Décisions de la Cour d'appel fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20110426

Dossier : A‑462‑09

Référence : 2011 CAF 143

 

CORAM :      LE JUGE NOËL

                        LA JUGE SHARLOW

                        LA JUGE DAWSON

 

ENTRE :

INSTITUT PROFESSIONNEL DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

 

 

 

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 6 avril 2011.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 26 avril 2011.

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                      LE JUGE NOËL

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                       LA JUGE SHARLOW

LA JUGE DAWSON

 


Date : 20110426

Dossier : A‑462‑09

Référence : 2011 CAF 143

 

CORAM :      LE JUGE NOËL

                        LA JUGE SHARLOW

                        LA JUGE DAWSON

 

ENTRE :

INSTITUT PROFESSIONNEL DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

LE JUGE NOËL

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée par l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada (le demandeur) à l’encontre de la décision de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la Commission), en date du 14 octobre 2009. La Commission devait  déterminer quels étaient les installations et les services fournis, ou encore les activités exécutées, par le groupe Systèmes d’ordinateur (le groupe CS) à l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC) qui étaient nécessaires à la sécurité du public.

[2]               Le demandeur soutient que la définition des services essentiels donnée par la Commission est trop large et générale de sorte qu’elle ne permette pas aux parties de déterminer les types de postes, le nombre de postes et les postes en question à inclure dans l’entente sur les services essentiels. La  Commission a donc omis d’exercer le pouvoir que lui conférait l’article 123 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, art. 2 (la LRTFP).

 

[3]               Le procureur général, qui agit au nom du Conseil du Trésor (le défendeur ou l’employeur), soutient que la définition est suffisamment précise pour atteindre l’objectif de la loi.

 

[4]               Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis que la demande de contrôle judiciaire devrait être accueillie et l’affaire renvoyée à la Commission pour nouvel examen.

 

CONTEXTE FACTUEL

[5]               Le Conseil du Trésor est l’employeur du groupe CS et le demandeur est l’agent négociateur.

 

[6]               Le 12 août 2008, le Conseil du Trésor a déposé une demande en vertu du paragraphe 123(1) de la LRTFP, au sujet de questions pouvant figurer dans une entente sur les services essentiels couvrant les postes du groupe CS. La demande visait des postes dans huit ministères et organismes. Les parties et la Commission ont convenu que chaque ministère ou organisme ferait l’objet d’un examen distinct. La présente demande concerne le groupe CS à l’ASFC.

 

[7]               Avant et durant l’audience, les parties se sont entendues sur plusieurs questions importantes. Premièrement, que l’ASFC accomplit de nombreux services qui sont nécessaires à la sécurité des Canadiens et Canadiennes pour s’assurer que des personnes ou des marchandises à risques n’entrent pas au Canada ni n’en sortent. Deuxièmement, que le soutien assuré aux 38 systèmes informatiques ou pièces d’équipement énumérés à la pièce jointe à la décision de la Commission est nécessaire à la sécurité des Canadiens et Canadiennes, et troisièmement, que ces systèmes informatiques sont « appuyés » par les employés du groupe CS à l’ASFC.

 

[8]               Parmi les services fournis par les employés du groupe CS à l’ASFC, les parties ont proposé de définir les « services essentiels » comme suit :

 

Proposition du demandeur

 

Les activités essentielles assurées par les employés CS de l’ASFC à l’appui, en mode maintenance, des programmes, applications et systèmes informatiques convenus.

 

Proposition du défendeur

 

Tous les services fournis ou les activités accomplies par certains postes du groupe CS de l’ASFC touchant :

 

1. la sécurisation de la frontière canadienne et

2. la gestion de l’accès des personnes et des marchandises (y compris les aliments, les plantes et les animaux) qui entrent au Canada et qui en sortent

sont nécessaires à la protection de la sûreté ou de la sécurité du public.

[9]               La Commission a rejeté les deux propositions et a donné une définition qui, à son avis, était utile pour conclure une entente sur les services essentiels.

