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Cour d'appel fédérale

Federal Court of Appeal

Date : 20110628

Dossier : A-75-06

Référence : 2011 CAF 215

 

CORAM :      LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LA JUGE DAWSON

                        LE JUGE STRATAS

 

ENTRE :

PFIZER CANADA INC. et PFIZER LIMITED

appelantes

et

LE MINISTRE DE LA SANTÉ et RATIOPHARM INC.

intimés

 

 

 

 

 

 

 

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 9 juin 2011

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 28 juin 2011

 

 

Motifs du jugement :                                                                    le juge LÉTOURNEAU

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                       la juge Dawson

                                                                                                                         le juge stratas

 


Cour d'appel fédérale

Federal Court of Appeal

Date : 20110628

Dossier : A-75-06

Référence : 2011 CAF 215

 

CORAM :      LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LA JUGE DAWSON

                        LE JUGE STRATAS

 

ENTRE :

PFIZER CANADA INC. et PFIZER LIMITED

appelantes

et

LE MINISTRE DE LA SANTÉ et RATIOPHARM INC.

intimés

 

 

Motifs du jugement

 

LE JUGE LÉTOURNEAU

 

Les questions en litige dans la présente instance

 

[1]               Ratiopharm Inc. a déposé une requête en vertu de l'article 399 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 (les Règles), visant l'annulation d'une ordonnance que la Cour a prononcée le 9 juin 2006 (l'ordonnance de 2006) dans la présente affaire (Pfizer Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2006 CAF 214), par laquelle la Cour a accueilli l'appel d'une décision de la Cour fédérale et a rendu une ordonnance interdisant au ministre de la Santé (le ministre) de délivrer un avis de conformité à Ratiopharm Inc. avant l'expiration du brevet 393 de Pfizer Limited.

 

[2]               Ratiopharm Inc. soutient que l'ordonnance de 2006 devrait être annulée en vertu des alinéas 399(2)a) et b) des Règles en raison de faits nouveaux découverts après que l'ordonnance a été rendue et de l'obtention de l'ordonnance par fraude. La disposition des Règles est rédigée comme suit :

 

399.

 

[…]

 

(2) La Cour peut, sur requête, annuler ou modifier une ordonnance dans l’un ou l’autre des cas suivants :

 

a) des faits nouveaux sont survenus ou ont été découverts après que l’ordonnance a été rendue;

 

b) l’ordonnance a été obtenue par fraude.

399.

 

 

(2) On motion, the Court may set aside or vary an order

 

 

(a) by reason of a matter that arose or was discovered subsequent to the making of the order; or

 

(b) where the order was obtained by fraud.

 

 

[3]               Exceptionnellement, la requête n'a pas été jugée sur dossier, car les parties et la Cour estimaient qu'une audience servirait mieux les intérêts de la justice compte tenu du fait que l'ordonnance contestée remontait à 2006 et que deux juges de la formation initiale sont maintenant à la retraite.

 

[4]               Outre l'annulation de l'ordonnance de 2006, Ratiopharm Inc. sollicite une ordonnance rejetant la demande d'interdiction dans le dossier de la Cour fédérale no T‑1350‑04.

 

Les faits donnant lieu à la requête en annulation

 

[5]               Dans le dossier no T‑1350‑04, Pfizer Canada Inc. et Pfizer Limited ont demandé, en vertu du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93‑133 (le Règlement AC), que soit prononcée une ordonnance interdisant au ministre de délivrer un avis de conformité à Ratiopharm. Dans une décision rendue le 17 février 2006, la Cour fédérale s'est prononcée en faveur de Ratiopharm et a rejeté la demande d'interdiction avec dépens. En appel devant notre Cour, la décision de la Cour fédérale a été annulée. Une ordonnance d’interdiction a été prononcée. C'est cette ordonnance de 2006 qui est maintenant attaquée par Ratiopharm.

 

[6]               À la suite de l'ordonnance de 2006, Ratiopharm a institué une action en invalidation en vertu de la Loi sur les brevets, L.R.C. 1985, ch. P‑4 (la Loi), pour faire invalider le brevet 393 de Pfizer Limited.

