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Date : 20110602

Dossier : A‑449‑10

Référence : 2011 CAF 187

 

CORAM :      LE JUGE SEXTON

                        LA JUGE DAWSON

                        LE JUGE STRATAS

 

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

appelant

 

et

 

 

JIGARKUMAR PATEL

 

intimé

 

 

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 11 mai 2011

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 2 juin 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                              LA JUGE DAWSON

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                           LE JUGE SEXTON

                                                                                                                           LE JUGE STRATAS

 

 


Date : 20110602

Dossier : A‑449‑10

Référence : 2011 CAF 187

 

CORAM :      LE JUGE SEXTON

                        LA JUGE DAWSON

                        LE JUGE STRATAS

 

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

appelant

 

et

 

JIGARKUMAR PATEL

 

intimé

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE DAWSON

[1]               L’intimé, Jigarkumar Patel, a présenté une demande de résidence permanente au Canada au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral). Il a prétendu avoir droit à 74 points d’appréciation, dont cinq points au titre de la capacité d’adaptation pour ses deux années d’études postsecondaires au Canada. Un agent des visas a rejeté la demande de résidence permanente de M. Patel pour le motif que sa demande ne méritait que 63 points d’appréciation, soit quatre de moins que les 67 points requis. L’agent des visas n’a attribué aucun point d’appréciation pour sa capacité d’adaptation. Si l’agent avait attribué les cinq points demandés à ce titre, M. Patel aurait eu le nombre de points nécessaires pour être admissible comme membre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral).

 

[2]               M. Patel a présenté à la Cour fédérale une demande de contrôle judiciaire de la décision de l’agent des visas. Dans des motifs publiés sous 2010 CF 1025, 375 F.T.R. 115, un juge de la Cour fédérale a accueilli la demande et renvoyé l’affaire à un autre agent des visas. Le juge a certifié la question grave de portée générale suivante :

Lorsqu’il évalue la capacité d’adaptation de l’intéressé visée par l’art. 83 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, l’agent des visas doit‑il cumuler les programmes d’études lorsque chacun d’eux ne constitue pas deux ans d’études à temps plein d’une durée de deux ans au moins dans un établissement d’enseignement postsecondaire au Canada et attribuer des points si la durée totale des études est égale à, ou dépasse, deux années d’études à temps plein dans un ou plusieurs établissements d’enseignement postsecondaire?

 

 

[3]               Le ministre interjette maintenant appel auprès de notre Cour de la décision de la Cour fédérale. Pour les motifs exposés ci‑dessous, j’accueillerais l’appel, je rejetterais la demande de contrôle judiciaire de M. Patel et je répondrais négativement à la question certifiée.

 

1.         Les faits

[4]               M. Patel est un citoyen de l’Inde titulaire d’un baccalauréat en sciences d’une université indienne. Il est entré au Canada en 2004 muni d’un permis de travail. De février 2005 à juin 2006, il a fréquenté pendant trois semestres le Canadian Career College en tant qu’étudiant à temps plein. En juin 2006, il a obtenu de cet établissement d’enseignement un diplôme en gestion du commerce international. Au cours de l’été de 2007, M. Patel a fréquenté à temps plein le Xincon Technology College of Canada et y a étudié, pendant un semestre, la technologie des systèmes informatiques. M. Patel a obtenu plusieurs crédits, mais il n’a pas complété le programme d’études de 118 semaines.

 

2.         Le cadre législatif

[5]               Avant de procéder à la révision des décisions de l’agent des visas et de la Cour fédérale, il sera utile d’énoncer la législation pertinente pour le présent appel.

 

a.         La Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés

[6]               L’article 12 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), que l’on trouve dans la section 1 de la partie 1 de la Loi, traite de la sélection des résidents permanents. Le paragraphe 12(2) prévoit que la « sélection des étrangers de la catégorie immigration économiquese fait en fonction de leur capacité à réussir leur établissement économique au Canada ».

 

[7]               Le paragraphe 14(1) prévoit en outre que des règlements peuvent être pris relativement à toute question ayant trait à la section 1 de la partie 1 de la Loi. L’alinéa 14(2)a) de la Loi, rédigé comme suit, est pertinent pour le présent appel :

14. (2) Ils établissent et régissent les catégories de résidents permanents ou d’étrangers, dont celles visées à l’article 12, et portent notamment sur :

 

 

ales critères applicables aux diverses catégories, et les méthodes ou, le cas échéant, les grilles d’appréciation et de pondération de tout ou partie de ces critères, ainsi que les cas où l’agent peut substituer aux critères son appréciation de la capacité de l’étranger à réussir son établissement économique au Canada; [Non souligné dans l’original.]

