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Date : 20110930

Dossier : A‑370‑10

Référence : 2011 CAF 270

 

CORAM :      la juge SHARLOW

                        la juge LAYDEN‑STEVENSON

                        le juge STRATAS

 

Entre :

CIBC WORLD MARKETS INC.

appelante

et

sa majesté la reine

intimée

 

 

 

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 21 septembre 2011

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 30 septembre 2011

 

Motifs du jugement :                                                                               le juge STRATAS

y ont souscrit :                                                                                       la juge SHARLOW

                                                                                                    La juge LAYDEN‑STEVENSON

 


Date : 20110930

Dossier : A‑370‑10

Référence : 2011 CAF 270

 

CORAM :      la juge SHARLOW

                        la juge LAYDEN‑STEVENSON

                        le juge STRATAS

 

Entre :

CIBC WORLD MARKETS INC.

appelante

et

sa majesté la reine

intimée

 

 

Motifs du jugement

 

LE JUGE STRATAS

 

[1]               Il s’agit d’un appel formé à l’encontre du jugement de la Cour canadienne de l’impôt (le juge en chef Rip) portant la référence 2010 CCI 460.

 

[2]               CIBC World Markets Inc. a déposé une déclaration de taxes sur les produits et services en application de la Loi sur la taxe d’accise, L.R.C. 1985, ch. E‑15, dans laquelle elle demandait des crédits de taxe sur les intrants pour deux années d’imposition, 1998 et 1999. Plus tard, employant une méthode différente, elle a présenté une deuxième demande par laquelle elle cherchait à obtenir des crédits de taxe sur les intrants plus élevés pour les deux mêmes années d’imposition. Le ministre a rejeté la deuxième demande de CIBC World Markets au motif que la Loi n’autorisait pas la présentation d’une deuxième demande fondée sur une méthode différente.

 

[3]               La Cour canadienne de l’impôt a interprété les dispositions de la Loi relatives à la TPS et était d’accord avec le ministre. CIBC World Markets interjette appel devant notre Cour.

 

[4]               Aucun terme des dispositions de la Loi relatives à la TPS n’autorise expressément un inscrit aux fins de la TPS, comme CIBC World Markets, à présenter une deuxième demande de crédits de taxe sur les intrants à l’égard d’une année d’imposition en utilisant une méthode différente. Toutefois, à mon avis, le régime général et l’objet des dispositions de la Loi relatives à la TPS permettent à CIBC World Markets de présenter une telle demande et le texte de la Loi ne l’empêche nulle part. J’accueillerais donc l’appel.

 

A.        Aperçu du régime législatif

 

[5]               Je commencerai par un aperçu général des notions du régime dans son ensemble et de l’objet des dispositions de la Loi relatives à la TPS, fournissant ainsi le contexte pour interpréter les dispositions particulières en cause dans le présent appel.

 

(1)        L’objet des dispositions de la Loi relatives à la TPS

 

[6]               La TPS est une taxe à la consommation. Les dispositions de la Loi relatives à la TPS indiquent que le législateur voulait qu’elle soit payée par les consommateurs finaux des produits et des services. Le ministre a publié il y a plusieurs années un document technique sur la TPS qui le confirme (Canada, Ministère des Finances, Taxe sur les produits et services : document technique, Ottawa, Ministère des Finances, 1989).

 

(2)        La disposition clé en matière d’assujettissement : le paragraphe 165(1) de la Loi

 

[7]               Le paragraphe 165(1) de la Loi énonce une règle générale : ceux qui reçoivent des services ou des biens, comme des produits, dans le cadre d’une activité commerciale (appelés dans la Loi une « fourniture taxable ») sont tenus de payer la TPS.

 

(3)        Qui est assujetti à la TPS?

 

[8]               La règle générale exposée au paragraphe 165(1) de la Loi s’applique à tous, même à ceux qui ne sont pas les consommateurs finaux.