 

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES

[10]           L’article 4 de la LRTFP définit « services essentiels » et « entente sur les services essentiels » :

« services essentiels » Services, installations ou activités du gouvernement du Canada qui sont ou seront nécessaires à la sécurité de tout ou partie du public.

 

 

[...]

 

« entente sur les services essentiels » Entente conclue par l’employeur et l’agent négociateur indiquant :

 

 

a) les types des postes compris dans l’unité de négociation représentée par l’agent négociateur qui sont nécessaires pour permettre à l’employeur de fournir les services essentiels;

 

b) le nombre de ces postes qui est nécessaire pour permettre à l’employeur de fournir ces services;

 

c) les postes en question.

 

“essential service” means a service, facility or activity of the Government of Canada that is or will be, at any time, necessary for the safety or security of the public or a segment of the public

 

...

 

“essential services agreement” means an agreement between the employer and the bargaining agent for a bargaining unit that identifies

 

(a) the types of positions in the bargaining unit that are necessary for the employer to provide essential services;

 

 

 

(b) the number of those positions that are necessary for that purpose; and

 

 

(c) the specific positions that are necessary for that purpose.

 

 

 

[11]           Selon le paragraphe 123(1) de la LRTFP, les parties peuvent demander à la Commission de statuer sur toute question qu’elles n’ont pas réglée et qui peut figurer dans une entente sur les services essentiels. La Commission a le pouvoir de régler ces différends en vertu du paragraphe 123(3) :

123. (1) S’ils ne parviennent pas à conclure une entente sur les services essentiels, l’employeur ou l’agent négociateur peuvent demander à la Commission de statuer sur toute question qu’ils n’ont pas réglée et qui peut figurer dans une telle entente. La demande est présentée au plus tard :

 

 

a) soit quinze jours après la date de présentation de la demande de conciliation;

 

b) soit quinze jours après la date à laquelle les parties sont avisées par le président de son intention de recommander l’établissement d’une commission de l’intérêt public en application du paragraphe 163(2).

 

[...]

 

(3) Saisie de la demande, la Commission peut statuer sur toute question en litige pouvant figurer dans l’entente et, par ordonnance, prévoir que:

 

 

a) sa décision est réputée faire partie de l’entente;

 

 

 

b) les parties sont réputées avoir conclu une entente sur les services essentiels.

 

 

[...]

123. (1) If the employer and the bargaining agent are unable to enter into an essential services agreement, either of them may apply to la Commission to determine any unresolved matter that may be included in an essential services agreement. The application may be made at any time but not later than

 

(a) 15 days after the day a request for conciliation is made by either party; or

 

(b) 15 days after the day the parties are notified by the Chairperson under subsection 163(2) of his or her intention to recommend the establishment of a public interest commission.

 

...

 

 

(3) After considering the application, la Commission may determine any matter that the employer and the bargaining agent have not agreed on that may be included in an essential services agreement and make an order

 

(a) deeming the matter determined by it to be part of an essential services agreement between the employer and the bargaining agent; and

(b) deeming that the employer and the bargaining agent have entered into an essential services agreement.

 

...

 

 

DÉCISION DE LA COMMISSION

[12]           Après avoir résumé la position des parties, la Commission a estimé qu’elle était appelée à déterminer quels étaient les installations et les services fournis, ou encore les activités exécutées par le groupe CS qui étaient nécessaires à la sécurité du public. La Commission a ensuite énoncé deux principes qui doivent guider la manière dont on définit un service, une activité ou une installation. Le premier principe est que (motifs, au para. 155) :

 

[...] ces éléments devraient être définis d’une façon qui réponde à leur but. Ce but est de permettre à l’employeur et à l’agent négociateur de passer aux étapes suivantes de la conclusion d’une [entente sur les services essentiels], conforme à la définition qu’en donne le paragraphe 4(1) de la LRTFP, qui fait mention des types de postes qui sont nécessaires à la fourniture du service essentiel, du niveau auquel ce service est fourni, du nombre de postes nécessaires à cette fin et des postes en question dont les titulaires fournissent ce service.

