Décisions de la Cour d'appel fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Cour d'appel fédérale

 

Federal Court of Appeal

Date : 20110308

Dossier : A-175-10

Référence : 2011 CAF 83

 

CORAM :      LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE NOËL

                        LA JUGE TRUDEL

 

ENTRE :

EASTON SPORTS CANADA INC.

appelante

et

BAUER HOCKEY CORP. et

NIKE INTERNATIONAL LIMITED

intimées

 

 

 

Audience tenue à Montréal (Québec), le 24 janvier 2011.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 8 mars 2011.

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                      LE JUGE NOËL

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                 LE JUGE LÉTOURNEAU

LA JUGE TRUDEL

 


Cour d’appel fédérale

 

Federal Court of Appeal

Date : 20110308

Dossier : A-175-10

Référence : 2011 CAF 83

 

CORAM :      LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE NOËL

                        LA JUGE TRUDEL

 

ENTRE :

EASTON SPORTS CANADA INC.

appelante

et

BAUER HOCKEY CORP. et

NIKE INTERNATIONAL LIMITED

intimées

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

LE JUGE NOËL

[1]               Notre Cour est saisie d’un appel et d’un appel incident interjeté à l’encontre d’un jugement de la juge Gauthier de la Cour fédérale (la juge du procès), dans lequel elle a conclu qu’Easton Sports Canada Inc. (Easton) a contrefait le brevet canadien n2302953 (le brevet 953) visant une chaussure de patin. La juge du procès a également conclu qu’Easton a incité un fabriquant tiers, Les Chaussures Rock Forest Inc. (Rock Forest), à contrefaire le brevet 953.

 

[2]               Au soutien de son appel, Easton fait valoir que la juge du procès a commis une erreur en ne concluant pas que le brevet 953 était invalide pour cause d’évidence et d’antériorité. Subsidiairement, Easton fait valoir que la juge du procès a commis une erreur en concluant qu’elle a incité Rock Forest à contrefaire le brevet 953.

 

[3]               À l’appui de leur appel incident, Bauer Hockey Corp. et Nike International Limited (conjointement Bauer) font valoir que la juge du procès a mal interprété le brevet 953 en décidant que certains des modèles de patins d’Easton ne contrefaisaient pas le brevet 953 parce qu’ils ne réalisaient pas un de ses éléments essentiels.

 

[4]               Pour les motifs suivants, je rejetterais à la fois l'appel et l'appel incident.

 

LE CONTEXTE

[5]               Comme le montre la représentation graphique ci-dessous, une chaussure de patin est généralement constituée des éléments suivants : le quartier, le protège-tendon, la languette, le renfort de bout, les garants d’œillets, la semelle intérieure et la semelle extérieure :

Le quartier et le protège-tendon sont particulièrement pertinents dans le cadre du présent appel.

[6]               Le brevet 953 est intitulé « Quartier pour chausson de patin » et revendique une chaussure de patin particulière, qui consiste en une chaussure de patin formée d’un quartier une pièce et son procédé de fabrication. La demande de brevet a été produite le 4 septembre 1998 et le brevet a été concédé le 20 novembre 2001. Le brevet expire le 4 septembre 2018.

 

[7]               Le brevet 953 comporte sept revendications. La revendication 1, et plus particulièrement, le deuxième paragraphe, est au cœur de l’appel et de l’appel incident :

 

[Traduction]

La chaussure du patin comprend une semelle, une partie antérieure pour recevoir les orteils du patineur, une partie arrière pour le talon et la cheville, et une partie médiale et latérale pour recevoir le pied du patineur; lesdites parties antérieure, médiale et latérale comprenant :

 

-         un quart de partie médiale et un quart de partie latérale reliés ensemble en un seul tenant plié le long d’une ligne symétrique pour former la structure en forme de U de la chaussure du patin, chacune desdites parties se prolongeant verticalement le long de cette même ligne symétrique pour définir la partie recevant le talon et la cheville de ladite structure de la chaussure du patin et se prolongeant vers l’extérieur de ladite ligne symétrique en un profil se rétrécissant pour définir les deux côtés de ladite chaussure du patin;

 

-         un protège-tendon fixé au quart de la partie médiale et au quart de la partie latérale à une ligne de jonction de façon parallèle, si bien que ladite partie postérieure de ladite chaussure du patin, présentant un profil angulaire défini par ledit protège-tendon et le quart des dites parties médiale et latérale à ladite ligne de jonction.

 

 

[8]               Dans sa déclaration produite en Cour fédérale en 2002, comme modifiée plus tard, Bauer a fait valoir qu’un certain nombre de modèles de patins fabriqués et vendus par Easton contrefaisaient son brevet 953 et qu’Easton a incité et amené d’autres fabricants, incluant Rock Forest, à fabriquer des patins contrefaits (nouvelle déclaration modifiée, cahier d’appel, Vol. 1, pp. 143, 144, 147, paragraphes 1c)(i) et 11). Le procès s’est déroulé sur une période de huit jours entre  le 2 novembre 2009 et le 12 janvier 2010.

 

[9]               La juge du procès a rendu son jugement le 26 août 2010 et a conclu que certains des 38 modèles de patin d’Easton contrefaisaient le brevet 953. Elle a également conclu qu’Easton avait pris part à la fabrication des patins contrefaits, en plus d’inciter Rock Forest à fabriquer ces patins. Le jugement était accompagné de motifs de plus de 100 pages qui portaient sur de nombreuses questions, la plupart desquelles n’ont pas été soulevées en appel.

 

DÉCISION DE LA COUR FÉDÉRALE

[10]           Le résumé des motifs se limite aux parties qui sont pertinentes aux questions de l’espèce et il respecte l’ordre dans lequel ces questions ont été traitées par la juge du procès.

 

[11]           Après avoir identifié la personne versée dans l’art et les connaissances générales courantes accessibles à la date pertinente, la juge du procès a abordé la question de l’interprétation de la revendication 1. Elle a désigné les éléments suivants comme étant les trois plus importants de la revendication 1 (motifs, paragraphe 135) :

 

-     Un quartier une pièce;

 

-     Une pièce distincte, appelée protège-tendon, fixée audit quartier sur une ligne de jonction;

 

-     Un profil angulaire sur la partie arrière de la botte du patin, profil défini par le protège-tendon et le quartier à ladite ligne de jonction.