14. (2) The regulations may prescribe, and govern any matter relating to, classes of permanent residents or foreign nationals, including the classes referred to in section 12, and may include provisions respecting

(a) selection criteria, the weight, if any, to be given to all or some of those criteria, the procedures to be followed in evaluating all or some of those criteria and the circumstances in which an officer may substitute for those criteria their evaluation of the likelihood of a foreign national’s ability to become economically established in Canada; [emphasis added]

 

 

b.         Le Règlement

[8]               En ce qui concerne le Règlement, l’alinéa 70(2)b) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 (le Règlement) précise que la catégorie de l’immigration économique comprend la catégorie des travailleurs qualifiés. Il s’agit de la catégorie au titre de laquelle M. Patel a présenté sa demande de résidence permanente.

 

[9]               L’alinéa 72(1)d) du Règlement indique qu’un étranger au Canada devient résident permanent s’il est entre autres établi qu’« il satisfait aux critères de sélection et autres exigences applicables » à la catégorie au titre de laquelle il demande la résidence permanente.

 

[10]           Le paragraphe 75(1) du Règlement, qui traite plus particulièrement de la catégorie des travailleurs qualifiés, est rédigé comme suit :

75. (1) Pour l’application du paragraphe 12(2) de la Loi, la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) est une catégorie réglementaire de personnes qui peuvent devenir résidents permanents du fait de leur capacité à réussir leur établissement économique au Canada, qui sont des travailleurs qualifiés et qui cherchent à s’établir dans une province autre que le Québec. [Non souligné dans l’original.]

75. (1) For the purposes of subsection 12(2) of the Act, the federal skilled worker class is hereby prescribed as a class of persons who are skilled workers and who may become permanent residents on the basis of their ability to become economically established in Canada and who intend to reside in a province other than the Province of Quebec. [emphasis added]

 

 

[11]           Comme le paragraphe 12(2) de la Loi et le paragraphe 75(1) du Règlement le précisent, la « capacité à réussir [l’]établissement économique au Canada » est un critère primordial de l’appartenance à la catégorie de l’immigration économique.

 

[12]           Le paragraphe 76(1) du Règlement énonce les critères applicables à la question de savoir si un membre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) peut réussir à établir son établissement économique au Canada. Il dispose :

76. (1) Les critères ci‑après indiquent que le travailleur qualifié peut réussir son établissement économique au Canada à titre de membre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) :

 

a) le travailleur qualifié accumule le nombre minimum de points visé au paragraphe (2), au titre des facteurs suivants :

 

(i) les études, aux termes de l’article 78,

(ii) la compétence dans les langues officielles du Canada, aux termes de l’article 79,

(iii) l’expérience, aux termes de l’article 80,

(iv) l’âge, aux termes de l’article 81,

 

(v) l’exercice d’un emploi réservé, aux termes de l’article 82,

(vi) la capacité d’adaptation, aux termes de l’article 83;

b) le travailleur qualifié :

(i) soit dispose de fonds transférables — non grevés de dettes ou d’autres obligations financières — d’un montant égal à la moitié du revenu vital minimum qui lui permettrait de subvenir à ses propres besoins et à ceux des membres de sa famille,

(ii) soit s’est vu attribuer le nombre de points prévu au paragraphe 82(2) pour un emploi réservé au Canada au sens du paragraphe 82(1). [Non souligné dans l’original.]

76. (1) For the purpose of determining whether a skilled worker, as a member of the federal skilled worker class, will be able to become economically established in Canada, they must be assessed on the basis of the following criteria:

(a) the skilled worker must be awarded not less than the minimum number of required points referred to in subsection (2) on the basis of the following factors, namely,

(i) education, in accordance with section 78,

(ii) proficiency in the official languages of Canada, in accordance with section 79,

(iii) experience, in accordance with section 80,

(iv) age, in accordance with section 81,

(v) arranged employment, in accordance with section 82, and

(vi) adaptability, in accordance with section 83; and

(b) the skilled worker must

(i) have in the form of transferable and available funds, unencumbered by debts or other obligations, an amount equal to half the minimum necessary income applicable in respect of the group of persons consisting of the skilled worker and their family members, or

(ii) be awarded the number of points referred to in subsection 82(2) for arranged employment in Canada within the meaning of subsection 82(1). [emphasis added]

 

 

[13]           Aux termes du paragraphe 76(2) du Règlement, le ministre appelant doit établir le nombre minimal de points que doit obtenir le travailleur qualifié en se fondant sur les trois facteurs énoncés. Nul ne conteste que M. Patel devait obtenir au moins 67 points.

