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Cour d’appel fédérale

 

Federal Court of Appeal

Date : 20110519

Dossiers : A‑59‑11

A‑60‑11

 

Référence : 2011 CAF 172

 

[TRADUCTION FRANÇAISE]

 

En présence de monsieur le juge Mainville

 

ENTRE :

NAGIB TAJDIN et ALNAZ JIWA

appelants

et

SON ALTESSE LE PRINCE KARIM AGA KHAN

intimé

 

 

 

Requête jugée sur dossier sans comparution des parties.

 

Ordonnance rendue à Ottawa (Ontario) le 19 mai 2011.

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :                                                                LE JUGE MAINVILLE

 


Date : 20111059

Dossiers : A‑59‑11

A‑60‑11

 

Référence : 2011 CAF 172

 

[TRADUCTION FRANÇAISE]

 

En présence de monsieur le juge Mainville

 

ENTRE :

NAGIB TAJDIN et ALNAZ JIWA

appelants

et

SON ALTESSE LE PRINCE KARIM AGA KHAN

intimé

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

LE JUGE MAINVILLE

[1]               L’appelant Nagib Tajdin a déposé une requête demandant une ordonnance en suspension, en attendant l’issue de ces appels consolidés, aux paragraphes 4 à 6 du jugement rendu par le juge Harrington à la Cour fédérale, dossier no T-514-10 en date du 4 mars 2011 (le « jugement ») (dont les motifs datent du 7 janvier 2011, et dont la référence est 2011 CF 14), aussi bien qu’une ordonnance hâtant l’audition des appels.

 

Faits

[2]               L’intimé est le guide spirituel des musulmans chiites imamites ismaéliens, dont on compte environ 15 millions dans le monde qui vivent dans plus de 25 pays. L’intimé a entamé une action à la Cour fédérale alléguant que les appelants avaient violé son droit d’auteur dans ses farmâns et talikas contenus dans un ouvrage intitulé « Farmans 1957-2009 – Golden Edition Kalam‑E‑Iman‑E-Zaman » (la « Golden Edition ») et dans des enregistrements sonores sur MP3 (le « MP3 ») produits, publiés, distribués et vendus par les appelants. Un farmân est une allocution prononcée devant un auditoire, et une talika est un bref message religieux sous forme écrite.

 

[3]               Le jugement faisant l’objet de l’appel a accueilli la requête du défendeur en jugement sommaire et a ordonné et adjugé dans ses paragraphes 1 à 3 que le droit d’auteur existe dans les farmâns et talikas dont l’intimé est l’auteur et reproduits dans la Golden Edition et dans le MP3, et que l’intimé est le titulaire de ce droit d’auteur. Le jugement a également déclaré que les appelants ont violé ce droit d’auteur (paragraphe 4), a accordé une injonction permanente interdisant aux appelants, entre autres, de produire, de publier, de vendre, de donner, de promouvoir, de rendre accessible, ou de distribuer tout ouvrage qui viole le droit d’auteur de l’intimé dans la Golden Edition et le MP3 qui l’accompagne (paragraphe 5) et a ordonné aux appelants de fournir toutes les copies de celle-ci (paragraphe 6).

 

[4]               Le jugement a également ordonné un renvoi afin de déterminer des dommages-intérêts ou des bénéfices adjugés à l’intimé (paragraphe 7), des intérêts avant et après jugement sur toute somme adjugée dans le cadre du renvoi (paragraphe 8) et le paiement immédiat des dépens relatifs à l’instance, fixés à un total de 30 000 $ (paragraphe 9).

 

[5]               Les appelants ont interjeté appel du jugement à notre Cour pour divers motifs. L’appelant Tajdin demande maintenant un sursis des paragraphes 4 à 9 du jugement et soulève de nombreux arguments à cette fin. Toutefois, si on les condense, les arguments de l’appelant Tajdin à l’appui du sursis peuvent se résumer comme suit :

a.       Un sursis des paragraphes 4 à 7 du jugement est justifié étant donné que toutes les copies restantes de la Golden Edition et du MP3 qui l’accompagne ont été fournies, et les appelants se sont déjà engagés à ne pas publier d’autres copies jusqu’à ce qu’une décision soit rendue sur les appels. En outre, fournir le contenu original de la Golden Edition et du MP3 qui l’accompagne priverait l’appelant Tajdin de documents essentiels pour pratiquer sa foi, et le priverait en outre d’éléments de preuve pour le procès s’il obtenait gain de cause aux appels ou s’il entamait une nouvelle instance contre des tiers.

b.      Un sursis des paragraphes 7 et 8 est nécessaire étant donné que le renvoi afin de déterminer des dommages-intérêts ou des bénéfices en attendant qu’une décision soit rendue sur l’appel créerait un fardeau pour l’appelant Tajdin qui réside actuellement au Kenya et qui par conséquent devrait se rendre au Canada pour se préparer pour ce renvoi. Il existe également une préoccupation que les procédures relatives au renvoi seront utilisées par les opposants de Tajdin comme un moyen de le harceler.

c.       Enfin, l’adjudication des dépens au paragraphe 9 devrait être suspendue étant donné que l’appelant Tajdin allègue que les avocats de la partie opposée avaient soutenu que ces dépens devaient être payables au profit d’une organisation caritative et non à l’intimé personnellement tel qu’il est ordonné dans le jugement. Néanmoins, l’appelant Tajdin est prêt à consigner le montant à la Cour en attendant l’issue des appels.