 

 

[13]           Le second principe est que, « quel que soit le caractère général ou spécifique de la définition, celle‑ci ne doit comprendre que les postes qui sont nécessaires pour assurer la sûreté ou la sécurité des Canadiens et Canadiennes » (motifs, au para. 156).

 

[14]           La Commission a rejeté ensuite la définition proposée par le Conseil du Trésor parce qu’elle était trop générale dans la mesure où elle engloberait des postes qui, manifestement, ne sont pas nécessaires pour assurer la sûreté et la sécurité du public (motifs, au para. 157). La Commission a également rejeté la prétention du demandeur que la fourniture d’un soutien à chacun des 38 systèmes informatiques par les employés du groupe CS devrait être considérée aux fins de la définition comme représentant une activité ou un service essentiel distinct (motifs, au para. 160).

 

[15]           À cet égard, la Commission a choisi de ne pas ajouter à son ordonnance la liste de 38 systèmes convenus par les parties comme étant essentiels parce qu’elle estimait qu’en raison de changements d’ordre technique, il était possible de remplacer ces systèmes ou d’en ajouter de nouveaux. Selon la Commission, le remplacement ou l’ajout d’un nouveau système rendrait une telle référence peu pratique, et obligerait les parties à modifier la définition (motifs, au para. 160).

 

[16]           La Commission a ajouté ce qui suit (motifs, au para. 165) :

 

Il est possible, me semble‑t‑il, de définir les services essentiels d’une manière qui tienne compte du fait que [l’employeur] et [le demandeur] conviennent tous deux  qu’il est nécessaire de protéger les Canadiens et Canadiennes contre les personnes et les marchandises qui posent un risque pour la sûreté et à la sécurité du public, qui ne retiendrait que les services ou activités liés à ces fins, qui ne serait pas étroitement liée au matériel et qui permettrait aux parties de définir les autres éléments de [l’entente sur les services essentiels]. On pourrait atteindre ces buts en définissant les services essentiels de la façon suivante :

 

La fourniture de services et de systèmes informatiques liés à la sécurisation de la frontière par la gestion de l’accès des personnes et des marchandises (y compris les aliments, les plantes et les animaux) qui entrent au Canada ou en sortent dans le but d’assurer la protection de la sûreté ou de la sécurité du public.

 

Cette formulation n’engloberait pas les activités liées aux douanes, à l’accise ou aux ententes commerciales, puisqu’elles ne ressortissent pas à la sûreté et à la sécurité du public. Elle permettrait aussi à [l’employeur] de changer au besoin son matériel ou ses systèmes informatiques, puisque la définition ne se rapporte pas étroitement aux matériel et systèmes informatiques. Les parties pourraient assez aisément définir les autres éléments de [l’entente sur les services essentiels], comme les types de postes nécessaires à la prestation de ces services essentiels, d’autant plus qu’elles se sont déjà entendues sur les systèmes informatiques qu’on devrait utiliser à ces fins.

 

 

[17]           La définition susmentionnée est reproduite dans l’ordonnance donnant effet à la décision en cause.

 

POSITION DU DEMANDEUR

[18]           Le demandeur fait d’abord observer que la norme de contrôle reconnue qui est applicable aux décisions de la Commission est celle de la raisonnabilité, à l’exception des questions en matière de compétence. Bien qu’il allègue que la Commission ait omis d’exercer sa compétence, le demandeur reconnaît que la question principale, de savoir si la définition de la Commission n’est pas suffisamment précise pour atteindre l’objectif de la loi, doit être examinée selon la norme de la raisonnabilité.

 

[19]           Selon le demandeur, ce manque de précision ne permet pas de déterminer les types de postes, le nombre de postes et les postes en question qui sont nécessaires pour fournir des services essentiels. Le demandeur ajoute que cette précision est nécessaire pour pouvoir [traduction] « rédui[re] la possibilité de définir un service essentiel d’une façon trop large qui aura[it] donc pour conséquence la suppression involontaire du droit de grève » (mémoire du demandeur, au para. 23). Le demandeur évoque plusieurs décisions de la Commission qui font ressortir le besoin de précision pour définir un service essentiel : Alliance de la fonction publique du Canada c. Agence Parcs Canada, 2008 CRTFP 97, au par. 202 [Parcs Canada]; Alliance de la fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor (groupe Services des programmes et de l’administration), 2009 CRTFP 55, au par. 76 [Groupe PM]; Alliance de la fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor, 2009 CRTFP 155, aux para. 41 et 42 [Services frontaliers].

