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Cour d’appel fédérale

 

Federal Court of Appeal

Date : 20110715

Dossier : A-281-10

Référence : 2011 CAF 224

 

CORAM :      LE JUGE NOËL

                        LE JUGE NADON

                        LE JUGE PELLETIER

 

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

appelant

et

Rachidi EKANZA EZOKOLA

intimé

 

 

 

Audience tenue à Montréal (Québec), le 9 juin 2011.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 15 juillet 2011.

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                      LE JUGE NOËL

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                            LE JUGE NADON

LE JUGE PELLETIER

 


Cour d’appel fédérale

 

Federal Court of Appeal

Date : 20110715

Dossier : A-281-10

Référence : 2011 CAF 224

 

CORAM :      LE JUGE NOËL

                        LE JUGE NADON

                        LE JUGE PELLETIER

 

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

appelant

et

Rachidi EKANZA EZOKOLA

intimé

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

 

LE JUGE NOËL

[1]               Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le ministre) interjette appel à l’encontre d’une décision du juge Mainville, alors juge à la Cour fédérale (le juge des requêtes), par laquelle il a accueilli la demande de contrôle judiciaire déposée par Rachidi Ekanza Ezokola (l’intimé). Le juge des requêtes a cassé la décision de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, Section de la protection des réfugiés (le Tribunal) quant à sa conclusion que l’intimé tombait sous l’effet de l’article 1Fa) de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés (la Convention) et qu’il était dès lors exclu des dispositions relatives à la protection des réfugiés. Il a par la même occasion certifié une question d’importance générale, permettant ainsi que soit entendu le présent appel.

 

[2]               Le juge des requêtes est intervenu au motif que le Tribunal ne pouvait conclure à l’existence de raisons sérieuses de penser que l’intimé avait commis des crimes contre l’humanité dû aux fonctions diplomatiques qu’il exerçait à la Mission permanente de la République démocratique du Congo (la RDC) à l’Organisation des Nations Unies. Le juge des requêtes a tiré cette conclusion se fondant sur le critère qu’il a identifié pour la complicité par association, soit que l’individu doit avoir participé personnellement aux crimes reprochés, y avoir comploté personnellement ou en avoir personnellement facilité l’exécution. Appliquant ce critère, il a conclu que les faits retenus par le Tribunal ne permettaient pas d’imputer une responsabilité à l’intimé à l’égard des crimes reprochés (motifs du juge des requêtes, para. 104), et que l’affaire devrait être réexaminée par un autre Tribunal à la lumière du critère qui se dégage de ses motifs.

 

[3]               Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis que l’appel doit être accueilli, le juge des requêtes ayant appliqué un critère qui est exorbitant du droit en matière de complicité. Comme lui cependant, je suis d’avis que l’affaire devrait être réexaminée par un autre Tribunal, mais pour des motifs différents de ceux qu’il a retenus.

 

 

 

FAITS PERTINENTS

[4]               En janvier 1999, l’intimé a été embauché comme attaché financier au ministère des Finances et affecté au ministère du Travail et de la Prévoyance sociale. Entre juillet 1999 et novembre 2000, l’intimé a successivement occupé les postes d’attaché financier et de conseiller financier au ministère des Droits humains. Par la suite, l’intimé a été conseiller financier auprès du cabinet du ministre au ministère des Affaires étrangères et de la Coopération internationale.

 

[5]               En juin 2003, suite à la dissolution du cabinet ministériel où il travaillait, l’intimé a intégré l’administration à titre de chef de bureau au ministère des Affaires étrangères et de la Coopération internationale. Toutefois, il semble que l’intimé n’ait pas beaucoup travaillé à cette époque, étant malade (motifs du Tribunal, para. 25).

 

[6]               En juillet 2004, l’intimé a été affecté à la Mission permanente de la RDC auprès des Nations Unies à titre de deuxième conseiller d’ambassade. Les tâches de l’intimé consistaient, entre autres, à représenter la RDC à la Deuxième Commission (Commission économique et financière) et à la Cinquième Commission (Commission des questions administratives et budgétaires) des Nations Unies. L’intimé était également chargé de représenter la RDC au Conseil économique et social des Nations Unies, en plus d’être le point focal pour les pays les moins avancés (PMA). À ce titre, l’intimé a représenté la RDC à la réunion d’experts des PMA tenue en Éthiopie et à la conférence ministérielle des PMA au Bénin. L’intimé assurait aussi la liaison entre la Mission permanente de la RDC et les diverses agences des Nations Unies chargées des questions de développement (ibid., paras. 26, 27).

[7]               Durant son affectation aux Nations Unies, l’intimé a également eu à diriger la Mission permanente de la RDC en sa qualité de chargé d’affaires par intérim pour les périodes du 11 au 19 février 2007 et du 16 au 30 juin 2007. Pendant l’une de ces périodes, il a donné une allocution devant le Conseil de sécurité portant sur les ressources naturelles et les conflits en RDC (ibid., para. 5).

 

[8]               L’intimé soutient que les événements ayant mené à sa demande d’asile ont commencé lors de la campagne électorale pour la présidence de la RDC. Le représentant permanent de la RDC aux Nations Unies était lié au parti du président Joseph Kabila, qui était candidat, alors que l’intimé soutenait un changement de gouvernement. Le candidat de l’opposition était Jean-Pierre Bemba du Mouvement de libération du Congo. Selon l’intimé, l’ordre de mutation l’assignant à la Mission permanente de la RDC aux Nations Unies a été signé par le ministre des Affaires étrangères, poste qui était alors détenu au sein du gouvernement de transition congolais par un membre du Mouvement de libération du Congo (motifs du juge des requêtes, paras. 11, 12).

 

[9]               Suite à l’élection du président Kabila, l’intimé soutient qu’un climat d’hostilité s’est installé à son égard à la Mission permanente. Son appartenance à l’ethnie bangala l’aurait rendu suspect aux yeux des partisans du président Kabila, vu les liens entre cette ethnie et M. Bemba (ibid., para. 14). En septembre 2007, l’intimé a été interrogé par deux agents de renseignement de la RDC sur la présence de M. Bemba à New York. Selon l’intimé, les agents de renseignement l’ont menacé et l’ont pris en filature (ibid., para. 15). Le 4 janvier 2008, l’intimé et l’ambassadeur ont eu une « chaude discussion » sur l’organisation de la conférence sur la paix, la sécurité et le développement dans les provinces du Nord-Kivu et du Sud-Kivu (motifs du Tribunal, para. 13).