 

Discussion

[6]               La question à trancher dans le cadre de la présente requête est de savoir si l’appelant Tajdin a répondu au critère pour l’octroi d’un sursis tel qu’il est établi par la Cour suprême du Canada dans Manitoba (Procureur général) c. Metropolitan Stores, [1987] 1 R.C.S. 110 et dans RJR MacDonald Inc. c. Canada (P.G.), [1994] 1 R.C.S. 311. Premièrement, une évaluation préliminaire doit être effectuée du fond des appels afin de s’assurer qu’il existe une question sérieuse à juger. Il s’agit là d’un seuil peu élevé étant donné que la Cour doit être convaincue que les questions soulevées ne sont ni futiles ni vexatoires. Deuxièmement, il faut trancher si la partie qui présente la requête en sursis subirait un préjudice irréparable si le sursis est refusé. Enfin, une évaluation doit être effectuée pour déterminer laquelle des parties subira le préjudice le plus important découlant de l’octroi ou du refus du sursis en attendant une décision sur le fond des appels. Les volets du critère sont inséparables, dans la mesure où la partie qui demande le sursis doit satisfaire aux trois volets.

 

[7]               Afin de trancher sur cette requête, il est nécessaire d’examiner uniquement le deuxième volet du critère, c’est-à-dire, la question de savoir si l’appelant Tajdin subira un préjudice irréparable si le sursis est refusé. Par conséquent, j’examinerai la question du préjudice irréparable en ce qui concerne chacun des paragraphes contestés du jugement.

 

[8]               Étant donné que l’appelant Tajdin affirme qu’il s’engage à ne pas publier d’autres copies de l’œuvre protégée par le droit d’auteur jusqu’à ce qu’une décision soit rendue sur les appels, par conséquent, il n’existe aucune preuve de préjudice irréparable dans le cas où le sursis des paragraphes 4 et 5 n’est pas accordé.

 

[9]               En réalité, l’appelant Tajdin s’oppose plutôt au paragraphe 6 du jugement, qui lui ordonne de « fournir toutes les copies de la Golden Edition et des farmâns et talikas contenus dans celle-ci, et du signet audio MP3 en [sa] possession, sous [sa] responsabilité ou sous [sa] contrôle, ainsi que les marchandises, étiquettes, emballages, affiches, clichés ou moules, le matériel publicitaire ou tout autre matériel ou chose en leur pouvoir, sous leur responsabilité ou en leur possession, qui sont liés, en totalité ou en partie, à la Golden Edition, ainsi qu’aux farmâns et talikas et au signet audio MP3 contenus dans celle-ci […] ». Bien que l’appelant Tajdin ait déjà fourni toutes les copies de la Golden Edition et le MP3 qui l’accompagne, il s’oppose à fournir le matériel original utilisé pour la production de la Golden Edition et le MP3 qui l’accompagne, soutenant que cela l’empêcherait de pratiquer sa foi, et le priverait d’éléments de preuve pour un procès s’il obtenait gain de cause sur son appel ou s’il entamait une autre instance contre ses opposants dans sa collectivité religieuse.

 

[10]           Je suis d’accord avec l’intimé que le jugement, y compris le paragraphe 6, n’empêche pas l’appelant Tajdin de pratiquer sa foi, étant donné qu’il continuera d’avoir accès aux farmâns et talikas de la même manière et par les mêmes moyens autorisés que tous les autres membres de la foi ismaïlienne. Le jugement cherche à empêcher la publication et la distribution de farmâns et talikas non-autorisés et n’empêche d’aucune manière la distribution de ce type de matériel par d’autres moyens autorisés par l’intimé agissant en tant que guide spirituel de la foi ismaïlienne.

 

[11]           Pour ce qui est de priver l’appelant Tajdin d’éléments de preuve pour le procès ou pour une nouvelle instance, il est utile de souligner que les deux parties ont indiqué qu’au cœur du litige est un désaccord fondamental entre les appelants et les dirigeants ismaïliens (y compris le chef du Département des institutions jama’aties, Shafik Sachadina) au sujet de la collection, l’édition et la distribution des farmâns : observations écrites de l’intimé au paragraphe 5; observations écrites de la partie requérante au paragraphe 1. L’appelant Tajdin craint que, s’il fournissait le matériel original utilisé pour la production de la Golden Edition et le MP3 qui l’accompagne avant qu’une décision ne soit rendue sur les appels, ce matériel puisse être détruit ou trafiqué autrement, empêchant ainsi sa défense lors d’un éventuel procès ou une nouvelle instance juridique. L’intimé s’est toutefois engagé à garantir la préservation et la tenue sécuritaire de tout document ou matériel de ce type livré ou produit par l’un ou l’autre des appelants : observations écrites de l’intimé au paragraphe 48. À la lumière de cet engagement, qui sera inclus dans l’ordonnance rendue avec les présents motifs, l’appelant Tajdin ne subira aucun préjudice irréparable en attendant l’issue de ces appels même si le paragraphe 6 du jugement n’est pas suspendu.

