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Date : 20110607

Dossier : A‑75‑10

Référence : 2011 CAF 192

 

CORAM :      LE JUGE NADON

                        LA JUGE LAYDEN‑STEVENSON

                        LE JUGE MAINVILLE

 

ENTRE :

NEWS TO YOU CANADA

appelante

et

MINISTRE DU REVENU NATIONAL

intimé

 

 

 

Audience tenue à Vancouver (Colombie‑Britannique), le 4 mai 2011

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 7 juin 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                           LE JUGE MAINVILLE

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                            LE JUGE NADON

                                                                                                    LA JUGE LAYDEN‑STEVENSON

 


Date : 20110607

Dossier : A‑75‑10

Référence : 2011 CAF 192

 

CORAM :      LE JUGE NADON

                        LA JUGE LAYDEN‑STEVENSON

                        LE JUGE MAINVILLE

 

ENTRE :

NEWS TO YOU CANADA

appelante

et

MINISTRE DU REVENU NATIONAL

intimé

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

LE JUGE MAINVILLE

 

[1]               La Cour est saisie d’un appel interjeté en vertu de l’alinéa 172(3)a.1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.) (la LIR), à l’égard du refus du ministre du Revenu national d’enregistrer l’appelante comme œuvre de bienfaisance en vertu du paragraphe 248(1) de la LIR.

 

Contexte

[2]               Le 19 septembre 2006, l’appelante a été constituée en personne morale sans capital‑actions en vertu de la partie II de la Loi sur les corporations canadiennes, L.R.C. 1970, ch. C‑32. Les objets de l’appelante, énoncés dans ses lettres patentes, sont les suivants :

[traduction]

a) financer, organiser et mener des activités en vue de préparer et de produire des émissions traitant en profondeur de l’actualité et des affaires publiques, conçues pour offrir de l’information impartiale et objective concernant des questions importantes et des événements d’actualité qui touchent une grande partie du public, et assurer leur diffusion par la publication, la radiodiffusion, les câbles, les satellites, l’Internet et toute autre méthode de distribution qui est actuellement disponible ou qui sera mise au point dans l’avenir, afin de permettre au public d’être bien informé dans l’intérêt de la société;

 

b) recevoir des dons, des legs, des biens en fiducie, des fonds et d’autres biens, à titre de bénéficiaire, ou, à titre de fiduciaire ou de mandataire, détenir, investir, acquérir, gérer, administrer et distribuer des fonds et des biens dans la poursuite de ses objets, pour ou dans d’autres organisations constituant des « donataires reconnus » en vertu des dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu et pour d’autres fins et activités autorisées à l’égard des organismes de bienfaisance enregistrés en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu;

 

c) mener toutes les activités et exercer tous les pouvoirs nécessaires en vue de la réalisation et de la poursuite de ses objets.

 

 

[3]               Peu de temps après avoir été constituée en personne morale, l’appelante a présenté au ministre une demande d’enregistrement, sous le régime de la LIR, à titre d’organisme de bienfaisance dans laquelle elle faisait valoir que les fins de bienfaisance qu’elle poursuivait se rattachaient à deux catégories, à savoir : a) la promotion de l’éducation; b) les autres fins utiles à la société dans son ensemble d’une manière que le droit considère comme ayant un caractère de bienfaisance.

 

[4]               À la suite de divers échanges, le ministre a rejeté la demande. Il a conclu que les fins poursuivies par l’appelante ne comportaient pas un élément essentiel de la définition de la promotion de l’éducation : un enseignement structuré et ciblé. Le ministre était également d’avis que, même si les tribunaux peuvent élargir la notion, par extension ou analogie raisonnable, aux fins judiciairement reconnues comme des fins de bienfaisance, aucun précédent n’étaye la position selon laquelle la programmation, la radiodiffusion ou les publications concernant l’actualité et les affaires publiques peuvent être assimilées à des fins de bienfaisance.

 

[5]               L’appelante a produit un avis d’opposition, mais la décision relative à cette opposition a confirmé le refus du ministre, d’où le présent appel.