 

[7]               Dans un jugement rendu le 8 juillet 2009 (Ratiopharm Inc. et Pfizer Limited, 2009 CF 711), confirmé par notre Cour (2010 CAF 204), le juge Hughes de la Cour fédérale (le juge) s'est prononcé en faveur de Ratiopharm et a conclu à l'invalidité du brevet 393 de Pfizer Limited pour tous les motifs invoqués au procès, c'est-à-dire l'évidence, l'utilité, le caractère suffisant, le brevet de sélection et l'article 53 de la Loi qui interdit à un demandeur de faire volontairement des allégations importantes qui ne sont pas conformes à la vérité dans sa pétition relative au brevet. D'où la présente requête de Ratiopharm demandant à notre Cour d'annuler l'ordonnance de 2006.

 

[8]               Dans son avis de requête, Ratiopharm indique que lorsque la Cour prononcera l'annulation de l'ordonnance de 2006, elle aura le droit de solliciter une indemnité en vertu de l'article 8 du Règlement AC pour les pertes subies au cours de la période où elle n'a pu entrer sur le marché en raison de l'instance relative à l’AC. L'article 8 est rédigé comme suit :

 

8. (1) Si la demande présentée aux termes du paragraphe 6(1) est retirée ou fait l’objet d’un désistement par la première personne ou est rejetée par le tribunal qui en est saisi, ou si l’ordonnance interdisant au ministre de délivrer un avis de conformité, rendue aux termes de ce paragraphe, est annulée lors d’un appel, la première personne est responsable envers la seconde personne de toute perte subie au cours de la période :

 

a) débutant à la date, attestée par le ministre, à laquelle un avis de conformité aurait été délivré en l’absence du présent règlement, sauf si le tribunal conclut :

(i) soit que la date attestée est devancée en raison de l’application de la Loi modifiant la Loi sur les brevets et la Loi sur les aliments et drogues (engagement de Jean Chrétien envers l’Afrique), chapitre 23 des Lois du Canada (2004), et qu’en conséquence une date postérieure à celle-ci est plus appropriée,

(ii) soit qu’une date autre que la date attestée est plus appropriée;

 

b) se terminant à la date du retrait, du désistement ou du rejet de la demande ou de l’annulation de l’ordonnance.

 

(2) La seconde personne peut, par voie d’action contre la première personne, demander au tribunal de rendre une ordonnance enjoignant à cette dernière de lui verser une indemnité pour la perte visée au paragraphe (1).

 

(3) Le tribunal peut rendre une ordonnance aux termes du présent article sans tenir compte du fait que la première personne a institué ou non une action en contrefaçon du brevet visé par la demande.

 

(4) Lorsque le tribunal enjoint à la première personne de verser à la seconde personne une indemnité pour la perte visée au paragraphe (1), il peut rendre l’ordonnance qu’il juge indiquée pour accorder réparation par recouvrement de dommages-intérêts à l’égard de cette perte.

 

(5) Pour déterminer le montant de l’indemnité à accorder, le tribunal tient compte des facteurs qu’il juge pertinents à cette fin, y compris, le cas échéant, la conduite de la première personne ou de la seconde personne qui a contribué à retarder le règlement de la demande visée au paragraphe 6(1).

 

(6) Le ministre ne peut être tenu pour responsable des dommages-intérêts au titre du présent article.

8. (1) If an application made under subsection 6(1) is withdrawn or discontinued by the first person or is dismissed by the 5court hearing the application or if an order preventing the Minister from issuing a notice of compliance, made pursuant to that subsection, is reversed on appeal, the first person is liable to the second person for any loss suffered during the period

 

 

(a) beginning on the date, as certified by the Minister, on which a notice of compliance would have been issued in the absence of these Regulations, unless the court concludes that

(i) the certified date was, by the operation of An Act to amend the Patent Act and the Food and Drugs Act (The Jean Chrétien Pledge to Africa), chapter 23 of the Statutes of Canada, 2004, earlier than it would otherwise have been and therefore a date later than the certified date is more appropriate, or

(ii) a date other than the certified date is more appropriate; and

 

(b) ending on the date of the withdrawal, the discontinuance, the dismissal or the reversal.

 

(2) A second person may, by action against a first person, apply to the court for an order requiring the first person to compensate the second person for the loss referred to in subsection (1).