 

[9]               Plus précisément, chaque acquéreur de biens et services taxables est potentiellement tenu de payer la TPS, même si, en tant qu’intermédiaire, il livre au bout du compte ces biens et services à d’autres. À titre d’exemple, un grossiste peut fournir des biens à un détaillant qui les fournit à son tour à un consommateur. Le détaillant est tenu de payer la TPS en vertu de la règle générale prévue au paragraphe 165(1).

 

[10]           Si le mécanisme s’arrêtait là, la TPS perdrait sa nature de taxe à la consommation imposée aux consommateurs finaux de biens et de services. Elle s’attacherait, pleinement, à chaque partie dans une série de transactions culminant avec la réception finale par les consommateurs.

 

(4)        Crédit de taxe sur les intrants : le concept général

 

[11]           La Loi empêche cette conséquence en donnant aux parties des crédits pour les « intrants » qu’elles reçoivent.

 

[12]           À titre d’exemple, en vue de vendre des produits à des consommateurs, un détaillant peut recevoir des « intrants », tels que des stocks. Le détaillant a besoin de ces « intrants » pour effectuer une fourniture de biens au consommateur. Selon l’activité commerciale particulière, il peut y avoir toutes sortes d’« intrants » nécessaires.

 

[13]           Évidemment, si dans l’exemple ci‑dessus le détaillant ne recevait pas un crédit pour la TPS payée sur les intrants nécessaires pour effectuer une fourniture taxable de produits à un consommateur, la TPS serait imposée en entier au détaillant et, du reste, à tous les intermédiaires dans la chaîne de distribution. Si cela se produisait, la TPS perdrait sa nature de taxe à la consommation imposée au consommateur final de biens et de services.

 

[14]           Pour réaliser l’objet de taxer les consommateurs finaux de biens et de services, la Loi autorise des crédits de taxe pour les intrants que les parties reçoivent en vue d’effectuer une fourniture taxable. Ces crédits sont appelés crédits de taxe sur les intrants.

 

[15]           Comme nous l’avons vu, ces crédits de taxe sur les intrants permettent de préserver le caractère fondamental de la TPS à titre de taxe à la consommation imposée aux consommateurs finaux. Selon les mots du ministre :

 

Selon un principe fondamental sous‑tendant la TPS/TVH, aucune taxe ne devrait être incorporée dans le prix de biens et de services qu’un inscrit acquiert, importe ou transfère dans une province participante en vue d’effectuer des fournitures taxables […] dans le cadre de ses activités commerciales. Afin de voir à ce qu’un bien ou un service consommé, utilisé ou fourni dans le cadre d’activités commerciales ne soit pas assujetti à la TPS/TVH, les inscrits ont le droit de demander un CTI pour la TPS/TVH payée ou exigible sur un tel bien ou service. Les CTI permettent donc à chaque inscrit de récupérer la taxe engagée à son étape du processus de production et de distribution.

 

 

(Agence du revenu du Canada, Série des mémorandums sur la TPS/TVH, 8.1 – Règles générales d’admissibilité, mai 2005, au paragraphe 1)

 

(5)        Les crédits de taxe sur les intrants : une complication supplémentaire

 

[16]           Une autre complication doit être mentionnée. Aux termes de la Loi, certaines fournitures ne sont pas taxables, soit parce qu’elles ne sont pas visées par le paragraphe 165(1) de la Loi, soit parce qu’elles sont autrement exemptées en vertu de la Loi.

 

[17]           Il se peut qu’une personne soit le fournisseur de biens et de services à la fois taxables et exemptés, mais il a droit à des crédits de taxe sur les intrants uniquement à l’égard des intrants se rapportant aux fournitures taxables.

 

[18]           Dans le cas où une personne est un fournisseur à la fois de fournitures taxables et exemptées, il est nécessaire de trouver une méthode limitant la demande de crédits de taxe sur les intrants pour refléter uniquement les biens et services acquis ou utilisés pour effectuer des fournitures taxables.

 

[19]           La Loi résout ce problème en autorisant les parties, au paragraphe 141.01(5), à adopter une méthode d’allocation générale.