 

La position des parties

[6]               L’appelante allègue principalement qu’elle poursuit des fins de bienfaisance utiles à la société, lesquelles relèvent de la quatrième catégorie de la classification énoncée pour la première fois dans Commissioners for Special Purposes of the Income Tax c. Pemsel, [1891] A.C. 531 (Ch. des lords du R.‑U.) (Pemsel), et elle s’appuie dans une large mesure sur les décisions de notre Cour Native Communications Society of B.C. c. Canada (M.R.N.), [1986] 3 C.F. 471 (Native Communications) et Vancouver Regional FreeNet Association c. M.R.N., [1996] 3 C.F. 880 (Vancouver FreeNet) pour affirmer que des initiatives comme la sienne ont un caractère de bienfaisance.

 

[7]               Comme second moyen, l’appelante allègue que les fins qu’elle poursuit entrent dans la deuxième catégorie de la classification établie dans Pemsel puisqu’il s’agit de promotion de l’éducation au sens des règles de la common law en matière d’organismes de bienfaisance. L’appelante soutient que la production d’émissions traitant en profondeur de l’actualité et des affaires publiques améliore la somme des connaissances pouvant être diffusées dans divers domaines qui relèvent de l’éducation. Informer objectivement le public sur des questions importantes et des événements d’actualité est considéré comme une fin liée à l’éducation. L’appelante s’appuie encore une fois sur Native Communications pour étayer son argument concernant la deuxième catégorie.

 

[8]               L’intimé, par contre, souligne que les journaux et les autres publications portant sur l’actualité existent depuis l’invention de la presse à imprimer. Il ajoute qu’il n’existe aucun précédent faisant autorité à l’appui de la proposition voulant que le simple fait de fournir de l’information sur l’actualité présente un caractère de bienfaisance, aucune preuve qu’un tel service est visé par la notion de bienfaisance telle que l’entend la société contemporaine ni aucun motif convaincant à l’appui d’une telle conclusion. De l’avis de l’intimé, accepter les allégations de l’appelante reviendrait à élargir considérablement la portée de la quatrième catégorie des activités de bienfaisance. L’intimé ajoute également que Native Communications n’est pas utile à l’appelante et doit être interprété dans le contexte de la situation particulière des autochtones au sein de la société canadienne. Vancouver FreeNet n’est également d’aucune utilité puisque cet arrêt intéresse une infrastructure de télécommunications, l’Internet, et non des émissions et des publications sur l’actualité et les affaires publiques.

 

[9]               L’intimé soutient de plus que, pour que l’activité soit visée par la catégorie de la promotion de l’éducation, l’information ou la formation doit être offerte d’une manière structurée et dans une fin véritablement éducative. Le simple fait de fournir au public des émissions sur l’actualité et les affaires publiques, dans lesquelles les sujets sont - ou ne sont pas - traités en profondeur, ne constitue pas de l’éducation ni de la recherche éducative au sens du droit relatif aux organismes de bienfaisance.

 

Analyse

            Introduction

[10]           La LIR décrit à l’article 149 les personnes qui sont exonérées de l’impôt sur le revenu, notamment les organisations à but non lucratif et les organismes de bienfaisance enregistrés. La LIR établit une nette distinction entre, d’une part, les organisations à but non lucratif, qui sont administrées uniquement pour s’assurer du bien‑être social et des améliorations locales, s’occuper des loisirs ou fournir des divertissements, ou exercer toute autre activité non lucrative, et, d’autre part, les organismes de bienfaisance. Par conséquent, les initiatives à but non lucratif n’ont pas toutes droit à l’enregistrement à titre d’organisme de bienfaisance. Cette distinction est importante puisqu’elle tend à indiquer que les fins pour lesquelles un organisme de bienfaisance peut être reconnu aux fins d’enregistrement sont limitées. Tel qu’il a été souligné dans Vancouver Society of Immigrant and Visible Minority Women c. Ministre du Revenu national, [1999] 1 R.C.S. 10 (Vancouver Society), au paragraphe 151, il est impératif de ne pas atténuer la distinction que fait la LIR entre l’organisation à but non lucratif et l’œuvre de bienfaisance.

