa partie contractante n’était pas autorisée à lier le navire. Si cette présomption n’est pas réfutée, le fournisseur d’approvisionnements nécessaires pourra faire valoir son privilège maritime sur le navire.

 

[19]           Même s’il existe également en droit maritime canadien une présomption selon laquelle les approvisionnements nécessaires ont été commandés sur le crédit du navire, notre droit n’exige pas que le fournisseur soit au courant de l’absence de pouvoir de la partie contractante pour que la présomption puisse être réfutée. C’est pourquoi le juge de première instance a décrit, dans ses motifs, la présomption du droit canadien comme une « présomption plus faible » (paragraphe 40 des motifs du juge de première instance).

 

[20]           La Cour d’appel fédérale a commenté ces principes, qui ont été élaborés au cours des XIXe et XXe siècles par les tribunaux anglais, canadiens et américains, dans plusieurs décisions récentes, soit : Imperial Oil, aux paragraphes 23 à 27; Le Lanner, aux paragraphes 8, 9, 20, 21, 22 et 23; Mount Royal/Walsh Inc. Jensen Star (Le), [1990] 1 C.F. 199, 99 N.R. 42 (Mount Royal), aux pages 214 à 217; Marlex Petroleum Inc. c. « Har Rai » (Le), [1984] 2 C.F. 345 (C.A.), confirmé dans [1987] 1 R.C.S. 57 (Le Har Rai), aux paragraphes 3 à 11.

 

[21]           En conséquence, si le droit américain s’applique à la transaction en litige, les chances de l’appelante d’avoir gain de cause en ce qui concerne le recouvrement de sa créance à l’encontre du navire seront nettement supérieures.

 

LES PRÉTENTIONS DES PARTIES

[22]           Devant le juge de première instance, l’appelante a soutenu que Parkroad avait conclu une entente non seulement en son nom, mais également au nom du navire et des propriétaires de celui‑ci. L’appelante a ajouté qu’en raison des modalités qu’il comportait, le contrat était réputé avoir été conclu aux États‑Unis et qu’il était assujetti au droit américain. En conséquence, l’appelante détenait un privilège maritime sur le navire à l’égard de sa créance, que les propriétaires du navire soient personnellement responsables ou non.

 

[23]           Quant aux propriétaires du navire, ils ont d’abord soutenu qu’ils n’étaient pas liés par le contrat conclu par Parkroad et l’appelante, ajoutant qu’il était indéniable que Parkroad n’avait pas le pouvoir, réel ou apparent, de conclure un contrat en leur nom ou sur le crédit de leur navire. Ils ont également fait valoir que le droit régissant leur relation et la relation entre leur navire et l’appelante n’était pas le droit des États‑Unis et que, étant donné qu’aucun autre régime juridique n’avait été invoqué, leur relation avec l’appelante était assujettie au droit maritime canadien. En conséquence, à leur avis, étant donné que le fournisseur d’approvisionnements nécessaires ne bénéficie pas d’un privilège maritime à l’égard de sa créance en droit maritime canadien, l’appelante devait démontrer, pour avoir gain de cause dans son action réelle engagée contre le navire, qu’ils étaient responsables.

 

[24]           Enfin, les propriétaires du navire ont soutenu que, même si les lois des États‑Unis s’appliquaient, elles n’entraînaient pas la création d’un privilège maritime sur le navire en faveur de l’appelante dans les circonstances de la présente affaire.

 

[25]           Conservant à l’esprit ces faits et prétentions, j’aborde maintenant la décision du juge de première instance.

 

LA DÉCISION DE LA COUR FÉDÉRALE

[26]           Après avoir exposé les faits pertinents et les positions respectives des parties, le juge de première instance a commenté le régime juridique régissant la relation entre l’appelante et le navire ainsi que les propriétaires de celui‑ci. Il a cité l’arrêt Tropwood A.G. c. Sivaco Wire & Nail Co., [1979] 2 R.C.S. 157 (Tropwood), où la Cour suprême du Canada a clairement indiqué que les règles de conflit à appliquer pour déterminer le droit régissant la relation en cause étaient celles du tribunal saisi (Tropwood, aux pages 166 et 167).

 

[27]           Le juge de première instance a précisé que les parties à un contrat pouvaient choisir le régime juridique régissant leur relation, à moins que les principes d’ordre public du ressort du tribunal saisi n’interdisent ce choix. Il a ajouté que le fait que le droit américain, contrairement au droit maritime canadien, accordait un privilège maritime aux fournisseurs d’approvisionnements nécessaires n’allait pas à l’encontre des principes d’ordre public du Canada. Au soutien de cette proposition, le juge de première instance a cité l’arrêt de notre Cour Le Har Rai. Il a ensuite précisé qu’en l’absence de choix du droit applicable par les parties, la Cour devait soupeser les facteurs qui liaient la transaction à une ou plusieurs juridictions.

 

[28]           Le juge de première instance a poursuivi en affirmant qu’à moins qu’il ne soit démontré qu’un régime juridique autre que le droit maritime canadien s’appliquait, lequel régime devait être prouvé, le droit maritime canadien régirait la relation entre les parties. Étant donné que l’appelante avait uniquement invoqué le droit américain, la relation entre les parties était assujettie à ce droit ou au droit maritime canadien. Le juge de première instance a ensuite formulé les commentaires suivants, au paragraphe 40 de ses motifs :

[traduction]

[40]     [...] En deuxième lieu, il n’est peut‑être même pas nécessaire de chercher à savoir si le droit américain s’applique. Si, comme je l’ai mentionné précédemment, les propriétaires du Nordems sont parties au contrat conclu avec World Fuel Services ou s’ils n’ont pas réfuté la présomption plus faible de notre droit selon laquelle le combustible de soute a été fourni sur le crédit du navire, la question de savoir quel est le droit positif qui s’applique n’aura pas d’importance. World Fuel Services aura gain de cause même si elle ne possède qu’un droit réel d’origine législative.

 

[29]           En conséquence, le juge de première instance a évalué la responsabilité du navire et des propriétaires de celui‑ci selon le droit maritime canadien. En d’autres termes, il a cherché à savoir si les propriétaires du navire étaient tenus, par contrat, de payer le coût du combustible de soute et, dans la négative, si la présomption selon laquelle les approvisionnements nécessaires avaient été commandés sur le crédit du navire avait été réfutée.

 

[30]           Après avoir affirmé qu’il était indéniable que Parkroad n’avait pas été autorisée par les propriétaires ou les gestionnaires du navire à faire livrer du combustible de soute pour leur compte ou sur le crédit du navire, étant donné que les contrats d’affrètement pertinents lui interdisaient expressément de le faire, le juge de première instance a souligné que l’absence de pouvoir réel n’était pas fatale pour l’appelante et qu’il fallait quand même examiner la conduite des parties. À titre d’exemple, il a souligné qu’il suffirait pour les propriétaires du navire de démontrer que le fournisseur des approvisionnements nécessaires savait qu’il faisait affaire avec un affréteur à temps à titre de mandant plutôt que de mandataire desdits propriétaires. Cependant, le juge de première instance a conclu que l’appelante ne savait pas que les conditions du contrat d’affrètement pertinent interdisaient expressément à Parkroad d’obtenir des approvisionnements nécessaires sur le crédit du navire et des propriétaires de celui‑ci.

 

[31]           Le juge de première instance a ensuite porté son attention sur deux décisions qui, selon lui, fournissaient la réponse à la question de savoir si les propriétaires du navire étaient tenus par contrat de payer le coût du combustible de soute. La première décision est celle que notre Cour a rendue dans Mount Royal, où les approvisionnements nécessaires ont été fournis au navire « Jensen Star » alors que celui‑ci était affrété coque nue.