[12]           La juge du procès a ensuite répondu à la question de savoir si la méthode de fixation du protège-tendon au quartier une pièce était également essentielle. Elle a jugé qu’elle l’était. Même s’il « est évident que l’inventeur savait à l’époque que le protège-tendon pourrait être fixé de manière à créer un chevauchement, il est également évident qu’il a choisi de limiter son monopole aux protège-tendons fixés côte à côte […] » (motifs, paragraphe 143).

 

[13]           La juge du procès a ensuite répondu à la question de savoir si les modèles de patins d’Easton contrefaisaient le brevet 953 selon l’interprétation qui en avait été donnée. Elle a conclu que les modèles où le protège-tendon est joint au quartier une pièce et fixé côte à côte (utilisant les patrons A, E et F) contrefaisaient le brevet 953 et que les modèles où le protège-tendon est fixé de manière à créer un chevauchement (utilisant le patron C) ne contrefaisaient pas le brevet (motifs, paragraphes 172 et 179).

 

[14]           La juge du procès a également examiné la question de savoir si Easton avait participé à la fabrication des patins contrefaits. Elle a conclu en premier lieu qu’en concevant le patron et la teinture utilisés par Rock Forest pour fabriquer les patins contrefaits, Easton était directement impliquée dans la fabrication des patins (motifs, paragraphe 190). Cependant, comme l’argument au procès portait sur la contrefaçon par incitation, elle a concentré son analyse sur cette question et elle a conclu qu’Easton avait incité Rock Forest à contrefaire le brevet 953. Elle a déclaré que « [r]ien ne prouve que, sans sa relation avec Easton, Rock Forest aurait fabriqué des patins selon l’invention revendiquée dans le brevet 953 » (motifs, paragraphe 191).

 

[15]           La juge du procès a ensuite examiné la prétention d’Easton selon laquelle le brevet 953 est invalide sur la base de l’antériorité et de l’évidence. En ce qui concerne l’antériorité, Easton s’est appuyée au procès sur deux événements où des patins réalisant les caractéristiques essentielles du brevet 953 – le prototype Vapor 8 – ont été montrés en public. Le présent appel ne se fonde que sur un seul de ces événements (c’est-à-dire la ligue d’essai). La ligue d’essai réunissait des équipes de hockey formées des employés de Bauer et d’autres joueurs ayant souscrit un accord de confidentialité (motifs, paragraphe 212). Easton s’est appuyée sur le fait que les parties de la ligue d’essai étaient ouvertes au public pour faire valoir que la personne versée dans l’art pouvait, en tant que spectateur, observer les patins portés par les joueurs et déterminer les éléments essentiels de la revendication 1.

 

[16]           La juge du procès a rejeté cet argument. Elle a noté que les patins n’étaient pas accessibles pour être testés ou désassemblés par les personnes présentes, bien qu’ils puissent être observés (motifs, paragraphe 216). Elle a estimé que la personne versée dans l’art qui aurait assisté à une partie de la ligue d’essai n’aurait pas été en mesure de discerner tous les éléments essentiels de l’invention. Elle a appliqué le critère de l’antériorité établi dans Apotex Inc. c. Sanofi-Synthelabo Canada Inc., 2008 CSC 61, [2008] 3 R.C.S. 265 [Sanofi], et elle a conclu que l’invention revendiquée dans le brevet 953 n’a pas été divulguée ou réalisée et qu’elle n’a donc pas été antériorisée (motifs, paragraphes 219 à 221).

 

[17]           La juge du procès a ensuite examiné la question de l’évidence en se référant également au critère établi dans Sanofi (au paragraphe 65). Parmi les connaissances générales courantes et l’art antérieur sur lesquels s’est appuyés Easton figurent deux brevets publiés antérieurement. La juge du procès les a examinés. Un seul – le brevet allemand « Utility Model » no 9400085.9 enregistré le 24 février 1994 (le brevet Chin) – est pertinent en l’espèce. La juge du procès a rejeté l’argument d’Easton selon lequel le brevet Chin, lorsque comparé avec les autres preuves d’antériorité, rendait l’idée originale sous-jacente au brevet 953 évidente. Plus précisément, elle a conclu qu’il « n’existe aucun élément de preuve détaillé indiquant comment ce brevet aurait été compris par une personne moyennement versée dans l’art en 1994 » (motifs, paragraphe 244).

 

[18]           Selon la juge du procès, l’idée originale sous-jacente à la revendication 1 (motifs, paragraphe 251) :

 

[…] est la combinaison d’un quartier une-pièce qui couvre le talon et la cheville de l’utilisateur avec un garde-tendon distinct, fixé côte à côte au quartier une-pièce pour donner une botte de patin avec un profil angulaire formé au point d’attache.

 

 

[19]           Au paragraphe 252, elle a déterminé les différences entre les connaissances générales courantes, l’art antérieur et l’idée originale de la manière suivante :

 

Il n’y avait pas de patin cousu ou monté de type classique avec quartier une-pièce. De même, il n’y avait pas quelque combinaison que ce soit de patin avec un quartier une-pièce et un protège-tendon distinct, et encore moins un patin où le protège-tendon était fixé côte à côte à ce quartier d’une manière qui créait un profil angulaire à l’arrière de la botte de patin.

 

 

[20]           En ce qui concerne le dernier volet du critère de l’évidence énoncé dans Sanofi – c’est‑à‑dire la question de savoir si la différence visée est évidente pour la personne versée dans l’art – la juge du procès a conclu qu’Easton ne s’était pas acquittée de son fardeau de prouver que ces différences étaient évidentes (motifs, paragraphe 284).

 

[21]           La juge du procès a donc rejeté l’argument d’Easton fondé sur l’invalidité.

