Décisions de la Cour d'appel fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20110317

Dossier : A‑22‑10

Référence : 2011 CAF 102

 

CORAM :      LE JUGE NOËL

                        LA JUGE TRUDEL

                        LE JUGE MAINVILLE

 

ENTRE :

PHARMASCIENCE INC.

appelante

et

PFIZER CANADA INC., PHARMACIA ATKIEBOLAG

et LE MINISTRE DE LA SANTÉ

intimés

 

 

 

Audience tenue à Montréal (Québec), le 23 février 2011.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 17 mars 2011.

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                      LE JUGE NOËL

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                           LA JUGE TRUDEL

LE JUGE MAINVILLE

 


Date : 20110317

Dossier : A‑22‑10

Référence : 2011 CAF 102

 

CORAM :      LE JUGE NOËL

                        LA JUGE TRUDEL

                        LE JUGE MAINVILLE

 

ENTRE :

PHARMASCIENCE INC.

appelante

et

PFIZER CANADA INC., PHARMACIA ATKIEBOLAG

et LE MINISTRE DE LA SANTÉ

intimés

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE NOËL

[1]               Il s’agit d’un appel à l’encontre du jugement par lequel la juge Heneghan de la Cour fédérale (la juge de première instance) a accueilli la demande présentée par Pfizer Canada Inc. et Pharmacia Atkiebolag (les intimées) visant à interdire au ministre de la Santé (le ministre) de délivrer à Pharmascience Inc. (l’appelante) un avis de conformité conformément à l’article 6 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93‑133, tant que le brevet canadien no 1,339,132 (le brevet 132) ne sera pas expiré.

[2]               Le brevet 132 revendique, entre autres, un composé appelé latanoprost destiné au traitement du glaucome et de l’hypertension oculaire. Une solution ophtalmique de 50 microgrammes/ml de latanoprost est commercialisée au Canada sous le nom XalatanMD.

 

[3]               Un avis d’allégation a été signifié aux intimées le 2 novembre 2007. L’appelante y faisait valoir que le brevet 132 était invalide pour 11 motifs, notamment l’antériorité, l’absence d’utilité et l’absence de prédiction valable de « l’invention ». L’appelante soutenait également que peu importe si le brevet était invalide ou valide, sa version de latanoprost ne le contreferait pas.

 

[4]               Le 20 décembre 2007, les intimées ont sollicité une ordonnance interdisant au ministre de délivrer un avis de conformité à l’appelante. À la suite d’une audience de trois jours, la juge de première instance a statué qu’aucune des allégations formulées dans l’avis d’allégation n’avait été établie et a rendu l’ordonnance d’interdiction. L’appelante soutient qu’en tirant cette conclusion, la juge de première instance a commis un certain nombre d’erreurs de droit et de fait.

 

[5]               Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis que l’appel devrait être rejeté.

 

LE CONTEXTE FACTUEL

Le brevet 132

[6]               Le brevet 132 s’intitule « Dérivés de la prostaglandine pour le traitement de glaucome ou de l’hypertension oculaire ». La demande de brevet a été déposée le 12 septembre 1989 – elle est donc assujettie à la Loi sur les brevets, L.R.C. 1985, ch. P‑4, telle qu’elle était rédigée avant le 1er octobre 1989 – et le brevet a été délivré le 29 juillet 1997. Le brevet concerne certains dérivés de la prostaglandine et leur utilisation dans le traitement du glaucome ou de l’hypertension oculaire.

 

[7]               Les prostaglandines sont des substances présentes naturellement dans les tissus humains et animaux. La PGF est un type de prostaglandine qui peut être estérifié en isopropylester de la PGF. Le latanoprost, composé revendiqué dans le brevet 132, est un dérivé de la prostaglandine qui a la formule chimique suivante : isopropylester de la 13,14-dihydro-17-phényl-18,19,20-trinor-PGF. Le latanoprost est obtenu en modifiant la PGF ainsi (motifs au para. 6) :

 

i.      enlever les 3 derniers atomes de carbone sur la chaîne oméga (18,19‑20‑trinor);

ii.     attacher un cycle phényle en C17 (17‑phényl);

iii.    changer la liaison double en une liaison simple entre le 13e et le 14e atome de carbone (13,14‑dihydro); et

iv.    estérifier l’acide carboxylique en un isopropylester.