 

[20]           Le demandeur soutient également que la définition de la Commission en l’espèce est tautologique parce qu’elle ne fait que répéter la définition des services essentiels donnée au paragraphe 4(1) de la LRTFP. De plus, le demandeur souligne que la Commission n’a pas prévu dans son ordonnance la limitation relevée dans ses motifs selon laquelle la définition « n’engloberait pas les activités liées aux douanes, à l’accise ou aux ententes commerciales, puisqu’elles ne ressortissent pas à la sûreté et à la sécurité du public » (motifs, au para. 165). Le demandeur soutient que, même si elle était réputée prévoir cette limitation, l’ordonnance serait encore trop imprécise.

 

[21]           Le demandeur invoque deux décisions antérieures de la Commission pour souligner la façon de déterminer et de définir les services essentiels. La première décision concerne les agents des services frontaliers de l’ASFC (Services frontaliers, au para. 51). La deuxième concerne les employés du groupe CS au sein du ministère de la Sécurité publique (Conseil du Trésor c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada, 2010 CRTFP 15, au para. 101 [IPFPC]).

[22]           Enfin, le demandeur soutient que la Commission s’est fondée sur des pures conjectures en refusant d’inclure dans la définition des services essentiels les systèmes et les pièces d’équipement qui étaient, comme les parties en ont convenu, requis pour fournir ces services.

 

POSITION DU DÉFENDEUR

[23]           Le défendeur convient que la question de savoir si la définition proposée n’est pas suffisamment précise pour atteindre l’objectif de la loi doit être examinée selon la norme de la raisonnabilité.

 

[24]           Le défendeur fait valoir que la décision de la Commission est raisonnable pour quatre raisons. Premièrement, il dit que la LRTFP est toujours un régime axé sur les postes, tout comme la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. 1985, ch. P‑35, désormais abrogée. Le défendeur a invoqué cet argument dans son mémoire des faits et du droit qui a été rédigé avant la publication de la décision Canada (Procureur général) c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada, 2011 CAF 20 [Sécurité publique, C.A.F.]. Dans cette affaire, notre Cour a confirmé la décision Conseil du Trésor c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada, 2010 CRTFP 60 [Sécurité publique], où la Commission a conclu que la LRTFP est un régime axé sur les services et non sur les postes.

 

[25]           Néanmoins, l’avocat du défendeur a maintenu pendant l’audience devant notre Cour que le régime de la LRTFP a pour objet premier de déterminer les postes qui sont essentiels pour la fourniture des services essentiels, et que, de ce fait, la définition des services essentiels et particulièrement son caractère précis n’ont pas l’importance que le demandeur leur attribue.

 

[26]           Deuxièmement, le défendeur soutient que la décision de la Commission permet de déterminer les postes en question parce qu’on peut simplifier la description des services essentiels, que sa ratio decidendi permet de déterminer les postes, et que la description des services essentiels n’est pas requise dans une entente sur les services essentiels.

 

[27]           Troisièmement, en ce qui concerne l’argument du demandeur que la Commission s’est fondée sur des conjectures sur le remplacement des systèmes informatiques, le défendeur dit que la Commission s’est appuyée sur une preuve directe qui était non contredite et qu’elle a tiré des inférences raisonnables.

 

[28]           Enfin, en ce qui concerne l’argument du demandeur que la Commission a omis de déterminer si l’élaboration de nouveaux équipements constituait un service essentiel, le défendeur affirme que la question n’est pas pertinente puisque les parties partagent la même opinion. En fait, le Conseil du Trésor n’a jamais exprimé l’avis que le développement d’un nouveau matériel constituait un service essentiel.