 

[32]           Dans un jugement unanime, le juge Marceau a conclu aux pages 216 et 217, après avoir passé en revue la jurisprudence pertinente, qu’une action réelle relative aux approvisionnements nécessaires ne pouvait être accueillie si les propriétaires du navire n’étaient pas personnellement responsables. Pour arriver à cette conclusion, le juge Marceau a exposé plus en détail les circonstances pouvant mener à la responsabilité personnelle d’un propriétaire de navire relativement à la fourniture d’approvisionnements nécessaires pour celui‑ci :

      D’après la plupart des décisions rendues par la Section de première instance de cette Cour depuis 1970, il faut que la participation du propriétaire dans la fourniture des approvisionnements nécessaires soit suffisamment complète et directe pour que celui‑ci engage sa responsabilité personnelle. Ces décisions confirment en fait qu’une action in rem est possible seulement si le propriétaire a engagé personnellement sa responsabilité à l’égard de la somme réclamée. [Renvois omis.] Le bien‑fondé de ce point de vue est parfois mis en doute (par exemple dans Thorne Riddell Inc. [Thorne Riddell Inc. c. Nicolle N. Enterprises Inc., [1985] 2 C.F. 31 (1re inst.)], Western Stevedoring Co. c. Navire « Anadolu Guney » Cargo et autres (1988), 23 F.T.R. 117 (C.F. 1re inst.) et, bien entendu, dans la décision dont on interjette appel en l’espèce), mais sa justesse m’apparaît indiscutable. Le fait de prétendre qu’une action in rem pourrait être accueillie même en l’absence de toute responsabilité personnelle du propriétaire serait contraire au principe qui sous‑tend le système, c’est‑à‑dire la protection du propriétaire. Une réclamation contre un navire ne peut être dissociée du propriétaire de ce navire; c’est avant tout une réclamation contre le propriétaire. C’est possible que ce principe ait été énoncé en des termes trop généraux dans bon nombre de décisions. À mon sens, cette responsabilité personnelle du propriétaire ne pourrait exister qu’en rapport avec le navire, c’est‑à‑dire seulement dans la mesure où le produit de la vente pourrait être affecté au paiement de la réclamation. En d’autres termes, c’est une responsabilité qui se limiterait strictement à la chose (voir à cet égard la décision intéressante du Conseil privé dans Foong Tai & Co. c. Buchheister & Co., [1908] A.C. 458 (P.C.)). N’y a‑t‑il pas trois possibilités dont il faut tenir compte : le propriétaire peut avoir conclu le contrat lui‑même, il peut avoir autorisé quelqu’un à s’engager sur son crédit personnel ou il peut avoir autorisé expressément ou implicitement une personne qui a la possession et le contrôle du navire à tirer du crédit du navire (plutôt que de la totalité de ses biens personnels). J’admets parfaitement que le propriétaire doit avoir engagé sa responsabilité par un comportement ou une attitude quelconque. Mais faut‑il en conclure qu’un tribunal ne peut rendre un jugement in rem contre le propriétaire sans obligatoirement prononcer un jugement in personam? Dans l’affirmative, il me semble que l’action in rem perdrait tout à fait son caractère distinct; à ma connaissance, nul n’a jamais prétendu que tel pourrait être le cas (comp. D.C. Jackson, Enforcement of Maritime Claims, 1985, à la page 59).

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[33]           Dans l’affaire Mount Royal, les travaux qui ont mené à la réclamation contre le navire avaient été demandés par un dirigeant des propriétaires du navire et de l’affréteur coque nue de celui‑ci, soit une société liée aux propriétaires en question. À la lumière de l’interprétation du droit exposée par le juge Marceau dans l’extrait précité, notre Cour a décidé que l’affréteur coque nue avait été autorisé par les propriétaires du navire à tirer du crédit du navire et à engager de ce fait la responsabilité des propriétaires de celui‑ci à l’égard des travaux exécutés sur leur navire.

 

[34]           Portant ensuite son attention sur les faits dont il était saisi, le juge de première instance a conclu que l’appelante savait ou aurait dû savoir que Parkroad n’était pas le propriétaire du navire. En conséquence, elle aurait dû prendre des mesures pour vérifier si Parkroad avait été autorisée par les propriétaires du navire à conclure un contrat en leur nom ou à lier leur navire. Le juge de première instance a formé cette opinion après avoir pris connaissance des conditions générales du vendeur, au sujet desquelles il a formulé les remarques suivantes au paragraphe 35 de ses motifs :

[traduction]

[35]     Ces conditions générales ainsi que la confirmation de la commande visent à couvrir toute permutation ou combinaison pouvant survenir lors de la livraison de combustible de soute à un navire. Elles reconnaissent la possibilité que le combustible de soute ait été commandé par un affréteur ou pour le compte d’un affréteur qui n’était pas autorisé à lier le navire ou ses propriétaires. Effectivement, si l’appelante s’était fondée sur le Lloyd’s Register of Shipping, elle aurait su sans le moindre doute que Parkroad n’était pas le propriétaire du Nordems et que les propriétaires pouvaient être trouvés à une adresse en Allemagne. Elle savait ou aurait dû savoir que Parkroad n’était pas l’agent portuaire du navire, car une autre entité était nommée à ce titre dans la confirmation de la commande. De plus, elle a accepté de Parkroad des commandes concernant d’autres navires qui, selon le registre de Lloyd’s, n’ont aucun lien avec les propriétaires du Nordems.

 

[35]           Se fondant sur son examen attentif des conditions générales du vendeur, notamment les clauses 8d) et e), qui prévoient que, dans le cadre de l’entente conclue avec l’acheteur, le vendeur [traduction] « a consulté les listes de propriétaires de navires figurant dans le Lloyd’s Register of International Shipowning Groups [...] et toute autre ressource disponible permettant d’établir ou de confirmer ce droit de propriété », le juge de première instance a conclu que l’appelante avait pour habitude, lorsqu’elle traitait avec des clients désirant obtenir un approvisionnement de combustible de soute, de se fonder sur les registres de navires commerciaux, comme le Lloyd’s Register of Shipping, afin de déterminer le nom du propriétaire du navire auquel elle devait fournir le combustible de soute en question. De plus, c’est en examinant le Lloyd’s Register of Shipping que le juge de première instance a constaté que le navire appartenait à l’intimée Partenreederei ms « Nordems ». C’est pourquoi il a formulé les remarques suivantes, au paragraphe 49 de ses motifs :

[traduction]

[49]     [...] Le contrat était parfaitement conforme à l’expérience vécue par World Fuel Services elle‑même, selon laquelle la personne qui commande du combustible de soute n’a pas nécessairement le pouvoir de lier le navire. Si elle avait respecté les conditions générales de son contrat, qui interdisaient l’octroi de crédit, elle aurait été payée ou n’aurait pas livré le combustible de soute.

 

[36]           Ainsi, de l’avis du juge de première instance, l’appelante savait que Parkroad n’avait pas nécessairement le pouvoir de lier le navire ou les propriétaires de celui‑ci et aurait dû, en conséquence, faire une vérification auprès desdits propriétaires pour savoir si Parkroad possédait ce pouvoir. À cet égard, le juge de première instance a également cité l’arrêt de la Cour suprême du Canada Q.N.S. Paper Co. c. Chartwell Shipping Ltd., [1989] 2 R.C.S. 683 (Chartwell), et formulé les commentaires suivants à ce sujet, au paragraphe 50 de ses motifs :

[traduction]

[50]     À mon avis, elle était au courant et aurait dû s’enquérir auprès des propriétaires pour savoir si Parkroad avait ou non le pouvoir de les lier. Dans l’arrêt Chartwell Shipping, précité, les approvisionnements nécessaires ont été commandés par une partie qui s’est décrite comme un mandataire, mais qui n’a pas nommé son mandant. La Cour suprême a décidé que le mandataire n’était pas personnellement responsable et a estimé que le fournisseur, en l’occurrence une société d’acconage, était au courant de la situation. Dans la présente affaire, l’inverse s’est produit, mais le même principe s’applique.