 

[11]           La situation fiscale d’un organisme de bienfaisance enregistré est plus avantageuse que celle d’une organisation à but non lucratif. Outre l’exonération d’impôt dont les organismes de bienfaisance bénéficient, ceux qui leur font des dons peuvent réaliser des économies d’impôt selon la contribution faite. Les deniers de l’État peuvent donc être utilisés pour faciliter le financement des activités d’un organisme de bienfaisance enregistré dans la mesure où l’organisme de bienfaisance obtient des dons des contribuables canadiens. Par conséquent, la raison qui sous‑tend en définitive l’octroi d’avantages fiscaux aux œuvres de bienfaisance est d’encourager des activités qui présentent un « intérêt spécial pour la communauté » (Vancouver Society, au paragraphe 170). C’est cet intérêt spécial qui distingue les organisations qui sont des organismes de bienfaisance de celles qui sont simplement à but non lucratif.

 

[12]           La LIR prescrit au paragraphe 149.1(1) que, pour avoir droit à l’enregistrement à titre d’organisme de bienfaisance, l’œuvre de bienfaisance doit consacrer la totalité de ses ressources à des « activités de bienfaisance qu’elle mène elle‑même ». Toutefois, la LIR ne définit pas en quoi consistent les « activités de bienfaisance », la LIR s’en remettant à la common law à cet égard.

 

[13]           Bien que la LIR fasse état des « activités de bienfaisance », dans Vancouver Society, aux paragraphes 142 à 153, le juge Iacobucci, s’exprimant au nom de la majorité, a souligné que la définition d’« organisme de bienfaisance » élaborée par la common law dans le contexte du droit des fiducies met l’accent sur les « fins de bienfaisance » plutôt que sur les « activités de bienfaisance » et conclu que c’est la fin pour laquelle une activité est exercée, et non le caractère de l’activité elle‑même, qui détermine s’il s’agit d’une activité de bienfaisance ou non; voir également A.Y.S.A. Amateur Youth Soccer Association c. Canada (Agence du revenu), 2007 CSC 42, [2007] 3 R.C.S. 217 (A.Y.S.A.), au paragraphe 24. Les exigences relatives à l’enregistrement d’un organisme de bienfaisance sous le régime de la LIR ont ensuite été résumées comme suit dans Vancouver Society, au paragraphe 159 :

[159]    En conclusion, suivant la jurisprudence canadienne, il y a deux conditions d’enregistrement pour l’application du par. 248(1) :

 

(1)    les fins poursuivies par l’organisme doivent être des fins de bienfaisance, et elles doivent définir le champ des activités menées par l’organisme;

 

(2)    la totalité des ressources de l’organisme doit être consacrée à ces  activités, à moins que celui‑ci soit visé par les exemptions expressément prévues au par. 149.1(6.1) ou (6.2).

 

En l’absence de réforme législative donnant des indications à cet égard, le meilleur moyen de déterminer si les fins poursuivies par un organisme possèdent le caractère de bienfaisance requis consiste encore à procéder par voie d’analogie avec les fins qui ont déjà été reconnues comme telles par la common law et commodément classifiées dans Pemsel, sous réserve toujours du respect de la condition générale que les fins en question servent l’intérêt de la communauté, et tout en tenant compte du contexte social, moral et économique de la société au moment concerné. La tâche qui nous incombe est donc de décider si l’association, telle qu’elle est constituée actuellement, satisfait à ces critères.

 

 

[14]           La Charitable Uses Act, 1601 (Angl.), 43 Eliz. 1, ch. 4, énumère diverses activités, qui ont été regroupées dans Pemsel en quatre catégories, dans lesquelles les fins de bienfaisance reconnues doivent entrer : (1) le soulagement de la pauvreté; (2) la promotion de l’éducation; (3) la promotion de la religion; (4) certaines autres fins utiles à la société qui n’entrent pas dans les catégories précédentes. Cette classification a été adoptée au Canada : Vancouver Society, au paragraphe 147; A.Y.S.A., au paragraphe 26.