 

[14]           En ce qui concerne le critère de la sélection au titre de la capacité d’adaptation, l’alinéa 83(1)b) et le paragraphe 83(3) du Règlement sont particulièrement pertinents pour le présent appel. Ils sont rédigés comme suit :

83. (1) Un maximum de 10 points d’appréciation sont attribués au travailleur qualifié au titre de la capacité d’adaptation pour toute combinaison des éléments ci‑après, selon le nombre indiqué :

 

[…]

 

bpour des études antérieures faites par le travailleur qualifié ou son époux ou conjoint de fait au Canada, 5 points;

 

[…]

 

83. (3) Pour l’application de l’alinéa (1)b), le travailleur qualifié obtient 5 points si, à la date de son dix‑septième anniversaire ou par la suite, lui ou, dans le cas où il l’accompagne, son époux ou conjoint de fait a complété avec succès un programme au titre d’un permis d’études — que ce programme ait été couronné ou non par un diplôme — qui a nécessité au moins deux ans d’études à temps plein dans un établissement d’enseignement postsecondaire au Canada. [Non souligné dans l’original.]

83. (1) A maximum of 10 points for adaptability shall be awarded to a skilled worker on the basis of any combination of the following elements:

 

 

[…]

 

(bfor any previous period of study in Canada by the skilled worker or the skilled worker’s spouse or common‑law partner, 5 points;

 

[…]

 

83. (3) For the purposes of paragraph (1)(b), a skilled worker shall be awarded 5 points if the skilled worker or their accompanying spouse or accompanying common‑law partner, by the age of 17 or older, completed a program of full‑time study of at least two years’ duration at a post‑secondary institution in Canada under a study permit, whether or not they obtained an educational credential for completing that program. [emphasis added]

 

 

3.         La décision de l’agent des visas

[15]           Comme nous l’avons vu, l’agent des visas n’a accordé aucun point au titre de la capacité d’adaptation pour la période des études postsecondaires de M. Patel au Canada. L’agent des visas a expliqué ainsi cette décision :

[traduction] […] Aucun point au titre de la capacité d’adaptation n’a été attribué pour vos études antérieures au Canada puisque vous n’avez pas fréquenté un établissement d’enseignement postsecondaire au Canada dans le cadre d’un programme d’études à temps plein d’une durée d’au moins deux ans; vous avez terminé avec succès un programme d’un an au Canada Career College et vous avez présenté des éléments de preuve montrant que vous aviez fréquenté le collège Xincon pendant un semestre.

 

 

[16]           L’agent des visas a fourni des explications plus étoffées au soutien de sa décision dans les notes qu’il a consignées dans le Système de traitement informatisé des dossiers d’immigration :

[traduction]

‑  Le demandeur principal a étudié au Canada dans :

1)  un programme d’études d’un (1) an en vue de l’obtention d’un diplôme en gestion du commerce international au Canadian Career College (du 7 février 2005 au 23 juin 2006); des relevés de notes (qui ont été vérifiés par l’école qui les a émis) et une copie du diplôme sont au dossier;

2)  un programme de technologie des systèmes informatiques au Xincon College à Scarborough; le relevé de notes au dossier révèle que le demandeur principal y a étudié au semestre de l’été 2007; je note que ces relevés de notes ne sont pas datés, mais qu’ils ont été authentifiés le 9 janvier 2008 (par un notaire de l’Ontario); aucune autre preuve d’études ou d’obtention d’un diplôme à cette école n’a été présentée.