 

[37]           En conséquence, le juge de première instance a conclu que, si le droit maritime canadien était le droit applicable, tant l’action réelle que l’action personnelle de l’appelante devaient être rejetées, car ni les propriétaires ni les gestionnaires du navire n’étaient personnellement responsables quant à la fourniture du combustible de soute. Le juge de première instance a ensuite examiné le régime de droit applicable.

 

[38]           Il a d’abord affirmé que, puisque les propriétaires du navire n’étaient pas parties au contrat de fourniture de combustible de soute conclu avec l’appelante, la clause aux termes de laquelle le droit américain avait été choisi était [traduction] « moins importante qu’elle l’aurait été autrement » et a ajouté que la jurisprudence n’était pas uniforme en ce qui a trait [traduction] « à la façon de déterminer le droit applicable » (paragraphe 52 des motifs du juge de première instance).

 

[39]           Le juge de première instance a ensuite déterminé les facteurs ayant un lien avec les États‑Unis, facteurs qu’il a décrit comme suit :

[traduction]

[53]     [...] L’argument le plus sérieux de la demanderesse est qu’elle est une société américaine et que, étant donné qu’il y a eu octroi de crédit, le contrat était réputé avoir été conclu aux États‑Unis. Le paiement devait être versé à une banque située aux États‑Unis. Le contrat conclu avec Parkroad était régi par le droit américain et reconnaissait aux tribunaux des États‑Unis une compétence non exclusive. En revanche, le combustible de soute a été commandé en Corée du Sud et livré en Afrique du Sud à un navire battant pavillon chypriote, dont les propriétaires et gestionnaires se trouvaient en Allemagne. Le Nordems n’a à aucun moment pertinent sillonné les eaux américaines et le navire a été saisi au Canada.

 

[40]           Le juge de première instance a ensuite passé en revue quelques décisions canadiennes dans lesquelles les tribunaux avaient donné effet à un privilège maritime étranger malgré le fait que, dans les circonstances de l’affaire, le demandeur n’aurait pu invoquer ce privilège selon le droit maritime canadien. À cet égard, il a cité les arrêts de la Cour suprême du Canada Strandhill (The) c. Walter W. Hodder Co., [1926] R.C.S. 680, 1927 AMC 244 (The Strandhill), et Todd Shipyards Corp. c. Altema Compania Maritima S.A. (Le Ioannis Daskalelis), [1974] R.C.S. 1248, [1974] 1 Lloyd’s Rep. 174, 1973 AMC 176 (Le Ioannis Daskalelis), ainsi que l’arrêt de notre Cour Le Har Rai, soulignant toutefois qu’aucune analyse du choix du droit applicable n’avait été nécessaire dans l’une ou l’autre de ces affaires.

 

[41]           Le juge de première instance a ensuite examiné les arrêts Imperial Oil et Le Lanner, dans lesquels notre Cour avait procédé à une analyse du choix du droit applicable. En ce qui concerne l’arrêt Imperial Oil, il a souligné que la Cour d’appel fédérale avait conclu qu’en l’absence de contrat qui aurait été conclu entre le propriétaire du navire et le fournisseur des approvisionnements nécessaires et qui aurait comporté une clause sur le choix du droit applicable, le droit régissant la transaction n’était pas le droit applicable au contrat, mais plutôt le droit ayant le lien le plus important et le plus étroit avec cette transaction. Il a également souligné que, dans Imperial Oil, notre Cour avait examiné attentivement l’arrêt Lauritzen c. Larsen, 345 U.S. 571, 1953 AMC 1210, qui portait sur la responsabilité délictuelle, dans lequel la Cour suprême des États‑Unis avait énuméré sept facteurs qu’elle jugeait pertinents quant à la détermination du droit applicable. Parmi les facteurs en question figuraient le pavillon arboré par le navire, l’allégeance du propriétaire du navire, l’impossibilité d’avoir recours à un tribunal étranger et la loi du for.

 

[42]           En ce qui a trait à l’arrêt Le Lanner de notre Cour, le juge de première instance a souligné que le juge en chef Richard, qui avait rédigé le jugement majoritaire, avait conclu qu’en général, la clause sur le choix du droit applicable que renferme le contrat d’approvisionnement régirait la transaction. Le juge de première instance a poursuivi en disant que, dans cet arrêt, contrairement à la situation dont il était saisi et à celle qui avait été portée à l’attention de la Cour dans Imperial Oil, le combustible de soute avait été commandé par le gestionnaire des propriétaires du navire, qui avait été ainsi autorisé par ceux‑ci. Ainsi, de l’avis du juge de première instance, [traduction] « un lien contractuel a été créé entre le fournisseur de combustible de soute et le propriétaire » (paragraphe 65 des motifs du juge de première instance). Il a terminé ses remarques au sujet de l’arrêt Le Lanner en affirmant que le juge en chef Richard n’avait pas tranché la question du poids à accorder à une clause sur le choix du droit applicable contenue dans un contrat auquel le propriétaire du navire n’était pas partie.

 

[43]           Après avoir passé en revue la jurisprudence, le juge de première instance a déterminé ce qu’il a appelé les « facteurs non américains » et a conclu que [traduction] « les facteurs non américains l’emportent sur les facteurs américains ». Voici comment il s’est exprimé au paragraphe 66 de ses motifs :

[traduction]

[66]     À mon avis, les facteurs non américains l’emportent sur les facteurs américains. Ces facteurs comprennent le pavillon arboré par le navire (Chypre), le domicile des propriétaires de celui‑ci (Allemagne), l’endroit où l’offre d’achat du combustible de soute a été acceptée (Corée du Sud), l’endroit où le combustible de soute a été livré (Afrique du Sud) et l’endroit où le navire a été saisi (Canada). S’il est nécessaire de choisir parmi ces régimes de droit, celui qui s’appliquerait est celui de l’Afrique du Sud. Il n’y a que deux points de rattachement entre le propriétaire du navire et la demanderesse. Le premier est l’Afrique du Sud, où le combustible de soute a été livré. Si un privilège maritime existe, il est né à ce moment. S’il n’y avait pas eu d’octroi de crédit, la demanderesse aurait été en mesure de saisir le navire à cet endroit. Étant donné qu’il n’a pas été établi ni allégué que le droit de l’Afrique du Sud était différent du droit canadien, la saisie aurait été annulée, puisqu’il n’y a aucune responsabilité personnelle de la part des propriétaires et que la présomption selon laquelle le combustible de soute a été livré sur le crédit du navire a été réfutée. Le reçu de livraison du combustible de soute que le capitaine a signé ne comporte pas la moindre mention de World Fuel Services. Le reçu figure sur le papier à en‑tête de Caltex Oil (SA) (Pty) (Ltd), sur lequel apparaissent également une adresse postale et un numéro de téléphone de Cape Town. Ce reçu ne permet nullement de dire que la demanderesse était le mandant non nommé de Caltex. Le deuxième point de rattachement était le Canada, l’endroit où le navire a été saisi.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[44]           Par suite de ces constatations, le juge de première instance a conclu que le droit applicable aurait été celui de l’Afrique du Sud. Cependant, étant donné qu’il n’avait pas été établi ni allégué que ce droit était différent du droit maritime canadien, notre droit était celui qui s’appliquait et la saisie du navire ne pouvait être confirmée. En d’autres termes, étant donné que les propriétaires du navire n’étaient pas personnellement responsables en ce qui concerne la fourniture du combustible de soute et qu’ils avaient réussi à réfuter la présomption de responsabilité, la saisie ne pouvait être confirmée, de sorte que tant l’action réelle que l’action personnelle devaient être rejetées. Le juge de première instance a souligné que sa conclusion était conforme au droit maritime canadien, ajoutant que les conclusions quelque peu contradictoires que notre Cour avait tirées dans Imperial Oil et Le Lanner s’expliquaient par le fait que, dans cette dernière affaire, un contrat existait entre le fournisseur et les propriétaires du navire alors que, tant dans Imperial Oil que dans la présente affaire, ce n’était pas le cas. Le juge de première instance a terminé cette partie de ses motifs en précisant, au paragraphe 67, que lorsqu’aucun contrat n’existe entre le fournisseur et les propriétaires du navire, [traduction] « nous devons évaluer les points de rattachement », c’est‑à‑dire les additionner pour déterminer le droit applicable à la transaction.

