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Cour d’appel fédérale

 

Federal Court of Appeal

Date : 20110817

Dossier : A‑121‑11

Référence : 2011 CAF 237

 

CORAM :      LE JUGE NOËL

                        LE JUGE PELLETIER

                        LE JUGE MAINVILLE

 

ENTRE :

PHOSTECH LITHIUM INC.

appelante

et

VALENCE TECHNOLOGY INC.

intimée

 

 

 

Audience tenue à Montréal (Québec), le 6 juin 2011.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 17 août 2011.

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                             LE JUGE PELLETIER

Y ONT SOUSCRIT:                                                                                                 LE JUGE NOËL

LE JUGE MAINVILLE

 


Cour d’appel fédérale

 

Federal Court of Appeal

Date : 20110817

Dossier : A‑121‑11

Référence : 2011 CAF 237

 

CORAM :      LE JUGE NOËL

                        LE JUGE PELLETIER

                        LE JUGE MAINVILLE

 

ENTRE :

PHOSTECH LITHIUM INC.

appelante

et

VALENCE TECHNOLOGY INC.

intimée

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE PELLETIER

INTRODUCTION

 

[1]               Il  est interjeté appel de la décision rendue par la juge Gauthier de la Cour fédérale (la juge de première instance), dont la référence est Valence Technology, Inc. c. Phostech Lithium Inc., 2011 CF 174 (motifs), par laquelle elle a statué que le processus P1 de fabrication de phosphate de fer et de lithium (LiFePO4) de l’appelante Phostech Lithium Inc . (Phostech) était constitutif de contrefaçon du brevet canadien no 2,395,115 (le brevet ‘115) de l’intimée Valence Technology, Inc. (Valence). Le présent appel ne soulève aucune nouvelle question de droit; le nœud de l'affaire est l’interprétation d’une revendication du brevet ’115 et, plus précisément, le sens du terme « carbone » y figurant. Phostech soulève aussi la question de la validité d’un deuxième brevet de Valence, le brevet canadien no 2,4663,66 (le brevet ’366).

 

[2]               Pour les motifs exposés ci‑dessous, je suis d'avis que la juge de première instance n’a commis aucune erreur en concluant que le terme « carbone » figurant dans la revendication 3 du brevet ’115 ne se limite pas au carbone sous forme particulaire, et vise le carbone sous d’autres formes. Je suis également d’avis que la demande en annulation du brevet ‘115 de Phostech doit être rejetée. En conséquence, je rejetterais l’appel avec dépens.

 

L’INVENTION

[3]               Le brevet ’115 porte sur de nouveaux matériaux mixtes de métal et de lithium ayant des propriétés utiles dans la fabrication de piles lithium‑ion et sur une nouvelle méthode de fabrication de ces matériaux. Seule la méthode est en cause en l’espèce.

 

[4]               La juge de première instance a ainsi résumé l’invention présentée par le brevet ‘115 (motifs, par. 107) :

[i]l semble que l’invention présentée dans le brevet ‘115 puisse être résumée comme suit : méthode améliorée par laquelle on fait appel à une RCT sélective pour fabriquer des composés mixtes de métal et de lithium (comme le LiFePO4) pouvant contenir des formes conductrices de carbone intimement mélangées au produit final de la réaction. Ainsi, l’une des caractéristiques de l’invention est que le carbone joue un double rôle : il permet d’utiliser des composés de métaux moins coûteux, ayant une valence qui sera réduite par RCT, et il accroît la conductivité du produit final.