Pour que cinq points soient attribués, le demandeur principal doit fournir des éléments de preuve démontrant qu’il a fréquenté un établissement (et non plusieurs) d’enseignement postsecondaire canadien dans le cadre d’un programme d’études à temps plein d’une durée d’au moins deux ans; or, le demandeur principal a terminé avec succès un programme d’un an dans un établissement et semble avoir fréquenté un établissement différent pendant un semestre; en outre, je note que le demandeur principal a suivi deux programmes distincts sans rapport entre eux et qu’il n’est pas passé d’un établissement à un autre pour y suivre un programme semblable en faisant reconnaître dans le second les crédits obtenus dans le premier; le demandeur principal a présenté des relevés de notes authentifiés en janvier 2009 et j’estime que cette authentification des relevés de notes permet d’inférer pendant combien de temps il a étudié au collège Xincon parce qu’il me semblerait déraisonnable de faire authentifier, puis de présenter, des relevés de notes qui ne rendraient pas compte de l’intégralité du parcours universitaire dans un établissement donné.

 

Les éléments de preuve dont je dispose ne me convainquent pas que je devrais attribuer cinq points au titre des études antérieures au Canada. [Non souligné dans l’original.]

 

 

4.         La décision de la Cour fédérale

[17]           Le juge a indiqué que les questions à trancher étaient celles de savoir quelle était la norme de contrôle applicable et si l’agent des visas avait commis une erreur dans son interprétation de l’article 83 du Règlement.

 

[18]           Le juge a rejeté l’argument du ministre selon lequel la norme de contrôle applicable à la décision de l’agent des visas était celle de la décision raisonnable. Il a estimé que la décision de l’agent des visas reposait principalement sur son interprétation de l’article 83 du Règlement. De l’avis du juge, cela constituait une question de droit susceptible de révision selon la norme de la décision correcte. Selon le juge, la question de savoir si M. Patel avait terminé deux années d’études comme l’exige l’article 83 constituait une question mixte de fait et de droit susceptible de révision selon la norme de la décision raisonnable.

 

[19]           En ce qui touche à l’interprétation de l’article 83 du Règlement par l’agent des visas, le juge a conclu que celui‑ci avait estimé que l’article 83 exigeait la fréquentation à temps plein pendant deux années d’un seul et même établissement d’enseignement accrédité dans le cadre d’un seul et même programme d’études. Le juge était convaincu que cette interprétation était erronée en droit.

 

[20]           Les motifs du juge à l’appui de cette conclusion étaient les suivants :

19.       Le ministre soutient que l’article 83 emploie partout le singulier (un programme; ce programme; un établissement d’enseignement postsecondaire) et que, suivant son sens ordinaire, il vise donc un seul et même programme d’études de deux ans suivi dans un seul et même établissement.

 

20.       L’avocate de M. Patel invoque le paragraphe 33(2) de la Loi d’interprétation du Canada, L.R.C. 1985, ch. I‑21, qui dispose que « [l]e pluriel ou le singulier s’appliquent, le cas échéant, à l’unité et à la pluralité ». Les termes au singulier à l’article 83 doivent donc s’interpréter comme comprenant le pluriel : « des programmes », « des établissements », « des permis d’études » et « ces programmes »; voir Canada c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, 103 DLR (4th) 1, au paragraphe 90. Cet argument me paraît fort bien fondé et il s’accorde aussi avec une interprétation téléologique de l’article 83.

 

21.       Conformément au libellé de la disposition en cause, les deux parties conviennent que l’attribution de points au titre de la capacité d’adaptation ne dépend pas de l’obtention d’un diplôme. Cette interprétation s’accorde avec l’article 78 du RIPR, en vertu duquel des points sont attribués au titre des diplômes. La capacité d’adaptation d’un individu ne dépend probablement pas de ses accomplissements académiques, mais plutôt du fait qu’il a été inscrit à temps plein à un programme d’études dans un ou plusieurs établissements accrédités pendant au moins deux ans. Je ne vois aucune raison de principe d’adopter l’interprétation étroite que préconise le ministre. Suivre une succession de programmes d’études dans un ou plusieurs établissements accrédités ne ferait pas échec ni ne dérogerait à l’objet de la loi consistant à reconnaître la capacité d’adaptation de l’individu, pourvu qu’il soit satisfait aux autres conditions préalables prévues par la loi. Refuser pour un tel motif de reconnaître la moindre valeur à la démarche de M. Patel, à savoir l’acquisition de compétences dans les domaines des affaires et de l’informatique, me paraît inique et non conforme à l’objet de la loi consistant à reconnaître la capacité d’adaptation d’un individu au Canada. [Non souligné dans l’original.]