 

[45]           Le juge de première instance s’est ensuite attardé, même s’il n’était pas tenu de le faire –puisqu’il avait conclu que la transaction était régie par le droit maritime canadien –, à la question de savoir si le droit américain aurait reconnu l’existence d’un privilège maritime en faveur de l’appelante. Après avoir examiné les témoignages d’experts qu’il a entendus au sujet de l’état du droit aux États‑Unis, il a répondu à cette question par la négative, estimant que le droit américain exigeait davantage qu’une clause contractuelle énonçant que la loi américaine avait été choisie pour conférer un privilège maritime au fournisseur des approvisionnements nécessaires. Pour arriver à cette conclusion, le juge de première instance s’est fondé sur ses conclusions selon lesquelles le combustible de soute n’avait pas été livré aux États‑Unis, le navire n’avait pas été exploité aux États‑Unis et il n’avait pas été saisi dans ce pays. Étant donné que ces éléments clés étaient manquants, le juge de première instance était convaincu que le droit américain n’aurait pas reconnu à l’appelante un privilège maritime sur le navire.

 

[46]           Le juge de première instance a terminé ses motifs en formulant les remarques suivantes, au paragraphe 86 :

[traduction]

[86]     En résumé, les propriétaires du navire n’étaient pas parties au contrat de World Fuel Services et ne sont pas liés par les conditions de celui‑ci. Parkroad n’avait aucun pouvoir, réel ou apparent, de conclure un contrat au nom de World Fuel Services ou sur le crédit du navire. La présomption selon laquelle le combustible de soute a été fourni sur le crédit du navire a été réfutée. Le droit des États‑Unis n’est pas le droit qui s’applique. Même s’il s’appliquait, il n’avait pas pour effet de reconnaître l’existence d’un privilège maritime à l’encontre du navire ou d’imposer une responsabilité personnelle aux propriétaires ou gestionnaires de ce navire. L’action réelle et l’action personnelle engagées contre eux sont rejetées.

 

ANALYSE

[47]           À mon avis, le juge de première instance n’a commis aucune erreur susceptible de révision en concluant que les propriétaires du navire n’étaient pas parties au contrat d’approvisionnement, que la présomption avait été réfutée et que le droit américain ne régissait pas la transaction en cause. En conséquence, il n’est pas nécessaire que nous tranchions la question de savoir si le droit américain aurait accordé à l’appelante un privilège maritime grevant le navire, dans l’éventualité où le droit américain se serait appliqué à la transaction. Voici les raisons pour lesquelles je suis arrivé à ces conclusions.

 

a)         La validité de la créance personnelle ou réelle de l’appelante selon le droit maritime canadien

 

[48]           Je débute par la question de savoir si l’appelante avait une créance personnelle ou réelle valide selon le droit maritime canadien. Le seul argument que l’appelante invoque à cet égard est le fait que le juge de première instance a mal analysé les éléments nécessaires pour réfuter la présomption et qu’il a commis une erreur en concluant que les propriétaires du navire avaient réfuté cette présomption.

 

[49]           L’appelante soutient que la présomption s’applique, que le navire ait fait l’objet d’un contrat d’affrètement à temps ou d’un contrat d’affrètement coque nue, et qu’elle ne peut être réfutée que par la preuve du fait que le fournisseur des approvisionnements nécessaires savait effectivement que l’affréteur n’était pas autorisé à offrir le navire en garantie ou du fait que le fournisseur ne s’est pas tourné vers le navire pour obtenir le paiement de sa créance. Cette proposition incite l’appelante à affirmer que, dans les circonstances de la présente affaire, la présomption s’applique et qu’elle n’a pas été réfutée.

 

[50]           L’appelante poursuit en affirmant qu’il n’appert pas clairement des motifs que le juge de première instance a accepté ou rejeté l’application de la présomption. À cet égard, elle renvoie aux paragraphes 9, 40, 48 et 64 des motifs en question. À mon avis, cette position est dénuée de fondement. Après avoir relu les motifs, je suis convaincu qu’il était d’avis que la présomption s’appliquait, mais que les propriétaires du navire l’avaient réfutée. Au paragraphe 86 de ses motifs, que j’ai reproduit au paragraphe 46 des présents motifs, le juge de première instance dit clairement que les propriétaires du navire ont réfuté la présomption. En conséquence, il n’y a pas lieu de dire qu’il ne s’est pas demandé si la présomption s’appliquait.

 

b)         La présomption découlant du droit maritime canadien

 

[51]           J’arrive maintenant à l’argument précis de l’appelante selon lequel le juge de première instance n’a pas appliqué le critère approprié pour savoir si la présomption avait été réfutée. Selon l’appelante, lorsque ce critère est appliqué correctement, la seule conclusion possible est que la présomption n’a pas été réfutée. À mon avis, cet argument ne tient pas la route.

 

[52]           D’abord, j’estime que la présomption que l’appelante invoque n’est pas celle qu’elle peut invoquer en droit maritime canadien. À mon sens, la présomption que l’appelante considère comme celle qui s’applique est celle qu’elle aurait pu invoquer si le droit américain avait été applicable. En effet, en droit américain, il existe une présomption législative selon laquelle l’affréteur a le pouvoir de lier le navire du propriétaire relativement aux approvisionnements nécessaires. Cette présomption ne peut être réfutée que par une preuve du fait que le fournisseur savait effectivement qu’aucun pouvoir de cette nature n’avait été accordé à la personne qui a demandé la fourniture des approvisionnements nécessaires. Ainsi, dans des circonstances semblables, le droit américain accordera au fournisseur un privilège maritime qui lui permettra de saisir le navire afin de faire valoir sa créance. En d’autres termes, le fournisseur d’approvisionnements nécessaires n’est pas tenu de prouver qu’il s’est fondé sur le crédit du navire ou qu’il s’est raisonnablement enquis du pouvoir de la personne qui a commandé les approvisionnements nécessaires (The Commercial Instruments and Maritime Liens Act, 46 U.S.C., articles 30341 et suivants; pour un examen complet de l’évolution de la présomption applicable en droit américain, voir Gilmore et Black, The Law of Admiralty, 2e éd. (Mineola, New York : The Foundation Press, Inc., 1975, aux pages 670 et suivantes).

 

[53]           Comme le juge de première instance l’a clairement expliqué dans ses motifs, cette présomption n’est pas celle que l’appelante peut invoquer en droit maritime canadien. Ainsi qu’il l’a souligné, cette dernière est une [traduction] « présomption plus faible ». Afin de bien comprendre la présomption pouvant être invoquée en droit maritime canadien, nous devons nous rappeler que, selon notre droit, il ne peut y avoir d’action réelle et, par conséquent, de saisie, relativement à une créance au titre des approvisionnements nécessaires, à moins qu’il ne soit possible de démontrer que les propriétaires du navire sont personnellement responsables. Pour paraphraser les remarques que le juge Marceau a formulées dans l’arrêt Mount Royal, il doit y avoir une responsabilité découlant des actes ou omissions des propriétaires du navire ou de leur attitude ou comportement.