 

 

[5]               L'expression « selective CTR » (RCT sélective) fait référence à l’utilisation de carbone comme agent réducteur sélectif pour réduire l’état d’oxydation du métal sans le réduire à son état d’oxydation élémentaire de zéro. Certains métaux peuvent ne pas exister sous plusieurs états d’oxydation. Par exemple, l’aluminium est binaire et existe soit à l’état 3+ quand il est oxydé soit à l’état 0 quand il est élémentaire (interrogatoire principal du Dr Dahn, dossier d’appel, p. 8343). D’autres métaux, comme le fer, peuvent exister sous toute une gamme d’états d’oxydation. Dans le procédé du brevet, la réduction sélective du fer conduit à sa réduction de l’état d’oxydation 3+ à l’état d’oxydation 2+ (représenté par Fe3+ et Fe2+ respectivement), plutôt qu’à sa réduction complète à l’état élémentaire, Fe0. Cette réduction sélective a pour avantage de permettre l’utilisation de précurseurs moins coûteux, dans lesquels le fer est à l’état Fe3+.

 

[6]               Un autre avantage de l’invention souligné par la juge de première instance est que, après une réaction RCT, le carbone reste dans le produit final et accroît la conductivité électrique.

 

[7]               Même si les principes de la réaction carbothermique étaient antérieurement connus, ils n’avaient pas été appliqués dans le présent contexte. L’élément nouveau du brevet ‘115, dont la validité a été admise, était décrit à la page 60 du mémoire descriptif :

[traduction]

On a appliqué les principes de la réduction carbothermique pour produire du métal pur à partir d’oxydes de métaux, cela par retrait de l’oxygène. [Renvois omis.] Les principes de réduction carbothermique et thermique ont aussi été utilisés pour obtenir des carbures. [Renvois omis.] De telles méthodes ne sont pas réputées avoir été appliquées pour générer des produits lithiés ou pour former des produits sans retirer l’oxygène du précurseur. Les méthodes décrites en ce qui concerne la présente invention procurent des produits de qualité élevée, préparés à partir de précurseurs qui sont lithiés en cours de réaction sans retrait de l’oxygène. Il s’agit d’un résultat surprenant.

 

[8]               Le brevet est très détaillé en ce qui concerne la sélection de précurseurs et des variations de la méthode qui y sont divulguées. Aux fins de la présente espèce, il suffira de porter notre attention sur le rôle du carbone dans le procédé, la définition de carbone étant la question principale en jeu.

 

[9]               Le brevet ‘366 est un brevet divisionnaire découlant du brevet ‘115.

 

LE PROCÉDÉ P1 DE PHOSTECH

[10]           Phostech fabrique du phosphate de fer et de lithium en utilisant un procédé dont les détails font l'objet d'une ordonnance de confidentialité. Toutefois, dans ses motifs publics de jugement, la juge de première instance divulgue suffisamment de précisions à propos de ce procédé pour que l’on puisse statuer sur le présent appel. (Les parties au procès ont reçu des motifs confidentiels du jugement dans lesquels les détails du procédé P1 sont divulgués).

 

[11]           Phostech commence par mélanger deux précurseurs sous forme particulaire et ajoute à ce mélange un composé organique, lequel agit comme liant et aide à la formation de granules. Cela permet de s’assurer que les composés sont en contact intime pendant la réaction.

 

[12]           Les granules sont placés dans un four et exposés à des températures élevées dans une atmosphère inerte. À un certain point avant la réaction carbothermique, le liant se décompose en laissant un résidu carboné. La température est augmentée davantage jusqu’au point où la réduction carbothermique se déclenche. Le mélange est ensuite refroidi jusqu’à la température ambiante. Le produit final est LiFePO4.

 

LA DÉCISION DE LA COUR FÉDÉRALE

a) Contrefaçon du brevet 115

[13]           La seule revendication en cause dans le présent appel est la revendication 3 du brevet ’115, laquelle est ainsi libellée :

[traduction]

Dans une méthode de fabrication d’un polyanion mixte de métal et de lithium par réaction d’un mélange d’un composé de lithium et d’au moins un composé renfermant un métal, lesdits composés étant sous forme particulaire, l’amélioration comprend : l’incorporation de carbone dans le mélange en question, cela en quantité suffisante pour réduire l’état d’oxydation d’au moins un ion métallique du composé renfermant le métal sans pour autant que la réduction soit complète et que l’état élémentaire soit atteint, ainsi que l’exécution de la réaction en présence du carbone.