 

ERREURS ALLÉGUÉES EN APPEL

[22]           Easton fait valoir que la juge du procès a commis une erreur en concluant que le brevet 953 n’était ni antériorisé, ni évident. Subsidiairement, Easton soutient que la juge du procès a commis une erreur en concluant qu’elle a incité Rock Forest à contrefaire le brevet 953.

 

[23]           En ce qui concerne l’évidence, Easton fait valoir que la juge du procès a commis une erreur dans son application des deux derniers volets de la démarche analytique énoncée dans Sanofi. Elle fait valoir que les connaissances générales courantes incluaient une chaussure de patin comprenant tous les éléments essentiels du brevet, à l’exception du quartier une pièce. Selon Easton, les marques de patin Daoust 101 et 501, qui ont été produites au procès, constituent les « réalisations les plus récentes » (mémoire d’Easton, paragraphe 38). Si la juge du procès s’était concentrée sur ces réalisations, elle aurait été forcée de conclure que l’idée originale est limitée à la substitution d’un talon une pièce par un quartier deux pièces.

 

[24]           L’appelante ajoute que cette substitution était évidente compte tenu des enseignements du brevet Chin (mémoire d’Easton, paragraphe 39). À cet égard, Easton fait valoir que le brevet Chin [traduction] « permet à la personne versée dans l’art de conclure que la ‘partie arrière de la chaussure une pièce’ est la solution aux problèmes en matière d’art antérieur auxquels s’attaque le brevet 953 » (mémoire d’Easton, paragraphe 47). En résumé, les patins et le brevet Chin révèlent les quatre éléments essentiels du brevet 953 et ont rendu « l’invention » évidente.

 

[25]           En ce qui concerne l’antériorité, Easton soutient que le brevet 953 a été antériorisé par la divulgation du prototype Vapor 8 de Bauer pendant la ligue d’essai. Easton soutient que la juge du procès n’a pas considéré les renseignements qu’une inspection visuelle rendait accessibles pour une personne versée dans l’art se référant aux connaissances générales courantes. Selon Easton, une telle inspection aurait montré les aspects essentiels de l’idée originale : le quartier une pièce, le profil angulaire et le protège-tendon distinct fixé côte à côte (mémoire d’Easton, paragraphe 58).

 

[26]           En ce qui concerne le quartier une pièce, Easton affirme que « l’aspect enveloppant unique » du prototype Vapor 8 avait pour but de le différencier des autres patins et, en ce sens, le [traduction] « quartier une pièce visible avait donc été conçu par Bauer pour pouvoir être remarqué ». Easton fait également valoir que le témoignage de M. Chênevert indique qu’il était évident qu’il y avait un quartier une pièce (mémoire d’Easton, paragraphes 59 et 60).

 

[27]           Easton soutient que la relation angulaire entre le protège-tendon et le quartier pouvait également être constatée aisément par une inspection visuelle. Elle fait valoir que si la connaissance ciblée par la juge du procès à l’égard du protège-tendon est appliquée à une inspection visuelle de la chaussure de patin Vapor 8, [traduction] « on constate clairement qu’elle a un profil incliné vers l’arrière et qu’elle n’a aucune ligne de couture verticale. La conclusion inévitable pour une personne versée dans l’art à cette époque est que ce type de patin a été conçu selon le plus commun des deux modèles disponibles, c’est-à-dire que le prototype Vapor 8 a un protège-tendon séparé » (mémoire d’Easton, paragraphe 63).

 

[28]           En ce qui concerne la fixation côte à côte, Easton fait valoir que même si la ligne où le protège-tendon rencontre le quartier était cachée, [traduction] « la preuve montre que la pratique à l’époque consistait à fixer un protège-tendon séparé à un quartier d’une façon côte à côte » (mémoire d’Easton, paragraphe 64). Si une divulgation établit qu’aucune des deux solutions ne peut être suivie, le fait que l’option la moins souvent utilisée ne constitue pas une antériorité ne rend pas l’option la plus courante non pertinente. À cet égard, Easton s’appuie sur la décision du juge Laddie dans PCME Limited c. Goyen Controls Co. UK Limited, [1999] EWHC Patents 264, paragraphes 29-32 [PCME Limited] (mémoire d’Easton, paragraphe 67).

 

[29]           Easton ajoute que le prototype Vapor 8, considérant qu’il a révélé tous les éléments essentiels de l’invention, aurait également dû être considéré dans l’analyse de la juge du procès portant sur l’évidence (mémoire d’Easton, paragraphe 72).

 

[30]           En ce qui concerne la conclusion selon laquelle elle a incité Rock Forest à la contrefaçon, Easton soutient que la juge du procès [traduction] « a appliqué le mauvais critère juridique en ne considérant pas la question de savoir s’il existait une preuve qu’Easton avait bénéficié d’une quelconque façon de la vente de ces patins aux États-Unis par Easton U.S » (mémoire d’Easton, paragraphe 74). S’appuyant sur Dableh c. Ontario Hydro, [1996] 3 F.C. 751 (C.A.) Easton plaide qu’il faut que la partie bénéficie des actes de contrefaçon pour qu’une conclusion de contrefaçon par déduction puisse être tirée. En l’espèce, rien ne prouve qu’elle a bénéficié d’une quelconque façon de la vente des patins par Rock Forest à Easton U.S. Easton soutient que dans ces circonstances, il n’y a rien dans la loi concernant le critère du « facteur déterminant » appliqué par la juge du procès (Slater Steel Industries Ltd. et al. c. R. payer Co. Ltd. et al., (1968) 55 C.P.R. 61 (C. de l’É.), par. 76).

 

ERREURS ALLÉGUÉES DANS L’APPEL INCIDENT

[31]           Bauer soutient que la juge du procès a commis une erreur en décidant que la fixation côte à côte est un élément essentiel de la revendication 1. S’appuyant sur Free World Trust c. Électro Santé Inc., 2000 CSC 66, [2000] 2 R.C.S. 1024 [Free World Trust], Bauer souligne que les deux conditions pour qu’un élément d’une revendication soit jugé non essentiel énoncées dans ce jugement – (i) suivant une interprétation téléologique des termes employés dans la revendication, il n’était manifestement pas voulu que l’élément soit essentiel, (ii) à la date de publication, le destinataire versé dans l’art aurait constaté qu’un élément donné pouvait être substitué ou omis sans que cela ne modifie le fonctionnement de l’invention – peuvent être considérées de manière indépendante (mémoire de Bauer, paragraphes 124-126). Bauer affirme que la juge du procès a rendu sa décision en se fondant sur la première condition et qu’elle a ignoré la deuxième (mémoire de Bauer, paragraphe 132).