 

[54]           Je dois insister sur le fait que le combustible de soute n’a pas été commandé par le capitaine du navire ou par un mandataire des propriétaires de celui‑ci. Il a été commandé par Parkroad, sous‑affréteur à temps à qui il était expressément interdit de faire livrer les approvisionnements nécessaires sur le crédit du navire et des propriétaires de celui‑ci. À mon avis, ce qu’il faut chercher à savoir, c’est si le comportement ou l’attitude des propriétaires du navire aurait pu, dans les circonstances de la présente affaire, inciter l’appelante à croire que Parkroad était autorisée à acheter le combustible de soute pour leur compte ou sur le crédit du navire.

 

[55]           Au chapitre XVI de son ouvrage intitulé Maritime Liens and Claims, 2e éd. (Montréal : Éditions Yvon Blais, 1998), le professeur William Tetley traite de cette question. Il affirme d’abord que ni l’affréteur au voyage ni l’affréteur à temps contractant en leur propre nom ne peuvent lier le navire à l’égard des approvisionnements nécessaires, à moins d’avoir obtenu l’autorisation des propriétaires de celui‑ci. Au soutien de cette proposition, le professeur Tetley cite notamment l’extrait des motifs du jugement que le juge Marceau a rendu dans l’arrêt Mount Royal (reproduit au paragraphe 32 des présents motifs), où notre ex‑collègue affirme clairement que le propriétaire d’un navire peut, expressément ou implicitement, autoriser une personne, comme un affréteur, à tirer du crédit de son navire.

 

[56]           Le professeur Tetley commente ensuite la situation où le propriétaire d’un navire pourrait avoir incité un fournisseur d’approvisionnements nécessaires à croire faussement que l’affréteur à temps avait le pouvoir de lier le navire. Dans ce genre de situation, le professeur Tetley soutient que [traduction] « le propriétaire du navire (ou l’affréteur coque nue) peut être tenu personnellement responsable à l’égard des contrats conclus par ces mandataires apparents, au motif que ceux‑ci ont été « présentés » au fournisseur comme des parties dûment autorisées à engager le crédit de leurs éventuels « mandants » (c’est‑à‑dire le propriétaire du navire ou l’affréteur coque nue) » (Maritime Liens and Claims, page 570).

 

[57]           Le professeur Tetley explique ensuite, toujours à la page 570, que pour savoir si, par leurs actes ou omissions, les propriétaires du navire ont incité le fournisseur d’approvisionnements nécessaires à croire qu’ils avaient autorisé la personne ayant acheté le combustible de soute à faire cette commande, le tribunal devra [traduction] « [...] examiner les faits et concilier la « présentation » faite par le propriétaire ou l’affréteur coque nue au regard de l’obligation de vérification qui incomberait au fournisseur ». Au soutien de l’existence de cette obligation qui incomberait au fournisseur, le professeur Tetley cite Cann c. Roberts, (1874) 30 L.T.R. 424, décision anglaise où il a été conclu que les fournisseurs ne pouvaient se fonder sur le pouvoir du capitaine de lier les propriétaires du navire lorsqu’ils auraient été en mesure, en faisant une recherche raisonnable, de savoir que le capitaine n’avait pas ce pouvoir. J’aimerais souligner ici qu’avant 1971, le droit américain imposait au fournisseur d’approvisionnements nécessaires l’obligation de vérifier si l’acheteur avait le pouvoir de lier un navire. Cette obligation a été éliminée lors de l’adoption, en 1971, de la loi intitulée The Commercial Instruments and Maritime Liens Act (voir Gilmore et Black, pages 670 et suivantes).

 

[58]           Le professeur Tetley termine ensuite son examen de cette question en formulant les remarques suivantes à la page 572 :

[traduction]

     Ni l’affréteur à temps ni l’affréteur au voyage ne sont considérés comme le mandataire ou le préposé du propriétaire du navire. En conséquence, dans la mesure où aucune question de « présentation » ne se pose, il ne semblerait pas nécessaire que le propriétaire avise les fournisseurs que cet affréteur n’engage pas le crédit personnel dudit propriétaire en concluant une entente avec eux. De plus, le propriétaire du navire et le navire peuvent également invoquer l’obligation de vérification qui incombe au fournisseur.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[59]           À mon avis, le professeur Tetley a bien exposé la règle de droit applicable. Conservant cette explication à l’esprit, je passe maintenant à la question de savoir si, eu égard aux faits de la présente affaire, le juge de première instance a commis une erreur en concluant que les propriétaires du navire avaient réfuté la présomption.

 

c)         La question de savoir si le juge de première instance a commis une erreur en concluant que la présomption avait été réfutée

 

[60]           Comme je l’ai déjà souligné, je suis d’avis que le juge de première instance n’a commis aucune erreur en concluant comme il l’a fait. D’abord, il est indéniable à mon sens que l’appelante savait ou aurait dû savoir que Parkroad n’était pas le propriétaire du navire. L’appelante avait, ainsi que le montrent les conditions générales du vendeur et comme l’a conclu le juge de première instance, accès à des publications comme le Lloyd’s Register of Shipping, qui lui auraient permis de déterminer à qui appartenait le navire. En d’autres termes, ces publications permettaient de savoir que le navire appartenait à l’intimée Partnerreederei ms « Nordems » et non à Parkroad. En conséquence, l’appelante était au courant et aurait dû prendre des mesures pour vérifier si Parkroad avait le pouvoir de lier le navire.

 

[61]           En tout état de cause, aucun élément de preuve ne montre que l’appelante a tenté de communiquer avec les propriétaires du navire pour savoir si Parkroad était autorisée à acheter du combustible de soute en leur nom. La seule conclusion possible, c’est que l’appelante n’a pas fait cette démarche ou que, si elle l’a faite, elle ne voulait pas en connaître l’issue.

 

[62]           Je ne puis non plus déceler, à la lumière de la preuve, le moindre comportement ou agissement des propriétaires du navire qui aurait pu inciter l’appelante à croire qu’ils avaient autorisé d’une façon ou d’une autre Parkroad à acheter le combustible de soute en leur nom.

 

[63]           Qui plus est, l’appelante a traité en tout temps uniquement avec Parkroad, ce qui revêt une certaine importance. À cet égard, je souligne que la facture relative à la fourniture du combustible de soute a été envoyée à Parkroad seulement et non aux propriétaires du navire, même si elle était adressée à ceux‑ci. En fait, aucun contact n’a eu lieu entre les propriétaires du navire et l’appelante avant que celle‑ci n’envisage sérieusement la possibilité que le navire soit saisi; à ce moment‑là, l’appelante savait que Parkroad était en faillite ou que, en tout état de cause, elle ne serait probablement pas en mesure de payer sa dette. Effectivement, comme l’a conclu le juge de première instance, la première lettre que l’appelante a envoyée aux propriétaires du navire est datée du 8 décembre 2008, soit une date antérieure de quatre jours à la saisie du navire à Baie-Comeau.

 

[64]           Enfin, j’estime qu’il faut accorder une certaine importance au fait que le courriel confirmant la vente du combustible de soute à Parkroad portait la mention suivante : [traduction] « les avis d’exonération apposés sur les reçus de livraison du combustible de seront inopérants et ne constituent pas un abandon du privilège du vendeur ». Cette mention permet de dire que l’appelante avait des raisons de croire que Parkroad n’était pas nécessairement le propriétaire du navire, ce qui aurait dû l’inciter à faire des vérifications.

 

[65]           En conclusion, même s’il existe en droit canadien une présomption selon laquelle les approvisionnements nécessaires sont fournis sur le crédit du navire, cette présomption est réfutable. Pour savoir si elle a été réfutée, il faut évaluer de façon appropriée tous les faits pertinents, notamment la mesure dans laquelle le fournisseur a fait des vérifications raisonnables pour connaître l’étendue du pouvoir de la personne ayant demandé les approvisionnements nécessaires. J’ajouterais que la mesure dans laquelle le fournisseur doit s’informer dépend des circonstances particulières de l’affaire. Pour décider si l’obligation de vérification a été remplie, il faut garder à l’esprit que la technologie moderne permet au fournisseur d’obtenir beaucoup plus facilement et rapidement le type de renseignements dont il a besoin pour savoir si un affréteur ou une autre personne a reçu du propriétaire du navire l’autorisation de lier celui‑ci.