 

 

[14]           Il n'est pas controversé entre les parties que tous les éléments de la revendication, quelle que soit leur signification, étaient essentiels.

 

[15]           Valence a soutenu que le procédé P1 de Phostech est constitutif de contrefaçon de la revendication 3 du brevet ‘115, car il contient tous les éléments essentiels de celle-ci. Plus précisément, Valence a fait valoir que le résidu carboné formé lors de la pyrolyse du polymère fournit le carbone pour la réduction carbothermique de l’état d’oxydation d’au moins un ion métallique du composé contenant le métal.

[16]           Au procès, Phostech a soulevé un certain nombre de moyens de défense à l’encontre de la thèse de Valence selon laquelle le procédé de Phostech était constitutif de contrefaçon de la revendication 3. Au cours de la procédure contentieuse, Phostech s’est désistée de plusieurs d’entre eux et, à la fin du procès, seules trois questions appelaient encore une réponse : la définition du mot « carbone », le sens de l’expression « incorporation de carbone dans le mélange en question », et si le carbone devait être le seul agent réducteur ou simplement un agent réducteur.

 

[17]           La juge de première instance a entendu les témoignages contradictoires des experts des parties ayant trait à la signification du mot « carbone ». L’expert de Phostech, le Dr Whittingham, a témoigné que, pour la personne versée dans l’art, le mot carbone signifie du carbone sous forme solide, c’est‑à‑dire sous forme particulaire et non de gaz ou de liquide (dossier d’appel, p. 6192‑6193). En contre‑interrogatoire, le Dr Whittingham a reconnu que le carbone auquel on faisait référence dans la revendication 3 doit exister sous une forme sous laquelle il est en mesure de réagir comme réducteur lors d’une réduction carbothermique. Un des experts de Valence, le Dr Dahn, a témoigné que la personne versée dans l’art comprendrait que la revendication n’impose pas la présence de carbone sous une forme particulière (dossier d’appel, p. 1223 et p. 8346). L’autre expert, le Dr Cairns, a témoigné que la personne versée dans l’art comprendrait que le carbone formé par la décomposition de la matière carbonée constitue le carbone tel qu’il est mentionné dans la revendication 3 (dossier d’appel, p. 10,218).

 

[18]           La juge de première instance a examiné avec soin les compétences des témoins experts ainsi que leurs témoignages, et elle a conclu qu’elle préférait retenir le témoignage des experts de Valence.

 

[19]           Plus précisément, la juge de première instance a retenu le témoignage des experts de Valence selon lequel la revendication 3 ne requiert que la présence de carbone avant la réaction carbothermique et il n’est pas nécessaire qu’il soit incorporé dans le mélange de précurseurs avant le commencement du procédé, c’est‑à‑dire avant l’introduction de la matière dans le four (motifs, par. 114 et 119).

 

[20]           Enfin, la juge de première instance a conclu que « le fait que chaque ion du composé renfermant le métal sans exception soit réduit par le carbone décrit dans la revendication ne constitue pas un élément essentiel de la revendication 3 » (motifs, par. 128).

 

b) Validité du brevet 366

[21]           Au cours du procès, Phostech a soulevé un certain nombre de questions concernant la validité du brevet ‘366, et en particulier, de la revendication 26, mais il y a eu désistement par la suite. Au final, la juge n’a été appelée à statuer que sur le caractère suffisant de la divulgation en ce qui concerne les expressions « source de carbone » et « lié par nucléation ou par liaison avec le carbone », et sur la thèse fondée sur le détournement des revendications de la propre demande d’enregistrement de Phostech et sur de fausses déclarations. Étant donné que la seule question visée par l’appel porte sur le caractère suffisant de la divulgation, je restreindrai ma discussion aux parties des motifs du jugement portant sur cette question.