 

[15]           Dans la présente affaire, l’appelante soutient qu’elle pourrait être enregistrée comme organisme de bienfaisance visé par la deuxième catégorie de la classification de Pemsel, soit la promotion de l’éducation, ou, subsidiairement, la quatrième catégorie, soit certaines autres fins utiles à la société. Toutefois, pour les motifs exposés ci‑dessous, je ne peux retenir ces prétentions.

 

La promotion de l’éducation

[16]           Vancouver Society est l’arrêt canadien faisant autorité relativement à la seconde catégorie d’organismes de bienfaisance de la classification établie dans Pemsel. Avant cette décision, la « promotion de l’éducation » avait un sens assez restrictif qui se limitait à la formation classique ou à l’amélioration d’une branche utile du savoir humain. Cette façon de voir a été modifiée et élargie dans Vancouver Society pour inclure l’information ou la formation donnée d’une manière structurée et dans une fin véritablement éducative :

[169]    Le fait de limiter la notion de « formation de l’esprit » à l’enseignement structuré et systématique, ou aux matières théoriques traditionnelles, reflète une conception démodée et trop limitative de l’éducation, qui est peu utile dans la société canadienne moderne. Comme je l’ai dit plus tôt, la fin poursuivie en accordant certains avantages aux œuvres de bienfaisance est d’encourager la tenue d’activités qui sont considérées comme ayant un intérêt spécial pour la communauté ou servant un intérêt commun. Dans le cas de l’éducation, l’intérêt commun est la connaissance ou la formation. En conséquence, dans la mesure où l’information ou la formation est donnée d’une manière structurée et dans une fin véritablement éducative – c’est‑à‑dire l’amélioration des connaissances ou des aptitudes des bénéficiaires – et non seulement dans le but de promouvoir un point de vue particulier ou une orientation politique donnée, l’information ou la formation peut à bon droit être considérée comme relevant de la promotion de l’éducation.

 

[171]    Ceci ne veut pas dire, toutefois, qu’il faut élargir la notion d’éducation au point de la rendre méconnaissable. Même si elle préconise une interprétation plus extensive de cette notion, la Commission de réforme du droit de l’Ontario a toutefois fait une mise en garde contre le fait de qualifier d’éducatives des activités qui, encore qu’elles servent des intérêts légitimes, ne comportent ni enseignement véritable ni acquisition de connaissances. La raison en est que, dans certains cas, des activités qui cadrent mal avec la notion d’éducation – par exemple, une fiducie établie pour aider à la publication d’auteurs inconnus – semblent néanmoins s’être vu reconnaître le statut d’activités de bienfaisance au titre de cette catégorie, principalement parce qu’elles n’entraient dans aucune autre. Je souscris à cette mise en garde. J’estime que le critère minimal qui doit être respecté pour qu’une activité puisse être qualifiée d’éducative est la présence d’efforts légitimes et ciblés d’éducation d’autrui, soit par un enseignement traditionnel ou non, soit par des activités de formation ou encore par des programmes d’autoformation ou d’autres types de mesures. Le simple fait de donner aux gens la possibilité de s’instruire, par exemple, en mettant à leur disposition de la documentation utile à cette fin mais non indispensable, ne suffit pas. Il ne suffit pas non plus d’« éduquer » les gens au sujet d’un point de vue particulier par des méthodes qu’il serait peut‑être plus juste de qualifier de persuasion ou d’endoctrinement. En revanche, l’enseignement scolaire traditionnel ne doit pas non plus être un préalable. Ce qu’il faut bien comprendre c’est que, dans des circonstances appropriées, un atelier ou séminaire – même de type non scolaire – sur une matière ou une aptitude pratique donnée peut être tout aussi informatif et éducatif qu’un cours suivi en salle de classe et portant sur une matière scolaire traditionnelle. Le droit devrait faire une place à toute forme légitime d’éducation.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[17]           Appliquant ces principes aux fins poursuivies par l’appelante, je ne puis conclure qu’elles correspondent à la notion élargie de la promotion de l’éducation définie dans Vancouver Society. Bien que je sois d’accord pour dire que la production et la diffusion d’émissions traitant en profondeur de l’actualité et des affaires publiques peuvent améliorer la somme des connaissances pouvant être diffusées concernant l’actualité, ces activités ne sont pas suffisamment structurées pour être qualifiées d’éducatives. L’auditoire de l’appelante se voit simplement offrir du contenu en nouvelles et en affaires publiques. Il peut s’agir pour cet auditoire d’une occasion d’améliorer sa connaissance de l’actualité, mais cette offre ne constitue, dans le meilleur des cas, rien de plus qu’une possibilité donnée aux gens de s’instruire en mettant à leur disposition de la documentation utile à cette fin mais non indispensable. Dans Vancouver Society, la Cour a estimé que cette possibilité ne satisfaisait pas au critère applicable à la reconnaissance de la fin de bienfaisance liée à la promotion de l’éducation.