 

[20]           Toutes les méthodes ne sont pas acceptables. Le paragraphe 141.01(5) prévoit que la méthode doit être « juste[] et raisonnable[] » et qu’elle doit être « suivie[] tout au long d’un exercice ». Le paragraphe 141.01(5) est rédigé comme suit :

 

141.01. (5) Sous réserve de l’article 141.02, seules des méthodes justes et raisonnables et suivies tout au long d’un exercice peuvent être employées par une personne au cours de l’exercice pour déterminer la mesure dans laquelle :

 

a) la personne acquiert, importe ou transfère dans une province participante des biens ou des services afin d’effectuer une fourniture taxable pour une contrepartie ou à d’autres fins;

 

b) des biens ou des services sont consommés ou utilisés en vue de la réalisation d’une fourniture taxable pour une contrepartie ou à d’autres fins.

141.01. (5) Subject to section 141.02, the methods used by a person in a fiscal year to determine

 

(a) the extent to which properties or services are acquired, imported or brought into a participating province by the person for the purpose of making taxable supplies for consideration or for other purposes, and

 

(b) the extent to which the consumption or use of properties or services is for the purpose of making taxable supplies for consideration or for other purposes,

 

shall be fair and reasonable and shall be used consistently by the person throughout the year.

 

 

[21]           La présentation des demandes de crédits de taxe sur les intrants est aussi assujettie à des périodes de prescription et à des échéances (voir le paragraphe 225(4) de la Loi). De même, la double prise en compte est interdite : un montant ne devrait pas être inclus dans une demande de crédits de taxe sur les intrants si le montant demandé a déjà été inclus dans une demande antérieure (voir le paragraphe 225(3) de la Loi).

 

B.        Les faits de la présente affaire

 

[22]           Dans la présente affaire, l’appelante, CIBC World Markets, exerçait des activités commerciales et était tenue de payer la TPS. Elle était admissible à demander des crédits de taxe sur les intrants pour la TPS qu’elle payait. Cependant, comme toutes ses fournitures n’étaient pas des fournitures taxables, elle devait limiter les demandes de crédits de taxe sur les intrants de la façon décrite ci‑dessus.

 

[23]           Il incombait à CIBC World Markets d’établir la portion de TPS qu’elle pouvait demander au titre de crédits de taxe sur les intrants à l’égard de la TPS qu’elle avait payée. Elle a adopté une méthode particulière pour établir cette portion pour les années d’imposition 1998 et 1999. Au moyen de cette méthode, elle a calculé que ses crédits de taxe sur les intrants s’élevaient à 6,79 % pour la TPS qu’elle avait payée en 1998 et à 6,05 % pour la TPS qu’elle avait payée en 1999. Elle a déposé des déclarations pour les années d’imposition 1998 et 1999, dans lesquelles ces montants étaient demandés.

 

[24]           Le ministre fait droit aux demandes de CTI présentées. À son avis, la méthode employée par CIBC World Markets en 1998 et 1999 respectait le paragraphe 141.01(5) de la Loi en ce qu’elle était « juste et raisonnable » et avait été « suivie tout au long d’un exercice ».

 

[25]           En 2000, CIBC World Markets a adopté une méthode différente. Cette méthode a donné lieu à une demande de crédits de taxe sur les intrants plus élevée. L’appelante a calculé ses crédits de taxe sur les intrants en fonction d’un taux de 25,07 % de la TPS payée en 2000. Le ministre a accepté la demande de crédits de taxe sur les intrants présentée. À son avis, la méthode employée par CIBC World Markets respectait le paragraphe 141.01(5) de la Loi en ce qu’elle était « juste et raisonnable » et avait été « suivie tout au long d’un exercice ».

 

[26]           En employant cette méthode différente, CIBC World Markets a également présenté une deuxième demande de crédits de taxe sur les intrants pour les années d’imposition 1998 et 1999, cherchant à obtenir un taux plus élevé que celui demandé auparavant. Elle a présenté sa deuxième demande à l’intérieur des délais de prescription applicables prévus au paragraphe 225(4) pour les années en cause. Elle demandait uniquement les sommes excédant celles demandées auparavant à l’égard de ces années. En d’autres mots, elle n’a pas fait une double prise en compte au sens du paragraphe 225(3).