 

[22]           Il faut se rappeler que le brevet ‘366 est divisionnaire du brevet ‘115 et que leur divulgation est commune, sauf en ce qui a trait à quatre pages qui ont été ajoutées au mémoire descriptif du brevet ‘366.  Ces quatre pages n'ont aucune incidence en l'espèce.

 

[23]           La thèse de Phostech relative à l’invalidité du brevet est fondée sur le libellé de la revendication 26, laquelle fait mention d'« une source de carbone » comme précurseur, alors que le mémoire descriptif fait tout simplement mention de « carbone ». Ainsi, selon Phostech, la divulgation est insuffisante, car elle ne permettrait pas à la personne versée dans l’art de réaliser l’invention. La juge de première instance a souligné que l’expert de Phostech, le Dr Whittingham, avait exprimé un point de vue isolé quant à l’effet de la divulgation. La juge de première instance a signalé qu'il ne ressortait d’aucun élément de preuve que la personne versée dans l’art avait besoin de renseignements additionnels pour réaliser l’invention. Même si on savait que certains polymères s’évaporaient plutôt que de former une matière carbonée, on pouvait déterminer au moyen de tests de routine les polymères qu’il convenait d’utiliser dans le cadre de la réaction. En conséquence, la juge de première instance a rejeté ce moyen de contestation de la validité du brevet ‘366

 

MOTIFS D’APPEL DE PHOSTECH

[24]           Phostech, qui est maintenant représentée par de nouveaux avocats, n’a interjeté appel de la décision de la juge de première instance que relativement à deux motifs limités. En ce qui concerne la conclusion selon laquelle il y avait eu contrefaçon de la revendication 3 du brevet ‘115, Phostech a soutenu que la juge de première instance avait commis une erreur dans son interprétation de la revendication 3, plus particulièrement dans son interprétation du mot « carbone ». En ce qui concerne le brevet ’366, Phostech a soutenu que le brevet est invalide parce que la revendication 26 fait mention d’une « source de carbone », alors que dans le mémoire descriptif du brevet, il est question uniquement de l’utilisation du carbone seul, de sorte que la revendication est invalide pour insuffisance de divulgation.

 

[25]           La concision admirable avec laquelle les avocats ont formulé les motifs d’appel s’écarte de façon marquée de l’approche suivie lors du procès, alors que de nombreux moyens ont été soulevés, puis abandonnés avant que l’affaire n’atteigne le stade des plaidoiries finales. Les thèses dont nous sommes saisis sont passablement différentes de celles qui ont été plaidées devant la juge de première instance.

 

ANALYSE

[26]           Le présent appel concerne la décision rendue par un juge à la suite d’un procès. Par conséquent, les normes de contrôle applicables sont celles exposées dans l’arrêt Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235 : celle de la décision correcte quant aux questions de droit et celle de l’erreur manifeste et dominante quant aux questions de fait et quant aux questions mixtes de fait et de droit. Étant donné que les questions soulevées par Phostech sont des questions de droit, la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte.

 

a) Contrefaçon du brevet 115

[27]           La thèse de Phostech en ce qui a trait à la revendication 3 du brevet ‘115 est classique chez les plaideurs : lorsque le rédacteur (ou l'agent de brevets) utilise des termes différents, des significations différentes sont visées. L’avocat de Phostech nous a produit un tableau présentant les diverses expressions utilisées dans le brevet, comme « source of [element] (source de l’élément) », « [element]‑containing compound (composé contenant l’élément) »,

« [element] compound (composé de l’élément) »; il cherchait ainsi à souligner que les rédacteurs du brevet ne faisaient référence qu’au carbone et n’incluaient pas les qualificatifs utilisés en relation avec d’autres substances. Phostech a dès lors soutenu que, lorsque le carbone est visé dans le brevet, cela signifie qu’il s’agit de carbone sous forme pure par opposition à certains autres composés qui peuvent être une source de carbone.