 

[18]           Les allégations de l’appelante suivant lesquelles la production et la diffusion de nouvelles ont été reconnues dans Native Communications comme des fins de bienfaisance liée à la promotion de l’éducation sont également sans fondement. Je discuterai de cette décision plus en détail mais, pour l’instant, il suffit de souligner que le journal en cause dans cette affaire n’était pas utilisé simplement pour communiquer des nouvelles. En effet, il avait été créé pour promouvoir la langue et la culture des autochtones. Comme l’a indiqué le juge Stone, aux pages 481 et 482 :

Il appert que le journal n’est pas utilisé seulement comme simple transmetteur de nouvelles. Un examen de ses pages montre que les Indiens qui les lisent prennent connaissance d’activités culturelles qui se déroulent ailleurs dans la communauté indienne et des tentatives de promotion de la langue et de la culture grâce notamment à l’utilisation accrue des langues autochtones et à la remise en vogue d’anciens métiers, de la musique et des récits. Tout cela va peut‑être insuffler aux lecteurs de Kahtou une certaine fierté de leurs origines, valoriser davantage la culture et la langue indiennes et, de ce fait, promouvoir parmi les Indiens de la Colombie‑Britannique une certaine unité qui, sans cela, n’aurait peut‑être pas existé. Le dossier révèle que les programmes de radio et de télévision visent les mêmes buts généraux.

 

 

Autres fins utiles à la société

[19]           L’appelante soutient également que les fins qu’elle poursuit entrent dans la quatrième catégorie des fins de bienfaisance de la classification établie dans Pemsel, parce qu’il s’agit d’autres fins de bienfaisance utiles à la société. À l’audience, l’appelante a fait valoir, par l’entremise de son avocat, qu’elle ne cherchait pas à élargir la définition, élaborée par la common law, des fins de bienfaisance visées par la quatrième catégorie puisque la jurisprudence actuelle reconnaissait déjà les fins de bienfaisance liées à la production et la diffusion d’émissions sur l’actualité et les affaires publiques. Toutefois, que ce soit par l’application de la jurisprudence actuelle ou par l’examen de la question du point de vue d’un changement progressif apporté à la définition d’« organisme de bienfaisance », il m’est impossible de conclure que les fins poursuivies par l’appelante sont des fins de bienfaisance.

 

[20]           Pour déterminer si, pour l’enregistrement prévu par la LIR, on a affaire à une œuvre de bienfaisance appartenant à la quatrième catégorie mentionnée dans Pemsel, il faut prendre en compte la jurisprudence afin d’établir si les fins poursuivies servent l’intérêt du public d’une façon que le droit considère comme ayant un caractère de bienfaisance : A.Y.S.A., au paragraphe 31. Je vais donc passer en revue les décisions les plus pertinentes invoquées par les parties dans la présente affaire, par ordre chronologique : Native Communications; Assoc. communautaire de N. D. G. c. Ministre du Revenu national (1988), 85 N.R. 73, 88 D.T.C. 6279 (C.A.F.) (Assoc. communautaire de N.D.G.); Vancouver FreeNet; Vancouver Society; Aid/Watch Incorporated c. Commissioner of Taxation, [2010] HCA 42 (H.C. Aust.) (Aid/Watch).