 

[66]           Dans la présente affaire, je suis convaincu que le juge de première instance n’a pas commis d’erreur lorsqu’il a conclu que l’appelante aurait dû s’informer au sujet du pouvoir de Parkroad de lier le navire. Il a examiné avec soin l’ensemble de la preuve pertinente sur cette question et il n’y a pas lieu d’infirmer sa conclusion selon laquelle les propriétaires du navire avaient réfuté la présomption. Le juge de première instance n’a ni commis une erreur de principe ni mal apprécié les faits à la lumière des principes pertinents.

 

[67]           J’aborde maintenant la question de savoir si le juge de première instance a commis une erreur lorsqu’il a conclu que la transaction n’était pas régie par le droit américain et que, par conséquent, le droit applicable était le droit maritime canadien.

 

d)         La question de savoir si le juge de première instance a commis une erreur en concluant que la transaction n’était pas régie par le droit américain

 

[68]           L’appelante soutient que le juge de première instance ne s’est pas fondé sur le critère approprié pour déterminer le droit applicable. Plus précisément, elle lui reproche de ne pas avoir accordé suffisamment d’importance à la clause sur le choix du droit applicable que contenait le contrat d’approvisionnement ainsi qu’aux autres facteurs qui reliaient la créance aux États‑Unis. L’appelante fait également valoir que le juge de première instance a accordé trop d’importance à l’endroit où le combustible de soute a été livré au navire.

 

[69]           L’appelante affirme que le droit applicable à une transaction donnée est celui de l’endroit ayant le lien le plus étroit et le lien le plus réel et substantiel avec la transaction. À son avis, même si le juge de première instance semble avoir reconnu qu’il s’agissait là du critère approprié, il ne l’a pas vraiment appliqué. Plutôt que de tenter de savoir quel ressort entretenait le lien le plus étroit et le plus important avec la transaction, il s’est demandé si les facteurs non américains l’emportaient sur les facteurs américains.

 

[70]           L’appelante reproche également au juge de première instance de s’être trompé au sujet de ce qu’il a appelé les [traduction] « points de rattachement » (il utilise cette expression à deux occasions dans ses motifs : d’abord au paragraphe 66, où il fait mention des [traduction] « points de rattachement » entre le propriétaire du navire et la demanderesse, puis au paragraphe 67, où il affirme que [traduction] « nous devons évaluer les points de rattachement », c’est‑à‑dire les points de rattachement avec plusieurs ressorts). De l’avis de l’appelante, la bonne façon de procéder consiste non pas à soupeser les points de rattachement entre les propriétaires du navire et l’appelante, mais plutôt à examiner chaque facteur pertinent et à lui attribuer l’importance qu’il mérite afin de déterminer en fin de compte quel ressort entretient le lien le plus étroit et le plus important avec la transaction.

 

[71]           Je commente d’abord l’argument de l’appelante selon lequel le juge de première instance n’a pas accordé suffisamment d’importance à la clause sur le choix du droit applicable. En fait, l’appelante soutient que le juge de première instance a totalement écarté ce facteur. Pour trancher cette question, je dois tenir compte des arrêts Imperial Oil et Le Lanner, où notre Cour s’est penchée sur des arguments similaires.

 

[72]           Dans Imperial Oil, les deux navires, qui avaient été immatriculés au Canada, appartenaient à une société canadienne, Imperial Oil, et étaient exploités conformément à un contrat d’affrètement coque nue signé avec Socanav, exploitant canadien. En qualité d’affréteur coque nue, Socanav a confié la gestion de ses navires à une société américaine, Star. Dans le cadre de ses fonctions, Star s’est vu confier la responsabilité d’acheter des lubrifiants maritimes pour les navires. En conséquence, Star a conclu avec Petromar, société américaine, un contrat relatif à l’approvisionnement des navires en lubrifiants maritimes. À son tour, Petromar a conclu avec Exxon, une autre société américaine, un contrat par lequel celle‑ci a convenu de vendre et de livrer des lubrifiants maritimes aux clients sollicités par Petromar. Les deux contrats ont été conclus aux États‑Unis et comportaient une clause énonçant que [traduction] « l’interprétation, la validité et les obligations [...] seront gouvernées par les lois de l’État de New York à l’exclusion de tout autre régime juridique ».

 

[73]           Il convient également de souligner que, dans l’arrêt Imperial Oil, les navires étaient exploités dans les Grands Lacs, c’est‑à‑dire à la fois au Canada et aux États‑Unis, et que la société Exxon avait livré des lubrifiants maritimes aux deux navires aux ports de Montréal et de Sarnia. En tout état de cause, Petromar a payé Exxon pour les lubrifiants, mais n’a pas reçu le paiement de ses factures ni de Star ni de Socanav. Qui plus est, lorsqu’elle a fourni les lubrifiants aux navires, Petromar savait que ceux‑ci appartenaient à Imperial Oil et non à Socanav.

 

[74]           Ainsi, tout comme dans la présente affaire, aucun contrat ne liait les fournisseurs et les propriétaires des navires. Les seuls contrats étaient ceux qui avaient été conclus entre Petromar et Exxon, d’une part, et entre Petromar et Star, d’autre part.

 

[75]           Dans Imperial Oil, le juge de la Section de première instance a décidé que les transactions étaient régies par le droit maritime américain et que, par conséquent, Petromar avait droit à un privilège maritime à l’égard de ses créances. Pour arriver à cette conclusion, le juge de la Section de première instance a conclu qu’il fallait appliquer le droit du ressort avec lequel les transactions avaient le lien le plus étroit et le plus important, ce qui l’a incité à soupeser un certain nombre de facteurs, y compris les deux contrats en application desquels les lubrifiants maritimes ont été fournis au navire. De l’avis du juge de la Section de première instance, ce facteur était le plus important, puisque les deux contrats avaient été conclus aux États‑Unis et que tous les deux comportaient une clause prévoyant que le droit américain avait été choisi.

 

[76]           En appel devant notre Cour, les propriétaires du navire ont soutenu que le juge de la Section de première instance avait accordé trop de poids aux deux contrats conclus entre Petromar et Star et entre Petromar et Exxon et qu’il avait omis d’accorder la moindre importance à de nombreux facteurs reliant la transaction au Canada.

 

[77]           Après avoir passé en revue la jurisprudence concernant le concept du privilège maritime et les principes en matière de conflits de lois, le juge Stone de notre Cour s’est attardé aux faits dont il était saisi et a affirmé que le juge de la Section de première instance avait choisi le bon critère, c’est‑à‑dire que le droit applicable était celui du ressort qui entretenait le lien le plus étroit et le plus important avec la transaction, ajoutant que cette interprétation était celle « que privilégient les auteurs d’ouvrages portant sur les conflits de lois dans le domaine maritime » (Imperial Oil, paragraphe 30).

 

[78]           Au paragraphe 35 de ses motifs, le juge Stone a ensuite souligné que, de l’avis du juge de la Section de première instance, les contrats conclus aux États‑Unis entre Star et Petromar et entre Petromar et Exxon constituaient le facteur de rattachement le plus important à prendre en compte pour déterminer le droit applicable. Il a ensuite ajouté que ni Imperial Oil ni Socanav n’étaient parties à ces contrats, mais a précisé qu’il était logique de présumer que Socanav avait autorisé Star à commander les lubrifiants en son nom, puisqu’il avait été convenu entre Socanav et Imperial Oil que la responsabilité liée à l’obtention des approvisionnements nécessaires incomberait à l’affréteur.