 

[10]           Le 11 janvier 2008, l’intimé a signé une lettre de démission qu’il a postée quelques jours plus tard. L’intimé soutient que sa démission est attribuable à son refus de servir le gouvernement corrompu, anti-démocratique et violent du président Kabila et qu’elle serait considérée comme un acte de trahison par le gouvernement de la RDC (motifs du juge des requêtes, para.17). Suite à sa démission, l’intimé a pris la fuite avec sa famille vers le Canada. Ils sont arrivés au Canada le 17 janvier 2008. L’intimé a fait une demande d’asile pour lui, son épouse et leurs huit enfants.

 

LÉGISLATION

[11]           L’article 98 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR), édicte que la personne visée à l’article 1Fa) de la Convention n’est pas considérée comme un réfugié ou une personne à protéger et ne peut, par conséquent, faire l’objet des protections offertes par la Convention et la LIPR :

 

98. La personne visée aux sections E ou F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés ne peut avoir la qualité de réfugié ni de personne à protéger.

 

98. A person referred to in section E or F of Article 1 of the Refugee Convention is not a Convention refugee or a person in need of protection.

 

[12]           L’article 1Fa) de la Convention, joint en annexe à la LIPR, se lit comme suit:

 

 

1. F. Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser :

 

a) Qu’elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l’humanité, au sens des instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes;

 

[…]

 

1. F. The provisions of this Convention shall not apply to any person with respect to whom there are serious reasons for considering that:

 

(a) he has committed a crime against peace, a war crime, or a crime against humanity, as defined in the international instruments drawn up to make provision in respect of such crimes;

 

 

DÉCISION DU TRIBUNAL

[13]           Le Tribunal a rejeté la demande d’asile de l’intimé au motif qu’il existait des motifs sérieux de croire qu’il s’était fait complice de crimes contre l’humanité et qu’il était par conséquent visé par l’effet de l’article 1Fa) de la Convention, et exclu de la protection offerte par la Convention aux réfugiés et aux personnes à protéger.

 

[14]           Le Tribunal a divisé son analyse en deux parties. Dans la première, il s’est demandé si le gouvernement de la RDC avait commis des crimes contre l’humanité. Le Tribunal est parvenu à la conclusion que les actes du gouvernement de la RDC tombaient sous la définition de crime contre l’humanité, tel que défini par le Statut de Rome de la Cour pénale international, R.T. Can. 2002 no 13 [Statut de Rome] et par les arrêts Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CAF 325; Sivakumar c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1996] 2 C.F. 872 (C.A.) [Sivakumar II]; Gonzalez c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 3 C.F. 646 (C.A.); et Sumaida c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] 3 C.F. 66 (C.A.) [Sumaida]. Le Tribunal a également déterminé que le gouvernement de la RDC ne constituait pas une organisation ayant des fins limitées et brutales (motifs du Tribunal, paras. 31, 43).

 

[15]           Dans la deuxième partie de son analyse, le Tribunal s’est demandé si l’intimé était complice des actes commis par le gouvernement de la RDC. S’appuyant sur la jurisprudence de cette Cour dans Ramirez c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 2 C.F. 306 (C.A.) [Ramirez]; Moreno c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 298 (C.A.) [Moreno]; et Sivakumar II et sur certaines décisions de la Cour fédérale, le Tribunal a souligné que la complicité pour les fins de l’article 1Fa) de la Convention s’établit par la connaissance des actes accomplis et par l’absence de mesures prises pour les empêcher ou s’en dissocier.

 

[16]           Malgré les prétentions contraires de l’intimé, le Tribunal a conclu qu’il avait une connaissance des exactions commises par son gouvernement, retenant en particulier le fait qu’il occupait un poste de « très haut niveau » et qu’il représentait son pays à l’étranger (ibid., paras. 50, 51). Le Tribunal affirme également que « la carrière fulgurante [de l’intimé] et son poste stratégique à la Mission permanente de la RDC [à] New York au point où sa démission est considérée comme un acte de trahison sont la preuve d’une vision commune dans l’accomplissement des objectifs de son gouvernement » et que « la connaissance et l’intention commune qui en est déduite de l’association volontaire de [l’intimé] aux autorités congolaises sont suffisantes pour conclure à la complicité par association » (ibid., paras. 67, 69).

 

[17]           Le Tribunal reconnaît que l’intimé n’a pas personnellement commis d’exactions contre des civils et n’identifie aucune instance où l’intimé aurait fait des représentations dans le cadre des fonctions qu’il exerçait visant à camoufler ou atténuer les crimes de son gouvernement. Il conclut cependant que compte tenu de l’importance des fonctions diplomatiques exercées par l’intimé, le fait de perpétuer la pérennité de son gouvernement en toute connaissance de cause sans s’en dissocier suffit (ibid., para. 75).

 

DÉCISION DU JUGE DES REQUÊTES

[18]           Le juge des requêtes reconnaît d’emblée la conclusion du Tribunal selon laquelle l’intimé, alors qu’il était en poste, avait connaissance personnelle des crimes contre l’humanité commis par le gouvernement congolais (motifs du juge des requêtes, para. 50). Il souligne cependant que selon l’analyse du Tribunal, l’intimé n’avait pas participé physiquement ou directement à ces actes.

 

[19]           Le juge des requêtes débute son analyse en distinguant deux formes de complicité (ibid., para. 60) :

 

Le concept de la complicité à l'égard des crimes contre l'humanité comporte deux volets dans la jurisprudence canadienne : la complicité au sens traditionnel du droit pénal canadien, et la complicité par association. Ici, seule la complicité par association est en cause. S'agit-il vraiment d'une modalité particulière de la complicité, et quels sont les éléments requis pour établir la complicité par association? Voilà les questions qui doivent être traitées.

 

 

[20]           Il poursuit son analyse en passant en revue les décisions de cette Cour portant sur la complicité par association. Il note, citant Ramirez, qu’il ne peut y avoir complicité « sans qu’il n’y ait eu un certain degré de participation personnelle et consciente » (motifs du juge des requêtes, para. 62). Il souligne également, se fondant sur Moreno, que la simple appartenance à une organisation qui perpète des crimes internationaux n’est pas suffisante en soi pour invoquer l’article 1Fa) de la Convention (ibid., para. 64). Le juge des requêtes note aussi que dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Bazargan (1996), 205 N.R. 282 (C.A.) [Bazargan], le juge Décary précisait que c’est le fait de contribuer aux activités du groupe plutôt que l’appartenance au groupe qui permet d’établir la complicité par association (ibid., para. 66).

 

[21]           Le juge des requêtes se dit par la suite d’avis que l’exclusion de l’article 1Fa) ne s’applique pas puisqu’il doit « exister un lien personnel entre le demandeur d’asile et les crimes reprochés, lien qui n’a pas été établi à l’égard [de l’intimé] » (ibid., para. 70). Pour en arriver à cette conclusion, le juge des requêtes se fonde sur certaines décisions de la Cour fédérale, sur les commentaires du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, sur le Statut de Rome et sur la jurisprudence étrangère (ibid., paras. 71-82).