 

[21]           Native Communications intéressait une organisation qui poursuivait principalement les fins suivantes : (i) organiser et élaborer des programmes généraux de communication sans but lucratif, notamment des émissions de radio et de télévision, ayant rapport aux autochtones de la Colombie‑Britannique; (ii) former des autochtones aux techniques de communication; (iii) publier un journal sans but lucratif sur des sujets ayant rapport aux autochtones de la Colombie‑Britannique; (iv) recueillir et transmettre de l’information sur des problèmes qui se posent aux autochtones de la Colombie‑Britannique. Prenant en compte la situation juridique particulière des peuples autochtones au sein de la société canadienne, les besoins particuliers qui leur sont reconnus, les rapports fiduciaires entre l’État et les peuples autochtones, le juge Stone a conclu que les fins poursuivies étaient utiles à la communauté autochtone de la Colombie‑Britannique et constituaient, suivant l’esprit et l’objet de la Charitable Uses Act, 1601, des fins de bienfaisance valables, insistant sur le fait qu’elles se rapportaient aux peuples autochtones : Native Communications, aux pages 481 à 484.

 

[22]           Cette décision doit bien entendu être interprétée dans le contexte de la situation particulière des peuples autochtones au Canada, comme l’a souvent réitéré la Cour suprême du Canada. Toutefois, selon Native Communications, l’existence d’une fin de bienfaisance peut aussi être plus facilement reconnue si les bénéficiaires des activités soutenant cette fin comprennent des personnes appartenant à des groupes ou communautés généralement considérés comme ayant besoin d’une aide caritative particulière.

 

[23]           Dans Assoc. communautaire de N.‑D.‑G., les fins en cause poursuivies par l’appelante étaient notamment les suivantes : (i) établir un centre pour l’enseignement en groupe dispensé aux membres intéressés de la collectivité et favoriser l’animation relativement à des questions sociales qui les concernent ainsi que la collectivité; (ii) par le truchement des médias de la collectivité et du porte‑à‑porte, rendre les ressources collectives plus accessibles aux personnes qui n’auraient autrement pas accès aux renseignements nécessaires sur les activités, les services et les questions relatives à la collectivité; (iii) élaborer, encourager et maintenir des programmes d’éducation des adultes, offerts gratuitement aux membres de la collectivité; (iv) fournir des services à toute personne démunie.

 

[24]           Dans cette affaire, le juge MacGuigan a refusé de reconnaître ces fins comme des fins de bienfaisance s’inscrivant dans la quatrième catégorie de la classification établie dans Pemsel parce que les activités de l’association étaient « universalistes, dans la région géographique délimitée par Notre‑Dame‑de‑Grâce »; l’organisation en question entretenait une ambivalence qui oscille « entre l’association de quartier générale à vocation universelle et l’association plus exclusivement consacrée à la cause des défavorisés en milieu urbain » (Assoc. communautaire de N.‑D.‑G., à la page 77). Même si la décision de refuser le statut d’organisme de bienfaisance se fondait essentiellement sur les activités politiques de l’organisation, elle mettait néanmoins encore une fois l’accent sur l’idée énoncée dans Native Communications voulant que l’existence d’une fin de bienfaisance puisse être plus facilement reconnue si les bénéficiaires des activités soutenant cette fin sont des personnes appartenant à des groupes ou communautés ayant besoin d’une aide caritative.

