Décisions de la Cour d'appel fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Cour d’appel fédérale

 

Federal Court of Appeal

Date : 20110705

Dossier : A-387-10

Référence : 2011 CAF 220

 

CORAM :      LE JUGE NOËL

                        LE JUGE EVANS

                        LA JUGE DAWSON

 

ENTRE :

ELI LILLY AND COMPANY

appelante

et

TEVA CANADA LIMITED

(anciennement connue sous le nom de NOVOPHARM LIMITED)

intimée

 

 

 

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 22 juin 2011.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 5 juillet 2011.

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                          LE JUGE EVANS

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                     LE JUGE NOËL

                                                                                                                        LA JUGE DAWSON

 

 


Cour d’appel fédérale

 

Federal Court of Appeal

Date : 20110705

Dossier : A-387-10

Référence : 2011 CAF 220

 

CORAM :      LE JUGE NOËL

                        LE JUGE EVANS

                        LA JUGE DAWSON

 

ENTRE :

ELI LILLY AND COMPANY

appelante

et

TEVA CANADA LIMITED

intimée

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE EVANS

Introduction

[1]               Il s’agit d’un appel d’Eli Lilly and Company (Lilly) d’une décision de la Cour fédérale (2010 CF 915). Dans cette décision, le juge Barnes (le juge) a accordé un jugement déclaratoire à Teva Canada Limited (Teva) en vertu du paragraphe 60(1) de la Loi sur les brevets, L.R.C. 1985, ch. P-4, portant que le brevet canadien n2,209,735 de Lilly (le brevet 735) est invalide pour absence d’utilité. Teva était anciennement connue sous le nom de Novopharm Limited et elle est désignée sous ce nom dans les motifs du juge.

 

[2]               Le brevet porte sur le nouvel usage d’un médicament connu l’atomoxétine qui fait partie depuis longtemps du domaine public et qui vise le traitement de trois des symptômes du trouble d’hyperactivité avec déficit de l’attention (THADA) chez certaines personnes, peu importe leur groupe d’âge (adultes, adolescents ou enfants). Le THADA est un trouble neurocomportemental qui est caractérisé par l’hyperactivité, l’inattention et l’impulsivité et qui altère souvent le comportement à l’école, au travail et en société. C’est une affection chronique pour laquelle il n’existe pas de remède connu, mais dont il est possible d’atténuer les symptômes à l’aide d’une médication.

 

[3]               Le présent appel soulève trois points principaux sur le plan juridique : le juge a-t-il commis une erreur (i) en invalidant le brevet 735 pour absence de preuve d’utilité parce qu’il a mal interprété sa promesse? (ii) en appliquant une norme de preuve trop stricte à l’égard de l’utilité? (iii) en décidant que Lilly ne pouvait pas s’appuyer sur la prédiction valable de l’utilité de l’invention parce qu’elle n’avait pas divulgué le fondement factuel de la prédiction valable dans le brevet?

 

[4]               Le juge a interprété la promesse du brevet du point de vu de la personne versée dans l’art et il a conclu que cette dernière comprendrait que le brevet promet le traitement clinique efficace d’un trouble chronique : le THADA.

 

[5]               Après avoir apprécié la crédibilité des principaux experts et examiné la preuve documentaire, le juge a conclu que l’étude clinique sur laquelle Lilly s’est appuyée ne suffit pas à démontrer que l’atomoxetine remplit ses promesses. Il n’a pas été contesté que l’utilité devait être démontrée par Lilly à la date de production de sa demande pour le brevet 735, soit le 4 janvier 1996.

 

[6]               Enfin, le juge a décidé qu’il était lié par une décision de notre Cour qui a tranché qu’une revendication de prédiction valable ne peut être accueillie que si le fondement de la prédiction est divulgué dans le brevet.

 

[7]               J’estime que les motifs détaillés et complets du juge ne révèlent aucune erreur justifiant l’infirmation de la décision.