 

(3) The court may make an order under this section without regard to whether the first person has commenced an action for the infringement of a patent that is the subject matter of the application.

 

(4) If a court orders a first person to compensate a second person under subsection (1), the court may, in respect of any loss referred to in that subsection, make any order for relief by way of damages that the circumstances require.

 

 

(5) In assessing the amount of compensation the court shall take into account all matters that it considers relevant to the assessment of the amount, including any conduct of the first or second person which contributed to delay the disposition of the application under subsection 6(1).

 

 

(6) The Minister is not liable for damages under this section.

 

 

[9]               Je dois préciser que la question dont la Cour est saisie ne consiste pas à décider si Ratiopharm aurait ou n'aurait pas de recours en vertu de l'article 8. Tel que cela a été mentionné précédemment, le débat porte sur l'applicabilité de l'article 399 des Règles à l'ordonnance de 2006. Toutefois, l'article 8 est un élément important du Règlement AC et il est essentiel à la détermination de l'interaction de l'instance relative à l’AC et de l'action en invalidation.

 

Analyse des prétentions des parties

 

a)         Les questions soulevées dans le cadre de la présente requête en annulation sont-elles maintenant théoriques?

 

[10]           L'avocat de Pfizer Limited soutient que compte tenu de l'expiration de l'ordonnance de 2006, de la délivrance d’un avis de conformité et de l'entrée sur le marché de Ratiopharm avec son propre produit, la question est maintenant théorique (voir Eli Lilly Canada Inc. c. Novopharm Limited et le ministre de la Santé, 2007 CAF 359, au paragraphe 14). La requête de Ratiopharm devrait donc être rejetée.

 

[11]           Lorsqu'une question est théorique, cela signifie qu'un tribunal n'est pas obligé de tenir une audience pour se prononcer sur des questions qui n'ont plus d'application pratique, à l'égard desquelles il n'existe plus de litige entre les parties et qu'il n'y a pas d'intérêt d'ordre public à rendre une décision.

 

[12]           Ce n'est toutefois pas le cas lorsque la fraude envers la cour est invoquée comme motif d'annulation d'une ordonnance prononcée par celle-ci. Tant pour elle-même que pour le public, la cour a intérêt à veiller à ce qu'il n'y ait pas abus de ses procédures et que la partie coupable ne tire pas profit de sa conduite répréhensible. Je n'ai aucune hésitation à conclure que la question n'est pas théorique en ce qui a trait à la contestation en vertu de l'alinéa 399(2)b) des Règles. Le principe du caractère définitif des jugements doit céder le pas lorsque le jugement est obtenu par fraude. Fraus omnia corrumpit : la fraude entache tout.

 

[13]           Je conviens avec l'avocat de Pfizer Limited que la question est théorique dans la mesure où une décision est recherchée en vertu de l'alinéa 399(2)a) des Règles. Cependant, la contestation de Ratiopharm et les litiges récurrents concernant l'interprétation et l'application de l'article 8 indiquent qu'il semble subsister une certaine ambiguïté en ce qui a trait à l'interaction de l'instance relative à l'avis de conformité et de l'action en invalidation. Je crois qu'il serait dans l'intérêt public et dans l'intérêt d'éventuels plaideurs que la Cour fournisse ce qu'elle espère être des indications claires.

 

b)         La décision du juge Hughes dans l'action en invalidation est-elle un fait nouveau suivant l'alinéa 399(2)a) des Règles?

 

 

[14]           Je commencerai mon analyse avec deux principes bien établis. Premièrement, les instances relatives aux avis de conformité et les actions en invalidation sont différentes quant à leur portée, leur objet et la procédure applicable. Ainsi, des conséquences juridiques différentes en découlent. Deuxièmement, l'instance relative à un avis de conformité n'exclut pas l'action en invalidation en vertu de la Loi afin de faire invalider un brevet. Elle ne constitue pas une décision définitive relativement aux droits d’un breveté.