 

[32]           Bauer soutient qu’elle s’est acquittée de son fardeau de prouver l’interchangeabilité ou l’équivalence des deux types de fixation (côte à côte ou chevauchante) à la date de publication. En premier lieu, Bauer explique qu’une fixation côte à côte ne constituait pas une nouveauté ou une invention à la date de la publication du brevet 953. Elle fait valoir que les personnes versées dans l’art comprennent que cette exigence peut varier légèrement sans affecter la façon dont l’invention fonctionne (mémoire de Bauer, paragraphe 133). De plus, Bauer soutient que les témoignages des témoins d’Easton (M. Laferrière, M. Hall et M. Goldsmith) en contre‑interrogatoire appuient cette prétention (mémoire de Bauer, paragraphes 133 à 137).

 

[33]           Selon Bauer, la juge du procès a appliqué le critère établi dans Improver Corp. c. Remington Consumer Products Ltd., [1990] F.S.R. 181 (U.K. Pat. Ct.), plutôt que celui établi dans Free World Trust. Elle a exigé que l’interchangeabilité connue et manifeste des deux méthodes de fixation soit démontrée en plus d’exiger la preuve qu’un lecteur versé dans l’art aurait compris que l’intention du titulaire du brevet n’était pas de faire de la stricte conformité au sens premier une exigence essentielle de l’invention (mémoire de Bauer, paragraphes 119 à 128).

 

[34]           Bauer fait valoir qu’elle a respecté la deuxième condition énoncée dans Free World Trust (mémoire d’Easton, paragraphes 138 et 139). Dans tous les cas, elle fait valoir que la première condition a également été respectée (mémoire d’Easton, paragraphes 140 et 141).

ANALYSE ET DÉCISION

[35]           Il est utile de rappeler que la norme de contrôle applicable aux questions de droit est celle de la décision correcte. L’interprétation de la revendication 1 soulève une question de droit, tout comme la détermination du critère juridique approprié concernant l’évidence et l’antériorité. Les conclusions de fait tirées lors de l’application de ces critères ne peuvent être infirmées en l’absence d’une erreur manifeste et dominante (Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235).

 

L’appel incident

[36]           Comme l’appel incident porte sur l’interprétation de la revendication 1 par la juge du procès, il devrait être examiné en premier lieu puisque les conclusions de contrefaçon et de validité subséquentes sont fondées sur cette interprétation.

 

[37]           En termes clairs, Bauer fait valoir que selon l’interprétation téléologique de la revendication 1, la fixation côte à côte n’était manifestement pas destinée à être un élément essentiel et que, dans tous les cas, la personne versée dans l’art aurait compris qu’une fixation chevauchante pouvait être substituée sans affecter l’invention.

 

[38]           Dans l’arrêt Whirlpool Corp. c. Camco Inc., 2000 CSC 67, [2000] 2 R.C.S. 1067, la Cour suprême du Canada a déclaré ce qui suit au paragraphe 45 :

 

L’interprétation téléologique repose donc sur l’identification par la cour, avec l’aide du lecteur versé dans l’art, des mots ou expressions particuliers qui sont utilisés dans les revendications pour décrire ce qui, selon l’inventeur, constituait les éléments « essentiels » de son invention […]

 

 

[39]           Dans Free World Trust, le juge Binnie a énoncé les propositions suivantes concernant l’interprétation des brevets (paragraphe 31) :

 

a)            La Loi sur les brevets favorise le respect de la teneur des revendications.

 

b)            Le respect de la teneur des revendications favorise à son tour tant l’équité que la prévisibilité.

 

c)            La teneur d’une revendication doit toutefois être interprétée de façon éclairée et en fonction de l’objet.

 

d)            Ainsi interprétée, la teneur des revendications définit le monopole. On ne peut s’en remettre à des notions imprécises comme « l’esprit de l’invention » pour en accroître l’étendue.

 

e)            Suivant une interprétation téléologique, il ressort de la teneur des revendications que certains éléments de l’invention sont essentiels, alors que d’autres ne le sont pas. Les éléments essentiels et les éléments non essentiels sont déterminés :

 

(i)                 en fonction des connaissances usuelles d’un travailleur versé dans l’art dont relève l’invention;

 

(ii)               à la date à laquelle le brevet est publié;

 

(iii)              selon qu’il était ou non manifeste, pour un lecteur averti, au moment où le brevet a été publié, que l’emploi d’une variante d’un composant donné ne modifierait pas le fonctionnement de l’invention, ou;

(iv)             conformément à l’intention de l’inventeur, expresse ou inférée des revendications, qu’un composant en particulier soit essentiel, peu importe son effet en pratique;

 

(v)               mais indépendamment de toute preuve extrinsèque de l’intention de l’inventeur.

 

f)       Il n'y a pas de contrefaçon lorsqu'un élément essentiel est différent ou omis. Il peut cependant y avoir contrefaçon s’il y a remplacement ou omission d’éléments non essentiels. 

 

[Les soulignements sont de Bauer]

 

 

[40]           Bien que Bauer ait fait observer avec justesse que les conditions sur lesquelles elle s’appuie dans le passage ci-dessus sont énoncées à titre subsidiaire, elle n’a pas démontré que la juge du procès avait omis de considérer l’une ou l’autre de ces conditions.