 

[8]               Le principal litige entre les parties au procès a porté sur la question de savoir si l’unique étude sur laquelle s’est appuyée Lilly suffisait à démontrer que l’atomoxetine constitue un traitement efficace du THADA aux fins du critère de l’utilité pour la brevetabilité suivant l’article 2 de la Loi sur les brevets. Il s’agit essentiellement d’une question de fait qui reposait sur l’appréciation de la preuve par le juge, laquelle appréciation dépendait largement de ses conclusions sur la crédibilité. Je ne suis pas convaincu que le juge a commis une erreur manifeste et dominante dans ses conclusions de fait ou dans son application du droit aux faits.

 

[9]               En appel, Lilly a soulevé des questions de droit concernant l’interprétation de la promesse du brevet, la norme de preuve applicable à la démonstration de l’utilité et la question de savoir si le fondement factuel de la prédiction valable doit être divulgué dans le brevet. J’estime que Lilly n’a pas démontré que le juge a commis une erreur dans son appréciation ou sa formulation du droit applicable.

 

L’étude du MGH

[10]           Lilly a parrainé et financé un essai clinique effectué en 1995 au Massachusetts General Hospital (étude du MGH) sur l’efficacité de l’atomoxétine dans le traitement du THADA. Le Dr Heiligenstein, l’inventeur qui est aussi un employé de Lilly, a décrit cet essai comme une étude pilote visant à déterminer si l’atomoxétine peut être utile dans le traitement du THADA.

 

[11]           Vingt et un patients adultes (la moitié du nombre exigé par le protocole d’étude du MGH) ont participé à cette étude clinique humaine croisée à double insu, contrôlée contre placebo. La moitié des patients ont été traités par l’atomoxétine pendant trois semaines, puis ils n’ont pas pris le médicament durant une semaine et ont reçu un placebo pendant trois semaines. L’ordre a été inversé pour l’autre moitié des patients. Ni les médecins ni les patients ne savaient quel produit (l’atomoxétine ou le placebo) était administré.

 

[12]           Onze des patients ont présenté une réduction de 30 % ou plus de leurs symptômes du THADA, alors que seulement deux ont vu leurs symptômes diminuer après la prise du placebo. Ces résultats satisfaisaient aux critères préétablis par les évaluateurs de l’étude.

 

[13]           Les auteurs d’un rapport sur l’étude du MGH publié dans une revue prestigieuse de médecine ont déclaré que les résultats [traduction] « confirment l’hypothèse de l’étude et semblent indiquer que l’atomoxétine peut être utile pour le traitement du THADA » (Dossier d’appel, vol. 11, p. 4001). Ils ont également décrit ces résultats comme étant [traduction] « cliniquement et statistiquement significatifs », même si [traduction] « le plan croisé et la période d’exposition relativement courte pouvaient ne pas être l’idéal ». Ils ont conclu ainsi :

[traduction] Bien que préliminaires, ces résultats initiaux prometteurs justifient la réalisation d’autres études sur la tomoxétine [ancien nom de l’atomoxétine] pour le traitement du THADA.

 

Dans le résumé du rapport, ils ont indiqué que les études futures devraient porter [traduction] « sur une longue période » (Ibid., p. 3999).

 

[14]           S’appuyant sur l’étude du MGH, Lilly a chargé un groupe de travail d’examiner trois composés possibles pour le traitement du THADA, dont l’atomoxétine. Lilly a choisi de poursuivre le développement de l’atomoxétine et a obtenu une approbation réglementaire pour commercialiser le médicament aux États‑Unis en 2002 et au Canada en 2004.

 

Questions et analyse

(i)  Norme de contrôle

[15]           Il n’est pas contesté que pour infirmer la décision d’un juge, la Cour doit être convaincue que ses conclusions de fait ou l’application du droit aux faits sont entachées d’une erreur manifeste et dominante. Sur les questions de droit, toutefois, la Cour peut intervenir si elle estime que le juge a commis une erreur.

 

[16]           Lilly fait valoir que le juge a commis quatre erreurs de droit. Premièrement, il a mal interprété le brevet en y voyant la promesse implicite que l’atomoxétine constitue un traitement efficace à long terme du THADA. Deuxièmement, il a choisi une norme de preuve trop stricte pour l’utilité à l’égard de la brevetabilité en ce qu’il n’a pas posé la question de savoir s’il existait la moindre preuve de l’utilité de l’atomoxétine dans le traitement du THADA. Troisièmement, il a inversé le fardeau de la preuve en exigeant que Lilly fasse la démonstration de l’utilité au lieu de demander à Teva de prouver l’absence d’utilité. Quatrièmement, il a conclu que Lilly ne pouvait démontrer l’utilité sur la base de la prédiction valable parce qu’elle n’avait pas divulgué le fondement factuel de la prédiction dans le brevet.