 

[15]           Dans Fournier Pharma Inc. c. Canada (Ministre de la Santé) (2004), 38 C.P.R. (4th) 297, 2004 CF 1718, la juge Layden-Stevenson (plus tard juge à la Cour d'appel fédérale) a fourni un résumé pratique de la nature, de l'objet et de la portée des instances relatives aux avis de conformité et de leur relation avec les actions en invalidation. Elle écrit ce qui suit aux paragraphes 6, 8 et 9 :

 

[6]  Comme je l'ai déjà signalé, le recours à l'origine de la présente instance a été introduit en application du Règlement. Plusieurs arrêts de la Cour d'appel fédérale traitent de l'historique de ce règlement et du régime qu'il établit, de sorte qu'il n'est pas nécessaire de reprendre ces propos ici. Voir : Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1994), 55 C.P.R. (3d) 302 (C.A.F.); […]. Essentiellement, les questions de non‑contrefaçon et de validité intéressant le titulaire d'un brevet (la première personne) et la personne sollicitant un AC du ministre (la deuxième personne) sont d'abord soulevées dans un avis d'allégation - que la seconde personne signifie à la première personne – dans lequel la seconde personne fait ses allégations et fournit un énoncé du droit et des faits invoqués à l'appui de celles-ci. La première personne peut s'opposer et demander au tribunal de rendre une ordonnance interdisant au ministre de délivrer un AC à la seconde personne avant l'expiration du brevet.

 

[…]

 

[8]  Le recours prévu à l'article 6 du Règlement n'est pas assimilable à une action par laquelle le tribunal est appelé à décider de la validité d'un brevet et à se prononcer sur la contrefaçon. Il s'agit d'une procédure de contrôle judiciaire expéditive, qui vise à faire déterminer s'il est loisible au ministre de délivrer l'avis de conformité demandé. Elle ne sert que des fins administratives : Apotex Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1997), 76 C.P.R. (3d) 1 (C.A.F.). Le tribunal doit déterminer si les allégations de la seconde personne sont suffisamment étayées pour justifier une conclusion, à des fins administratives (la délivrance d'un avis de conformité), portant que le brevet du demandeur ne serait pas contrefait si le produit de la seconde personne est commercialisé : Pharmacia Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1994), 58 C.P.R. (3d) 209 (C.A.F.).

 

[9]  Du simple fait qu'il exerce le recours prévu à l'article 6, le demandeur peut obtenir l'équivalent d'une injonction interlocutoire sans avoir à satisfaire à l'un ou l'autre des critères qu'un tribunal appliquerait en temps normal avant d'interdire la délivrance d'un avis de conformité : Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1998), 80 C.P.R. (3d) 368 (C.S.C.); […]. Le Règlement autorise le tribunal à décider sommairement, sur le fondement de la preuve produite, si les allégations sont fondées. Le recours prévu à l'article 6 ne fait pas appel à la fonction juridictionnelle et la décision qui en résulte n'a pas l'autorité de la chose jugée. Le breveté n'est aucunement privé des recours qui lui sont normalement ouverts en vue de faire respecter ses droits. Si un examen au fond des questions de validité ou de contrefaçon est nécessaire, il pourra procéder suivant la voie ordinaire en introduisant une action : Pfizer Canada Inc. c. Apotex Inc. (2001), 11 C.P.R. (4th) 245 (C.A.F.); […].

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[16]           Comme l'a déclaré la Cour dans l'arrêt AB Hassle c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social) (2000), 7 C.P.R. (4th) 272, aux pages 286 et 287, la première personne bénéficie d’un avantage significatif à court terme lorsqu'elle obtient une ordonnance d'interdiction. Elle s'expose toutefois à une réclamation en dommages‑intérêts compensatoires en vertu de l'article 8 si la demande d'interdiction est retirée, fait l'objet d’un désistement ou est rejetée par le tribunal qui entend la demande. La mesure de réparation de l'article 8 est également possible si l'ordonnance d'interdiction est infirmée en appel. L'atteinte de cet équilibre entre les droits et les obligations des parties « encourage l’usage du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) pour la fin à laquelle il vise : la prévention de la contrefaçon » (voir Apotex Inc. c. Merck & Co. Inc., [2010] 2 R.C.F. 389, au paragraphe 60, 2009 CAF 187).