 

[79]           Au paragraphe 37 de ses motifs, le juge Stone a formulé les remarques suivantes :

[37]     Même si le juge de première instance a eu raison d’examiner et de soupeser l’importance des contrats américains comme facteur et même si ce facteur a une importance considérable, je ne suis pas convaincu qu’il s’agit du facteur le plus important. [...]

 

[80]           Le juge Stone s’est ensuite demandé quel était le ressort avec lequel les transactions avaient le lien le plus étroit et le plus important. Il a examiné les facteurs pertinents et conclu que ce ressort était le Canada. Son raisonnement, qui figure aux paragraphes 36 et 38 de ses motifs, est le suivant :

[36]     [...] Je reconnais qu’il serait peu judicieux de retenir un seul facteur et qu’il importe d’examiner et d’évaluer tous les facteurs de rattachement afin d’accommoder les intérêts légitimes des États. À mon avis, dans la présente affaire, il y a lieu d’accorder une plus grande importance aux endroits où les produits ont été livrés au Canada, compte tenu des différents autres facteurs rattachant les transactions au Canada. [Non souligné dans l’original.]

 

[...]

 

[38]     Les facteurs rattachant les transactions au Canada comprenaient l’immatriculation des navires, le pavillon, la propriété, la possession au Canada par un affréteur à coque nue, l’exploitation des navires depuis une base à Montréal et la fourniture des lubrifiants au Canada. Parmi ces facteurs, celui auquel une importance considérable doit être accordée à mon sens est le fait que l’entreprise de Socanav, l’affréteur à coque nue, était basée au Canada lorsque les lubrifiants maritimes ont été fournis et que c’est le Canada, où les navires étaient basés et exploités, qui était le plus avantagé au plan économique par la fourniture des lubrifiants. Aux États‑Unis, dans l’arrêt Hellenic Lines, précité, la Cour suprême a jugé, à la page 309, que la base des activités du propriétaire du navire constituait [traduction] « un autre facteur important » à évaluer. Depuis ce temps, les tribunaux de ce pays ont constamment évalué ce facteur dans les cas pertinents. Ainsi, dans l’arrêt M/V Tento, précité, qui concernait une revendication de privilège maritime par une société américaine qui avait fourni du mazout en Italie conformément à un accord conclu avec l’affréteur d’un navire norvégien, le juge Kennedy a souligné ce qui suit à la page 1193 :

 

[traduction]

Dans une décision subséquente, la Cour suprême a déclaré que les facteurs énoncés dans Lauritzen n’étaient pas exhaustifs. Hellenic Lines, Ltd. v. Rhoditis, 398 U.S. 306, 309, 90 S. Ct. 1731, 1734, 26 L. Ed. 2d 252 (1970). La « base des activités » du navire, c’est‑à‑dire le centre de gestion du propriétaire du navire et l’endroit le plus avantagé au plan économique par l’exploitation de celui‑ci sont également pertinents. Id. p. 309, 90 S. Ct., p. 1734.

 

Cette opinion a été adoptée plus tard dans une affaire concernant la fourniture de mazout en Afrique du Sud par un fournisseur basé à Londres : Forsythe Intern. U.K. Ltd. v. M/V Ruth Venture, 633 F. Supp. 74 (D. Or. 1985), à la page 77.

 

[81]           À la lumière des faits dont il était saisi, le juge Stone a conclu que, même s’ils avaient une importance considérable, les contrats américains ne constituaient pas le facteur le plus important, parce que tous les autres facteurs montraient que le Canada était le pays ayant le lien le plus étroit et le plus important avec les transactions.

 

[82]           Il convient toutefois de préciser que le juge Stone ne dit nulle part explicitement qu’il faut accorder une importance quelconque aux clauses des contrats qui indiquent le choix du droit américain. Il dit plutôt que les contrats américains, appelés ainsi parce qu’ils ont été conclus aux États‑Unis entre des sociétés américaines, méritent de se voir accorder une certaine importance.

 

[83]           J’aborde maintenant l’arrêt Le Lanner de notre Cour, où le juge en chef Richard a statué que les clauses aux termes desquelles le droit américain avait été choisi dans deux des trois contrats d’approvisionnement en combustible de soute permettaient de trancher le litige. Dans le cas du troisième contrat, qui ne comportait aucune clause de cette nature, mais plutôt une clause d’arbitrage énonçant que tout différend découlant dudit contrat devrait être soumis et tranché conformément aux lois de l’État de Washington, le juge en chef Richard a décidé que la clause d’arbitrage constituait « une indication de la loi applicable au contrat » (paragraphe 31 de ses motifs).

 

[84]           Comme je l’ai déjà mentionné, le combustible de soute dans l’affaire Le Lanner avait été acheté à la demande du gestionnaire du navire, qui était entièrement autorisé à l’acheter. Il convient également de souligner que le navire avait été approvisionné à Halifax (Nouvelle‑Écosse), à Pointe‑à‑Pierre (Trinidad) et à Singapour. J’insiste à nouveau sur le fait que le juge en chef Richard n’a pas répondu à la question de l’importance à accorder à une clause sur le choix du droit lorsque les propriétaires du navire ne sont pas personnellement responsables de la fourniture du combustible de soute pour leur navire. En d’autres termes, quelle devrait être l’importance à accorder à une clause sur le choix du droit figurant dans un contrat auquel les propriétaires du navire n’étaient pas parties?

 

[85]           À mon avis, lorsque le propriétaire du navire, comme c’était le cas dans Le Lanner, a conclu une entente avec le fournisseur et a accepté l’insertion d’une clause aux termes de laquelle la loi américaine a été choisie, le fait d’accorder la priorité à cette loi, ainsi qu’en a décidé le juge en chef Richard, ne pose aucun problème. Cependant, lorsque, comme c’était le cas dans Imperial Oil et comme c’est également le cas dans la présente affaire, aucun contrat n’a été conclu entre les propriétaires du navire et le fournisseur d’approvisionnements nécessaires et que les propriétaires en question n’ont pas, par leur attitude et leur conduite, incité le fournisseur à croire qu’ils avaient autorisé l’acheteur à agir en leur nom, je suis enclin à penser qu’il n’y a pas lieu d’accorder la moindre importance à la clause sur le choix du droit applicable.

 

[86]           Dans les motifs qu’il a rédigés dans Imperial Oil, aux paragraphes 28 et 29, le juge Stone cite l’ouvrage du professeur J.‑G. Castel, Canadian Conflicts of Laws, 4e éd. (Toronto : Butterworths, 1997), notamment les paragraphes 448 et 452, où le professeur Castel affirme que la loi applicable au contrat sera habituellement celle que les parties ont choisie. Cependant, lorsqu’aucun choix explicite n’a été fait ou qu’aucun choix ne peut être déduit, le régime de droit applicable sera celui avec lequel la transaction a le lien le plus étroit et le plus réel.

 

[87]           Par conséquent, le juge en chef Richard a manifestement respecté les principes susmentionnés en tranchant comme il l’a fait la question dont il était saisi dans Le Lanner. Cependant, lorsque, comme c’est le cas en l’espèce, les propriétaires du navire ne sont pas parties au contrat d’approvisionnement, il n’y a pas lieu de dire qu’ils ont accepté la clause prévoyant l’application du droit américain que contenait le contrat conclu entre l’appelante et Parkroad. De toute évidence, ce n’est pas le cas.

 

[88]           Cette conclusion m’incite à dire que, si le juge Stone avait estimé que les clauses des contrats américains aux termes desquelles le droit américain avait été choisi étaient importantes en soi, il l’aurait dit. À mon sens, il ne l’a pas dit parce qu’il n’était pas de cet avis. Comme je l’ai déjà souligné, il estimait que les contrats américains étaient pertinents, ce que j’admets volontiers. En effet, je n’ai aucun mal à considérer comme un facteur le fait que, dans Imperial Oil, les contrats d’approvisionnement avaient été conclus aux États‑Unis entre des sociétés américaines. Cependant, ces contrats ne représentaient qu’un facteur parmi de nombreux autres.