 

[17]           Lilly n’a pas contesté directement les conclusions de fait du juge. Toutefois, l’avocat a fait valoir qu’en interprétant mal le brevet, le juge a tiré la mauvaise conclusion sur la base de ses conclusions de fait. Il a fait valoir que si les erreurs de droit du juge étaient corrigées, il deviendrait évident, sur la base de ses conclusions, que Lilly disposait d’une preuve suffisante pour satisfaire au critère peu élevé de l’utilité.

 

(ii) Interprétation du brevet

a) promesse implicite

[18]           L’utilité du brevet 735 doit être déterminée en se posant la question de savoir si la preuve permettait de démontrer qu’à la date du dépôt, l’atomoxétine était en mesure de faire ce que le brevet promettait ou, sinon, que son utilité pouvait faire l’objet d’une prédiction valable. Lilly plaide que le juge a commis une erreur de droit en allant au-delà de la promesse faite expressément dans le brevet et en y voyant la promesse implicite que l’atomoxétine « sera efficace à long terme » (au par. 112).

 

[19]           Je ne suis pas d’accord avec la façon dont Lilly interprète les motifs du juge. L’utilisation par le juge des mots « implicite dans la promesse » (par. 112) doit être considérée dans le contexte du paragraphe dans lequel ils figurent :

Le THADA est un trouble chronique nécessitant un traitement prolongé. Ce n’est que lorsque les résultats expérimentaux sont suffisamment convaincants pour appuyer la promesse inventive (ou pour appuyer une prédiction valable) de manière indépendante que l’utilité peut être établie. Dans le cas du brevet 735, les inventeurs ont revendiqué un nouvel usage pour l’atomoxétine concernant le traitement efficace des personnes atteintes de THADA. Ce qui est implicite dans la pormesse c’est que l’atomoxétine sera efficace à long terme. Si l’étude du MGH permettait pas de démontrer l’utilité clinique de l’atomoxétine pour traiter le THADA, le simple fait que quelques données expérimentales positives aient été découvertes ne serait pas suffisant.

 

 

[20]           À mon avis, la prétention de Lilly selon laquelle le juge aurait vu dans le brevet une deuxième promesse, de nature implicite, n’est pas plausible. Lilly présume que le juge a oublié qu’il avait antérieurement conclu que le brevet promet que l’atomoxétine constitue un traitement efficace du THADA (aux paragraphes 32, 79 et 93), une interprétation que Lilly ne conteste pas. De fait, le juge termine le paragraphe 112 en disant :

La preuve de l’utilité doit être suffisante pour appuyer la promesse que l’atomoxétine permet de traiter le THADA chez certains patients.

 

[21]           Le juge ne mentionne qu’une seule fois que l’efficacité à long terme est implicite dans la promesse du brevet. À mon avis, la lecture de l’ensemble des motifs du juge montre qu’il n’a pas conclu que le brevet promettait plus que la promesse explicite de traiter le THADA chez certaines personnes. Il s’est limité à déterminer la signification du mot « traitement » dans le brevet dans le contexte du THADA, un trouble chronique nécessitant un traitement prolongé. Il n’a pas accru la portée de la promesse au-delà de ce qui était déjà exprimé par le libellé du brevet, à savoir que l’atomoxétine constitue un traitement efficace du THADA.

 

b) le sens du mot « traitement »

[22]           Les parties conviennent que le brevet promet que l’atomoxétine traitera, ou traite, efficacement certains patients de toutes les catégories d’âge en atténuant trois symptômes du THADA. Les parties conviennent également que le brevet doit être interprété à l’aide d’un examen effectué du point de vue de la personne versée dans l’art et que la conclusion suivante du juge était correcte (au par. 7, note 2) :

Les témoins experts conviennent que cette personne doit avoir une connaissance approfondie du THADA et de son traitement, et, en particulier, du développement, de la recherche ou de l’utilisation clinique des pharmacothérapies utilisant le THADA. J’accepte que cela puisse inclure les psychiatres, les pédiatres, les docteurs en pharmacie ou les docteurs en psychopharmacologie.