 

 

[8]               Le brevet 132 renferme 38 revendications. En appel, seules les revendications 12, 19, 31, 37 et 38 sont en litige. La revendication 12 revendique une composition et est dépendante de la revendication 1; la revendication 19 est une revendication pour un composé en soi qui est dépendante de la revendication 18; et les revendications 31, 37 et 38 revendiquent diverses utilisations. Les revendications pertinentes se lisent comme suit :

 

            [traduction]

1. Une composition thérapeutique pour le traitement topique du glaucome ou de l’hypertension oculaire, contenant une prostaglandine PGA, PGB, PGD, PGE ou PGF en quantité suffisante pour réduire la pression intraoculaire sans irritation oculaire importante, ainsi qu’un véhicule ophtalmologiquement compatible, dont la chaîne oméga de la prostaglandine a la formule suivante :

                        (13)            (14)                  (15‑24)

                        C   ‑   B   ‑   C            ‑          D         ‑          R2

C est un atome de carbone (le nombre est indiqué entre parenthèses);

B est une liaison simple, une liaison double ou une liaison triple;

D est une chaîne contenant de 1 à 10 atomes de carbone, pouvant être interrompue par des atomes hétéro O, S, ou N, les substituants sur chaque atome de carbone étant l’H, des groupes alkyle, des groupes alkyle inférieurs ayant 1 à 5 atomes de carbone, une fonctionnalité oxo ou un groupe hydroxyle;

R2 est une structure cyclique choisie parmi le groupe comprenant le phényle et le phényle ayant au moins un substituant, ledit substituant étant choisi parmi les groupes alkyle en C1‑C5, les groupes alkoxy en C1‑C4, les groupes trifluorométhyle, les groupes acylamino aliphatique en C1‑C3, les groupes nitro, les atomes d’halogène et le groupe phényle; ou un groupe hétérocyclique aromatique contenant de 5 à 6 atomes cycliques, choisi parmi le groupe formé du thiazole, de l’imidazole, de la pyrrolidine, du thiopène et de l’oxazole; ou un cycloalcane ou un cycloalcène contenant de 3 à 7 atomes de carbone dans le cycle, pouvant être substitué par des groupes alkyle inférieurs contenant de 1 à 5 atomes de carbone.

 

12. Une composition ophtalmique selon la revendication 1, où le dérivé de la prostaglandine est l’isopropylester de la 13,14-dihydro-17-phényl-18,19,20-trinor‑PGF.

 

18. Ester alkylique de la 13,14‑dihydro‑17‑phényl‑18,19,20‑trinor‑PGF, où le groupe alkyle contient 1 à 10 atomes de carbone.

 

19. Composé de la revendication 18, où le groupe alkyle est l’isopropyle.

 

31. L’utilisation de l’isopropylester de la 13,14‑dihydro‑17‑phényl‑18, 19,20-trinor‑PGF dans le traitement du glaucome ou de l’hypertension oculaire.

 

37. L’utilisation de l’ester alkylique de la 13,14-dihydro-17-phényl-18,19,20-trinor-PGF, où le groupe alkyle contient de 1 à 10 atomes de carbone pour le traitement du glaucome ou de l’hypertension oculaire.

 

38. L’utilisation de l’isopropyl‑ester de la 13,14-dihydro-17-phényl-18,19,20-trinor‑PGF dans le traitement du glaucome et de l’hypertension oculaire.

 

[9]               L’utilité promise – à savoir le traitement du glaucome ou de l’hypertension oculaire sans irritation oculaire importante – est fondée, entre autres, sur les résultats d’essais menés sur trois modèles animaux et sur des humains, en l’occurrence des employés de Pharmacia Atkiebolag, qui est l’une des intimées (brevet 132 aux pp. 18‑29).

 

L’œil, le glaucome et l’hypertension oculaire

[10]           L’œil est une sphère fermée qui produit un liquide clair appelé humeur aqueuse. Ce liquide est essentiel au fonctionnement de l’œil, car il transporte les nutriments à l’œil et en élimine les déchets et les contaminants. Le drainage de l’humeur aqueuse aide à prévenir une élévation de la pression intraoculaire.