 

[22]           Le juge des requêtes souligne que l’existence d’un lien personnel entre le demandeur d’asile et les crimes reprochés comme condition préalable à l’exclusion est l’approche préconisée par la jurisprudence émanant de la Cour fédérale (Aden c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 625 [Aden]; Sungu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] 3 C.F. 192 [Sungu]; et Bouasla c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 930 [Bouasla]). Cette approche est également celle du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés telle qu’en fait foi sa Note d’information sur l’application des clauses d’exclusion : article 1F de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés. La décision de la Cour suprême du Royaume-Uni dans R (on the application of JS) (Sri Lanka) v. Secretary of State for the Home Department, [2010] UKSC 15 [Sri Lanka], irait aussi dans le même sens.

 

[23]           De plus, la lecture que fait le juge des requêtes des articles 25, 28 et 30 du Statut de Rome indique que « la responsabilité pénale pour les crimes contre l’humanité requiert une participation personnelle au crime reproché ou un contrôle personnel sur les événements menant au crime reproché » (ibid., para. 86). Il ajoute que « les notions de responsabilité pénale individuelle et de contrôle effectif sur autrui et l’élément psychologique décrits dans le Statut de Rome peuvent et doivent servir à éclairer ce que la jurisprudence canadienne désigne comme la complicité par association aux fins de l’article 1Fa) » (ibid., para. 89).

 

[24]           Le juge des requêtes conclut en affirmant que (ibid., para. 90) :

 

[…] la complicité par association doit être comprise comme étant une présomption qui repose sur un ensemble de faits permettant de conclure qu’il y a des raisons sérieuses de penser que le demandeur d’asile a participé personnellement aux crimes reprochés, y a comploté personnellement, ou en a personnellement facilité l’exécution.

 

 

[25]           Donnant effet à cette approche, le juge des requêtes énonce le principe selon lequel travailler dans la fonction publique d’un État dont le gouvernement commet des crimes contre l’humanité n’est pas suffisant en soi, il faut un « lien personnel » entre le demandeur d’asile et les crimes reprochés (ibid., para. 92). Selon le juge des requêtes, l’article 35 de la LIPR, qui fait une distinction entre les personnes qui ont commis un crime contre l’humanité et les hauts placés d’un gouvernement qui a commis de tels crimes, supporte cette conclusion (ibid., paras. 97-100). Il ajoute qu’il n’y a « aucun élément de preuve tendant à démontrer une participation personnelle directe ou indirecte [de l’intimé] dans les crimes reprochés, et il y a absence de toute preuve d’encouragement ou de soutien actif [de l’intimé] à l’égard de ces crimes » (ibid., paras. 104-107).

 

[26]           Le juge des requêtes en vient donc à la conclusion que le Tribunal a appliqué le mauvais critère de complicité par association. Le jugement formel donnant effet à cette conclusion se lit comme suit :

 

1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie;

 

2. La décision du [T]ribunal est cassée quant à sa conclusion que [l’intimé] est exclu par l'effet du paragraphe 1Fa);

 

3. Le dossier est renvoyé à la Commission de l'immigration et du statut de réfugié pour en saisir un autre tribunal de la Section de la protection des réfugiés, qui devra l'examiner à nouveau conformément aux dispositions du présent jugement.

 

 

[27]           Après avoir communiqué sa décision aux parties, le juge des requêtes les a invitées à proposer une question grave et de portée générale. Le ministre a proposé la question suivante :

 

Un fonctionnaire ou un membre du corps diplomatique d’un pays qui a commis des crimes contre l’humanité, qui a connaissance des crimes de son pays, qui s’est associé volontairement à ce pays et qui ne s’en dissocie pas à la première occasion sans raison valable, a-t-il l’intention commune requise pour être exclu, à titre de complice, de l’application de la définition de « réfugié » au sens du paragraphe a) de la section F de l’article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés?

 

[28]           Le juge des requêtes a choisi de poser la question différemment :

 

Aux fins de l’exclusion prévue au paragraphe 1Fa) de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, y a-t-il complicité par association à des crimes contre l’humanité du fait qu’un demandeur d’asile occupait un poste de fonctionnaire d’un gouvernement qui a commis de tels crimes, joint au fait que le demandeur d’asile avait connaissance de ces crimes et ne les a pas dénoncés, lorsqu’il n’y a aucune preuve d’une participation personnelle, directe ou indirecte, du demandeur d’asile dans ces crimes?

 

 

POSITION DU MINISTRE

[29]           Le ministre soumet dans un premier temps que la question ainsi certifiée est mal formulée car elle sous-entend une absence de participation personnelle et consciente de la part de l’intimé dans les crimes commis par le gouvernement de la RDC. Selon le ministre, les fonctions diplomatiques qu’exerçaient l’intimé alors qu’il avait connaissances des exactions commises par son gouvernement constituent une participation personnelle qui le rend complice des crimes reprochés (mémoire du ministre, para. 41).

 

[30]           Dans un deuxième temps, le ministre soumet que le juge des requêtes a erré en droit en concluant qu’un demandeur d’asile doit exercer un contrôle effectif sur ceux qui commettent des crimes contre l’humanité pour être exclu des dispositions de la Convention pour complicité par association au sens de l’article 1Fa). Le ministre soutient que les critères énoncés par le juge des requêtes, à savoir la « participation personnelle au crime reproché » et le « contrôle personnel sur les événements menant au crime reproché » ou encore que le demandeur d’asile ait « participé personnellement aux crimes reprochés, y ait comploté personnellement ou en ait personnellement facilité l’exécution », reflètent une approche trop restrictive quant à la mens rea requise pour conclure à la complicité par association (ibid., para. 70).

 

[31]           Le ministre soutient plutôt, à la lumière de la jurisprudence de cette Cour, que la complicité par association exige la présence d’une intention commune et la connaissance des crimes commis par l’organisation à laquelle le demandeur d’asile est membre. Le fait de ne pas prendre de mesures pour empêcher les crimes de l’organisation et le défaut de s’en dissocier à la première occasion constituent des éléments clés dans la détermination de la complicité par association (ibid., para. 54).

 

[32]           Le ministre soumet également que la jurisprudence de cette Cour reflète l’approche adoptée par la Cour suprême du Royaume-Uni dans l’arrêt Sri Lanka, cité par le juge des requêtes, et par la Cour suprême de la Nouvelle-Zélande dans l’arrêt The Attorney General (Minister of Immigration) v. Tamil X and Anor SC, [2010] NZSC 107.