 

[41]           La conclusion ultime tirée par la juge du procès concernant l’interprétation de la revendication 1 est énoncée au paragraphe 143 de ses motifs :

 

Après examen du libellé de la revendication 1 et de ses revendications dépendantes, et même s’il est évident que l’inventeur savait à l’époque que le protège-tendon pourrait être fixé de manière à créer un chevauchement, il est également évident qu’il a choisi de limiter son monopole aux protège-tendons fixés côte à côte à la ligne de jonction entre le bord inférieur du protège-tendon et le bord supérieur du quartier.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[42]           Comme l’a noté la juge du procès, les connaissances générales courantes à la période pertinente montraient qu’il existe deux méthodes pour attacher ou fixer un protège-tendon au quartier. Le libellé de la revendication 1 fait référence à l’une de ces méthodes, mais pas à l’autre. C’est dans ce contexte que la question est posée.

 

[43]           Comme il y avait deux méthodes pour fixer le protège-tendon au quartier et puisque ces méthodes étaient équivalentes ou interchangeables, comme le soutient Bauer, le titulaire du brevet aurait pu se référer à l’une ou l’autre des méthodes de fixation. Subsidiairement, la revendication 1 aurait pu être rédigée en affirmant que le protège-tendon « peut » être fixé par une méthode côte à côte ou simplement que le protège-tendon est « fixé » au quartier sans faire référence à une méthode en particulier. Au lieu de cela, la revendication 1 fait référence au fait que « le protège-tendon est fixé […] côte à côte […] ».

 

[44]           Fait important, le témoin-expert de Bauer, M. Hoshizaki, a déclaré ce qui suit en ce qui concerne la fixation côte à côte (cahier d’appel, Vol. 4, pp. 1209 et 1210, paragraphe 66) :

 

[traduction] En ce qui concerne la fixation du protège-tendon au quartier, l’inventeur a reconnu que cela procurait un avantage, tout comme le fait de fixer le protège-tendon au quartier côte à côte (ou bout à bout) a éliminé les matériaux additionnels associés au chevauchement des deux éléments. Cela a aidé à diminuer le poids total du patin (page 1, lignes 26 à 28 et page 4, lignes 15-16). De plus, dans l’industrie, lorsque deux matériaux sont reliés de manière à se chevaucher, les extrémités du matériau sont habituellement sablées ou « parées » aux extrémités pour être jointes, afin de réduire l’épaisseur de la fixation et d’éliminer une « bosse »éventuelle là où les pièces sont jointes. En fixant le protège-tendon et le quartier côte à côte, il n’était pas nécessaire de parer le matériau et une étape de fabrication a donc pu être éliminée. Enfin, lorsque les deux parties étaient parées avant d’être fixées, le matériau était plus mince au point de fixation, ce qui aboutissait souvent à un affaiblissement de la fixation, et cela pouvait causer une défaillance. Une fixation côte à côte ne pose pas de problème de ce genre.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[45]           M. Hoshizaki a rapidement ajouté qu’une fixation côte à côte ne servait qu’à rendre l’invention optimum et qu’elle ne constituait rien de plus qu’une préférence ou qu’une variante (cahier d’appel, Vol. 4, p. 1218, paragraphe 91), mais la juge du procès a interprété la chose différemment.

 

[46]           Comme elle l’a noté, la personne versée dans l’art savait à la date pertinente qu’il était nécessaire de diminuer le poids des patins en utilisant aussi peu de matériaux que possible (motifs, paragraphes 237 et 238). Il était également désirable de réduire autant que possible le nombre d’opérations de fabrication (interrogatoire de M. Hoshizaki, cahier d’appel, Vol. 35, pp. 14342:17-14348:9; Vol. 36, pp. 14416:16-14417:8). La décision d’utiliser une fixation côte à côte a une incidence sur ces deux facteurs. En plus de réduire la quantité de matériaux utilisés, et donc le poids, cela élimine la nécessité de recourir au parage afin d’éliminer l’aspérité créée par une fixation chevauchante.

 

[47]           La juge du procès a également convenu que le recours au parage aboutit à un affaiblissement de la fixation qui pourrait être soumis à un échec. Dans ses mots, « [n]ul ne conteste que cet avantage [d’une fixation côte à côte] soit réel […] » (motifs, paragraphe 298).

 

[48]           Après avoir lu la revendication 1 dans ce contexte, la juge du procès a rejeté la prétention de Bauer selon laquelle la personne versée dans l’art conclurait que la revendication 1 se réfère à l’une des deux méthodes de fixation interchangeables. Après avoir donné effet au libellé de la revendication 1 tout en considérant les avantages qu’une fixation côte à côte était connue pour procurer, elle a conclu qu’un des éléments essentiels du monopole revendiqué comportait la fixation du protège-tendon au quartier à la ligne de jonction de la manière décrite dans la revendication 1.

 

[49]           L’avocat de Bauer a insisté sur le fait que les avantages que peut procurer cette méthode de fixation sont mineurs. Il a reconnu qu’il est important de diminuer le poids, mais a insisté sur la très faible incidence qu’une fixation côte à côte aurait en comparaison d’une fixation chevauchante. Selon l’avocat, la personne versée dans l’art comprendrait que les méthodes de fixation sont équivalentes d’un point de vue pratique.

 

[50]           Cependant, la diminution du poids n’était pas le seul avantage et quand bien même l’eut‑il été, la preuve montre qu’à l’époque pertinente, aucune diminution de poids n’était considérée trop faible dans l’industrie du patin. Comme les représentants de Bauer l’ont dit lors de l’examen préalable, [traduction] « toutes les possibilités de réduction de poids ont été considérées, même s’il ne s’agissait que d’un gramme ici ou un gramme là » (interrogatoire préalable de M. Ken Covo, cahier d’appel, Vol. 10 à la p. 3807).

 

[51]           Lorsqu’on considère l’état de l’art, la nature de l’invention et le libellé de la revendication 1, il semble clair que la personne versée dans l’art considérerait la méthode de fixation en question comme un élément essentiel.

 

[52]           L’avocat de Bauer a plaidé, peut-être avec raison, que cet élément permet de contourner le brevet 953 relativement facilement. Il fait plus particulièrement référence au fait qu’Easton a décidé d’adopter une fixation chevauchante de manière informelle et que cette « solution » a été mise en œuvre rapidement et sans difficulté (contre-interrogatoire de Ned Goldsmith, cahier d’appel, Vol. 46, p. 17320).