 

[25]           Dans Vancouver FreeNet, la question qui se posait était de savoir si le fait de donner accès gratuitement à l’« inforoute » constituait une activité de bienfaisance aux fins d’enregistrement sous le régime de la LIR. Les principales fins poursuivies par l’organisation dans cette affaire comprenaient : (i) mettre sur pied, faire fonctionner et posséder dans le Lower Mainland de la Colombie‑Britannique un centre public de traitement de l’information, à vocation communautaire et d’accès gratuit (« Libertel »), qui fournit la gamme la plus étendue qui soit de renseignements et le plus grand nombre possible d’occasions de partager expériences, idées et enseignements; (ii) encourager l’établissement d’une grande variété de ressources communautaires d’information électronique; (iii) favoriser la participation maximale des fournisseurs d’information en rendant leur information accessible au service Libertel; (iv) faire en sorte que le public ait le plus grand accès possible à l’information, notamment gouvernementale, par l’entremise de Libertel; (v) sensibiliser le public aux télécommunications et aux recherches documentaires informatiques et l’encourager à en faire usage.

 

[26]           Même si les fins en cause poursuivies par l’organisation dans Vancouver FreeNet ne se limitaient nettement pas à des activités ciblant des personnes appartenant à des groupes ou communautés ayant besoin d’une aide caritative, le juge Hugessen et le juge Pratte (le juge Décary étant dissident) ont néanmoins reconnu les fins en cause comme des fins de bienfaisance parce que l’« inforoute » constituait un service public essentiel semblable à la réparation des ponts, des ports, de la chaussée et des grandes routes historiquement considérée comme une fin de bienfaisance et mentionnée dans la Charitable Uses Act, 1601.

 

[27]           La réparation des ponts, des ports, de la chaussée et des grandes routes est utile à la société dans son ensemble et elle ne vise pas un groupe ou une communauté ayant besoin d’aide en particulier. Ces infrastructures publiques de ce genre ont néanmoins été considérées comme ayant un caractère de bienfaisance, tout comme d’autres ouvrages semblables d’infrastructure publique tels que les bibliothèques et les aqueducs. Comme lord MacNaughten l’a souligné dans Pemsel, [traduction] « [l]e citoyen ordinaire pourrait même considérer l’approvisionnement d’un quartier surpeuplé en eau pure, gratuitement, comme une œuvre de bienfaisance ». Dans un contexte moderne, l’« inforoute » était ainsi assimilée à ces ouvrages d’infrastructure publique. Toutefois, pour être reconnue comme une fin de bienfaisance dans ces circonstances, une infrastructure publique doit être prévue. Ainsi, dans Vancouver FreeNet, la majorité de la Cour, paraphrasant les propos de l’éminent philosophe Marshall McLuhan, s’est employée à établir soigneusement la distinction « entre le médium et le message » (Vancouver FreeNet, au paragraphe 18), faisant observer que l’organisation en question fournissait l’accès aux messages et non les messages eux‑mêmes.

 

[28]           Aid/Watch est une décision récente de la Haute Cour d’Australie sur laquelle l’appelante s’appuie pour étayer l’argument que le fait de susciter le débat public a été reconnu comme une fin de bienfaisance. L’organisation dont il était question dans cette décision faisait la promotion de l’efficacité de l’aide australienne et multinationale offerte dans des pays étrangers. Dans le cours de ses activités, l’organisation tentait de convaincre le gouvernement de la validité de son point de vue par des critiques et en demandant des changements dans les activités et les politiques gouvernementales. Ainsi, le statut d’organisme de bienfaisance a été refusé à l’organisation parce que son but immédiat et prédominant était d’exercer une influence sur le gouvernement. La majorité de la Haute Cour a annulé la décision refusant le statut d’organisme de bienfaisance, concluant plutôt que les fins poursuivies étaient de [traduction] « susciter, par des moyens licites, le débat public, au sens décrit précédemment dans les présents motifs, sur l’efficacité de l’aide étrangère visant à soulager la pauvreté, ce qui constitue en soi une fin utile à la société qui entre dans la quatrième catégorie de la classification de Pemsel » (Aid/Watch, au paragraphe 47). La majorité de la Haute Cour a ajouté qu’ il n’existe en Australie aucun principe général qui exclut les [traduction] « objets politiques » des fins de bienfaisance (Aid/Watch, au paragraphe 48).