 

C.        La position du ministre et le jugement de la Cour canadienne de l’impôt

 

[27]           Le ministre a rejeté la demande de crédits de taxe sur les intrants supplémentaires pour les années d’imposition 1998 et 1999. La position du ministre reposait sur deux motifs qui ont tous deux été acceptés par la Cour canadienne de l’impôt :

 

●          « Une seule prise » est autorisée. De l’avis du ministre, la Loi autorise seulement une demande de crédits de taxe sur les intrants pour une année d’imposition. Autrement dit, un inscrit aux fins de la TPS, comme CIBC World Markets, a droit à une seule prise et non pas à deux. La Cour canadienne de l’impôt était d’accord, indiquant qu’après la présentation d’une demande, « le fisc se fonde sur ce renseignement » et que permettre de réviser une demande qui n’est entachée d’aucune erreur « serait source d’incertitude sur le plan fiscal » (aux paragraphes 32 et 35).

 

●          Le paragraphe 141.01(5) de la Loi. Le ministre a soutenu que permettre à CIBC World Markets d’utiliser une méthode révisée contreviendrait à l’exigence du paragraphe 141.01(5) de la Loi selon laquelle une méthode particulière doit être « suivie[] tout au long d’un exercice ». La Cour canadienne de l’impôt était d’accord (aux paragraphes 44 et 45).

 

D.        Analyse

 

[28]           Comme nous l’avons vu, le présent appel vise l’interprétation qu’il convient de donner à certaines dispositions de la Loi.

 

[29]           Dans l’arrêt Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, [2005] 2 R.C.S. 601, au paragraphe 10, la Cour suprême du Canada a prescrit l’approche applicable à l’interprétation des lois fiscales :

 

[…] L’interprétation d’une disposition législative doit être fondée sur une analyse textuelle, contextuelle et téléologique destinée à dégager un sens qui s’harmonise avec la Loi dans son ensemble. Lorsque le libellé d’une disposition est précis et non équivoque, le sens ordinaire des mots joue un rôle primordial dans le processus d’interprétation. Par contre, lorsque les mots utilisés peuvent avoir plus d’un sens raisonnable, leur sens ordinaire joue un rôle moins important. L’incidence relative du sens ordinaire, du contexte et de l’objet sur le processus d’interprétation peut varier, mais les tribunaux doivent, dans tous les cas, chercher à interpréter les dispositions d’une loi comme formant un tout harmonieux.

 

 

Gardant cette approche à l’esprit, j’examinerai maintenant les deux questions dont la Cour est saisie.

 

(1)        Est‑il possible de présenter plus d’une demande de crédits de taxe sur les intrants à l’égard de la même année d’imposition?

 

[30]           À mon avis, il est possible de le faire. Il existe plusieurs motifs qui, pris ensemble, mènent à cette conclusion.

 

– I –

 

[31]           Rien dans le texte de la Loi n’interdit plus d’une demande de crédits de taxe sur les intrants à l’égard de la même année d’imposition.

 

– II –

 

[32]           En fait, la Loi contient des dispositions, plus précisément au paragraphe 225(3) de la Loi, qui permettent d’envisager la possibilité que plus d’une demande de crédits de taxe sur les intrants puisse être présentée à l’égard de la même année d’imposition.

 