 

[33]           Dans un troisième temps, le ministre soutient que le juge des requêtes a erré dans son appréciation des conclusions factuelles du Tribunal portant sur l’importance des fonctions exercées par l’intimé au sein du gouvernement de la RDC. Le ministre souligne que, bien que connaissant les exactions commises par son gouvernement, l’intimé a pris la parole au Conseil de sécurité, a représenté son pays devant deux commissions des Nations Unies et s’est vu confié le rôle de chargé d’affaires en l’absence de l’ambassadeur. Le ministre soumet que le juge des requêtes a omis de considérer ou a, à tout le moins, minimisé la portée des conclusions factuelles du Tribunal concernant les fonctions qu’exerçait l’intimé, notamment quant au fait que celui-ci représentait son pays tout en connaissant les crimes contre l’humanité commis par son gouvernement (ibid., para. 80). Le ministre soutient que l’intimé n’était pas un simple fonctionnaire.

 

POSITION DE L’INTIMÉ

[34]           L’intimé soumet que le juge des requêtes a correctement interprété et appliqué l’article 1Fa) de la Convention. Il soutient qu’un « haut fonctionnaire d’État peut être exclu de la définition d’un réfugié en vertu de l’article 1Fa) de la [Convention] du fait de s’être rendu complice aux crimes commis par l’État dont il est membre. Cependant, il s’agit d’étudier l’ensemble des faits propres au dossier afin d’établir un lien entre ses gestes et la commission des crimes » (mémoire de l’intimé, para. 1).

 

[35]           L’intimé soumet que l’interprétation du juge des requêtes est conforme à la jurisprudence de la Cour suprême du Canada, de cette Cour et de la Cour fédérale. L’intimé soutient de plus que l’interprétation de l’article 1Fa) de la Convention doit se faire à la lumière du Statut de Rome et que, par conséquent, le juge des requêtes était en droit de s’y référer. L’intimé soumet également que la jurisprudence antérieure à l’adoption du Statut de Rome, ou celle qui n’en tient pas compte, doit être traitée avec circonspection. L’intimé soutient aussi que l’interprétation adoptée par le juge des requêtes est conforme à celle des tribunaux du Royaume-Uni, de l’Australie, de la Nouvelle-Zélande et de la France.

 

[36]           Contrairement à ce qu’affirme le ministre, l’intimé soumet que le juge des requêtes n’a pas minimisé son rôle au sein du gouvernement de la RDC. Selon l’intimé, le juge des requêtes a tout simplement conclu que l’accent devait être mis sur le lien entre les crimes commis et la personne en cause, et non sur le rang occupé par cette personne au sein de l’organisation.

 

[37]           Au cours de sa plaidoirie, l’avocat de l’intimé a soulevé pour la première fois l’argument selon lequel l’appel ne peut de toute façon être accueilli. Selon lui, le Tribunal aurait tiré sa conclusion de complicité par association en fonction de la « connaissance personnelle et consciente » par l’intimé des crimes de son gouvernement sans se demander si la preuve établissait sa « participation personnelle et consciente » à ces crimes.

 

ANALYSE

La norme de contrôle

[38]           Dans le cadre d’un appel d’une décision disposant d’une demande de contrôle judiciaire, la Cour doit déterminer si le juge des requêtes a identifié correctement la norme de contrôle appropriée et s’il l’a appliquée correctement (Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, 2003 CSC 19, para. 43; Canada (Procureur général) c. Davis, 2010 CAF 134, para. 3; Canada (Agence du Revenu) c. Telfer, 2009 CAF 23, para. 18).

 

[39]           La question fondamentale identifiée par le juge des requêtes est la portée de la notion de complicité par association aux fins de l’application de l’article 1Fa) de la Convention. Comme il l’indique, il s’agit là d’une question de droit assujettie à la norme de la décision correcte. Une fois le critère bien cerné, la question à savoir si les faits en l’espèce enclenchent l’application de l’article 1Fa) est une question mixte de droit et de faits de sorte que déférence doit être accordée au Tribunal à cet égard (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Zeng, 2010 CAF 118, para. 11).

 

La question certifiée

[40]           Avant d’aborder l’analyse, il y a lieu de commenter la question qui fut certifiée par le juge des requêtes que je me permets de reproduire une deuxième fois en insistant sur les dernières lignes :

 

Aux fins de l’exclusion prévue au paragraphe 1Fa) de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, y a-t-il complicité par association à des crimes contre l’humanité du fait qu’un demandeur d’asile occupait un poste de fonctionnaire d’un gouvernement qui a commis de tels crimes, joint au fait que le demandeur d’asile avait connaissance de ces crimes et ne les a pas dénoncés, lorsqu’il n’y a aucune preuve d’une participation personnelle, directe ou indirecte, du demandeur d’asile dans ces crimes?

 

[Je souligne]

 

 

[41]           Ces dernières lignes sont problématiques en ce qu’elles tiennent pour acquis que l’intimé ne peut avoir fait montre de participation personnelle directe ou indirecte en demeurant en poste et en continuant à défendre les intérêts du régime, malgré sa connaissance acquise des crimes commis par ce régime. Or, c’est là que se situe la question qui est au cœur du présent litige.

 

[42]           La question devrait aussi tenir compte de l’importance qu’attribue le Tribunal au poste qu’occupait l’intimé pour le compte de son gouvernement (motifs du Tribunal, para. 50), laquelle importance n’est pas remise en question par le juge des requêtes (motifs du juge des requêtes, para. 69) et le fait que ce dernier soit demeuré en poste malgré sa connaissance des crimes commis par son gouvernement.

 

[43]           Finalement, la question devrait évoquer une possibilité plutôt qu’une finalité. Comme l’expliquait le juge Linden dans Sivakumar c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 433 [Sivakumar I] (p.442) :

 

[…] l'association avec une personne ou une organisation responsable de crimes internationaux peut emporter complicité si l'intéressé a personnellement ou sciemment participé à ces crimes, ou les a sciemment tolérés. La simple appartenance à un groupe responsable de crimes internationaux ne suffit pas, […]

(voir aussi Harb c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CAF 39, para. 19 [Harb]).

 

[Je souligne]

 

 

La réponse ultime est fonction des faits particuliers de chaque affaire (Ramirez, p. 320; Sivakumar I, p. 438; Bazargan, para. 12).

 

[44]           Tenant compte de ce qui précède, je reformulerais la question certifiée comme suit :

 

Aux fins de l’exclusion prévue au paragraphe 1Fa) de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, peut-il y avoir complicité par association à des crimes contre l’humanité du fait qu’un demandeur d’asile occupait un poste de haut fonctionnaire auprès d’un gouvernement qui a commis de tels crimes, joint au fait que le demandeur d’asile avait connaissance de ces crimes et est demeuré en poste sans les dénoncer?