 

 

[23]           À mon avis, cette définition des compétences pertinentes de la personne versée dans l’art à l’égard du brevet à l’examen, et plus particulièrement l’inclusion des psychiatres et des pédiatres, indique qu’elle interpréterait la promesse du point de vue d’une personne prenant part au traitement clinique du THADA. La personne versée dans l’art comprendrait donc que la promesse signifie que l’atomoxétine permet une atténuation significative sur le plan clinique des symptômes du trouble chez certains patients. La promesse ne signifie pas que les cliniciens prescriront nécessairement l’atomoxétine à leurs patients, car il peut exister des médicaments plus efficaces sur le marché. Toutefois, la promesse signifie que l’atomoxétine serait considérée par un médecin comme une option réaliste pour le traitement du THADA.

 

[24]           Cette conclusion est étayée par l’échange survenu entre entre l’avocat de Teva et le Dr Kutcher, un psychiatre et un de ses témoins experts (Dossier d’appel, vol. 13, p. 4798) :

[traduction] Q. Après avoir lu ces revendications, que concluez-vous? Sur quoi portent-elles? Qu’en est-il de la  première l’utilisation de la tomoxétine [l’ancien nom de l’atomoxétine] pour le traitement du THADA d’un patient?

 

A. J’en conclus que la tomoxétine pourrait être utilisée pour traiter une personne atteinte du THADA.

 

[25]           De la même manière, interrogée sur la question de savoir de quelle manière il interprétait la promesse du brevet, le Dr Virani, pharmacien spécialisé dans la psychopharmacologie et témoin expert de Teva que le juge a trouvé très crédible a déclaré (Dossier d’appel, vol. 14, p. 5025) :

[traduction] … la promesse en l’espèce est que l’atomoxétine, à des doses raisonnables et appropriées, constitue une stratégie de traitement appropriée pour atténuer les symptômes du THADA […] chez les enfants, les adolescents et les adultes.

 

[26]           Lilly soutient que le juge a commis une erreur en concluant que le traitement promis dans le brevet était un traitement qui demeurerait efficace à long terme. Or à mon avis, à la lecture de l’ensemble de ses motifs, le juge n’a pas dit que, parce que le THADA n’a pas de remède connu, la promesse de traitement efficace doit signifier qu’il sera efficace tant et aussi longtemps que le patient le suivra, ce qui peut durer toute la vie.

 

[27]           Cependant, une personne versée dans l’art qui lirait la promesse considérerait la nature chronique du trouble que le brevet promet de traiter efficacement. Pour cette raison, le juge a posé comme avéré que l’efficacité clinique de l’atomoxétine en tant que traitement doit être  « prolongé » (au par. 112). Ce n’est pas là, à mon avis, qu’une simple reconnaissance du fait que le THADA est différent d’un mal de tête ordinaire, qu’on peut normalement soigner par une dose ou deux d’un médicament approprié.

[28]           L’avocat de Lilly a indiqué que chez certains patients, les symptômes du THADA peuvent être traités avec succès, de sorte qu’ils n’ont besoin du médicament que pendant de courtes périodes – par exemple, pour accroître leur niveau de concentration avant et pendant un examen écrit. L’avocat a soutenu que l’efficacité à long terme n’est pas nécessaire pour traiter ces patients efficacement.

 

[29]           J’estime que cet argument n’est d’aucune aide pour Lilly. La meilleure interprétation des motifs du juge est qu’il a conclu que la preuve ne permettait pas de démontrer que l’atomoxétine constitue un traitement clinique efficace, indépendamment de la durée pendant laquelle il est pris, et je ne vois aucune raison de modifier cette conclusion. Quoi qu'il en soit, bien que le brevet ne fasse que promettre que l’atomoxétine permet de traiter certains patients atteints du THADA, rien ne prouve que la personne versée dans l’art conclurait que la promesse du brevet se limite au traitement efficace du nombre relativement faible de patients souffrant du THADA qui n’ont besoin du médicament que sur une courte période.