[33]           Le paragraphe 225(3) de la Loi prévoit qu’un inscrit aux fins de la TPS ne peut pas demander deux fois le même montant; la double prise en compte est interdite. Plus particulièrement, le paragraphe prévoit qu’« [u]n montant n’est pas à inclure […] dans la mesure où il a été demandé ou inclus à titre de crédit de taxe sur les intrants […] dans le calcul de la taxe nette pour une période de déclaration antérieure ». Ce libellé renvoie précisément à des « périodes de déclarations antérieures » et permet de penser que plus d’une demande à l’égard d’une année d’imposition peut être présentée à différents moments dans la mesure où le même montant n’est pas demandé deux fois. Ainsi, un inscrit aux fins de la TPS qui a payé 5 $ de TPS sur un achat de fournitures de bureau de 100 $ ne peut pas demander 5 $ de crédits de taxe sur les intrants dans une déclaration et ensuite réclamer le même montant de 5 $ dans une deuxième déclaration. Rien ne l’empêche toutefois de demander 2 $ dans une déclaration et 3 $ dans une deuxième déclaration, dans la mesure où les deux déclarations sont déposées à l’intérieur de la période de prescription prévue par la Loi. Voilà exactement le genre de chose que CIBC World Markets a fait en l’espèce et elle n’a pas fait de double prise en compte.

 

– III –

 

[34]           L’intimée soutient que lorsque CIBC World Markets a adopté sa première méthode, elle n’agissait pas sous le coup d’une erreur. Elle a indiqué que la deuxième méthode était [traduction] « meilleure » pour CIBC World Markets, mais qu’elle n’était pas nécessairement la plus exacte ou la plus pertinente des deux méthodes.

 

[35]           Elle a peut‑être raison, mais cela ne change rien au fait que le ministre a estimé que les deux méthodes étaient « justes et raisonnables » en vertu du paragraphe 141.01(5) de la Loi. Interdire une demande ultérieure fondée sur une méthode qui a été reconnue comme étant « juste et raisonnable » donne lieu à une conséquence fâcheuse qu’aucune disposition de la Loi n’exige, à mon avis.

 

– IV –

 

[36]           Pour le ministre, la finalité est importante. Interpréter la Loi de façon à ce qu’une seule demande de crédits de taxe sur les intrants soit possible contribue en effet à la réalisation de l’objectif de finalité ou, comme la Cour de l’impôt l’a appelé, la « certitude sur le plan fiscal ».

 

[37]           La « certitude sur le plan fiscal » n’est pas un objectif qui imprègne la Loi toute entière. En effet, différentes dispositions de la Loi vont à l’encontre de la finalité ou de la « certitude sur le plan fiscal ». À titre d’exemple, au cours des deux années après lesquelles la taxe a été payée, il est possible de demander un remboursement en raison d’une erreur ou d’une autre cause (voir l’article 261 de la Loi).

 

[38]           À l’appui de sa conclusion selon laquelle une seule demande de crédits de taxe sur les intrants est permise, la Cour de l’impôt a invoqué l’objectif de finalité, indiquant que « le fisc se fonde sur [le] renseignement » figurant dans la déclaration de l’inscrit aux fins de la TPS. Cependant, le dossier ne contient aucun élément de preuve selon lequel le fisc se fondera sur l’information figurant dans la déclaration d’une manière préjudiciable.

 

[39]           Le besoin de finalité et la certitude sur le plan fiscal sont réalisés au moyen des diverses échéances et périodes de prescription énoncées dans la Loi. Pourvu que les échéances et les périodes de prescription soient respectées, la présentation de plus d’une demande de crédits de taxe sur les intrants ne fait intervenir aucun objectif de politique significatif qui est présent dans la Loi.

 

[40]           En l’absence de texte clair à l’effet contraire – et il n’y en a pas en l’espèce – l’objectif de la Loi qui permet aux inscrits aux fins de la TPS d’obtenir un montant additionnel au titre du recouvrement de TPS par le biais des crédits de taxe sur les intrants devrait prévaloir en l’espèce.

 

– V –

 

[41]           Les avocats de CIBC World Markets ont soutenu que l’interprétation de l’intimée transforme l’action de déposer une déclaration contenant une demande de crédits de taxe sur les intrants fondée sur une méthode particulière en un choix irrévocable : une fois qu’une méthode est choisie, il n’est pas possible de s’en écarter ultérieurement, même à l’intérieur de la période de prescription. Essentiellement, l’interprétation de l’intimée fait en sorte que l’action de déposer une déclaration fondée sur une méthode particulière devient une occasion pour [traduction] « parler maintenant ou se taire à jamais » quant aux crédits de taxe sur les intrants.