 

 

[45]           Si l’on s’en remet aux motifs du juge des requêtes, la réponse à cette question serait vraisemblablement non puisque selon lui n’est complice que celui ou celle qui a participé personnellement aux crimes reprochés, qui y a comploté personnellement ou qui en a personnellement facilité l’exécution (motifs du juge des requêtes, para. 90). Appliquant ce critère, il conclut que donner effet à la « présomption de la complicité par association » en l’absence d’une preuve permettant de croire que l’intimé exerçait un contrôle quelconque sur les forces de sécurité de la RDC, ou sur l'une quelconque des composantes de ces forces, ou sur l'un quelconque de leurs membres, serait déraisonnable (ibid., paras. 106, 107).

 

[46]           À mon avis, le critère de complicité retenu et appliqué par le juge des requêtes va à l’encontre de celui établi par la jurisprudence de cette Cour et doit, pour cette raison, être écarté.

 

La jurisprudence de la Cour d’appel

[47]           L’article 1Fa) de la Convention prévoit qu’une personne est exclue de l’application des dispositions relatives à la protection des réfugiés s’il y a des « raisons sérieuses de penser » que celle-ci a commis, entre autres, un crime contre l’humanité. Dans Ramirez, le juge MacGuigan précise que l’expression « raisons sérieuses de penser » établit une norme de preuve moindre que la prépondérance des probabilités (pp. 311, 312; voir aussi Moreno, p. 308; Sumaida, p. 77).

 

[48]           Dans Sivakumar I, le juge Linden commente les raisons qui sous-tendent la norme de preuve réduite prévue à l’article 1Fa) de la Convention (p. 445) :

 

Selon la norme de preuve requise par la section Fa) de l’article premier de la Convention, il s’agit de savoir si la Couronne a prouvé qu’il y a des raisons sérieuses de penser que le demandeur a commis des crimes contre l’humanité. Dans Ramirez, supra, le juge MacGuigan conclut que la norme des raisons sérieuses est en soi une norme intelligible et qu’il n'est pas nécessaire de l'assimiler à la norme des motifs raisonnables que prescrit l’article 19 [mod. par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 30, art. 3] de la Loi sur l'immigration. Cette conclusion a été reprise par le juge Robertson, J.C.A., dans Moreno, supra, mais pour celui-ci, il n’y a à vrai dire aucune différence entre les deux. Je conviens que la différence, si différence il y a, est minime entre ces deux formulations de la norme. L’une et l’autre demandent davantage que la suspicion ou la conjecture, mais sans atteindre à la preuve par prépondérance des probabilités. Cela montre que la communauté internationale voulait bien baisser la norme habituelle de preuve afin de s’assurer que les criminels de guerre ne trouveraient pas refuge. Lorsque par un juste retour des choses, les persécuteurs deviennent les persécutés, ils ne pourront pas revendiquer le statut de réfugié. Les criminels internationaux, de quelque côté qu'ils se trouvent dans les conflits, sont ainsi privés à juste titre du statut de réfugié.

 

[Je souligne]

 

 

[49]           Il s’agit donc de savoir si la personne visée peut demander refuge au Canada et non pas de déterminer si elle est criminellement responsable. À cette fin, il suffit qu’il y ait des « raisons sérieuses de penser » qu’elle ait commis un crime au sens de l’article 1Fa).

 

[50]           Il est aussi utile de rappeler, compte tenu des motifs du juge des requêtes (voir en particulier les paragraphes 60 et 90 reproduits aux paragraphes 19 et 24 des présents motifs), qu’il n’y a qu’une seule forme de complicité. Comme l’explique le juge Létourneau dans Zazai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 303, 259 D.L.R. (4th) 281, au paragraphe 13 :

 

[…] En common law et en droit pénal canadien, la complicité était et est toujours considérée comme une modalité de la perpétration d'un crime. Elle s'entend de l'acte ou de l'omission de celui qui aide ou facilite la réalisation d'un crime. Le complice est donc accusé du crime qui a été effectivement commis et il est jugé pour ce crime, dont il a aidé ou facilité la perpétration. En d'autres termes, qu'on l'aborde du point de vue de notre droit interne ou de celui du droit international, la complicité suppose la contribution à la réalisation d'un crime.

 

[Je souligne]

 

 

[51]           Gardant ce constat à l’esprit, il y a lieu d’examiner plus à fond la jurisprudence issue de cette Cour sur la portée du concept de complicité pour crimes contre l’humanité à laquelle le juge des requêtes devait en principe adhérer.

 

[52]           Dans Ramirez, le juge MacGuigan indique qu’une personne ne peut avoir commis de crimes au sens de l’article 1Fa) de la Convention – incluant les crimes contre l’humanité – sans qu’il n’y ait un « certain degré de participation personnelle et consciente » (pp. 316, 317). Il ajoute que la simple appartenance à une organisation qui commet des crimes internationaux ne suffit pas en soi pour exclure un individu de l’application des dispositions relatives au statut de refugié. Il en va autrement, par contre, lorsqu’une organisation vise principalement des fins limitées et brutales (p. 317). Le juge MacGuigan ajoute que les membres d’une organisation peuvent, selon les faits propres à chaque affaire, être considérés comme des participants personnels et conscients. Dans de tels cas, la « complicité dépend essentiellement de l’existence d’une intention commune et de la connaissance que toutes les parties en cause en ont » (pp. 317, 318). Il affirme également qu’il n’est pas souhaitable, dans l’établissement d’un principe général applicable à la complicité, de dépasser le critère de la « participation personnelle et consciente »; le reste devant être tranché selon les faits de chaque affaire (p. 320).

 

[53]           Dans Moreno, le juge Robertson réitère l’idée que la simple appartenance à une organisation impliquée dans la perpétration de crimes internationaux ne permet pas d’invoquer l’article 1Fa) de la Convention, sauf lorsque l’organisation vise des fins limitées et brutales (p. 321). En se fondant sur Ramirez, le juge Robertson affirme « que les actes ou les omissions qui équivalent à un acquiescement passif ne permettent pas d’invoquer la disposition d’exclusion »; ce qui importe est l’établissement d’une participation personnelle qui dépend de l’existence d’une intention commune (p. 323). Il affirme également que « plus une personne est impliquée dans le processus décisionnel et moins elle tente de contrecarrer la perpétration d’actes inhumains, plus il est vraisemblable qu’elle soit criminellement responsable » (p. 324).