 

[30]           Conséquemment, je ne suis pas convaincu que l’interprétation du brevet par le juge était erronée en droit et qu’elle a affecté la décision qu’il a rendue sur la base des conclusions de fait. J’estime que le juge a examiné la preuve à la lumière de la bonne question : lorsque Lilly a déposé sa demande en 1996 pour le brevet 735, avait-elle démontré que l’atomoxétine constitue un traitement clinique efficace du THADA pour certains patients?

 

(iii)  Lilly a-t-elle démontré de manière satisfaisante que l’atomoxétine constitue un traitement efficace du THADA?

[31]           L’avocat de Lilly a plaidé qu’un bas niveau ou une parcelle d’utilité suffit en ce qui a trait à la brevetabilité : Consolboard Inc. c. MacMillan Bloedel (Sask.) Ltd., [1981] 1 R.C.S. 504, à la p. 525, et Aventis Pharma Inc. c. Apotex Inc., 2005 CF 1283, 43 C.P.R. (4th) 161, au par. 271. Il soutient que le juge a commis une erreur de droit en exigeant la preuve que les résultats sont « suffisamment convaincants pour appuyer la promesse inventive [du brevet] de manière indépendante » (au par. 112). Selon l’avocat, cela constituait une norme de preuve convenant davantage pour l’obtention d’une approbation réglementaire qui, comme cela a déjà été dit, a été obtenue par Lilly au Canada le 24 décembre 2004, après des essais cliniques abondants.

 

[32]           À mon avis, cet argument ne peut être accueilli en l’espèce, car le brevet promet expressément que l’atomoxétine est un traitement clinique efficace du THADA. L’utilité du brevet est donc déterminée en examinant la question de savoir si l’atomoxétine remplit la promesse que Lilly a faite. Comme le juge l’a déclaré (au par. 112) :

Je rejette l’argument selon lequel l’utilité en l’espèce devrait être mesurée suivant une norme hypothétique ou théorique qui est moins contraignante que la promesse inventive du brevet.

 

[33]           Cette question a été examinée récemment dans Novopharm Limited c. Pfizer Canada Inc., 2010 CAF 242 (Pfizer), où le juge Nadon a conclu ce qui suit (au par. 100) au nom de la majorité :

… que le juge de première instance ait peut‑être mal appliqué le critère de la « moindre parcelle » parce qu’en l’espèce, il existait une promesse expresse que le sildénafil serait efficace pour le traitement de la dysfonction érectile, …

 

 

Cependant, a-t-il dit, puisque le juge a conclu qu’il existait plus qu’une simple parcelle d’utilité, « l’erreur qu’il a commise ne justifie pas notre intervention ».

 

[34]           Il faut déterminer si Lilly disposait d’une preuve suffisante en 1996 pour démontrer que l’atomoxétine pourrait remplir la promesse du brevet. Le juge a conclu que Teva avait démontré que la réponse à cette question est « non ». J’estime qu’il n’y a aucune erreur susceptible d’infirmation dans sa conclusion, d’ordre essentiellement factuel.

 

[35]           Le juge a expressément déclaré (au par. 93) que la preuve requise pour démontrer l’utilité aux fins d’obtention d’un brevet est moins exigeante que celle qui est requise pour convaincre le ministre de la Santé de l’efficacité d’un médicament pour une utilisation particulière dans le but de le commercialiser. Or, sur la base de la preuve du témoin expert qu’il a trouvé le plus crédible, il a plutôt conclu que l’essai clinique comportait des lacunes importantes sur le plan de la méthodologie, particulièrement sa courte durée et la faiblesse de l’échantillon, des lacunes qui ont également été reconnues par les auteurs de l’étude du MGH.

 

[36]           Le juge a convenu que les données provenant de cette étude pilote étaient prometteuses et qu’elles  « ont révélé un taux de réponse favorable et statistiquement significatif chez les patients traités par l’atomoxétine par rapport à ceux traités par placebo » (au par. 20). Néanmoins, le brevet promet que l’atomoxétine traite efficacement le THADA, en ce qu’il permettrait d’atténuer les symptômes du trouble chez certains patients, de telle sorte qu’un médecin pourrait envisager de le prescrire. Le juge n’était pas prêt à inférer que la preuve démontrait que l’atomoxétine constituait un traitement clinique efficace du THADA sur la base des données expérimentales limitées et des conclusions nuancées des auteurs des rapports de l’étude du MGH.