 

[17]           La procédure en vertu de l'article 6 est engagée par le breveté qui cherche à obtenir une interdiction contre le ministre. « [P]uisqu’elle revêt la forme d’un recours sommaire en contrôle judiciaire, il est impossible de concevoir qu’elle puisse donner lieu à une demande reconventionnelle de la part de l’intimé en vue de pareil jugement déclaratoire » d’invalidité ou d'absence de contrefaçon (voir l'énoncé du juge Hugessen dans Merck Frost Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1994), 55 C.P.R. (3d) 302 (C.A.F.), aux pages 319 et 320, approuvé par la Cour suprême du Canada dans Eli Lilly & Co. c. Novopharm Ltd., [1998] 2 R.C.S. 129, au paragraphe 95). « L’invalidité de brevet, tout comme la contrefaçon de brevet, n’est pas une question relevant d’une procédure de ce genre », nonobstant le fait que l'alinéa 7(2)b) du Règlement AC semble prévoir un tel jugement déclaratoire (ibidem).

 

[18]           Notre Cour a examiné le champ d'application de l'article 8 et sa relation avec l'action en invalidation dans l'arrêt Apotex Inc. c. Syntex Pharmaceuticals International Ltd., 2010 CAF 155. La juge Dawson, pour une cour unanime, a écrit ce qui suit au paragraphe 36 :

 

[36]  Aux termes de la version du Règlement de 1993, lorsqu’un innovateur engageait une procédure visant à obtenir une ordonnance d’interdiction, il obtenait l’équivalent d’une injonction interlocutoire interdisant la délivrance d’un avis de conformité jusqu’à un maximum de 30 mois. L’innovateur n’est pas tenu de satisfaire au critère pour l’obtention d’une injonction et de s’engager à payer des dommages‑intérêts. En de telles circonstances, l’article 8 du Règlement visait à fournir un recours au fabricant de médicaments génériques lorsque l’innovateur n’arrivait pas à démontrer que les allégations d’invalidité ou d’absence de contrefaçon du fabricant n’étaient pas justifiées. À mon avis, l’article 8 ne visait pas à fournir un recours lorsque l’innovateur avait gain de cause dans la procédure d’interdiction, même si le fabricant de médicaments génériques avait ultérieurement gain de cause dans un litige en matière de brevets. Par conséquent, je suis d’accord avec le juge pour dire qu’Apotex ne peut « revenir en arrière et demander que le brevet 671 soit déclaré invalide dans le cadre de l’action au motif qu’il était expiré au sens de l’article 8 » de la version du Règlement de 1993.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[19]           L'avocat de Ratiopharm a soutenu que cette conclusion de la juge Dawson a été tirée à l'égard d'une version antérieure de l'article 8 et qu’il ne convient donc pas de la suivre. Avec respect, je crois que la conclusion est toujours valable et bien fondée en droit sous le régime du nouvel article 8 et doit s'appliquer en l'espèce. L'invalidité du brevet 393 déclarée dans le cadre de l'action en invalidité est un fait découvert après l'ordonnance de 2006. Elle n'est cependant pas un fait nouveau au sens de l'alinéa 399(2)a) des Règles qui, en droit, justifierait l'annulation de l'ordonnance de 2006 au motif que le brevet 393 était « expiré » au sens de l'alinéa 7(2)a) et de l'article 8 du Règlement AC. La décision ultérieure invalidant le brevet 393 ne fournit pas de fondement en vertu duquel l'ordonnance d'interdiction prononcée par la Cour devrait être annulée.

 

c)         L'ordonnance de 2006 doit-elle être annulée pour fraude en vertu de l'alinéa 399(2)b)?

 

[20]           Dans Imperial Oil Ltd. et al. c. Lubrizol Corp. (2000), 6 C.P.R. (4th) 417, le juge Nadon (plus tard juge à la Cour d’appel fédérale) a statué comme suit au paragraphe 53 :

 

[53]  Pour obtenir gain de cause sur une requête fondée sur la règle 1733, la partie doit établir d'une manière jugée satisfaisante par la Cour :

 

     1.  Qu'une déclaration fausse a bien été faite;

     2.    Que la déclaration fausse a été faite i) ou bien sciemment, sans croire     honnêtement à sa vérité, ii) ou bien de façon téméraire, dans l'insouciance            de sa vérité ou de sa fausseté.