 

[29]           La Haute Cour de l’Australie a reconnu que le droit était substantiellement différent au Canada (Aid/Watch, au paragraphe 26), car la LIR établit expressément des limites aux paragraphes 149.1(6.1) et (6.2) quant aux activités politiques d’un organisme de bienfaisance, lesquelles sont permises au Canada seulement si elles sont accessoires aux fins de bienfaisance poursuivies et ne comprennent pas les activités de soutien d’un parti politique ou d’un candidat ou d’opposition à l’un ou à l’autre. En outre, même si les principes énoncés par la majorité dans Aid/Watch étaient applicables au Canada, ils ne seraient guère utiles à l’appelante puisque, en vertu de ces principes, le débat public mené par un organisme de bienfaisance doit lui‑même être ciblé comme une fin de bienfaisance, à savoir, dans cette affaire, le soulagement de la pauvreté dans les pays en développement. Les fins poursuivies par l’appelante dans la présente affaire sont la production et la diffusion d’émissions, destinées au public, traitant en profondeur de l’actualité et des affaires publiques, sans mettre l’accent ou insister sur le débat public d’une question véritablement liée à la bienfaisance.

 

[30]           En conclusion, pour qu’elles constituent des fins de bienfaisance, les fins poursuivies par l’appelante doivent présenter un intérêt spécial pour la communauté, compte tenu du contexte social, moral et économique de la société au moment concerné. Les fins poursuivies par l’appelante ne répondent pas à ce critère. Même si je suis d’accord pour dire que la production et la diffusion d’émissions traitant en profondeur des nouvelles et des affaires publiques peuvent améliorer la sensibilisation aux actualités, je ne considère pas ces seules fins comme étant de la nature de l’intérêt « spécial » requis d’une œuvre de bienfaisance.

 

[31]           L’appelante définit son auditoire comme étant le grand public; les fins qu’elle poursuit ne visent donc pas un groupe ou une communauté ayant besoin d’une aide caritative. Les fins poursuivies par l’appelante sont également valables pour de nombreuses publications et initiatives de radiotélévision au Canada se rapportant à l’actualité et aux affaires publiques, y compris celles qui s’inscrivent dans un cadre commercial. L’allégation de l’appelante suivant laquelle ses émissions sur l’actualité et les affaires publiques seront [traduction] « conçues pour offrir de l’information impartiale et objective » pourrait même constituer l’énoncé de mission de la plupart des grands éditeurs et diffuseurs au Canada.

 

[32]           L’appelante n’a pas l’intention d’offrir une infrastructure publique présentant un intérêt pour la société dans son ensemble puisque les fins qu’elle poursuit sont principalement liées à la diffusion de l’information concernant des questions importantes et des événements d’actualité. En d’autres termes, les fins poursuivies par l’appelante mettent l’accent sur le message plutôt que sur le médium. Il n’existe aucune analogie possible entre les fins poursuivies par l’appelante et les types d’infrastructure publique qui ont été considérés comme ayant un caractère de bienfaisance en common law.

 

[33]           Autrement dit, les fins poursuivies par l’appelante ne peuvent guère être reconnues comme ayant un « caractère de bienfaisance ». Je suis donc d’avis de rejeter l’appel, avec dépens en faveur de l’intimé.

 

« Robert M. Mainville »

j.c.a.

 

 

« Je suis d’accord.

      M. Nadon j.c.a. »

 

« Je suis d’accord.

      Carolyn Layden‑Stevenson j.c.a »

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    A‑75‑10

 

INTITULÉ :                                                   NEWS TO YOU CANADA c.
MINISTRE DU REVENU NATIONAL

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 4 mai 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE MAINVILLE

 

Y ONT SOUSCRIT :                                     LE JUGE NADON

                                                                        LA JUGE LAYDENSTEVENSON

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 7 juin 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Blake Bromley

 

POUR L’APPELANTE

 

Jasmine Sidhu

 

POUR L’INTIMÉ

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Blake Bromley

Avocat

 

POUR L’APPELANTE

 

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR L’INTIMÉ

 

 

 

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