 

[28]           Cette thèse a été exposée en détail lors des débats sans qu'il soit fait mention des témoins experts qui ont déposé sur ce que la personne versée dans l’art comprendrait des termes figurant dans le brevet.

 

[29]           L'état du droit est bien fixé :  c'est au juge qu'il revient d’interpréter le brevet, et non à l’expert. Certes, l’interprétation du terme « carbone » utilisé dans la revendication 3 est une question de droit, mais ce terme doit être interprété à la lumière des preuves produites en ce qui a trait à sa signification pour la personne versée dans l’art (voir Unilever PLC c. Procter & Gamble Inc. (1995), 61 C.P.R. (3d) 499 (C.A.F.), p. 506 et 507, 184 N.R. 378; Halford c. Seed Hawk Inc., 2006 CAF 275, par. 11, 54 C.P.R. (4th) 130).

 

[30]           En l’espèce, la juge de première instance a entendu des témoignages contradictoires sur cette question. Au final, elle a préféré retenir les témoignages des experts appelés par Valence plutôt que ceux appelés par Phostech, pour les raisons qu’elle a formulées aux paragraphes 61, 77, 118, 131 (note en bas de page 75), 166, 167 et 169 de ses motifs.

 

[31]           La juge de première instance a ainsi résumé le témoignage qui l’a amenée à conclure en ce sens aux paragraphes 114 et 115 de ses motifs [note de bas de page omise] :

M. Dahn a témoigné que [traduction] « l’incorporation de carbone dans le mélange en question » signifie seulement, pour une personne versée dans l’art, qu’il faut ajouter du carbone au mélange réactionnel pour effectuer la réduction nécessaire, et que la manière dont le carbone est introduit importe peu. Il peut s’agir de carbone déjà sous la forme dans laquelle il réagira, ou d’un précurseur tel qu’un liant (y compris un polymère) qui générera du carbone sous une forme utilisable pour la RCT.

 

[…]

 

On ne conteste pas que la personne versée dans l’art comprendrait que, pour effectuer une RCT sélective, le « carbone » doit être intimement mélangé avec les produits de départ avant que la réduction ne démarre, et que cette personne saurait que le carbone, qu’il soit incorporé sous forme particulaire avant chauffage du mélange ou sous forme particulaire avant le début de la réduction, comme produit de la décomposition d’un polymère, serait propre dans les deux cas à l’exécution de la RCT.

 

[32]           Elle a ensuite tiré la conclusion suivante, au paragraphe 119 de ses motifs :

« Carbone » est un terme vaste. Le fait que le noir de carbone en poudre soit la substance qui vient d’abord à l’esprit parce qu’elle est employée dans la fabrication de cathodes ou parce qu’elle est utilisée dans l’exemple 9 et semble être l’une des formes privilégiées n’est pas suffisant comme motif pour limiter la revendication de la manière proposée par M. Whittingham, surtout qu’il est clair et que l’on savait que cela ne change rien à la capacité du carbone à réduire un métal par RCT 71. Ayant considéré l’expression dans son contexte entier, la Cour préfère l’interprétation donnée par MM. Cairns, Dahn et Morgan.

 

[33]           À mon avis, l’interprétation par la juge de première instance du terme « carbone » figurant dans la revendication 3 du brevet ‘115, qui est fondée sur les témoignages qu’elle a retenus quant à la signification de ce terme pour la personne versée dans l’art, est inattaquable.