 

ANALYSE

[29]           J’accepte la proposition conjointe des parties selon laquelle la question de savoir si la définition donnée par la Commission est suffisamment précise pour atteindre l’objectif de la loi doit être examinée selon la norme de la raisonnabilité.

 

[30]           Dans la décision Parcs Canada, la Commission a entendu son premier litige sur les services essentiels en vertu de la LRTFP. Dans cette décision, la Commission a établi ce qui est appelé un « cheminement analytique », à savoir une approche à trois étapes menant à une entente sur les services essentiels. La première étape consiste à déterminer quels services sont nécessaires pour assurer la sécurité du public advenant une grève. La deuxième étape consiste à déterminer le niveau des services devant être fournis pendant une grève. La dernière étape consiste à déterminer les types de postes, le nombre de postes et les postes en question qui sont nécessaires pour fournir les services essentiels au niveau de service déterminé. Nul ne semble contester cette approche.

 

[31]           Toutefois, il semble y avoir un débat continu sur la nature du régime prévu par la LRTFP. Le défendeur fait valoir que le régime a pour objet premier de déterminer les postes essentiels et que c’est dans ce contexte qu’il faudrait analyser le caractère approprié de la définition. Le demandeur prétend, pour sa part, que le régime a pour objet premier de déterminer les services essentiels et souligne qu’il est important d’arriver à une définition utile de ces services.

 

[32]           À mon humble avis, cette question a été tranchée dans une décision récente par laquelle notre Cour a confirmé la décision Sécurité publique de la Commission. La question dont la Commission était saisie dans Sécurité publique était identique à la question que le défendeur cherche maintenant à soulever. Après avoir noté que l’employeur a accepté le cheminement analytique énoncé dans Parcs Canada, la Commission a défini et tranché cette question comme suit (Sécurité publique, aux para. 99 à 101) :

 

99.       Maintenant, [l’employeur] fait valoir une autre théorie de la [LRTFP] qui désigne les « postes essentiels » comme élément essentiel. Il soutient qu’« [...] il est clair que la LRTFP est un régime axé sur les postes [...] » et que « [...][l]e but ultime de ce régime consiste à désigner les postes essentiels ».

 

 

100.     Selon moi, ces propositions sont carrément erronées. Pour l’essentiel, [l’employeur] donne un nouveau nom — « poste essentiel » — à l’ancien concept de « poste désigné » et fait valoir qu’en définitive, rien n’importe vraiment, sauf l’établissement de la liste des « postes essentiels ». Pourquoi le législateur est‑il allé jusqu’à adopter un régime tout à fait différent qui régit les services essentiels si, comme semble l’affirmer le demandeur, l’objet et le but véritables demeurent les mêmes? Pourquoi le législateur a‑t‑il créé le concept d’une « entente sur les services essentiels » et élaboré un processus dans lequel la définition des « services essentiels » est l’élément premier et primordial si « [...] il est clair que la LRTFP est un régime axé sur les postes [...] »?

 

 

101.     Manifestement, telle n’était pas l’intention du législateur. Les « types de postes », le « nombre de ces postes » et les « postes en question » qui doivent être désignés sont des éléments requis pour réaliser les objets de la [LRTFP], mais seulement en ce sens que les services essentiels doivent nécessairement être offerts par les titulaires des postes. Les postes comme tels ne sont pas essentiels. Les titulaires des postes offrent tout un éventail de services définis comme étant les fonctions qui leur sont attribuées par l’employeur. Certains sous‑ensembles de ces fonctions — ou peut‑être toutes ces fonctions dans des circonstances exceptionnelles — seront désignés essentiels par les parties ou par la Commission pour la protection de la sécurité du public. La [LRTFP] cherche à réaliser un « équilibre » entre assurer le maintien de ces services essentiels désignés en cas de grève et donner son sens véritable au droit de grève intégré dans la [LRTFP]. L’épreuve réside dans la définition des « services essentiels ».