 

 

[21]           Le savant juge a cité en les approuvant, au paragraphe 57, les principes suivants formulés par le juge Osborne dans l’affaire International Corona Resources Ltd. c. LAC Minerals Ltd. (1988), 66 O.R. (2d) 610 (H.C.J.) :

 

(1)  La fraude alléguée doit être prouvée selon la probabilité la plus forte raisonnablement. Plus la fraude alléguée est grave, plus la preuve devant l'établir doit être forte pour répondre au fardeau de preuve en matière civile. La probabilité la plus forte raisonnablement n'est pas une norme inflexible de preuve.

 

(2)  La fraude prouvée doit être importante, c'est-à-dire qu'elle doit toucher au fondement de la cause.

 

(3)  La preuve de fraude ne doit pas avoir été connue au moment du procès par la partie qui l'invoque dans la requête en annulation de jugement.

 

(4)  La partie ayant succombé doit satisfaire à un critère de diligence raisonnable. Cela résulte clairement des affaires MacDonald v. Pier, précitée; Johnston v. Barkley, précitée, et Industrial Development Bank v. Bertolo, précitée. À mon avis, il incombe au requérant d'établir sa diligence raisonnable. On ne peut se constituer un stock de preuve pendant le procès en vue d'y puiser après avoir succombé en première instance ou en appel : voir Becker Milk Co. Ltd. v. Consumers' Gas Co. (1974), 2 O.R. (2d) 554 à la p. 558, 43 D.L.R. (3d) 498 à la p. 502 (C.A.).

 

(5)  Si la fraude alléguée est celle d'un tiers, et si la partie qui a eu gain de cause dans le procès n'est pas reliée à la fraude alléguée, les critères que j'ai mentionnés sont encore plus stricts que pour la fraude d'une partie. Je n'ai pas cependant à déterminer le fardeau supplémentaire ajouté au requérant qui demande un nouveau procès en raison de la fraude d'un tiers, comme j'ai conclu que LAC n'a pas établi qu'elle peut avoir gain de cause en fonction des normes imposées dans les cas de fraude d'une partie.

 

(6)  Le critère voulant que la partie qui a succombé ait obtenu la preuve pertinente – c'est-à-dire la preuve devant servir à établir la fraude – avec une diligence raisonnable est objectif. Les questions qu'il faut poser sont : que savait le requérant et qu'aurait dû savoir le requérant?

 

(7)  Le retard entraînera le rejet de la requête en annulation de jugement fondée sur la règle 59.06. Sur ce point, je renvoie aux affaires dans lesquelles le requérant s'est acquitté de son fardeau de preuve et a satisfait au critère de diligence raisonnable, mais a tardé de façon déraisonnable à introduire la requête en annulation ou à procéder. L'affaire Johnston v. Barkley, précitée, étaye suffisamment cette proposition.

 

(8)  Le redressement en vertu de la règle 59.06 est discrétionnaire. La conduite du requérant est pertinente.

 

(9)  En fin de compte, la question centrale à laquelle il faut apporter une réponse est celle qui est formulée dans Wentworth v. Rogers (No. 5), précité, à la p. 539 :

« [...] il faut que la partie prétendant qu'un jugement a été obtenu par la fraude établisse qu'il y a eu une nouvelle découverte d'un élément important, c'est-à-dire que des faits nouveaux ont été découverts qui, à eux seuls ou en combinaison avec les faits déjà connus, fourniraient une raison d'annuler le jugement. »

 

 

[22]           Dans l'action en invalidité, le juge Hughes a conclu que Pfizer avait intentionnellement inclus trois déclarations inexactes dans sa pétition à l'égard du brevet et que par conséquent, suivant l'article 53, le brevet était invalide. Au paragraphe 196 de ses motifs, le juge Hughes a dit que l'article 53 de la Loi n'était pas était une disposition portant expressément sur la fraude, mais qu'il « s'en approche ». Le critère le plus important pour établir la fraude et annuler l'ordonnance de 2006 contestée est celui qui exige que la fraude soit importante, c'est-à-dire qu'elle touche au fondement de la cause. Évidemment, pour être importante, la fraude envers la cour doit avoir été commise dans le cadre de l'instance où l'ordonnance de 2006 dont on demande l'annulation a été prononcée.