 

 

5.         Les questions en litige

[21]           À mon avis, les questions à trancher dans le présent appel sont :

i.                     Quelle est la norme de contrôle applicable ?

ii.                   Le juge a‑t‑il commis une erreur en annulant la décision de l’agent des visas?

 

6.         Examen des questions en litige

            i.          Quelle est la norme de contrôle applicable?

[22]           Je suis d’accord avec l’observation de l’appelant selon laquelle, en appel d’une décision de la Cour fédérale rendue à l’égard d’une demande de contrôle judiciaire, la norme de contrôle en appel consiste à s’assurer que le juge de la Cour fédérale a choisi la bonne norme de contrôle judiciaire et qu’il l’a appliquée correctement : voir Telfer c. Canada (Agence du Revenu), 2009 CAF 23, [2009] 4 C.T.C. 123, au paragraphe 18.

 

[23]           En ce qui a trait à la norme de contrôle judiciaire retenue par le juge, le juge écrit ceci au paragraphe 10 de ses motifs :

10.       Je ne suis pas d’accord avec la prétention du ministre selon laquelle la norme de contrôle applicable à la principale question soulevée en l’espèce est la raisonnabilité. La décision de l’agent des visas repose principalement sur une interprétation de l’article 83 du RIPR. Cela soulève une question de droit, laquelle doit être examinée en fonction de la norme de la décision correcte : voir Sapru c. Canada, 2010 CF 240, 2010 CarswellNat 455 (WL), aux paragraphes 15 et 16, Charalampis c. Canada, 2009 CF 1002, 353 FTR 24, au paragraphe 34, et Angeles c. Canada, 2009 CF 744, 2009 CarswellNat 2506 (WL), au paragraphe 16. J’admets que la question de savoir si M. Patel a terminé deux années d’études comme l’exige l’article 83 soulève une question mixte de fait et de droit qui commande l’application de la norme de la raisonnabilité.

 

 

[24]           S’appuyant sur Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, aux paragraphes 54 et 59, Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339, au paragraphe 44, et Celgene Corp. c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 1, 410 N.R. 127, au paragraphe 34, le ministre soutient que l’interprétation du Règlement par l’agent des visas aurait dû être contrôlée selon la norme de la décision raisonnable. Le ministre établit une distinction avec la décision de notre Cour Shahid c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CAF 40, [2011] A.C.F. no 160, faisant valoir que cette affaire a été entendue avant que la Cour suprême du Canada ne rende sa décision dans Celgene. Dans Shahid, notre Cour a conclu que l’interprétation des mots « l’équivalent temps plein » utilisés dans le Règlement constituait une pure question d’interprétation législative qui devait être tranchée selon la norme de la décision correcte.

 

[25]           L’intimé répond que la norme de contrôle est celle de la décision correcte et que le juge a estimé à bon droit que l’interprétation du Règlement par l’agent était erronée.

 

[26]           Comme l’explique la Cour suprême du Canada dans Dunsmuir, au paragraphe 62, la première étape pour déterminer la norme de contrôle qui s’applique est de vérifier si la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie particulière de questions.

 

[27]           À mon avis, la jurisprudence a déjà établi que l’interprétation de la Loi ou du Règlement par l’agent des visas était susceptible de révision selon la norme de la décision correcte. Voir par exemple :

(i)         Hilewitz c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration); De Jong c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] 2 R.C.S. 706, au paragraphe 71, arrêt dans lequel la Cour suprême a appliqué la norme de la décision correcte à l’interprétation du sous‑alinéa 19(1)a)ii) de la Loi sur l’immigration, L.R.C. 1985, ch. I‑2, par un agent des visas. Cette disposition prévoyait la non‑admissibilité des personnes lorsque « leur admission entraînerait ou risquerait d’entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé »

 

(ii)        dela Fuente c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 186, [2007] 1 R.C.F. 387, arrêt dans lequel la Cour a appliqué la norme de la décision correcte aux interprétations de l’alinéa 117(9)d) du Règlement par un agent des visas, puis par la Section d’appel de l’immigration. Selon l’alinéa 117(9)d), n’est pas considéré comme appartenant à la catégorie du regroupement familial du fait de sa relation avec le répondant « sous réserve du paragraphe (10), dans le cas où le répondant est devenu résident permanent à la suite d’une demande à cet effet, l’étranger qui, à l’époque où cette demande a été faite, était un membre de la famille du répondant n’accompagnant pas ce dernier et n’a pas fait l’objet d’un contrôle »;

 

(iii)       Shahid, précité, au paragraphe 25, arrêt dans lequel notre Cour a appliqué la norme de la décision correcte à l’interprétation des mots « l’équivalent temps plein » au paragraphe 78(2) du Règlement par un agent des visas. La question d’interprétation dans Shahid concernait la scolarité du demandeur et donc, au regard d’une analyse visant à établir la norme de contrôle, comportait des éléments à considérer semblables à ceux que présente la question d’interprétation dans la présente affaire.