 

 

[33]           Les passages susmentionnés illustrent l’essentiel du raisonnement que notre Cour a approuvé en rejetant la demande de contrôle judiciaire subséquente (Sécurité publique, C.A.F., aux para. 3, 4, 5, 7, 10 et 11). La question a donc été tranchée et le défendeur n’a invoqué aucun motif permettant de justifier le réexamen de la question (Miller c. Canada (Procureur général), 2002 CAF 370, au para. 10). Ainsi, pour les besoins de l’espèce, la définition des services essentiels doit être considérée comme la pierre angulaire du régime ou, autrement dit, à partir de laquelle tout le reste suit.

 

[34]           En l’espèce, la Commission a reconnu que sa tâche, à la première étape du cheminement analytique, consistait à déterminer les services qui étaient nécessaires pour assurer la sécurité du public. Selon la Commission, la définition énoncée dans l’ordonnance atteint cet objectif. Voici le libellé de l’ordonnance :

 

L’entente sur les services essentiels concernant le groupe Systèmes d’ordinateurs à l’ASFC comportera la disposition suivante :

 

La fourniture de services et de systèmes informatiques liés à la sécurisation de la frontière par la gestion de l’accès des personnes et des marchandises (y compris les aliments, les plantes et les animaux) qui entrent au Canada ou en sortent dans le but d’assurer la protection de la sûreté ou de la sécurité du public.

 

 

[35]           Dans ses motifs, la Commission a dit que la formulation précitée « n’engloberait pas les activités liées aux douanes, à l’accise ou aux ententes commerciales, puisqu’elles ne ressortissent pas à la sûreté et à la sécurité du public » (motifs, au par. 165). Cette limitation ne découle pas nécessairement de la définition énoncée dans l’ordonnance. Toutefois, même si l’on interprétait l’ordonnance comme englobant cette limitation, la définition donnée par la Commission continue de poser problème.

 

[36]           Premièrement, l’énoncé « dans le but d’assurer la protection de la sûreté ou de la sécurité du public » tire son origine du paragraphe 4(1) de la LRTFP. L’utilisation des termes du paragraphe 4(1) dans le libellé de l’ordonnance n’est d’aucune utilité pour déterminer les types de postes, le nombre de postes et les postes en question nécessaires à la fourniture des services essentiels pour les besoins d’une entente sur les services essentiels. En fait, les parties qui tentent d’appliquer la définition de la Commission seront tenues d’interpréter et d’appliquer l’énoncé même qui est formulé dans la loi, et qui, compte tenu du mandat que lui confie la loi aux termes du paragraphe 123(1), aurait dû être interprété et mis en œuvre par la Commission.

 

[37]           Deuxièmement, l’énoncé « fourniture de services et de systèmes informatiques » est peu utile pour déterminer les types de postes, le nombre de postes et les postes en question qui sont nécessaires à la fourniture des services essentiels. À cet égard, le mot « fourniture » qui apparaît deux fois dans l’ordonnance est défini notamment comme « action de fournir ou d’approvisionner ». Le verbe « fournir » signifie quant à lui « procurer; approvisionner » (le Concise Oxford Dictionary, 10édition, Oxford University Press, 2001). L’énoncé « fourniture de services et de systèmes informatiques » pourrait être interprété comme englobant toute action qui se rapporte aux services informatiques relatifs aux 38 systèmes dont les parties ont convenu.

 

[38]           Une comparaison avec une décision récente de la Commission concernant les employés du groupe CS du ministère de la Sécurité publique fait ressortir les lacunes de la définition proposée. Dans la décision IPFPC, au paragraphe 101, la Commission a défini les services essentiels comme suit :

 

Pour Sécurité publique Canada, les services suivants fournis par les membres du groupe Systèmes d’ordinateur sont essentiels :

 

Pour le Centre des opérations du gouvernement, y compris le Centre canadien de réponse aux incidents cybernétiques, les services suivants sont essentiels :

 

a) installation, mise à l’essai, maintenance et réparation,

 

b) détermination, examen et résolution des problèmes de compatibilité et de mauvais fonctionnement à l’égard,

 

c) aide technique à l’égard, des logiciels, systèmes, applications et appareils utilisés directement pour cerner et analyser les risques ou menaces qui peuvent nécessiter une intervention coordonnée par le [Centre des opérations du gouvernement], pour communiquer des renseignements aux partenaires sur ces risques et ces menaces, et pour prendre des mesures en vue de l’affectation immédiate de fonds d’urgence afin de prévenir et d’atténuer ces risques et menaces, de s’y préparer et d’y répondre, et d’assurer un rétablissement par la suite de celles‑ci.