 

[42]           Je suis d’accord avec cette description. Je suis également d’accord avec le commentaire des avocats de CIBC World Markets selon lequel aucune disposition de la Loi n’indique ces conséquences juridiques, fait d’autant plus important que le législateur sait comment indiquer de telles conséquences. Lorsqu’un choix doit être fait et lorsqu’il doit être irrévocable, le législateur a pour pratique d’employer des termes explicites dans les dispositions de la Loi relatives à la TPS. Il n’existe aucun libellé explicite faisant état d’un choix irrévocable du contribuable concernant la méthode.

 

[43]           En effet, dans des modifications apportées en juillet 2010, le législateur a employé un libellé clair pour modifier cette situation juridique pour certains inscrits aux fins de la TPS dans le secteur financier. Le paragraphe 141.02(17) de la Loi, ajouté par l’article 57 du chapitre 12 des Lois du Canada de 2010, empêche maintenant certaines parties, comme CIBC World Markets, de modifier unilatéralement leur méthode de l’égard d’une année d’imposition particulière après le dépôt de la déclaration pour l’année visée. Selon ce nouveau paragraphe, une fois qu’une méthode a été choisie par une institution financière à l’égard d’une année particulière, la méthode ne peut être modifiée sans le consentement écrit du ministre.

 

[44]           Le libellé du nouveau paragraphe 141.02(17) de la Loi contient exactement le genre de termes précis auxquels on s’attendrait si l’interprétation de l’intimée dans le présent appel était fondée. Mais dans la version de la Loi en cause dans le présent appel, de tels termes n’existent pas.

 

– VI –

 

[45]           L’intimée et la Cour de l’impôt ont toutes deux trouvé utiles pour le présent appel certaines décisions du Royaume‑Uni portant sur la taxe à valeur ajoutée de ce pays (voir par exemple Victoria and Albert Museum Trustees c. Customs and Excise Commissioners, [1996] S.T.C. 1016 (Q.‑B.)). Ces décisions doivent être examinées avec prudence. Elles sont fondées sur une loi libellée différemment concernant un régime de taxe à la consommation qui est quelque peu différent du nôtre. Notamment, il n’est pas possible au Royaume‑Uni de changer de méthode sans approbation préalable, et l’adoption rétrospective d’une méthode n’est pas autorisée à moins qu’il ne soit démontré que la méthode n’est pas juste et raisonnable (VAT Notice 706, Partial Exemption (décembre 2006), au paragraphe 6.11).

 

[46]           Pour tous les motifs qui précèdent, je conclus que CIBC World Markets avait le droit, à l’intérieur de la période de prescription, de modifier sa méthode à l’égard des années d’imposition 1998 et 1999 et de demander des crédits de taxe sur les intrants supplémentaires.

 

(2)        L’emploi d’une méthode révisée contrevient‑il au paragraphe 141.01(5) de la Loi?

 

[47]           Le paragraphe 141.01(5) prévoit qu’une méthode doit être « suivie[] tout au long d’un exercice ». La Cour de l’impôt a conclu, au paragraphe 44, qu’il serait « injuste » qu’un inscrit aux fins de la TPS puisse utiliser une méthode pour une année d’imposition et puis, plus tard, la réviser pour cette année‑là. À son avis, le paragraphe 141.01(5) empêche une telle situation.

 

[48]           La Cour de l’impôt semble avoir interprété le paragraphe 141.01(5) comme si l’inscrit aux fins de la TPS était tenu de choisir une méthode au début d’un exercice financier et de suivre ensuite cette méthode jusqu’à la fin de l’exercice. Cela ne reflète pas ce que la Loi permet. Reconnaissant peut‑être la science imprécise en ce qui concerne le choix d’une méthode, le législateur permet aux inscrits de choisir, plusieurs années après la fin d’une année d’imposition, leur méthode et de déposer une demande des crédits de taxe sur les intrants pour l’année d’imposition (le paragraphe 225(4) de la Loi).