 

[28]           En conséquence, le juge n’a pas commis d’erreur en révisant l’interprétation du paragraphe 83(3) du Règlement par l’agent des visas selon la norme de la décision correcte.

 

            ii.          Le juge a‑t‑il commis une erreur en annulant la décision de l’agent des visas?

[29]           Les motifs de l’agent des visas sont cités ci‑dessus. L’agent estimait que le paragraphe 83(3) du Règlement énonçait l’exigence que l’étranger fréquente un établissement d’enseignement postsecondaire canadien, dans le cadre d’un seul et même programme d’études d’une durée d’au moins deux années. L’agent a reconnu la possibilité d’un transfert à un autre établissement dans un programme similaire. Cependant, il s’est inquiété du fait que M. Patel avait complété un programme d’études d’une durée d’un an dans une école et qu’il avait ensuite étudié pendant un semestre dans une autre école. L’agent s’est en outre montré préoccupé par le fait que les deux programmes auxquels M. Patel s’était inscrit étaient disparates et distincts.

 

[30]           Lorsqu’elle applique la norme de la décision correcte, la cour de révision ne fait preuve d’aucune retenue à l’égard du raisonnement du décideur. Dans le contexte de la décision d’un agent des visas, après avoir procédé à sa propre analyse de la question, la Cour, soit est d’accord avec la conclusion de l’agent des visas, soit ne l’est pas. En cas de désaccord, la Cour substitue sa propre conclusion et rend la décision qui s’impose (Dunsmuir, au paragraphe 50).

 

[31]           En l’espèce, la Cour doit déterminer le sens et l’effet des mots, au paragraphe 83(3) du Règlement, « a complété avec succès un programme […] qui a nécessité au moins deux ans d’études à temps plein dans un établissement d’enseignement postsecondaire au Canada » ou « completed a program of full‑time study of at least two years’ duration at a post‑secondary institution in Canada », dans la version anglaise du Règlement.

 

[32]           Il est de jurisprudence constante que l’interprétation législative requiert de considérer le sens ordinaire des mots utilisés ainsi que le contexte et l’objet de la loi. C’est ce que la Cour suprême explique dans Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, [2005] 2 R.C.S. 601, au paragraphe 10, et réitère dans Celgene, précité, au paragraphe 21. Dans cette affaire, la Cour suprême cite Trustco Canada et le commente comme suit :

21.       […] :

Il est depuis longtemps établi en matière d’interprétation des lois qu’« il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur » : voir 65302 British Columbia Ltd. c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 804, par. 50. L’interprétation d’une disposition législative doit être fondée sur une analyse textuelle, contextuelle et téléologique destinée à dégager un sens qui s’harmonise avec la Loi dans son ensemble. Lorsque le libellé d’une disposition est précis et non équivoque, le sens ordinaire des mots joue un rôle primordial dans le processus d’interprétation. Par contre, lorsque les mots utilisés peuvent avoir plus d’un sens raisonnable, leur sens ordinaire joue un rôle moins important. L’incidence relative du sens ordinaire, du contexte et de l’objet sur le processus d’interprétation peut varier, mais les tribunaux doivent, dans tous les cas, chercher à interpréter les dispositions d’une loi comme formant un tout harmonieux. [Paragraphe 10.]

S’il est clair, le libellé prévaut; sinon, il cède le pas à l’interprétation qui convient le mieux à l’objet prédominant de la loi. [Non souligné dans l’original.]