 

[37]           La question fondamentale en litige est de savoir si l’étude du MGH – la seule étude menée avant la délivrance du brevet – a démontré, comme le promet le brevet, que l’atomoxétine constitue un traitement efficace du THADA. Le juge a clairement exposé les opinions divergentes (au par. 9) :

M. Virani a décrit cette étude comme une étude pilote comportant tellement de lacunes sur le plan de la méthodologie que ses données n’étaient que préliminaires et, au mieux, intéressantes. Selon lui, un essai clinique beaucoup plus rigoureux aurait été nécessaire pour démontrer l’efficacité de l’atomoxétine comme médicament contre le THADA. L’opinion contraire de M. McGough indique essentiellement que les données de l’étude du MGH prouvent l’efficacité de l’atomoxétine parce qu’elles montrent, d’une manière pertinente sur le plan statistique, que l’atomoxétine avait permis le traitement de plusieurs patients qui ont été étudiés pendant au moins toute la durée de l’essai.

 

[38]           Après avoir examiné la preuve, le juge a conclu ce qui suit (au par. 113) :

Dans l’ensemble, j’accepte son témoignage sur les limites de l’étude du MGH, et je conclus que les résultats publiés ne prouvent pas l’utilité clinique de l’atomoxétine pour traiter le THADA chez les adultes, sans parler des enfants et des adolescents. Il s’agissait d’un essai clinique de trop petite taille et de durée trop brève pour fournir autre chose que des données intéressantes, mais non concluantes. Avec un échantillon de patient aussi petit et uniforme, une exposition à l’atomoxétine de seulement trois semaines et une certaine subjectivité dans les essais, il faut conclure, comme l’ont dit les chercheurs eux-mêmes, que l’étude avait des « limites » et que les résultats étaient prometteurs, mais seulement préliminaires.

 

[39]           Il est également important de souligner que sur la base de l’étude du MGH, Lilly n’a pas procédé immédiatement au développement de l’atomoxétine. Elle considérait plutôt que l’atomoxétine faisait partie des trois composés pouvant traiter le THADA, avant de finir par choisir l’atomoxétine. Le comportement actuel de Lilly ne donne pas à penser qu’elle considérait que l’étude du MGH prouvait l’efficacité de l’atomoxétine comme traitement du THADA.

 

[40]           Pour arriver à sa conclusion que l’utilité n’avait pas été démontrée, le juge a également considéré l’expérience précédente de Lilly sur le traitement de la dépression par l’atomoxétine. Les premières études cliniques sur des humains avaient montré des résultats très positifs pour cet usage, tout comme les études subséquentes qui étaient plus élaborées que l’étude du MGH citée en l’espèce. Néanmoins, Lilly a abandonné ce projet en 1991, car les chercheurs étaient incapables de répéter ces résultats. Après cela, Lilly a considéré la possibilité que l’atomoxétine soit utile pour le traitement du THADA.

 

[41]           L’avocat de Lilly s’est appuyé sur la décision de notre Cour dans Pfizer, qui a été publiée peu de temps après la décision du juge en l’espèce. Il a fait valoir que notre Cour avait confirmé la conclusion du juge de première instance selon laquelle une étude clinique avait démontré que le médicament en question, le VIAGRA, constituait un traitement efficace de la dysfonction érectile. Il a indiqué que l’étude dans cette affaire était également une étude pilote, qu’elle ne portait que sur seize patients et que ses résultats n’étaient pas pertinents sur le plan statistique.

 

[42]           Toutefois, l’utilité constitue principalement une question de fait, et elle est tranchée dans chaque affaire sur la base de la preuve et de l’appréciation de cette dernière par le juge. Le fait qu’une juge dans une affaire ait conclu que l’utilité a été démontrée sur la base de la preuve dont elle disposait n’a que peu de valeur pour persuader une cour d’appel qu’un juge dans une autre affaire, où la preuve était plus ou moins similaire, a probablement appliqué une norme de preuve trop élevée ou commis une erreur manifeste et dominante parce qu’il a rendu une décision contraire.