 

[49]           À mon avis, le paragraphe 141.01(5) exige simplement une cohérence tout au long de l’année lorsqu’une méthode est choisie. Cela empêche un inscrit aux fins de la TPS d’employer une méthode pour une partie de l’année et ensuite une autre méthode pour une autre partie de l’année, par exemple pour tirer avantage d’une fluctuation saisonnière.

 

[50]           Cette interprétation est compatible avec le sens ordinaire de « suivie[] tout au long d’un exercice » au paragraphe 141.01(5). La première méthode choisie par CIBC World Markets a été suivie tout au long des années d’imposition 1998 et 1999. La seconde méthode a également été suivie tout au long des années d’imposition 1998 et 1999.

 

[51]           Cette interprétation est également conforme aux notes explicatives publiées par le ministre concernant une nouvelle disposition de la Loi qui est formulée de façon semblable et qui avait un lien étroit avec le paragraphe 141.01(5) : l’alinéa 141.02(16)b), adopté par l’article 57 du chapitre 12 des Lois du Canada de 2010. L’alinéa 141.02(16)b) a un lien avec le paragraphe 141.01(5) en ce qu’il prévaut sur le paragraphe 141.01(5) dans le cas des institutions financières. L’alinéa 141.02(16)b) prévoit qu’une méthode doit être « suivie par l’institution financière tout au long de l’exercice », libellé qui est substantiellement semblable à celui du paragraphe 141.01(5). Les notes explicatives du ministre concernant ce libellé, publiées en septembre 2009, indiquent ce qui suit :

 

[…] Les alinéas 141.02(16)a) et b) prévoient respectivement que la méthode doit être juste et raisonnable et qu’elle doit être suivie tout au long de l’exercice de l’institution financière (en d’autres termes, l’institution financière ne peut changer de méthode en cours d’exercice). Ces conditions sont les mêmes que celles, prévues au paragraphe 141.01(5), qui s’appliquent aux méthodes d’attribution des crédits de taxe sur les intrants en général.

 

[52]           Si CIBC World Markets avait employé une méthode pour une partie d’une année d’imposition et une deuxième méthode pour une autre partie de l’année d’imposition, une objection fondée sur le paragraphe 141.01(5) pourrait être soulevée. Ce n’est pas le cas en l’espèce. Il s’ensuit que le paragraphe 141.01(5) n’interdit pas la demande révisée de crédits de taxe sur les intrants de CIBC World Markets en l’espèce.

 

E.         Dispositif proposé

 

[53]           J’accueillerais l’appel, j’annulerais le jugement de la Cour canadienne de l’impôt dans le dossier no 2007‑3926(GST)G, daté du 8 septembre 2010, j’accueillerais l’appel formé par CIBC World Markets à l’encontre de la cotisation et je renverrais l’affaire au ministre pour qu’il établisse une nouvelle cotisation conformément aux présents motifs. J’adjugerais aussi les dépens à l’appelante devant notre Cour et la Cour canadienne de l’impôt.

 

 

« David Stratas »

j.c.a.

 

 

 

« Je suis d’accord.

            K. Sharlow, j.c.a. »

 

« Je suis d’accord.

            Carolyn Layden‑Stevenson, j.c.a. »

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 

 


cour d’appel fédérale

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    A‑370‑10

 

Appel de l’ordonnance du juge en chef GERALD J. RIP, datée du 8 septembre 2010, dossier n2007‑3926(GST)G

 

INTITULÉ :                                                   CIBC World Markets Inc. c.
Sa Majesté la reine

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 21 septembre 2011

 

Motifs du jugement :                        LE JUGE STRATAS

 

Y ont souscrit :                                     LA JUGE SHARLOW

                                                                        LA JUGE LAYDEN‑STEVENSON

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 30 septembre 2011

 

 

Comparutions :

 

Alnasir Meghji

Martha MacDonald

 

Pour l’appelante

 

Marilyn Vardy

Darren Prevost

Craig Maw

 

Pour l’intimée

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Osler, Hoskin & Harcourt, LLP

Toronto (Ontario)

 

Pour l’appelante

 

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

 

Pour l’intimée

 

 

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