 

[34]           Qu’un avocat puisse en arriver à une conclusion différente, par le recours aux règles habituelles d’interprétation, n’y change rien. Le brevet ne s'adresse pas aux avocats, mais aux personnes versées dans l’art. Ce principe est explicitement consacré par la Loi sur les brevets (L.R.C. 1985, ch. P‑4, al. 27(3)b) [je souligne]) :

(3) Le mémoire descriptif doit :

[…]

b) exposer clairement les diverses phases d’un procédé, ou le mode de construction, de confection, de composition ou d’utilisation d’une machine, d’un objet manufacturé ou d’un composé de matières, dans des termes complets, clairs, concis et exacts qui permettent à toute personne versée dans l’art ou la science dont relève l’invention, ou dans l’art ou la science qui s’en rapproche le plus, de confectionner, construire, composer ou utiliser l’invention;

(3) The specification of an invention must

(b) set out clearly the various steps in a process, or the method of constructing, making, compounding or using a machine, manufacture or composition of matter, in such full, clear, concise and exact terms as to enable any person skilled in the art or science to which it pertains, or with which it is most closely connected, to make, construct, compound or use it;

[35]           Ce qui est vrai pour le mémoire descriptif l’est également pour les revendications. Il ne saurait en être autrement.

 

[36]           En conséquence, je conclus que la juge de première instance n’a commis aucune erreur de droit en interprétant le terme « carbone » de façon à englober le carbone sous une forme autre que particulaire ou en poudre.

 

b) Validité du brevet 366

[37]           J’examinerai maintenant la contestation de la validité du brevet ‘366. Phostech sollicite un jugement déclaratoire portant [traduction] « que le brevet ‘366, et plus particulièrement la revendication 26 ainsi que celles qui en dépendent, sont et ont toujours été invalides, nulles et de nul effet ». Il convient dans un premier temps de préciser que la question de la validité du brevet a été examinée en fonction d’une seule revendication, soit la revendication 26. Il semble que les avocats des parties se soient entendus sur cette approche, et que la juge de première instance l’ait avalisée, mais non sans souligner qu’elle pouvait découler d'un fondement juridique incorrect (motifs, par. 6, note en bas de page 4). Les parties n’ont pas modifié leur démarche devant notre Cour; en conséquence, aux fins du présent appel, il sera statué sur la question de la validité du brevet ‘366 en fonction de la validité de la revendication 26.

 

[38]           La juge de première instance a décrit la preuve relative à la question de l’invalidité de la façon suivante (motifs, par. 185) :

M. Whittingham affirme essentiellement que i) dans le mémoire descriptif, rien n’indique qu’il y ait un réducteur autre que le carbone lui‑même; ii) le terme « source de carbone » comme tel n’est pas employé; iii) il n’y a pas d’exemple où une source de carbone autre que le carbone lui‑même est utilisée.

 

[39]           En appel, Phostech s’est limitée à faire valoir que la revendication 26 mentionne comme précurseur une « source de carbone », alors que dans le mémoire descriptif il n’est fait mention que de « carbone ». Selon Phostech, cela signifie que l’invention visée par la revendication 26 n’était pas divulguée dans le mémoire descriptif.

 

[40]           La juge de première instance a préféré retenir le témoignage des experts de Valence sur la portée de la divulgation. Dans son interprétation des revendications et de la divulgation, elle a fait les observations suivantes, au paragraphe 134 de ses motifs, à propos de leur témoignage :

Cette interprétation est contestée par Valence, dont les experts ont affirmé que, pour une personne versée dans l’art, l’expression désignerait du carbone comme tel ou toute matière carbonée comme celles pouvant générer du carbone sous une forme qui permet la RCT. Pour parvenir à cette conclusion, ils ont notamment pris en compte une autre partie de la revendication, qui fait référence à [traduction] « une étape thermique qui consiste à chauffer la source de carbone et à décomposer ou transformer celle‑ci ». Même si les mots « source de » ne sont pas employés comme tels dans la divulgation, on supposerait que cette étape comprend ce qui est décrit à la page 13 du mémoire descriptif (c’est‑à‑dire un liant qui se décompose pour former un résidu de carbone). Ici encore, selon l’interprétation qu’en donnent les experts de Valence, cette expression ne désigne pas exclusivement le carbone sous forme particulaire.