 

[53]           Je conviens que la fixation côte à côte rend le brevet 953 vulnérable si elle est essentielle. Cependant, vu sous cet angle, le problème soulevé par l’avocat correspond parfaitement à ce qu’a déclaré le juge Binnie dans Free World Trust, au paragraphe 51 :

 

[…] Cependant, l’inventeur qui s’exprime mal ou qui crée par ailleurs une restriction inutile ou complexe ne peut s’en prendre qu’à lui‑même. Le public doit pouvoir s’en remettre aux termes employés à condition qu’ils soient interprétés de manière équitable et éclairée.

 

 

[54]           En l’espèce, une interprétation équitable et téléologique de la revendication 1 montre clairement que le fait de fixer le protège-tendon au quartier à l’aide d’une fixation côte à côte constitue un élément essentiel de la revendication. En conséquence, l’appel incident ne peut être accueilli.

 

L’appel

[55]           La première partie de l’appel porte sur l’évidence. À cet égard, l’article 28.3 de la Loi sur les brevets, L.R.C. 1985, ch. P-4 (la Loi) prévoit ce qui suit :

 

28.3 L’objet que définit la revendication d’une demande de brevet ne doit pas, à la date de la revendication, être évident pour une personne versée dans l’art ou la science dont relève l’objet, eu égard à toute communication :

 

 

a) qui a été faite, plus d’un an avant la date de dépôt de la demande, par le demandeur ou un tiers ayant obtenu de lui l’information à cet égard de façon directe ou autrement, de manière telle qu’elle est devenue accessible au public au Canada ou ailleurs;

 

 

b) qui a été faite par toute autre personne avant la date de la revendication de manière telle qu’elle est devenue accessible au public au Canada ou ailleurs.

 

28.3 The subject-matter defined by a claim in an application for a patent in Canada must be subject-matter that would not have been obvious on the claim date to a personne versée dans l’artor science to which it pertains, having regard to

 

(a) information disclosed more than one year before the filing date by the applicant, or by a person who obtained knowledge, directly or indirectly, from the applicant in such a manner that the information became available to the public in Canada or elsewhere; and

 

(b) information disclosed before the claim date by a person not mentioned in paragraph (a) in such a manner that the information became available to the public in Canada or elsewhere.

 

 

 

[56]           Dans Sanofi, la Cour suprême du Canada a sanctionné le critère établi en Angleterre dans Windsurfing International Inc. c. Tabur Marine (Great Britain) Ltd., [1985] R.P.C. 59 (C.A.), qui a été réitéré dans Pozzoli SPA c. BDMO SA, [2007] F.S.R. 37, [2007] EWCA Civ 588 :

 

67 Lors de l’examen relatif à l’évidence, il y a lieu de suivre la démarche à quatre volets d’abord énoncée par le lord juge Oliver dans l’arrêt Windsurfing International Inc. c. Tabur Marine (Great Britain) Ltd., [1985] R.P.C. 59 (C.A.). La démarche devrait assurer davantage de rationalité, d’objectivité et de clarté. Le lord juge Jacob l’a récemment reformulée dans l’arrêt Pozzoli SPA c. BDMO SA, [2007] F.S.R. 37 (p. 872), [2007] EWCA Civ 588, par. 23

 

Par conséquent, je reformulerais comme suit la démarche préconisée dans l’arrêt Windsurfing :

 

(1) a)  Identifier la « personne versée dans l’art ».

 

b)  Déterminer les connaissances générales courantes pertinentes de cette personne;

 

(2)  Définir l’idée originale de la revendication en cause, au besoin par voie d’interprétation;

 

(3)  Recenser les différences, s’il en est, entre ce qui ferait partie de « l’état de la technique » et l’idée originale qui sous‑tend la revendication ou son interprétation;

 

(4)  Abstraction faite de toute connaissance de l’invention revendiquée, ces différences constituent‑elles des étapes évidentes pour la personne versée dans l’art ou dénotent‑elles quelque inventivité?

 

 

[57]           Easton fait valoir que la juge du procès a commis une erreur dans son application des étapes 3 et 4 de l’analyse établie dans Sanofi. En ce qui concerne l’étape 3, Easton fait valoir que la juge du procès n’a pas cerné correctement les différences entre l’idée originale et ce qu’elle décrit comme la « réalisation la plus récente ». Les modèles 101 et 510 de Daoust, qui faisaient partie des connaissances générales courantes à l’époque pertinente, sont considérés comme étant la réalisation la plus récente. Selon Easton, ils réalisent trois des quatre éléments essentiels du brevet 953, c’est-à-dire le protège-tendon fixé au quartier à une ligne de jonction, un profil angulaire dans la partie arrière de la chaussure de patin définie par le protège-tendon et le quartier à ladite ligne de jonction et le protège-tendon fixé côte à côte au quartier à la ligne de jonction.

 

[58]           Easton fait également valoir que l’élément essentiel restant – le quartier une pièce – a été divulgué par le brevet Chin qui, bien qu’il ne fasse pas partie des connaissances générales courantes (motifs, paragraphe 226), était accessible au public. Selon Bauer, la seule différence entre les patins Daoust et l’idée originale est la substitution du quartier deux pièces pour un quartier une pièce, comme l’a exposé le brevet Chin.

 

[59]           En vertu de ce qui précède, l’avocat d’Easton a préconisé une position inédite selon laquelle la seule question devant être examinée était celle de savoir s’il aurait été évident pour la personne versée dans l’art d’adapter le brevet Chin aux patins Daoust ou vice versa.

 

[60]           Comme l’affaire dont la juge du procès a été saisie ne reposait pas sur cette question, cette dernière n’a pas été examinée. L’avocat d’Easton (qui n’a pas participé au procès de première instance) l’a reconnu. Bien que les patins Daoust fassent partie de l’art antérieur, on ne leur a pas accordé une importance particulière au cours du procès. Bauer les a produits en preuve après le dépôt des rapports d’expert d’Easton. Easton n’a cherché à produire aucun rapport additionnel, conséquemment aucun de ses experts ne s’est appuyé sur les patins Daoust.