 

[89]           La prise en compte des contrats américains dans Imperial Oil ne peut signifier, comme l’appelante semble le croire, que les clauses sur le choix de la loi que contenaient ces contrats ont été traitées ou auraient dû être traitées comme si elles faisaient partie des contrats liant les propriétaires du navire. En d’autres termes, les contrats américains constituaient un des nombreux facteurs pertinents quant à la détermination de la loi applicable aux transactions, exercice visant à déterminer, non pas le droit devant régir les contrats américains, mais plutôt le droit – je me permets de le décrire ainsi – s’appliquant à la relation non-contractuelle entre le fournisseur d’approvisionnements nécessaires et le navire. De toute évidence, dans la présente affaire, les dispositions sur le choix de la loi n’étaient pas pertinentes quant à cet exercice en raison de l’absence de lien contractuel.

 

[90]           Le juge de première instance estimait que, étant donné que les propriétaires du navire n’étaient pas parties au contrat conclu avec l’appelante, la clause sur le choix de la loi était [traduction] « moins importante qu’elle l’aurait été autrement » (paragraphe 52 des motifs du juge de première instance). Au paragraphe 67 de ses motifs, il a ajouté que [traduction] « en l’absence de contrat, nous devons évaluer les points de rattachement ». En d’autres termes, pour déterminer le droit applicable, il faut, non pas s’en remettre à la disposition sur le choix de la loi, mais plutôt chercher à savoir, à la lumière des faits et des événements mis en preuve, quel est le ressort ayant le lien le plus étroit et le plus important avec la transaction. À mon avis, le juge de première instance n’a commis aucune erreur susceptible de révision quant à la façon dont il a appliqué la disposition sur le droit applicable que renfermait le contrat conclu entre l’appelante et Parkroad.

 

e)         Les questions de savoir si le juge de première instance a omis d’accorder l’importance appropriée aux facteurs rattachant la transaction aux États‑Unis et s’il a accordé trop d’importance au lieu d’approvisionnement

 

[91]           J’examine maintenant les prétentions de l’appelante selon lesquelles le juge de première instance n’a pas accordé suffisamment d’importance aux autres facteurs rattachant la transaction aux États‑Unis et a accordé trop d’importance au lieu d’approvisionnement. Ces prétentions sous‑entendent implicitement que l’appelante estime que le juge de première instance a commis une erreur en omettant d’examiner chaque facteur pertinent en raison de l’approche qu’il a suivie, qui consistait à additionner les points de rattachement entre l’appelante et les propriétaires du navire.

 

[92]           À mon avis, ces arguments sont sans fondement. Le juge de première instance comprenait clairement le critère pertinent et n’a commis aucune erreur manifeste lorsqu’il a appliqué ce critère aux faits dont il était saisi. Au paragraphe 58 de ses motifs, après avoir cité les motifs que le juge Stone a rédigés dans l’arrêt Imperial Oil, le juge de première instance a adopté le bon critère et a fait remarquer ce qui suit : [traduction] « [...] en l’absence d’un contrat avec le propriétaire du navire (plutôt qu’avec l’affréteur), lequel contrat renfermerait une clause sur le choix de la loi (ce qui est le cas en l’espèce), le régime de droit applicable n’est pas celui du contrat, mais plutôt celui avec lequel la transaction présente le lien le plus étroit et le plus important ».

 

[93]           Il a ensuite soupesé les facteurs qui rattachaient la transaction aux États‑Unis et ceux qui la rattachaient à d’autres ressorts, ce qui l’a incité à conclure que les facteurs pertinents ne rattachaient pas la transaction aux États‑Unis. L’appelante lui reproche d’avoir employé les expressions « facteurs non américains » et « facteurs américains », mais cet emploi ne constitue pas une erreur, parce que le juge de première instance pouvait uniquement conclure, au vu de la preuve dont il avait été saisi, que la loi applicable était américaine ou canadienne, aucun autre régime de droit n’ayant été allégué ou prouvé.

 

[94]           À mon avis, il est difficile de trouver un élément rattachant la transaction aux États‑Unis. Hormis les conditions générales du vendeur, selon lesquelles le contrat conclu entre l’appelante et Parkroad est réputé avoir été passé aux États‑Unis et être assujetti aux lois de ce pays, la preuve ne comporte pas le moindre élément rattachant la transaction à ce pays.

 

[95]           Il appert de la preuve que le navire, qui a été immatriculé à Chypre et dont les propriétaires sont allemands, a été approvisionné en Afrique du Sud par Caltex, société sud‑africaine, par suite d’une demande de combustible de soute formulée par World Fuel Korea, division de World Fuel Singapore. J’ajouterais que le navire a été saisi au Canada et non aux États‑Unis. Par conséquent, un examen honnête de la preuve ne révèle aucun lien réel ou important avec les États‑Unis.

 

[96]           Après avoir examiné attentivement tous les facteurs, le juge de première instance a décidé que les États‑Unis ne pouvaient être le ressort ayant le lien le plus étroit et le plus important avec la transaction. Il a ajouté que, s’il lui avait fallu choisir le ressort ayant le lien le plus étroit et le plus important avec la transaction, il aurait choisi l’Afrique du Sud. Plus précisément, il a mentionné que, dans une situation semblable à celle dont il était saisi, où un lien existait avec plusieurs ressorts, [traduction] « la préférence doit être donnée à l’endroit où les approvisionnements nécessaires ont été fournis » (paragraphe 67 des motifs du juge de première instance). En conséquence, étant donné que le régime de droit de l’Afrique du Sud n’avait été ni allégué ni prouvé, le droit applicable était celui du Canada, de sorte que l’action réelle et l’action personnelle de l’appelante ont été rejetées.

 

[97]           À mon avis, il était parfaitement loisible au juge de première instance de conclure que les États‑Unis n’étaient pas le ressort ayant le lien le plus étroit et le plus important avec la transaction et que, dans les circonstances de l’affaire, il fallait choisir l’Afrique du Sud. L’appelante ne m’a pas convaincu qu’en concluant de la sorte, le juge de première instance a commis une erreur manifeste et dominante.

 

[98]           En conséquence, comme je l’ai mentionné précédemment, il n’est pas nécessaire que nous nous attardions à la question de savoir si le droit américain aurait, d’après les faits mis en preuve en l’espèce, permis à l’appelante d’exercer ses droits à l’encontre du navire. Il n’est pas non plus nécessaire que nous répondions à la question de savoir si l’appelante ou World Fuel Singapore était la partie qui pouvait engager l’action et, par conséquent, interjeter appel.

 

Dispositif

[99]           Pour les motifs exposés ci‑dessus, je rejetterais l’appel avec dépens en faveur des intimés sauf l’intimée Parkroad.

 

 

« M. Nadon »

j.c.a.

 

 

« Je suis d’accord.

            Gilles Létourneau, j.c.a. »

 

« Je suis d’accord.

            Johanne Trudel, j.c.a. »

 

 

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    A‑148‑10

 

INTITULÉ :                                                  WORLD FUEL SERVICES CORP. c.
LE NAVIRE « NORDEMS » et al

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 16 décembre 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                       LE JUGE NADON

 

Y ONT SOUSCRIT :                                   LE JUGE LÉTOURNEAU

                                                                        LA JUGE TRUDEL

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 25 février 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Christopher J. Giaschi

 

POUR L’APPELANTE

 

John O’Connor

 

POUR LES INTIMÉS

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Giaschi & Margolis

Vancouver (C.‑B.)

 

POUR L’APPELANTE

 

Langlois Gaudreau O’Connor s.r.l.

Ville de Québec (Qc)

 

POUR LES INTIMÉS

 

 

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