 

Pour le Centre canadien de réponse aux incidents cybernétiques, les services suivants sont essentiels : analyse et évaluation des risques et des menaces cybernétiques, planification des réponses aux risques et aux menaces cybernétiques et réponses à celles‑ci, notamment rédaction et traitement de rapports sur des urgences cybernétiques, examen et rédaction de rapports d’incidents et techniques, et exécution de programmes de sécurité en réponse à des menaces cybernétiques.

 

 

[39]           Dans une décision antérieure concernant les agents des services frontaliers de l’ASFC, la Commission a donné une définition des services essentiels qui fait également ressortir les lacunes de la définition proposée (Services frontaliers):

 

51 L’entente sur les services essentiels concernant l’unité de négociation comportera la disposition suivante :

 

Les services suivants fournis ou exécutés par les agents des services frontaliers sont nécessaires à la sécurité du public :

 

1. Procéder à des inspections, à des examens et à des vérifications des voyageurs, des marchandises et des moyens de transport en vue de prendre des décisions relatives à la mainlevée ou à l’admission, et prendre les mesures appropriées en cas de non‑respect soupçonné ou prouvé.

 

2. Exercer un pouvoir de première intervention pour arrêter ou détenir des personnes soupçonnées d’avoir commis des infractions en vertu de différentes lois du Parlement.

 

3. Maintenir des relations, des interactions et des échanges efficaces avec les clients, les intervenants et les organismes d’application de la loi pour protéger l’intégrité et la sécurité de la frontière.

 

4. Analyser des données et des renseignements devant être inclus dans les bases de données aux fins du service à la clientèle, de la gestion des risques et du ciblage de personnes ou de marchandises afin de protéger l’intégrité et la sécurité de la frontière.

 

5. Remplir des notes d’information, des rapports techniques, des dossiers clients, des déclarations et des rapports de saisie pour mettre à jour les bases de données servant à protéger l’intégrité et la sécurité de la frontière.

 

 

Pour plus de certitude, les services suivants fournis et exécutés par les agents des services frontaliers ne sont pas nécessaires à la sécurité du public :

 

1. Procéder à l’imposition et à la perception des droits, taxes et amendes.

 

2. Remplir des notes d’information, des rapports techniques, des dossiers clients et des déclarations n’étant pas liés à la protection de l’intégrité et de la sécurité de la frontière.

 

3. Diffuser des renseignements, par le biais de séances, d’ateliers techniques et d’activités de communication destinés aux voyageurs, aux importateurs et aux exportateurs pour les informer au sujet des lois, des règlements et des procédures de l’ASFC et autres ministères et organismes gouvernementaux, afin de favoriser l’observation volontaire et de répondre aux demandes de renseignements, aux préoccupations et aux plaintes concernant le service.

 

 

[40]           Le défendeur a affirmé que la Commission n’est pas tenue de préciser le niveau de détails comme dans les affaires précédentes. Il indique la décision Groupe PM de  la Commission comme exemple d’approche simplifiée quant à la définition des services essentiels :

 

106 Cependant, une [entente sur les services essentiels], ne doit pas comporter le même niveau de détails qu’une description de travail. La description de travail est un outil créé essentiellement aux fins de la classification d’un poste en fonction d’une norme de classification. Dans une [entente sur les services essentiels], un service essentiel est décrit pour un motif assez différent. La description doit être assez précise pour que l’on puisse déterminer quelles fonctions principales devraient être maintenues dans l’éventualité d’une grève et décider plus facilement des autres éléments de contenu requis dans une [entente sur les services essentiels], soit essentiellement le nombre final de postes qui seront nécessaires pour offrir le service essentiel advenant une grève. À cette fin, la Commission ne s’attend pas à ce que les [ententes sur les services essentiels] ressemblent nécessairement à un ensemble d’extraits de documents de classification.