 

[23]           En l'espèce, même si le juge Hughes était convaincu que le brevet 393 obtenu auprès du commissaire était invalide pour de nombreuses raisons, y compris des déclarations inexactes, Ratiopharm doit établir que la fraude envers notre Cour a été commise à l'occasion de l'instance relative à l'avis de conformité en Cour fédérale et à l'occasion de l'appel interjeté à l'encontre de la décision de la Cour fédérale rejetant la demande d'interdiction des intimées. En d'autres mots, il doit être prouvé que si ce n'était de la fraude, notre Cour n'aurait pas infirmé la décision de la Cour fédérale et prononcé l'ordonnance de 2006. Avec respect, j'estime, pour les motifs qui suivent, que la preuve et les observations de Ratiopharm n'établissent pas le caractère important exigé.

 

[24]           Ratiopharm ne nous a soumis aucun dossier de l'instance qui s'est déroulée devant la formation initiale de notre Cour et qui pourrait établir que celle-ci a été victime d'une fraude. De fait, la Cour fédérale et notre Cour étaient saisies d'une demande d'interdiction en vertu de l'article 6 du Règlement AC.

 

[25]           La seule question en litige dans l'instance relative à l'interdiction était la question de savoir si, en vertu du paragraphe 6(2), l'allégation d'invalidité de Ratiopharm pour cause d'antériorité, d'évidence et de non-validité de la sélection était justifiée. Au regard de la preuve présentée par Ratiopharm dans la contestation de la demande d'interdiction, la formation initiale a conclu que la Cour fédérale avait commis une erreur lorsqu'elle a conclu que les recherches effectuées par Pfizer Limited pour identifier les propriétés et établir la valeur de la substance chimique en jeu étaient une simple vérification et non une invention.

 

[26]           De plus, la Cour fédérale avait exprimé des préoccupations quant au choix de Pfizer Limited concernant les seuils pour déterminer la solubilité, la stabilité, la non‑hygroscopicité et la traitabilité des neuf sels ayant fait l'objet de tests. Au paragraphe 52 de sa décision, la Cour fédérale a conclu que les quatre facteurs avaient tous un seuil pour lequel aucune explication n'avait été donnée. La formation initiale a statué que la Cour fédérale avait omis de reconnaître que l'insuffisance de preuve relative aux seuils provenait du fait que Ratiopharm n'avait pas élevé d'objection à leur sujet dans son avis d'allégation comme elle était tenue de le faire.

 

[27]           Le raisonnement de la formation initiale relativement à l'ordonnance de 2006 apparaît aux paragraphes 26, 27, 32 et 33 de ladite ordonnance :

 

[26]  Invoquant un vieil arrêt de la Cour d’appel anglaise, Sharpe & Dohme Inc. v. Boots Pure Drug Company Ld. (1928), 45 R.P.C. 153 (C.A.), Ratiopharm oppose que le juge de première instance a conclu à bon droit que le brevet ‘393 décrit une [traduction] « simple vérification ». Dans cette affaire, le lord juge Sargant avait exprimé l’avis que s’assurer des propriétés utiles d’une substance chimique obtenue au moyen d’essais usuels, bien connus, afin d’identifier ces propriétés et d’établir la valeur thérapeutique de chacune relevait de la vérification non de l’invention.

 

[27]  À mon avis, le juge de première instance a commis une erreur en concluant que les recherches effectuées par Pfizer constituaient une simple vérification. Comme on l’a vu, la vérification porte sur des composés déjà découverts et préparés. Or, il appert des conclusions du juge et des déclarations des cinq experts que les propriétés de formulation de tout sel de l’amlodipine ne pouvaient être prévues et qu’elles devaient être déterminées empiriquement (motifs, au paragraphe 39). S’il avait appliqué les principes énoncés dans I.G. Farbenindustrie, Beecham, E.I. Du Pont et Dreyfus à ses conclusions de fait, le juge de première instance n’aurait pu faire autrement que de conclure à la validité du brevet ‘393 comme brevet de sélection en raison de la découverte par Pfizer des propriétés de formulation particulières du bésylate qui le rendent avantageux sur le plan de la stabilité sous forme posologique et de la traitabilité. Essentiellement, comme la Cour suprême du Canada l’a indiqué dans Southam, le juge de première instance n’a pas appliqué le bon critère, ce qui lui a fait commettre une erreur de droit.