 

[11]           Une pression intraoculaire élevée est l’un des plus importants facteurs de risque de troubles oculaires qui incluent le glaucome et l’hypertension oculaire. L’hypertension oculaire consiste en une hypertension intraoculaire qui ne s’accompagne pas de lésions du nerf optique. Le glaucome englobe un ensemble de troubles caractérisés par des lésions du nerf optique qui, en l’absence de traitement, entraînent une perte de vision. Il n’existe aucun moyen de guérir le glaucome. Cependant, il est possible de traiter cette maladie ainsi que l’hypertension oculaire en abaissant la pression intraoculaire au moyen de médicaments qui réduiront la production d’humeur aqueuse ou en augmenteront l’évacuation. Le latanoprost est le premier composé conçu pour traiter le glaucome par l’augmentation de l’évacuation de l’humeur aqueuse de l’œil.

 

[12]           Pour que le traitement pharmacologique du glaucome soit efficace, il faut que le patient observe scrupuleusement le traitement. L’administration de doses moins fréquentes contribue à améliorer l’observance du traitement par le patient ainsi que la tolérance au médicament utilisé. Selon les inventeurs, plusieurs médicaments ont été commercialisés pour le traitement du glaucome et de l’hypertension oculaire avant la mise au point du latanoprost. Toutefois, ces médicaments ont également eu de nombreux effets indésirables. Le latanoprost est revendiqué comme une nouvelle substance permettant de traiter le glaucome et l’hypertension oculaire sans causer d’irritation oculaire importante.

 

DÉCISION DE LA COUR FÉDÉRALE

[13]           La juge de première instance a tout d’abord résumé la preuve, notamment les témoignages d’expert des Drs Mitra, Podos, Prestwich et Spaeth pour le compte de l’appelante et des Drs Buys, Fechtner, Stjernschantz, Maxey et Neufeld pour le compte des intimées. Après avoir exposé l’anatomie de l’œil – comme nous venons de le résumer (paras. 10 à 12) – et défini les questions soulevées dans le cadre du Règlement AC, la juge s’est penchée sur l’interprétation du brevet 132.

 

[14]           La juge de première instance a interprété les revendications 12, 19, 31, 37 et 38 en s’appuyant sur les principes de l’interprétation des revendications établis par la Cour suprême du Canada dans les arrêts Whirlpool Corp. c. Camco Inc., 2000 CSC 67, [2000] 2 R.C.S. 1067, et Free World Trust c. Électro Santé Inc., 2000 CSC 66, [2000] 2 R.C.S. 1024. Elle a conclu que « la revendication relative à l’utilisation dans la revendication 12 est limitée par le renvoi à la revendication 1, qui concerne la réduction de la pression intraoculaire [traduction] “sans irritation oculaire importante” » motifs au para. 62). Elle a interprété la revendication 19 comme une revendication pour un composé en soi et les revendications 31, 37 et 38 comme des revendications relatives à l’utilisation du composé de la revendication 19 (motifs aux paras. 60, 63 à 68).

 

[15]           En ce qui concerne la question de l’antériorité, la juge de première instance a déterminé que la démarche suivie par le juge Rothstein dans l’arrêt Apotex Inc. c. Sanofi‑Synthelabo Canada Inc., 2008 CSC 61, [2008] 3 R.C.S. 265, était applicable dans la présente instance. Après avoir examiné un certain nombre de documents, dont le brevet canadien 986,926 (brevet 926), elle a conclu qu’aucun d’eux ne divulgue la composition chimique du latanoprost, selon la définition donnée dans le brevet 132 (motifs au para. 95).

 

[16]           Quant à l’utilité, la juge de première instance a estimé que le brevet 132 établit l’utilité de l’invention. Les résultats des tests sur les animaux et les humains divulgués dans le brevet montrent que le latanoprost réduit la pression intraoculaire tout en ayant des effets secondaires irritants minimes (motifs aux paras. 143 et 145).