 

 

L’ordonnance rendue dans cette affaire énonçait ce qui suit :

110 L’Entente sur les services essentiels (ESE) du groupe de l’administration des programmes comprendra les dispositions suivantes :

 

Les services suivants, qui sont offerts par des titulaires de poste d’agent des services aux citoyens PM‑01 dans des Centres de Service Canada, ou les activités exercées par ces titulaires dans ces Centres, sont nécessaires pour la sécurité du public :

 

1. Fournir dans des points de service réguliers, aux membres du public qui cherchent à obtenir des prestations aux termes des programmes d’a.‑e., de RPC ou de SV/SRG, une aide raisonnable qui leur permettrait de présenter des demandes remplies à des fins de traitement, avec les documents nécessaires, pourvu que le service soit un service habituellement donné par le titulaire d’un poste d’agent des services aux citoyens (PM‑01) dans les limites de la description de travail officielle de ce poste.

 

2. Fournir dans des points de service réguliers, aux membres du public qui reçoivent des prestations aux termes des programmes d’a.‑e., de RPC ou de SV/SRG, une aide raisonnable qui leur permettrait de continuer à recevoir des prestations dans la mesure de leur admissibilité, pourvu que le service soit un service habituellement donné par le titulaire d’un poste d’agent des services aux citoyens (PM‑01) dans les limites de la description de travail officielle de ce poste.

 

 

[41]           Je conviens avec le défendeur qu’une approche simplifiée, comme il est décrit précédemment, peut convenir dans la mesure où la définition est suffisamment précise pour aider les parties à déterminer les types de postes, le nombre de postes et les postes en question qui sont nécessaires pour fournir des services essentiels. Les définitions précitées répondent à cet objectif.

 

[42]           Par contre, la définition donnée par la Commission en l’espèce ne répond pas à cet objectif. Elle ne tient pas compte des deux principes directeurs énoncés dans ses motifs (voir para. 11 et 12 précités).

 

[43]           À mon humble avis, la décision de la Commission est déraisonnable puisqu’elle n’appartient pas aux issues possibles, défendables (Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au para. 47). Plus précisément, la Commission avait pour tâche d’appliquer la définition légale des services essentiels aux faits de l’affaire pour aider les parties à déterminer ce qui constitue des services essentiels en ce qui concerne le groupe CS à l’ASFC. La définition est trop vague pour être utile à cet égard. Je conclus donc que l’affaire devrait être renvoyée à la Commission pour qu’elle donne une définition des services essentiels qui facilite la réalisation d’une entente entre les parties.

 

[44]           Étant donné que l’affaire doit être renvoyée à la Commission, je ferais aussi observer que rien en principe n’empêche la Commission d’inclure dans la définition des services essentiels les systèmes qui sont requis, comme il est convenu entre les parties, pour fournir des services essentiels, s’il en est. Dans la mesure où ces systèmes deviennent redondants, et qu’il y a désaccord quant à la définition des services essentiels, une demande peut être présentée en application de l’article 127 de la LRTFP pour clarifier la question.

 

[45]           Pour les motifs susmentionnés, j’accueillerais la demande de contrôle judiciaire avec dépens et, puisque le commissaire qui a rendu la décision a depuis pris sa retraite, je renverrais l’affaire à une formation de la Commission différemment constituée pour que celle‑ci donne une définition des services essentiels qui favorise la réalisation d’une entente entre les parties.

 

 

« Marc Noël »

j.c.a.

 

« Je suis d’accord

            K. Sharlow, j.c.a. »

 

« Je suis d’accord

            Eleanor R. Dawson, j.c.a. »

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Semra Denise Omer

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    A‑462‑09

 

INTITULÉ :                                                   INSTITUT PROFESSIONNEL DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 6 avril 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE NOËL

 

Y ONT SOUSCRIT :                                     LA JUGE SHARLOW

                                                                        LA JUGE DAWSON

 

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 26 avril 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Dougald E. Brown

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Sean Kelly

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Nelligan O’Brien Payne s.r.l.

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.