 

[61]           Compte tenu de cet argument, l’avocat de Bauer a examiné les patins Daoust de plus près (mémoire de Bauer, paragraphe 48). Bien que la juge du procès ait indiqué dans son jugement que les patins Daoust 101 et 501 avaient un protège-tendon fixé côte à côte, aucun patin n’a été démantelé au procès dans le but de retirer les pièces de l’appliqué extérieur et d’exposer le quartier et le protège-tendon. Par la suite, l’avocat a été en mesure de démontrer devant notre Cour que dans les patins Daoust 101, le quartier formé de deux pièces et le protège-tendon se chevauchaient, alors que le patin Daoust 501 avait un quartier formé de deux pièces avec un protège-tendon intégré (mémoire de Bauer, paragraphe 48).

 

[62]           Dans sa réponse, l’avocat d’Easton a plaidé que la structure interne des patins Daoust ne devrait pas être considérée puisqu’elle n’a pas été produite en preuve. J’estime qu’Easton ne peut soulever cette objection puisqu’il est évident que cet élément de preuve aurait été produit devant la juge du procès si la question avait été soulevée devant elle. Comme l’argument vient seulement d’être soulevé, rien n’empêche notre Cour de prendre connaissance de cet élément de preuve. En effet, si l’objection était accueillie, la seule solution de rechange consisterait à empêcher Easton de soulever son nouvel argument à cette étape-ci, car il porterait manifestement préjudice à Bauer.

 

[63]           Compte tenu de cette preuve, il appert que les patins Daoust ne possèdent pas de protège‑tendon fixé côte à côte, comme le revendique le brevet 953. Comme la preuve d’Easton concernant l’évidence s’appuie sur la prétention que la combinaison du brevet Chin et des patins Daoust divulgue tous les éléments essentiels de la revendication 1, cela suffit à disposer de cet aspect du présent appel.

 

[64]           Je traiterai maintenant de l’antériorité. Suivant l’article 28.2 de la Loi, un brevet est invalide si son objet est divulgué par l’inventeur, ou par l’entremise de ce dernier, plus d’un an avant la date de dépôt du brevet. Dans l’arrêt Sanofi, la Cour suprême du Canada a déclaré qu’un brevet est antériorisé si son objet a été divulgué et réalisé. Dans Sanofi, l’examen de la Cour suprême portait sur un brevet de genre, mais cette dernière a expressément déclaré que sous réserve de toute restriction prévue dans la Loi, l’analyse relative à l’antériorité vaut pour les brevets en général (paragraphe 29).

 

[65]           Easton fait valoir que la juge du procès n’a pas considéré le prototype Vapor 8 testé durant la ligue d’essai du point de vue de la personne versée dans l’art désireuse de comprendre tout en ayant les connaissances générales courantes à l’esprit. Easton plaide que du point de vue d’une telle personne, une inspection visuelle du prototype Vapor 8 était [traduction] « plus que suffisante pour évoquer les principaux aspects de l’idée originale : le quartier une pièce, le profil angulaire et le protège-tendon séparé fixé côte à côte » (mémoire d’Easton, paragraphe 58). La question est donc de savoir si les éléments du brevet 953 auraient été divulgués à la personne versée dans l’art qui aurait assisté à une partie de la ligue d’essai et qui aurait observé les patins portés par les participants.

 

[66]           Je souligne que l’expression « inspection visuelle » employée par Easton ainsi que par la juge du procès tout au long de ses motifs est quelque peu trompeuse, en ce qu’elle donne à penser que les patins pouvaient être « examinés attentivement » ou « examinés de près » (voir la définition d’« inspection », dans Le Nouveau Petit Robert, Dictionnaires Le Robert). Cela n’était pas le cas. Comme la juge du procès l’a clairement expliqué, les patins ne pouvaient être testés (motifs, paragraphe 216) et la preuve montre qu’ils ne pouvaient être observés que par les personnes assistant aux parties en tant que spectateurs ou qui entraient sur la surface glacée, ou qui en sortaient, au début et à la fin de chaque partie (Contre-interrogatoire de M. Langevin, cahier d’appel, Vol. 41, pp. 15620-15624).

 

[67]           En ce qui concerne la première erreur alléguée, la juge du procès savait que la question devait être examinée du point de vue de la personne versée dans l’art. Au paragraphe 212 de ses motifs, elle a déclaré ce qui suit :

 

Les parties ont exprimé un certain désaccord quant à savoir si la date pertinente à cet égard est le 4 septembre ou le 5 septembre 1997. Il n’est pas nécessaire que la Cour examine plus avant cette question, puisque celle‑ci ne peut avoir aucune espèce d’incidence sur l’appréciation de la défense, qui est fondée sur des occurrences [y compris la ligue d’essai de Bauer] d’emploi antérieur ayant eu lieu durant l’été 1997 et qui fait appel aux connaissances générales courantes et aux antériorités existant à cette époque

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[68]           La conclusion suivante, selon laquelle une personne versée dans l’art assistant à une partie de la ligue d’essai n’aurait pu observer tous les éléments essentiels du brevet 953, est une conclusion de fait qui ne peut être annulée en l’absence d’une erreur manifeste et dominante. À cet égard, la juge du procès a conclu ce qui suit (motifs, paragraphe 219) :

 

Au mieux, cette preuve indique que l’on aurait des renseignements au sujet du quartier une-pièce, mais cela ne signifie pas que l’on dispose de renseignements au sujet des autres éléments essentiels de la combinaison revendiquée, comme la fixation côte à côte du protège-tendon ou le fait que le protège-tendon serait une pièce distincte. Cela est particulièrement vrai quand on considère que le protège‑tendon du Vapor 8 était de la même couleur que le quartier. Il est également clair que l’on pouvait fixer le protège-tendon de manière à ce qu’il y ait chevauchement, par opposition à la fixation côte à côte, pour obtenir la même apparence. En outre, il n’existe aucune preuve que l’on n’aurait pas été amené à croire que le patin était fait avec un seul quartier montant jusqu’au haut du tendon d’Achille (comme cela a été fait plus tard sur le patin Vector de CCM).