 

[17]           Bien qu’elle ait conclu que l’utilité avait été établie, la juge de première instance a abordé brièvement la question de la prédiction valable. Elle a défini les trois éléments que comporte la règle de la prédiction valable énoncés par le juge Binnie dans l’arrêt Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd., [2002] 4 R.C.S. 153, au para. 70, c’est‑à‑dire que la prédiction doit avoir un fondement; à la date de la demande de brevet, l’inventeur doit avoir un raisonnement valable qui permet d’inférer du fondement factuel le résultat souhaité et il doit y avoir divulgation suffisante. La juge de première instance a estimé que la preuve présentée par les intimées permettait de conclure à l’existence de la prédiction valable (motifs, au para. 154).

 

ERREURS ALLÉGUÉES

[18]           À l’audition de l’appel, l’avocate de l’appelante a mentionné qu’elle ne faisait plus valoir l’argument selon lequel le brevet 132 était invalide à titre de brevet de sélection, mais qu’elle reprendrait les cinq autres arguments énoncés dans son mémoire des faits et du droit.

 

[19]           Le premier de ces arguments est que la juge de première instance n’a pas interprété la revendication 12, plus particulièrement, l’expression « irritation oculaire importante », employée dans la revendication 1, dont dépend la revendication 12. L’appelante soutient que si la juge de première instance avait interprété cette expression, [traduction] « il aurait été clair que le latanoprost ne fonctionne pas mieux que l’isopropylester de la PGF antérieur, puisqu’aucun des deux composés n’a permis de cesser le traitement chez les sujets des études cliniques publiées » (mémoire de l’appelante au para. 35).

 

[20]           Deuxièmement, l’appelante soutient que la juge de première instance a commis une erreur dans son appréciation de l’antériorité concernant la revendication 19, qui est une revendication pour un composé en soi. L’appelante affirme que la juge de première instance a exigé à tort que les documents d’antériorité divulguent l’utilisation du composé pour le traitement du glaucome. Par ailleurs, l’appelante soutient que le brevet 926 décrit la structure chimique de l’acide de latanoprost et son mode de fabrication. Par conséquent, il y a divulgation et caractère réalisable, et la juge de première instance a commis une erreur en ne concluant pas que la revendication 19 était antériorisée.

 

[21]           Troisièmement, l’appelante affirme que toutes les revendications en litige manquent d’utilité et que l’absence de conclusion en ce sens par la juge de première instance est due à sa mauvaise application du critère pertinent. L’appelante soutient que le brevet 132 ne démontre pas l’utilité promise, à savoir que le latanoprost est un composé plus utile sur le plan thérapeutique que les prostaglandines connues pour réduire la pression intraoculaire et qu’il ne cause aucune irritation oculaire importante.

 

[22]           L’appelante soutient en outre que la juge de première instance a mal appliqué le critère de la prédiction valable. Elle affirme qu’il n’existait aucun fondement factuel pour la prédiction, que les essais chez le chat n’avaient aucune valeur prédictive et que les essais limités chez l’humain étaient insuffisants pour prédire que l’ensemble de la population ne présenterait pas d’irritation oculaire. De plus, l’appelante soutient qu’aucune donnée sur l’humain ni aucune comparaison directe avec l’isopropylester de la PGF connu n’a été divulguée à l’appui de la revendication concernant la réduction de l’irritation.

 

[23]           Enfin, l’appelante fait valoir que la juge de première instance a omis de tenir compte du fait que les revendications 19, 31, 37 et 38 ont une portée plus large que l’invention réalisée ou divulguée.

 

ANALYSE

[24]           Avant de procéder à l’analyse, il est utile de rappeler que les questions de droit sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte et que les conclusions de fait ne peuvent être infirmées que s’il est établi que le juge de première instance a commis une erreur manifeste et dominante (Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235).

 

[25]           La première erreur alléguée est que la juge de première instance n’a pas interprété correctement la revendication 12 du brevet 132 parce qu’elle n’a tiré aucune conclusion concernant la signification de l’expression « irritation oculaire importante » employée dans la revendication 1, dont dépend la revendication 12. Il est vrai que la juge de première instance n’a pas traité précisément de cette expression dans son interprétation du brevet 132. Cependant, lorsqu’elle s’est penchée sur la question de l’utilité, elle a affirmé qu’en parlant de l’« irritation oculaire importante » la revendication 12 « ne fait aucunement mention de l’élimination de tous les effets secondaires », rejetant ainsi la position de l’appelante telle qu’exposée dans l’affidavit du Dr Mitra, l’un de ses experts (motifs au para. 142).