 

[54]           Dans Sivakumar I, le juge Linden, en plus de réitérer le critère de la « participation personnelle et consciente » établi dans Ramirez, affirme ceci quant à la complicité par association (p. 442) :

 

[…] l'association avec une personne ou une organisation responsable de crimes internationaux peut emporter complicité si l'intéressé a personnellement ou sciemment participé à ces crimes, ou les a sciemment tolérés. […]

 

[Je souligne]

 

Ce disant, le juge Linden reconnaît que la complicité pour les fins de l’article 1Fa) de la Convention est un concept large qui ne se limite pas à la participation physique aux crimes ou à l’exercice d’un contrôle effectif sur leur perpétration.

 

[55]           Dans Bazargan, le juge Décary affirme que la « participation personnelle et consciente » peut être directe ou indirecte et qu’elle ne requiert pas une appartenance formelle à l’organisation qui est impliquée dans la perpétration des crimes internationaux. Il ajoute que ce n’est pas le fait de travailler au sein d’une organisation qui rend un individu complice des actes commis par l’organisation, mais le fait de contribuer en toute connaissance de cause à ses activités de quelque manière que ce soit, de l’intérieur ou de l’extérieur de l’organisation (para. 11). Le juge Décary réitère encore une fois que tout dépend du contexte factuel de chaque affaire (para. 12).

 

[56]           Les décisions subséquentes de cette Cour dans Sumaida et Harb n’ont pas modifié les principes énoncés précédemment concernant l’article 1Fa) de la Convention. Dans Harb, le juge Décary affirme (para. 11) :

 

[…] Ce n'est pas la nature des crimes reprochés à l’appelant qui mène à son exclusion, mais celle des crimes reprochés aux organisations auxquelles on lui reproche de s'être associé. Dès lors que ces organisations commettent des crimes contre l'humanité et que l’appelant rencontre les exigences d'appartenance au groupe, de connaissance, de participation ou de complicité imposées par la jurisprudence (voir, notamment, [Ramirez]; [Moreno]; [Sivakumar I]; [Sumaida]; et [Bazargan]), l'exclusion s'applique quand bien même les gestes concrets posés par l’appelant lui-même ne seraient pas, en tant que tels, des crimes contre l'humanité. […]

 

 

[57]           À la lumière de la jurisprudence de cette Cour portant sur le concept de complicité dans le cadre de l’article 1Fa) de la Convention, je suis d’avis que le juge des requêtes a appliqué un critère trop restrictif en exigeant que la personne visée ait participé personnellement aux crimes reprochés, y ait comploté personnellement ou en ait facilité l’exécution dans le sens exprimé. Le critère de « participation personnelle et consciente » retenu par cette Cour est plus large que cela.

 

[58]           Toujours selon cette jurisprudence, force est de constater que l’expression « complicité par association » est foncièrement trompeuse. Elle porte à croire que celui ou celle qui s’associe avec les auteurs de crimes internationaux se rend, de par cette seule association, complice de leurs crimes. Or, l’élément générateur de responsabilité n’est pas l’association mais bien la participation personnelle et consciente à ces crimes. Selon moi, le moment est venu d’abandonner l’appellation « complicité par association » et de dorénavant parler de complicité, sans plus.

 

La jurisprudence de la Cour fédérale

[59]           À mon avis, la jurisprudence de la Cour fédérale sur laquelle le juge des requêtes se fonde ne soutient pas non plus l’approche qu’il a retenue. D’une part, la décision du juge Gibson dans Aden, qu’il cite avec déférence, ne tient pas compte des décisions de notre Cour dans Moreno ou Sivakumar I. Comme l’explique le juge Gibson à la fin de ses motifs, leur date de publication n’a pas permis aux avocats d’y référer de sorte qu’il n’a malheureusement pas pu considérer les enseignements qui en découlent (Aden, pp. 634, 635).

 

[60]           D’autre part, la décision du juge Blanchard dans Sungu et celle du juge Lemieux dans Bouasla sont toutes deux à l’effet que la preuve n’établissait pas une intention commune suffisante pour donner lieu à une exclusion en vertu de l’article 1Fa) de la Convention. Ni l’un, ni l’autre ont énoncé la règle selon laquelle le fait de demeurer en poste en toute connaissance des crimes étant commis par l’organisation ne peut, selon les circonstances, mener à une exclusion.

 

Le Statut de Rome

[61]           Le juge des requêtes semble s’inspirer du Statut de Rome, ratifié par le Canada en 2000 avec effet à compter de 2002, pour justifier une approche qui se démarque des décisions rendues par cette Cour avant l’entrée en vigueur de ce Statut. Selon lui, la responsabilité pénale pour les crimes contre l’humanité établie sous le Statut de Rome « requiert une participation personnelle au crime reproché ou un contrôle personnel sur les événements menant au crime reproché » (motifs du juge des requêtes, para. 86). Il ajoute que cette « exigence doit également servir à éclairer le concept de participation par association » (ibid.).

 

[62]           À cet égard, le juge des requêtes cite les articles 25(3) et 30 du Statut de Rome :

 

Article 25

 

[…]

 

3. Aux termes du présent Statut, une personne est pénalement responsable et peut être punie pour un crime relevant de la compétence de la Cour si :

 

a) Elle commet un tel crime, que ce soit individuellement, conjointement avec une autre personne ou par l’intermédiaire d’une autre personne, que cette autre personne soit ou non pénalement responsable;

 

b) Elle ordonne, sollicite ou encourage la commission d’un tel crime, dès lors qu’il y a commission ou tentative de commission d’un crime;

c) En vue de faciliter la commission d’un tel crime, elle apporte son aide, son concours ou toute autre forme d’assistance à la commission ou à la tentative de commission de ce crime, y compris en fournissant les moyens de cette commission;

 

d) Elle contribue de toute autre manière à la commission ou à la tentative de commission d’un tel crime par un groupe de personne agissant de concert. Cette contribution doit être intentionnelle et, selon le cas :

 

i) Viser à faciliter l’activité criminelle ou le dessein criminel du groupe, si cette activité ou ce dessein comporte l’exécution d’un crime relevant de la compétence de la Cour; ou

 

ii) Être faite en pleine connaissance de l’intention du groupe de commettre ce crime;

 

[…]

 

Article 30

1.  Sauf disposition contraire, nul n'est pénalement responsable et ne peut être puni à raison d'un crime relevant de la compétence de la Cour que si l'élément matériel du crime est commis avec intention et connaissance.

 

2.  Il y a intention au sens du présent article lorsque :

 

a)  Relativement à un comportement, une personne entend adopter ce comportement;

 

b)  Relativement à une conséquence, une personne entend causer cette conséquence ou est consciente que celle-ci adviendra dans le cours normal des événements.

 

3.  Il y a connaissance, au sens du présent article, lorsqu'une personne est consciente qu'une circonstance existe ou qu'une conséquence adviendra dans le cours normal des événements. « Connaître » et « en connaissance de cause » s'interprètent en conséquence.