 

[…]

 

[32]  Le juge de première instance craignait également la manipulation des seuils, et il a signalé que Pfizer n’avait pas présenté d’élément de preuve expliquant ces seuils. Il n’a pas considéré, toutefois, que l’insuffisance de preuve relative aux seuils provenait du fait que Ratiopharm n’avait pas élevé d’objection à leur sujet dans son avis d’allégation. La question des seuils devait être soulevée dans l’avis d’allégation afin que Pfizer sache ce à quoi elle devait répondre (voir Pfizer Canada Inc. c. Novopharm Ltd.). Les décisions rendues sur le fondement de thèses non invoquées par les parties peuvent prêter le flanc à l’argument du manquement à l’équité procédurale.

 

[33]  En résumé, le juge de première instance, parce qu’il a mal appliqué le principe de la vérification, a conclu que le bésylate ne présentait pas d’avantage spécial ou de qualité d’une nature particulière pouvant fonder un brevet de sélection. Suivant mon analyse, qui repose sur les faits non contestés et sur les conclusions du juge de première instance, le bésylate possède, en matière de stabilité, solubilité, non‑hygroscopicité et traitabilité un avantage spécial de même qu’une qualité d’une nature particulière pouvant former l’assise d’une revendication valide de brevet de sélection.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[28]           Aucun faux témoignage ni aucun document contrefait n'ont été déposés dans le cadre de l'instance relative à l'avis de conformité. Rien dans la présente instance n'indique une intention d'induire en erreur et aucune allégation de fraude n'a été faite. La seule preuve de la fraude importante alléguée envers la formation initiale sur laquelle Ratiopharm s’appuie est le brevet 393 déposé qui contenait des omissions et attribuait à l'invention des qualités exagérées. Le brevet 393 bénéficiait cependant d'une présomption de validité qui n'a pas été réfutée, car les allégations d’invalidité de Ratiopharm ont été jugées non fondées. Notre Cour ne s'est jamais prononcée sur la question de la validité du brevet de Pfizer Limited. Dans le contexte d'une demande d'interdiction et d'une ordonnance à cette fin, la Cour a simplement donné effet à la présomption de validité à l'encontre d'allégations d'invalidité non fondées de la part de Ratiopharm.

 

[29]           Dans l'état actuel du dossier, je ne vois pas comment on peut dire que l'ordonnance de 2006 en cause prononcée dans le cadre de l'instance relative à l'avis de conformité a été obtenue grâce aux déclarations inexactes, subséquemment déclarées telles dans l'action en invalidité, faites aux fins d'obtention du brevet, et que ladite ordonnance a découlé de ces déclarations inexactes.

 

Conclusion

 

[30]           Pour ces motifs, je rejetterais avec dépens la requête de Ratiopharm visant l’annulation de l’ordonnance que la Cour a prononcée en 2006.

 

« Gilles Létourneau »

Juge

 

« Je souscris aux présents motifs

            Eleanor R. Dawson, juge »

 

« Je souscris aux présents motifs

            David Stratas, juge »

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


cour d'appel fédérale

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    A-75-06

 

 

Intitulé :                                                   PFIZER CANADA INC. et al.

                                                                        c.

                                                                        Le ministre de la santé et al.

 

 

Lieu de l'audience :                             Toronto (Ontario)

 

DATE DE L'AUDIENCE :                           le 9 juin 2011

 

 

Motifs du jugement :                        le juge LÉTOURNEAU

 

Y oNT SOUSCRIT :                                     la juge DAWSON

                                                                        LE JUGE STRATAS

 

DATE DES MOTIFS :                                  le 28 juin 2011

 

 

 

Comparutions :

 

John B. Laskin

W. Grant Worden

 

Pour les appelantes

 

David W. Aitken

Bryan A. Norrie

Pour les intimés

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Torys LLP

Toronto (Ontario)

 

Pour les appelantes

 

 

Osler, Hoskin & Harcourt LLP

Ottawa (Ontario)

Pour les intimés

 

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