 

[26]           En appel, l’appelante n’a pas contesté cette conclusion. Elle souscrit maintenant à l’opinion du Dr Neufeld, selon qui « irritation oculaire importante » désigne [traduction] « un degré d’irritation oculaire ou d’inconfort oculaire qui amènerait un patient à cesser de prendre du latanoprost » (mémoire de l’appelante au para. 6). Cela concorde avec l’opinion exprimée par la juge de première instance. En effet, il ressort clairement de la lecture de la décision dans son ensemble que la juge de première instance a suivi la position du Dr Neufeld, à laquelle l’appelante souscrit maintenant. Par conséquent, on ne peut dire que l’interprétation de la revendication 12 par la juge de première instance était erronée.

 

[27]           La deuxième erreur alléguée est que la juge de première instance a interprété la revendication 19 comme si elle comportait une limitation quant à l’utilisation lorsqu’elle s’est demandée si la revendication était antériorisée, bien qu’elle ait estimé qu’il s’agissait d’une revendication pour un composé en soi. L’appelante soutient en outre que la structure chimique de l’« acide de latanoprost » et son mode de fabrication ont été divulgués dans le brevet 926. Elle affirme aussi que le brevet 926 indique que l’invention peut être estérifiée en esters alkyliques, dont l’isopropyle fait partie. L’appelante prétend donc que l’invention revendiquée dans le brevet 132 avait été divulguée et réalisée et, par conséquent, antériorisée.

 

[28]           La juge de première instance a clairement indiqué que la revendication 19 est une revendication pour un composé en soi (motifs au para. 58). Cependant, l’appelante s’est attardée sur une phrase de l’analyse de l’antériorité qui porte à croire que le latanoprost est une composition chimique « pour le traitement du glaucome ou de l’hypertension oculaire » (motifs au par. 95). Comme l’appelante le souligne avec raison, ce sont les revendications 31, 37 et 38 qui portent sur cette utilisation précise du composé divulgué à la revendication 19.

[29]           Cependant, cela ne change pas la conclusion de la juge de première instance, à savoir que le composé revendiqué dans le brevet 926 n’est pas le même que le composé revendiqué à la revendication 19 du brevet 132. La conclusion de la juge de première instance s’appuie sur la preuve, qui montre que l’acide de latanoprost est distinct du latanoprost. Dans son affidavit, le Dr Maxey a affirmé ce qui suit (affidavit, dossier d’appel, vol. 2, à la p. 601) :

 

[traduction]

43. Pour pouvoir appeler une molécule « acide libre de latanoprost » ou « ester méthylique de latanoprost » comme le fait le Dr Mitra, ou encore « l’ester méthylique optiquement actif de la forme 13,14‑non saturée du latanoprost » comme le fait le Dr Prestwich, il faut préalablement connaître la structure du latanoprost, qui est l’isopropylester de la 13,14-dihydro-17-phényl-18,19,20-trinor-PGF. En d’autres mots, on peut seulement désigner ces molécules comme de « latanoprost » sans acide, de l’ester méthylique de « latanoprost » ou « l’ester méthylique optiquement actif de la forme 13,14‑non saturée du latanoprost » de façon rétrospective. Ni le Dr Mitra ni le Dr Prestwich ne sont d’avis que l’isopropylester de la 13,14-dihydro-17-phényl-18,19,20-trinor‑PGF. (latanoprost) était déjà connu.

 

 

48. De même, le brevet canadien 986,926 (document n° 25 du SIG) ne décrit pas le latanoprost. Le Dr Mitra affirme que le latanoprost « sous forme d’acide et sous forme d’ester alkylique (qui comprendrait l’isopropylester) » est divulgué. Mon analyse du paragraphe 43 est également applicable ici. Je ne vois rien dans le document n° 25 qui enseigne le composé isopropylester de la 13,14-dihydro-17-phényl-18,19,20-trinor‑PGF.