 

 

[33]           Interpréter le paragraphe 83(3) du Règlement comme exigeant de l’étranger qu’il étudie dans un établissement d’enseignement postsecondaire canadien dans le cadre d’un seul et même programme pendant au moins deux années s’accorde avec le sens manifeste des versions anglaise et française du texte. Les deux versions prévoient l’obligation d’avoir « complété avec succès un programme […] qui a nécessité au moins deux ans d’études » ou, en anglais, « completed a program of full‑time study of at least two years’ duration » [non souligné dans l’original]. De plus, la version française énonce expressément que le programme doit avoir été complété avec succès. À mon avis, cela fait ressortir le fait que l’intention du législateur est qu’un seul et même programme soit complété, et non que l’intéressé ait étudié dans des programmes disparates pendant un total de deux ans.

 

[34]           À mon avis, une telle interprétation s’accorde également avec le contexte et l’objet de la législation en la matière. Le paragraphe 83(3) fait partie d’un régime législatif conçu pour trancher la question de savoir si un travailleur qualifié peut réussir son établissement économique au Canada. Des programmes disparates, c’est‑à‑dire des programmes foncièrement différents ou distincts, sont comparativement moins susceptibles d’enseigner des habiletés favorables à un établissement économique qu’un seul et même programme d’une durée de deux ans. Par conséquent, je ne suis pas d’accord avec la déclaration du juge selon laquelle il n’existe pas de justification de la politique qui étaye l’interprétation du paragraphe 83(3) du Règlement faite par l’agent des visas.

 

[35]           Me fondant sur le texte du paragraphe 83(3) ainsi que sur son contexte et son objet législatifs, j’estime en toute déférence que le juge a commis une erreur de droit en concluant que l’agent des visas avait mal interprété le paragraphe 83(3) du Règlement.

 

[36]           Ayant conclu que l’agent des visas avait bien interprété le paragraphe 83(3) du Règlement, il reste à examiner la question de savoir si l’application par l’agent de la disposition aux faits portés à sa connaissance était raisonnable.

 

[37]           La cour qui effectue une révision selon la norme de décision raisonnable doit se demander si la décision est justifiée et si le processus décisionnel est transparent et intelligible. Elle doit en outre examiner la question de savoir si la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, au paragraphe 47).

 

[38]           Quoique brefs, les motifs de l’agent des visas présentent une justification transparente et intelligible de sa décision. De plus, rien n’indique que l’appréciation par l’agent des visas des faits portés à sa connaissance était erronée. M. Patel n’a pas complété un seul et même programme d’études à temps plein d’une durée d’au moins deux ans.

 

[39]           Compte tenu du fait que l’agent des visas a correctement interprété le Règlement et qu’il a appliqué le paragraphe 83(3) aux faits dont il était saisi, sa décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

7.         Conclusion

[40]           Pour ces motifs, j’accueillerais l’appel, j’annulerais le jugement de la Cour fédérale et je rejetterais la demande de contrôle judiciaire de M. Patel.

 

[41]           Je répondrais comme suit à la question certifiée :

 

Q.        Lorsqu’il évalue la capacité d’adaptation de l’intéressé visée par l’art. 83 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, l’agent des visas doit‑il cumuler les programmes d’études lorsque chacun d’eux ne constitue pas deux ans d’études à temps plein d’une durée de deux ans au moins dans un établissement d’enseignement postsecondaire au Canada et attribuer des points si la durée totale des études est égale à, ou dépasse, deux années d’études à temps plein dans un ou plusieurs établissements d’enseignement postsecondaire?

 

A.        Lorsqu’il évalue la capacité d’adaptation de l’intéressé visée par l’article 83 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, l’agent des visas ne doit pas cumuler des programmes d’études disparates et attribuer des points si la durée totale des études est égale à, ou dépasse, deux années d’études à temps plein dans un ou plusieurs établissements d’enseignement postsecondaire.

 

 

« Eleanor R. Dawson »

j.c.a.

 

 

« Je suis d’accord.

            J. Edgar Sexton, j.c.a. »

 

« Je suis d’accord.

            David Stratas, j.c.a. »

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    A‑449‑10

 

 

INTILULÉ :                                                   LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION c.
JIGARKUMAR PATEL

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 11 mai 2011

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LA JUGE DAWSON

 

Y ONT SOUSCRIT :                                     LE JUGE SEXTON

                                                                        LE JUGE STRATAS

 

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 2 juin 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Asha Gafar

Alex Kam

 

POUR L’APPELANT

 

Cathryn D. Sawicki

 

POUR L’INTIMÉ

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR L’APPELANT

 

Green et Spiegel LLP

 

POUR L’INTIMÉ

 

 

 

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