 

[43]           À mon avis, le juge n’a commis aucune erreur manifeste et dominante en concluant que la preuve sur la brevetabilité ne démontrait pas l’efficacité de l’atomoxétine comme traitement clinique du THADA.

 

(iv) Le fardeau de preuve

[44]           Il n’est pas contesté que la partie qui attaque la validité du brevet a le fardeau de prouver son invalidité, et c’est ce que le juge a conclu (aux paragraphes 28 et 31). Par conséquent, Teva devait démontrer qu’au moment du dépôt du brevet 735, la preuve ne permettait pas de démontrer que l’atomoxétine traiterait leTHADA.

 

[45]           Lilly a fait valoir dans son mémoire des faits et du droit que le juge a énoncé le droit correctement, mais qu’il a inversé le fardeau de preuve en demandant à Lilly de prouver l’utilité du brevet. J’estime que les motifs du juge ne contiennent aucun élément à l’appui de cette allégation. De fait, l’avocat n’a pas insisté sur ce point lors des plaidoiries. 

 

(v) Prédiction de l’utilité et obligation de divulguer

[46]           Après avoir conclu que Teva avait démontré que l’atomoxétine n’est pas utile parce qu’il n’avait pas été prouvé qu’elle constitue un traitement efficace du THADA, le juge a considéré la question de savoir si une personne versée dans l’art serait en mesure de prédire valablement l’utilité revendiquée. Il a fait valoir que Lilly ne pouvait pas s’appuyer sur le principe de la prédiction valable parce qu’elle n’avait pas divulgué dans le brevet l’étude du MGH qui constituait le fondement factuel de la prédiction.

 

[47]           Lilly fait valoir que ni la Loi sur les brevets, ni la jurisprudence de la Cour suprême n’exigent une telle divulgation dans le brevet comme condition nécessaire pour invoquer avec succès la prédiction valable comme fondement de l’utilité de l’invention revendiquée. Cependant, bien que le juge Binnie n’ait peut-être pas tranché cette question de manière définitive dans l’arrêt Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd., 2002 CSC 77, [2002] 4 R.C.S. 153, au par. 70, il a été décidé en Cour fédérale, et confirmé par notre Cour, qu’un breveté doit divulguer dans le brevet une étude qui fournit un fondement factuel à la prédiction valable : Eli Lilly Canada Inc. c. Apotex Inc., 2008 CF 142, 63 C.P.R. (4th) 406, confirmée par 2009 CAF 97, 78 C.P.R. (4th) 388 (Eli Lilly Canada). 

 

[48]           L’avocat a fait valoir que Lilly avait déposé une demande internationale pour le brevet 735. Il s’est appuyé sur le paragraphe 27(4) du Traité de coopération en matière de brevets, 1970, 28 U.F.T 7647 (Traité), qui prévoit, en ce qui concerne les exigences de forme ou de contenu des demandes nationales, que le déposant peut demander que les exigences pertinentes du Traité et du règlement d’exécution soient appliquées à la demande internationale.

 

[49]           J’estime que cet argument n’est d’aucune aide pour Lilly. Le paragraphe 27(5) du Traité prévoit que rien dans le Traité ou dans le règlement d’exécution ne peut être compris comme pouvant limiter la liberté d’un État contractant de prescrire toutes conditions matérielles de brevetabilité qu’il désire. Se prononçant au nom de notre Cour dans Eli Lilly Canada, le juge Noël a déclaré (au par. 19) :

L’appelante affirme également que le fait d’exiger la divulgation complète du fondement factuel de la prédiction valable est incompatible avec le Traité de coopération en matière de brevets […] Toutefois, ce Traité indique précisément que la législation nationale a primauté en matière d’établissement des règles régissant les conditions matérielles de brevetabilité (voir le paragraphe 27(5) du Traité). Ce sont les conditions matérielles de brevetabilité qui nous intéressent en l’espèce. [Non souligné dans l’original.]

 

 

[50]           Je ne vois aucune raison en l’espèce de ne pas suivre la pratique normale de notre Cour, qui consiste à suivre ses propres décisions. La décision de la Cour dans Eli Lilly Canada était loin d’être « manifestement erronée », dans l’un quelconque des sens envisagés dans Miller c. Canada (Procureur général), 2002 CAF 370, 220 D.L.R. (4th) 149, au par. 10. Au vu de sa décision sur l’applicabilité du paragraphe 27(5), le fait que le juge Noël ne se soit pas référé au paragraphe 27(4) dans ses motifs n’est pas pertinent. 