 

[Renvoi omis]

 

 

[30]           Le Dr Neufeld était du même avis (affidavit, dossier d’appel, vol. 3, à la p. 772) :

 

[traduction]

43. Parmi les nombreux composés divulgués dans le brevet canadien 986,926, je ne peux trouver l’IE de la 13,14‑dihydro‑17‑phényl‑18,19,20‑trinor‑PGF, maintenant appelé latanoprost. Par ailleurs, aucune des molécules divulguées dans le brevet canadien 986,926 n’est destinée à un usage ophtalmique. L’utilisation « thérapeutique » des milliers de composés divulgués dans le brevet canadien 986,926 est le déclenchement du travail ou la régulation du cycle œstral, qui concerne le cycle reproductif. Aucun aspect de ces utilisations ne mènerait une personne versée dans l’art vers une utilisation ophtalmique, telle que le traitement du glaucome ou de l’hypertension oculaire.

 

44. Dans le paragraphe 49 de son affidavit, le Dr Mitra affirme que « […] le latanoprost, sous forme d’acide et d’ester alkylique […] » a été divulgué dans le brevet canadien 986,926 à titre de « composé thérapeutique ». Le latanoprost n’existe pas sous forme d’acide et n’est pas non plus un ester alkylique indéterminé. Le latanoprost est l’IE de la 13,14-dihydro-17-phényl-18,19,20-trinor‑PGF. Ce composé n’est divulgué nulle part dans ce brevet.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[31]           À la lumière des éléments de preuve dont elle était saisie, la juge de première instance a conclu que le latanoprost n’était pas antériorisé par le brevet 926.

 

[32]           La troisième erreur alléguée concerne l’utilité. L’appelante soutient que la promesse du brevet – à savoir que le latanoprost est un composé plus utile sur le plan thérapeutique que les prostaglandines connues pour réduire la pression intraoculaire et que, contrairement au composé antérieur, il ne cause aucune irritation oculaire importante – n’a pas été démontrée. Plus spécifiquement, la juge de première instance a commis une erreur en concluant que « [l]e latanoprost sera utile dans le traitement de l’hypertension oculaire ou du glaucome », étant donné que le brevet 132 promet que le latanoprost est plus utile que le composé antérieur connu.

 

[33]           Cependant, la conclusion tirée par la juge de première instance est que le latanoprost entraîne moins d’effets secondaires que le composé antérieur. En effet, dans son analyse relative à l’évidence, la juge de première instance a affirmé qu’elle privilégiait le témoignage du Dr Neufeld en faisant spécifiquement référence au paragraphe 46 de son affidavit, où il est indiqué que (motifs au para. 107) :

 

[traduction] Le Dr Johan W. Stjernschantz et le Dr Bahram Resul, qui travaillaient pour Pharmacia, ont inventé un nouveau composé, le latanoprost (IE de la 13,14-dihydro-17-phényl-18,19,20-trinor‑PGF), composé utile pour le traitement des patients souffrant de glaucome ou d’hypertension oculaire. Ce composé possédait un meilleur profil d’effets secondaires que l’IE de la PGF, c’est-à-dire un composé qui avait déjà été testé chez les humains (voir le document nº 127). Il a été démontré que le latanoprost cause moins d’irritation oculaire et d’hyperémie.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[34]           Par ailleurs, la juge de première instance a fait remarquer que le brevet 132 « lui‑même présente une utilité » (motifs au para. 143). Elle s’est référée aux pages 25 à 29 du brevet 132, qui divulguent les résultats d’essais menés sur trois modèles animaux (chat, lapin et singe) et sur un modèle humain. Dans chacun des modèles animaux (tableaux III, IV et V du brevet 132), on a comparé le latanoprost et l’isopropylester de la PGF; les résultats ont montré que le latanoprost ne causait aucune irritation oculaire (tableau III) et qu’il avait entraîné un nombre inférieur de cas d’hyperémie que l’isopropylester de la PGF (tableau IV).

 

[35]           L’appelante souligne avec raison que la juge de première instance a aussi mentionné que la page 22d du brevet 132 divulguait des résultats d’essais portant sur le latanoprost. Or, les résultats figurant à la page 22d ne concernent pas le latanoprost. Cependant, cette erreur est sans conséquence car il existe suffisamment d’éléments de preuve – dont les pages 25 à 29 du brevet 132 – sur lesquels la juge de première instance pouvait se fonder pour conclure à la démonstration de l’utilité.