 

 

[41]           Phostech a soutenu que la juge de première instance a en réalité interprété les mots « carbone », figurant dans le mémoire descriptif, et « source de carbone » figurant dans la revendication 26 du brevet ‘366, comme s’ils avaient la même signification. Je ne vois, en principe, aucune raison pour laquelle la juge de première instance ne pouvait se prononcer en ce sens, si les témoignages relatifs à la compréhension que les personnes versées dans l’art ont de ces expressions, dans le contexte où elles ont été employées, allaient dans le même sens. Lorsque j’examine les témoignages que la juge de première instance a retenus sur ces questions, ainsi que son raisonnement, je ne vois aucune incohérence dans son interprétation de ces deux expressions. Un autre agent de brevets aurait pu rédiger le brevet de façon différente, mais là n’est pas la question. La question est plutôt de savoir ce que la personne versée dans l’art comprendrait dans ce que l’inventeur divulguait et revendiquait. À la lecture des paragraphes 185 à 187, et du paragraphe 194 des motifs de la juge de première instance, il est évident qu’elle a conclu que la revendication 26 était soutenue par la divulgation. Je ne vois là aucune erreur.

 

[42]           En conséquence, je rejetterais la demande de Phostech en jugement déclaratoire portant que le brevet ’366 est invalide.

 

CONCLUSION

[43]           Phostech ne m’a pas convaincu que la juge de 1re instance a commis une erreur en concluant que son procédé P1 était constitutif de contrefaçon de la revendication 3 du brevet ‘115. L’interprétation par la juge du terme « carbone » était fondée sur les éléments de preuve dont elle disposait quant au sens possible de ce terme pour la personne versée dans l’art lisant le brevet dans son ensemble. Je conclus qu’elle n’a commis aucune erreur de droit en statuant comme elle l’a fait. Je conclus également qu'il est impossible de dire que la juge de première instance a abdiqué son pouvoir de décision entre les mains des experts dont elle a préféré retenir les témoignages. Je rejetterais donc l’appel de Phostech quant à la conclusion de contrefaçon de la revendication 3 du brevet ‘115.

[44]           Je rejetterais également la demande de Phostech en jugement déclaratoire portant que le brevet ‘366 est invalide pour les motifs qui précèdent.

 

[45]           Je rejetterais l’appel avec dépens.

 

 

« J.D. Denis Pelletier »

j.c.a.

 

« Je suis d’accord

          Marc Noël j.c.a. »

 

« Je suis d’accord

          Robert M. Mainville j.c.a. »

 

 

 

Traduction certifiée conforme

François Brunet, réviseur

 

 

 

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                                    A‑121‑11

 

APPEL D’UN JUGEMENT, EN DATE DU 11 FÉVRIER 2011, RENDU PAR MADAME LA JUGE GAUTHIER (MOTIFS PUBLICS DU JUGEMENT RENDUS LE 17 FÉVRIER 2011) (« LE JUGEMENT ») DANS LE DOSSIER T‑219‑07

 

INTITULÉ :                                                   PHOSTECH LITHIUM INC. et
VALENCE TECHNOLOGY INC.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 6 juin 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE PELLETIER

 

Y ONT SOUSCRIT :                                     LE JUGE NOËL

                                                                        LE JUGE MAINVILLE

 

DATE :                                                           Le 17 août 2011

 

COMPARUTIONS :

 

François Guay

Jeremy W. Want

Daniel Anthony

Sheldon Hamilton

 

POUR L’APPELANTE

 

Ronald Dimock

Angela Furlanetto

Ryan Evans

 

POUR L’INTIMÉE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Smart & Biggar

Montréal (QC)

 

POUR L’APPELANTE

 

Dimock Stratton LLP

Toronto (ON)

POUR L’INTIMÉE

 

 

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