 

[Je souligne]

[63]           Le juge des requêtes a raison d’affirmer que l’article 1Fa) de la Convention doit être interprété à la lumière des instruments internationaux dont le Statut de Rome (Zrig c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CAF 178, para. 151). Cependant, je ne crois pas que la responsabilité pénale envisagée par le Statut de Rome se limite au critère de « participation personnelle au crime reprochée ou [à] un contrôle personnel sur les événements menant au crime reproché » (motifs du juge des requêtes, para. 86).

 

[64]           Le langage de l’article 25(3) et en particulier les expressions « toute autre forme d’assistance » et « de toute autre manière » aux alinéas c) et d) respectivement, indique clairement que la responsabilité pénale pour les crimes internationaux tombant sous le Statut de Rome ne se limite pas à la participation personnelle au crime ou au contrôle personnel sur les événements. Cette disposition est à sa face même très large et va au-delà du critère retenu par le juge des requêtes.

 

[65]           Le juge des requêtes cite aussi l’article 28 du Statut de Rome qui traite de la responsabilité du chef militaire pour les actes de ses soldats. Il fait remarquer que, comme dans le cas d’un employeur à l’égard des actes fautifs de ses employés selon le droit civil ou la common law, un « contrôle effectif sur autrui » doit être exercé avant qu’une quelconque responsabilité puisse être imputée (ibid., para. 89).

 

[66]           L’article 28 du Statut de Rome se lit comme suit :

 

Outre les autres motifs de responsabilité pénale au regard du présent Statut pour des crimes relevant de la compétence de la Cour :

 

a) Un chef militaire ou une personne faisant effectivement fonction de chef militaire est pénalement responsable des crimes relevant de la compétence de la Cour commis par des forces placées sous son commandement et son contrôle effectifs, ou sous son autorité et son contrôle effectifs, selon le cas, lorsqu'il ou elle n'a pas exercé le contrôle qui convenait sur ces forces dans les cas où :

 

i)  Ce chef militaire ou cette personne savait, ou, en raison des circonstances, aurait dû savoir, que ces forces commettaient ou allaient commettre ces crimes ; et

 

ii)  Ce chef militaire ou cette personne n'a pas pris toutes les mesures nécessaires et raisonnables qui étaient en son pouvoir pour en empêcher ou en réprimer l'exécution ou pour en référer aux autorités compétentes aux fins d'enquête et de poursuites ;

 

b)  En ce qui concerne les relations entre supérieur hiérarchique et subordonnés non décrites au paragraphe a), le supérieur hiérarchique est pénalement responsable des crimes relevant de la compétence de la Cour commis par des subordonnés placés sous son autorité et son contrôle effectifs, lorsqu'il ou elle n'a pas exercé le contrôle qui convenait sur ces subordonnés dans les cas où :

 

i)  Le supérieur hiérarchique savait que ces subordonnés commettaient ou allaient commettre ces crimes ou a délibérément négligé de tenir compte d'informations qui l'indiquaient clairement ;

 

ii)  Ces crimes étaient liés à des activités relevant de sa responsabilité et de son contrôle effectifs ; et

 

iii)  Le supérieur hiérarchique n'a pas pris toutes les mesures nécessaires et raisonnables qui étaient en son pouvoir pour en empêcher ou en réprimer l'exécution ou pour en référer aux autorités compétentes aux fins d'enquête et de poursuites.

 

 

[67]           L’on peut facilement comprendre pourquoi un chef militaire ne peut engager sa responsabilité à ce titre pour les agissements d’individus qui ne sont pas sous son contrôle, tout comme l’employeur à l’égard d’employés qui échappent à son contrôle. Cependant, aucune telle question ne se pose en ce qui a trait à l’article 25(3) du Statut de Rome, qui vise toute personne qui ordonne, sollicite, encourage, facilite ou contribue de toute autre manière à la commission d’un crime contre l’humanité, la seule exigence étant que la personne ciblée ait agi en pleine connaissance de cause.

 

[68]           À mon avis, le critère de la « participation personnelle et consciente » établi dans Ramirez est en harmonie avec le Statut de Rome. Comme l’explique Lord Brown dans Sri Lanka, le langage du Statut de Rome est particulièrement large, lorsque comparé aux dispositions législatives domestiques décrétant une responsabilité criminelle pour des crimes qui sont, à proprement parlé, commis par d’autres (para. 34). Selon Lord Brown, seule une connaissance acquise des crimes et une intention d’y contribuer est requise (para. 37). À mon avis, ceci rejoint en tout point le critère de la « participation personnelle et consciente » retenu par le juge MacGuigan dans Ramirez et appliqué par cette Cour depuis.

 

L’article 35 de la LIPR

[69]           Le juge des requêtes s’en remet aussi au régime prévu à l’article 35 de la LIPR qui interdit de territoire les personnes qui ont commis des crimes visés aux articles 4 à 7 de la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre, L.C. 2000, ch.24 (alinéa 35(1)a)). Il souligne le fait que la même interdiction est imposée de façon distincte à ceux ou celles qui occupent des postes de rangs supérieurs – définis par règlement – auprès d’un gouvernement qui a commis de tels crimes (alinéa 35(1)b)). Selon le juge des requêtes, ceci laisse entendre que pour les fins de l’article 35, le haut placé qui reste en poste malgré les crimes commis par son gouvernement ne peut, sans plus, se rendre complice de ces crimes. Il ajoute que cette distinction doit aussi être retenue aux fins de l’application de l’article 1Fa) de la Convention (motifs du juge des requêtes, paras. 99, 100).

 

[70]           Avec égards, ce raisonnement ne tient pas compte du fait qu’une personne qui tombe sous l’effet de l’article 1Fa) de la Convention est automatiquement interdite de territoire en vertu de l’alinéa 35(1)a). L’alinéa 35(1)b) ne fait qu’étendre cette interdiction aux individus qui occupent un rang supérieur au sein du gouvernement qui les a commis, sans qu’il soit nécessaire de prouver leur participation, directe ou indirecte, à ces crimes. Rien n’exclu qu’un haut dirigeant, en demeurant en poste malgré les crimes commis par son gouvernement, puisse selon les circonstances, se rendre complice de ces crimes et être assujetti à l’alinéa 35(1)a).

 

Présomption de participation

[71]           Finalement, le juge des requêtes ne pouvait non plus conclure que la complicité par association doit être comprise comme étant une présomption et qu’il serait déraisonnable de donner effet à cette présomption en fonction de l’appartenance de l’intimé à l’appareil gouvernemental de la RDC (motifs du juge des requêtes, paras. 90, 105 à 107). Autant il est vrai que l’appartenance à une organisation qui vise des fins limitées et brutales emporte une présomption de participation aux crimes de l’organisation, autant le contraire est vrai lorsque l’organisation ne vise pas ces fins, comme l’a conclu le Tribunal en l’espèce à l’égard de la RDC (Ramirez, p. 317; Moreno, p. 321; Sivakumar I, pp. 440, 442 et Sumaida, para. 24). En l’occurrence, aucune présomption découle de l’appartenance de l’intimé à l’appareil gouvernemental de la RDC, et il appartenait au ministre d’établir, selon la norme de preuve applicable, sa participation aux crimes de son gouvernement.