 

[36]           Il n’existe aucun fondement pour l’autre argument de l’appelante, selon lequel on ne devrait pas prendre en considération l’essai chez l’humain mené sur des employés de Pharmacia ayant confirmé que le latanoprost ne causait aucune irritation oculaire importante, car ils ont [traduction] « un intérêt direct dans l’issue de l’affaire » (mémoire de l’appelante au para. 14). L’argument selon lequel ces personnes avaient intérêt à tromper leur employeur quant aux résultats de l’essai n’est pas rationnellement justifiable.

 

[37]           La quatrième erreur alléguée par l’appelante est que la juge de première instance n’a pas correctement appliqué le critère de la prédiction valable car la prédiction ne reposait sur aucun fondement factuel. À la lumière de ma conclusion que la juge de première instance a conclu à juste titre qu’il y avait utilité, il n’est pas nécessaire d’examiner l’argument de l’appelante concernant le caractère valable de la prédiction. Cela dit, je suis convaincu que la preuve appuie son point de vue selon lequel l’invention a été valablement prédite.

 

[38]           La dernière erreur alléguée concerne le fait que la juge de première instance n’a pas conclu que les revendications 19, 31, 37 et 38 sont plus larges que l’invention créée ou divulguée. Il semble s’agir d’un nouvel argument. L’argument débattu au procès et que la juge de première instance a abordé dans ses motifs était de savoir si les revendications en litige devaient être rejetées pour cause de portée excessive du fait qu’elles ne concernaient pas la réduction de l’hyperémie (motifs au para. 159).

 

[39]           La nouvelle prétention soulevée en appel est que la juge de première instance n’a pas comparé l’invention divulguée aux revendications (mémoire de l’appelante au para. 54). Le raisonnement semble être que la revendication doit correspondre à la divulgation du brevet. Aucune jurisprudence n’a été citée à l’appui de cet argument.

 

[40]           La juge de première instance a renvoyé à l’arrêt Lowell Manufacturing Co. and Maxwell Ltd. v. Beatty Bros. Ltd. (1962), 41 C.P.R. 18 (C. de l’É.) pour le principe que (motifs, au para. 156) :

 

[traduction] [s]i les revendications se lisent bien en fonction de ce qui a été divulgué et illustré dans le mémoire descriptif et les dessins, […], elles ne sont pas plus larges que l’invention. […]

 

 

[41]           Notre Cour a confirmé ce principe dans Pfizer Canada Inc. c. Ministre de la Santé, 2007 CAF 209, où elle a précisé que l’on jugera qu’une revendication a une portée excessive si elle revendique une propriété exclusive à l’égard de quelque chose que l’inventeur n’a pas réellement inventé ou divulgué. La question ne se pose pas en l’espèce.

 

[42]           Il n’a pas été démontré que la juge de première instance avait commis une erreur en ne concluant pas que les revendications ont une portée plus large que l’invention.

 

[43]           Je rejetterais l’appel avec dépens.

 

 

« Marc Noël »

j.c.a.

« Je suis d’accord

            Johanne Trudel j.c.a. »

 

« Je suis d’accord

            Robert M. Mainville j.c.a. »

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Semra Denise Omer

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    A‑22‑10

 

(APPEL D’UN JUGEMENT RENDU PAR MADAME LA JUGE HENEGHAN, EN DATE DU 18 DÉCEMBRE 2009, DOSSIER NO T‑2221‑07.)

 

INTITULÉ :                                                   PHARMASCIENCE INC. c.
PFIZER CANADA INC. ET PHARMACIA ATKIEBOLAG ET LE MINISTRE DE LA SANTÉ

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 23 février 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE NOËL

 

Y ONT SOUSCRIT :                                     LA JUGE TRUDEL

                                                                        LE JUGE MAINVILLE

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 17 mars 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Carol Hitchman

Arif Mahmood

 

POUR L’APPELANTE

 

Brian Daley

Kavita Ramamoorthy

 

POUR LES INTIMÉS

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

GARDINER ROBERTS s.r.l.

Toronto (Ontario)

 

POUR L’APPELANTE

 

OGILVY RENAULT s.r.l.

Montréal (Québec)

 

POUR LES INTIMÉS

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.