 

[51]           De fait, si la divulgation du fondement factuel de la prédiction d’utilité dans le brevet n’était pas nécessaire pour la prédiction valable, il serait difficile de déterminer ce que Lilly pourrait avoir donné au public en échange du monopole qu’elle n’avait pas déjà donné. Quand l’utilité est fondée sur la prédiction valable, la divulgation de son fondement factuel touche à l’essence du marché conclu avec le public, qui sous-tend la brevetabilité. 

 

(v)  Dépens

[52]           Dans des motifs supplémentaires de jugement (2010 CF 1154), le juge a adjugé des dépens élevés à Teva selon l’échelon supérieur de la colonne IV du tarif B. Le juge a déploré le niveau anormalement élevé d’acrimonie entre les parties au litige et les retards causés par des manœuvres tactiques et il a conclu que les deux parties étaient à blâmer; il n’a donc pas tenu compte de leur comportement pour l’adjudication des dépens. Toutefois, il a donné des indications concernant l’évaluation des dépens et des débours.

 

[53]           Lilly a plaidé que si son appel est rejeté sur le fond, l’adjudication des dépens par le juge devrait être annulée. Elle a fait valoir que le juge a commis une erreur en ne réduisant pas les dépens et les débours autorisés pour refléter le fait que Teva a fait augmenter les coûts du litige en plaidant une multitude de motifs d’invalidité, qui ont tous été rejetés par le juge, sauf un.

 

[54]           Je ne suis pas de cet avis. Le juge a considéré cet argument et l’a rejeté (au par. 7), au motif qu’une seule des parties a obtenu gain de cause et que la partie qui l’emporte n’est habituellement pas pénalisée pour avoir soulevé des arguments qui n’ont pas été retenus. Le juge a également noté qu’en raison de la fréquente complexité et des frais élevés des litiges en matière de brevet, les dépens sont habituellement adjugés sur une base plus élevée que le milieu de la colonne III.

 

[55]           Je ne vois aucune erreur de principe dans la façon dont le juge a exercé le pouvoir discrétionnaire conféré par l’article 400 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 concernant l’adjudication des dépens. Comme Teva a obtenu la réparation qu’elle cherchait (un jugement déclarant la nullité du brevet 735), le juge a conclu avec justesse qu’elle seule a obtenu gain de cause. De plus, je ne suis pas convaincu que le juge a commis une erreur susceptible d’infirmation lorsqu’il a décidé de ne pas pénaliser Teva pour avoir soulevé de multiples motifs d’invalidité. Dans les litiges en matière de brevet, les motifs d’invalidité sont souvent interreliés.

 

Conclusions

[56]           Pour ces motifs, je rejetterais l’appel avec dépens.

 

« John M. Evans »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

            Marc Noël j.c.a. »

 

« Je suis d’accord.

            Eleanor R. Dawson j.c.a. »

 

 

Traduction certifiée conforme

Jean-François Vincent

 

 

 


Cour d’appel fédérale

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

Dossier :                                                                            A-387-10

 

(APPEL D’UN JUGEMENT RENDU LE 14 SEPTEMBRE 2010 PAR LE JUGE ROBERT BARNES DE LA COUR FÉDÉRALE DANS LE DOSSIER T-811-08)

 

INTITULÉ :                                                                          Eli Lilly and Company c. Teva Canada Limited (anciennement connue sous le nom de Novopharm Limited)

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                    Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                   Le 22 juin 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                  LE JUGE EVANS

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                             LES JUGES NOËL ET DAWSON

 

 

DATE DES MOTIFS :                                                           Le 5 juillet 2011

 

 

Comparutions :

 

Patrick Smith

Jane Clark

Pour l’appelantE

 

 

Andrew Skodyn

Jonathan Stainsby

POUR L.INTIMÉE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Gowling Lafleur Henderson, s.r.l.

Ottawa (Ontario)

Pour l’appelantE

 

 

Heenan Blaikie

Toronto (Ontario)

POUR L’INTIMÉE

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.