 

[72]           J’en viens donc à la conclusion que la question certifiée telle que reformulée doit recevoir une réponse affirmative. Selon moi, un haut dirigeant, en demeurant en poste sans protêt et en continuant à défendre les intérêts de son gouvernement alors qu’il a connaissance des crimes commis par ce gouvernement, peut démontrer sa « participation personnelle et consciente » à ces crimes et se rendre complice de son gouvernement dans leur commission. Il est utile de rappeler cependant que la réponse ultime est toujours fonction des faits particuliers de chaque affaire (Ramirez, p. 220; Bazargan, para. 12).

 

[73]           La prochaine question serait donc de savoir si selon les faits particuliers de la présente affaire, le Tribunal pouvait raisonnablement conclure que l’intimé a participé personnellement et consciemment aux crimes de son gouvernement.

 

Nouvelle erreur de droit

[74]           Au moment d’aborder cette question, l’avocat de l’intimé a soulevé pour la première fois l’argument selon lequel, indépendamment du débat qui précède, le Tribunal aurait tranché cette question en fonction du mauvais critère. Selon l’avocat, le Tribunal n’a pas appliqué le critère de la « participation personnelle et consciente » mais plutôt celui de la « connaissance personnelle et consciente ». L’avocat de l’intimé cite à cet égard les passages suivants des paragraphes 71 et 75 des motifs du Tribunal :

 

[71]      […] Ainsi, il est raisonnable de conclure que [l’intimé] avait une « connaissance personnelle et consciente » des agissements du gouvernement congolais, ce qui est « l’élément requis pour qu’il y ait complicité ».

 

[75]      Au regard de la preuve soumise, [l’intimé] avait « une connaissance personnelle et consciente » (Ramirez) des atrocités commises par le gouvernement congolais et son armée, de par les fonctions qu’il occupait. […]

 

 

[75]           Ces passages sont troublants puisqu’il y a une différence fondamentale entre la « connaissance personnelle et consciente » des crimes commis par la RDC, connaissance qui n’est plus remise en question, et la « participation personnelle et consciente » à ces crimes telle qu’élaborée par la jurisprudence de cette Cour. Or, le Tribunal en citant Ramirez comme établissant le critère de la « connaissance personnelle et consciente » est dans l’erreur, puisque cette expression se retrouve nulle part dans ce jugement, et semble confondre « connaissance » et « participation ». De même, en indiquant que la « connaissance personnelle et consciente » est « l’élément requis pour qu’il ait complicité », le Tribunal démontre la même confusion. Alors que la connaissance personnelle des crimes est l’un des éléments requis pour qu’il y ait « participation personnelle et consciente », seule la participation ainsi décrite, si établie selon la norme de preuve applicable, peut soutenir une conclusion de complicité.

 

[76]           L’avocat du ministre, qui fut mis au courant de l’argument de l’intimé au cours de la semaine qui a précédé l’audition, n’a pas su me convaincre que l’erreur est sans signification. Il est vrai que le Tribunal au paragraphe 75 de ses motifs conclu à l’existence de motifs sérieux de penser que l’intimé a « participé personnellement et sciemment » aux crimes commis par son gouvernement. Bien que ceci rejoint le bon critère, je ne peux, à la lumière du langage qui précède, exclure la thèse de l’intimé selon laquelle le Tribunal en tirant cette conclusion a confondu connaissance et participation.

 

[77]           Il incombait au Tribunal d’appliquer le bon critère et de déterminer si l’intimé en demeurant en poste alors qu’il avait connaissance des crimes commis par son gouvernement dans les circonstances que nous connaissons, a participé personnellement et consciemment aux crimes de son gouvernement. La connaissance de ces crimes n’est pas en soi concluante. Seule la participation personnelle et consciente de l’intimé à ces crimes peut soutenir une conclusion de complicité aux fins de l’article 1Fa) (Ramirez, pp. 317, 318; Moreno, p. 323). Ma lecture de la décision du Tribunal me laisse perplexe quant à savoir s’il a appliqué le bon test.

 

[78]           Le Tribunal, de par ses fonctions, est mieux placé que quiconque pour juger de la suffisance de la preuve pour conclure à la complicité de l’intimé et déférence lui est due lorsqu’il s’acquitte de cette tâche en fonction du bon test. Dans ces circonstances, il y a lieu de retourner l’affaire devant un Tribunal différemment constitué pour qu’il l’examine à nouveau et détermine si le comportement de l’intimé le rend complice des crimes de son gouvernement en fonction du bon test.

 

[79]           Pour ces motifs, je donnerais à la question certifiée telle que reformulée la réponse énoncée au paragraphe 72 des présents motifs, je donnerais effet aux paragraphes 1 et 2 du jugement rendu par le juge des requêtes et j’annulerais le paragraphe 3 dudit jugement pour y substituer la directive qui suit :

 

3. Le dossier est renvoyé à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié pour en saisir un autre Tribunal de la Section des réfugiés, qui devra l’examiner à nouveau et déterminer si l’intimé s’est rendu complice des crimes commis par la République démocratique du Congo en fonction du critère de la participation personnelle et consciente.

 

 

 

« Marc Noël »

j.c.a.

 

« Je suis d’accord

          M. Nadon j.c.a. »

 

« Je suis d’accord

          J.D. Denis Pelletier j.c.a. »

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                                                            A-281-10

 

APPEL D’UNE ORDONNANCE DE L’HONORABLE JUGE MAINVILLE DE LA COUR FÉDÉRALE DU 17 JUIN 2010, N° DU DOSSIER IMM-5174-09.

 

INTITULÉ :                                                                           Le Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration et Rachidi Ekanza Ezokola

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                     Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                   le 9 juin 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                LE JUGE NOËL

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                             LE JUGE NADON

                                                                                                LE JUGE PELLETIER

 

DATE DES MOTIFS :                                                          le 15 juillet 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Daniel Latulippe

 

POUR L’APPELANT

 

Jared Will

 

Annick Legault

POUR L’INTIMÉ

 

POUR L’INTIMÉ

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

 

POUR L’APPELANT

 

Jared Will

Montréal (Québec)

 

Annick Legault

Montréal (Québec)

POUR L’INTIMÉ

 

 

POUR L’INTIMÉ

 

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