 

[12]           L’appelant Tajdin ne subira pas non plus de préjudice irréparable en raison de la poursuite du renvoi ordonné en vertu des paragraphes 7 et 8 du jugement au cours du processus d’appel. La crainte de l’appelant Tajdin que ces procédures relatives au renvoi soient utilisées par ses opposants comme moyen de le harceler n’est pas fondée, étant donné que le juge ou une autre personne nommée par le juge en chef de la Cour fédérale qui mènera le renvoi peut prendre les mesures nécessaires pour garantir qu’aucun abus de procédure de ce type ne se produise. Quant aux coûts et aux inconvénients qui découlent du déplacement de l’appelant Tajdin de son pays de résidence au Kenya, je souligne que l’appelant réside au Kenya depuis 2005 et il n’en a pas été moins capable de se défendre vigoureusement contre l’action entamée contre lui par l’intimé, y compris lors du présent appel. L’appelant a également voyagé fréquemment à divers endroits, dont le Tadjikistan, l’Afghanistan, l’Inde, le Royaume-Uni, la France, le Pakistan, les É.-U., la Syrie, l’Ouganda, la Tanzanie, le Madagascar et la Côte d’Ivoire, afin de récolter des farmâns et de publier la Golden Edition. Dans ces circonstances, je ne suis pas en mesure de voir quel préjudice irréparable subirait l’appelant Tajdin par le simple fait qu’il doive voyager en raison du renvoi.

 

[13]           Je souligne également que l’article 156 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 stipule qu’un renvoi doit normalement se dérouler de la manière « la plus simple, la moins onéreuse et la plus expéditive possible » et que le coût d’un renvoi et ses inconvénients ne suffisent pas normalement à eux seuls à justifier un sursis étant donné que, si l’appelant obtenait gain de cause, ces derniers peuvent être compensés sous forme d’indemnité pécuniaire : Baxter Travenol Laboratories of Canada Ltd.  c. Cutter (Canada) Ltd., 1981 A.C.F. no 1143 (Q.L.), 54 C.P.R. (2d) 218.

 

[14]           En ce qui concerne les dépens adjugés au paragraphe 9 du jugement, l’appelant Tajdin est prêt à consigner ce montant à la Cour en attendant l’issue des présents appels, et l’intimé est prêt à accepter cette disposition. Une ordonnance sera rendue en conséquence.

 

[15]           Enfin, l’appelant Tajdin demande une ordonnance visant à accélérer l’audience des appels consolidés, mais il ne donne aucune raison particulière pour justifier sa demande. Néanmoins, l’intimé consent à une réparation de ce type au motif que les Ismaïliens bénéficieraient d’un règlement rapide de cette procédure judiciaire. Bien que je comprenne les préoccupations de l’intimé, la majorité des parties en litige devant notre Cour bénéficieraient aussi bien d’un règlement rapide de leurs procédures judiciaires.

 

[16]           En l’absence de tout autre argument fort et convaincant en faveur de l’accélération des présents appels, je ne suis pas en mesure de voir pourquoi les parties aux présents appels doivent avoir une priorité sur d’autres parties en litige devant notre Cour. Je souligne en outre que pour autant que les parties suivent scrupuleusement les Règles des Cours fédérales qui régissent les présents appels consolidés, et, par conséquent, déposent et signifient le dossier d’appel dans les délais précisés, leurs mémoires des faits et du droit et une demande d’audience respectivement, et pour autant que les parties gardent leur calendrier raisonnablement disponible pour une date d’audience, les présents appels peuvent facilement être entendus et tranchés dans un délai relativement court.

 

[17]           Aucuns dépens n’ont été demandés pour la présente requête par aucune des parties, par conséquent, aucuns dépens ne seront adjugés.

 

 

 

« Robert M. Mainville »

j.c.a.


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

NOMS DES AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIERS :                                                                          A‑59‑11

                                                                                                A‑60‑11

 

INTITULÉ :                                                                           NAGIB TAJDIN et ALNAZ JIWA c. SON ALTESSE LE PRINCE KARIM AGA KHAN

 

 

REQUÊTE JUGÉE SUR DOSSIER SANS COMPARUTION DES PARTIES

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                LE JUGE MAINVILLE

 

DATE DE L’ORDONNANCE :                                           Le 19 mai 2011

 

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

 

 

Nagib Tajdin

 

POUR LES APPELANTS

(Pour son propre compte)

 

Me Brian W. Gray

Me Kristen E. Wall

Me Allyson Whyte Nowak

POUR L’INTIMÉ

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Ogilvy Renault s.r.l.

Toronto (Ontario)

POUR L’INTIMÉ

 

 

 

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