 

 

Elle a ensuite conclu que la ligue d’essai n’a pas entraîné la divulgation ou la réalisation de l’invention.

 

[69]           Easton a plaidé que même si la fixation côte à côte ne pouvait être observée, la personne versée dans l’art aurait déduit que cette méthode avait été utilisée. Elle fait valoir que le protège‑tendon devait être fixé au quartier de l’une des deux façons et puisque la fixation côte à côte prévalait dans l’industrie, la personne versée dans l’art aurait conclu que c’était cette méthode qui était utilisée (PCME Limited, paragraphes 29-32).

 

[70]           Bien que cette prétention s’appuie sur un fondement logique, elle n’est pas appuyée par la preuve, qui montre que les fixations chevauchantes étaient tout aussi populaires, sinon plus. À cet égard, un grand nombre de patins, incluant les séries Bauer Supreme, différents patins Micron et les patins Mega utilisaient des fixations chevauchantes. Fait important, Bauer était le principal fabricant de patins au Canada à l’époque; elle possédait entre 55 % et 60 % du marché de la Ligue nationale de hockey et entre 35 % et 50 % du marché des consommateurs nord-américains (déclaration de M. Hoshizaki, volume d’appel, Vol. 4, p. 01207, paragraphe 59; déclaration conjointe des faits, volume d’appel, Vol. 3, p. 01168, paragraphe 8). La preuve ne réussit pas à démontrer que la fixation côte à côte était la méthode la plus utilisée dans l’industrie.

 

[71]           Au-delà de cette question, les autres conclusions de la juge du procès fondées sur le fait qu’elle a jugé que l’observation du prototype Vapor 8 n’aurait pas révélé l’invention à la personne versée dans l’art sont amplement appuyées par la preuve (voir paragraphe 68, ci‑dessus).

 

[72]           Enfin, Easton fait valoir, à titre subsidiaire, que la juge du procès a appliqué le mauvais critère en décidant qu’Easton avait incité et amené à la contrefaçon. Plus précisément, Easton soutient que la juge du procès n’a pas considéré le fait que les patins avaient été commandés et achetés par Easton U.S. auprès de Rock Forest et qu’elle n’a pas bénéficié des transactions. Dans ce contexte, le fait que les patins contrefaits n’auraient pu être produits « n’eût été » la participation d’Easton, n’est pas pertinent.

 

[73]           Il n'y a pas lieu d’examiner cette question. Comme l’avocat de Bauer nous l’a rappelé, la juge du procès a également conclu qu’Easton participait directement à la fabrication des patins contrefaits (mémoire des intimées, paragraphes 81 et 82). Cette conclusion, à laquelle Easton n’a pas répondu, dispose également de la question de la contrefaçon.

 

[74]           Bien que, comme elle l’a observé, l’argument au procès portait exclusivement sur l’incitation à la contrefaçon (motifs, paragraphe 191), la juge du procès a noté que la déclaration faisait clairement valoir qu’Easton avait participé (également) à la fabrication des patins contrefaits (idem, note de bas de page 121). Après avoir examiné la preuve, elle a conclu que (motifs, paragraphe 190) :

 

Si la fabrication d’un patin comprend, comme je le crois, la conception de la botte du patin, la production et l’ajustement des patrons et des prototypes, et l’utilisation d’emporte-pièces pour couper les pièces, il ne fait aucun doute dans mon esprit qu’Easton a directement participé à la fabrication ou à la construction des patins contrefaits à Rock Forest.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[75]           Par la suite, elle a conclu qu’Easton, par l’entremise de ses employés, avait réellement pris part à la fabrication (motifs, paragraphe 205) :

 

[…] En l’espèce, à la faveur de la participation de M. Laferrière (ainsi que celle, plus tard, de M. Daniel Chartrand), Easton prenait réellement part à la fabrication des patins qui sont maintenant jugés constituer une contrefaçon. (Renvoi omis)

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[76]           Le jugement formel donne effet à la conclusion d’incitation à la contrefaçon et à la conclusion de contrefaçon directe puisqu’il établit qu’Easton a contrefait le brevet 953 « en vendant ou fabriquant, ou en incitant ou amenant » (jugement, paragraphe 1). Il s’ensuit qu’avant de demander à la Cour d’examiner son nouvel argument, Easton devait soit contester la décision de contrefaçon directe, soit expliquer pourquoi elle ne devrait avoir aucun effet. Comme elle n’a fait ni un ni l’autre, la présente conclusion dispose de la question de la contrefaçon.

 

[77]           Pour ces motifs, je rejetterais l'appel et l'appel incident. Étant donné que les parties ont obtenu partiellement gain de cause, je n'adjugerais pas de dépens.

 

« Marc Noël »

j.c.a

 

« Je suis d’accord.

        Gilles Létourneau, j.c.a. »

 

« Je suis d’accord.

        Johanne Trudel, j.c.a. »

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jean-François Vincent

 

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

Dossier :                                                                            A-174-10

 

APPEL D'UN JUGEMENT RENDU PAR LA JUGE JOHANNE GAUTHIER DE LA COUR FÉDÉRALE LE 26 AOÛT 2010, DOSSIER N° T-237-02

 

INTITULÉ :                                                                           Easton Sports Canada Inc. c. Bauer Hockey Corp. et Nike International Limited

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                     Montréal (Québec)

 

DATE DE L'AUDIENCE :                                                   Le 24 janvier 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                Le juge Noël

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                             Le juge Létourneau

                                                                                                La juge Trudel

 

DATE DES MOTIFS :                                                          Le 8 mars 2011

 

COMPARUTIONS :

 

Ronald E. Dimock

Bruce W. Stratton

Geoffrey D. Mowatt

 

Pour l’appelantE

 

François Guay 

Jeremy Want 

Daniel Anthony

 

POUR LES INTIMÉES

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

DIMOCK STRATTON, s.r.l.

Toronto (Ontario)

 

Pour l’appelantE

 

Smart & Biggar

Montréal (Québec)

POUR LES INTIMÉES

 

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.