Décisions de la Cour d'appel fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20111025

Dossier : A-286-10

Référence : 2011 CAF 296

 

CORAM :      LE JUGE NADON

                        LA JUGE TRUDEL

                        LE JUGE MAINVILLE

 

ENTRE :

9056-2059 QUÉBEC INC.

appelante

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

 

 

Audience tenue à Montréal (Québec), le 8 septembre 2011.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 25 octobre 2011.

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                 LA JUGE TRUDEL

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                            LE JUGE NADON

                                                                                                                       LE JUGE MAINVILLE

 


Date : 20111025

Dossier : A-286-10

Référence : 2011 CAF 296

 

CORAM :      LE JUGE NADON

                        LA JUGE TRUDEL

                        LE JUGE MAINVILLE

 

ENTRE :

9056-2059 QUÉBEC INC.

appelante

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

LA JUGE TRUDEL

Introduction

 

[1]               Le présent pourvoi vise un jugement de la Cour canadienne de l’impôt (2010 CCI 358, le juge Tardif (le juge)) par lequel l’appel de la cotisation établie à l’encontre de 9056-2059 Québec Inc. (9056 ou l’appelante), relativement à la taxe sur les produits et services, pour la période du 1er février 2002 au 31 décembre 2005, a été rejeté sauf quant à la pénalité découlant du défaut de perception et de remise de la taxe nette.  Le juge a donc trouvé que l’appelante n’avait démoli aucune des onze hypothèses de faits du ministre à la base de la cotisation contestée.  Je ne suis pas d’accord.

 

[2]               Je conclus que l’appelante a démontré que la disposition législative sur laquelle le ministre s’est appuyé pour émettre la cotisation en cause ne s’applique pas en l’instance.  En conséquence, je propose d’accueillir l’appel pour les motifs qui suivent.

 

[3]               La Loi sur la taxe d’accise, L.R.C. 1985, ch. E-15 (la LTA) en vertu de laquelle le gouvernement fédéral perçoit la taxe sur les produits et services prévoit, entre autres, lesquels de ces produits et services sont des fournitures détaxées par opposition à celles qui sont taxables.  En l’espèce, suivant l’article 138 de la LTA, il a été jugé que 9056 offrait, pour une contrepartie unique, des fournitures multiples (ou mixtes) dont la fourniture principale était taxable.  Par conséquent, l’autre fourniture n’en était que l’accessoire et présumée en faire partie;  elle devenait alors taxable bien qu’elle ne le soit pas, prise isolément.  Le litige en appel porte essentiellement sur la qualification des services offerts par l’appelante et, le cas échéant, sur l’application, aux faits de l’espèce, de la règle énoncée à l’article 138 de la LTA.

 

[4]               Par souci de compréhension des faits pertinents au présent litige, je le reproduis immédiatement :

 

 Pour l’application de la présente partie, le bien ou le service dont la livraison ou la prestation peut raisonnablement être considérée comme accessoire à la livraison ou à la prestation d’un autre bien ou service est réputé faire partie de cet autre bien ou service s’ils ont été fournis ensemble pour une contrepartie unique.

138. For the purposes of this Part, where

(a) a particular property or service is supplied together with any other property or service for a single consideration, and

(b) it may reasonably be regarded that the provision of the other property or service is incidental to the provision of the particular property or service,

the other property or service shall be deemed to form part of the particular property or service so supplied.

 

Les faits pertinents

 

[5]               9056, immatriculée en 1997, est une entreprise agrotouristique qui s’intéresse à l’apiculture.  Afin de stimuler et promouvoir la vente de leurs produits artisanaux, l’appelante, et avant elle ses actionnaires Jean-Pierre Binette et Madeleine Courchesne, ont développé sur leurs terres un réseau de sentiers entrelacés en forme de labyrinthe mieux connu par ses usagers sous le nom du « labyrinthe du domaine de la forêt perdue » (le labyrinthe).  Ces sentiers permettent la pratique d’activités diverses de plein air à l’année longue, dont la randonnée pédestre, le patinage à roues alignées ou à glace, l’observation de cervidés et autres espèces animales, etc. (voir feuillet promotionnel, dossier d’appel, volume II, onglet 38).  Cet usage, non sans grandes difficultés, a obtenu l’aval de la Commission de protection du territoire agricole du Québec (CPTAQ).  En effet, après trois refus antérieurs, la CPTAQ, par décision du 25 avril 1997, a autorisé l’utilisation à d’autres fins qu’agricoles des terres requises pour les activités de 9056 considérant qu’il n’en résulterait pas de préjudice majeur pour le milieu agricole et que ce projet dans son ensemble contribuerait au développement agrotouristique de la région au-delà de la période de pointe qu’est la saison estivale (ibidem, onglet 22, page 195).

 

[6]               Il ne fait aucun doute que l’objectif visé par 9056 a été rencontré.  Le labyrinthe, particulièrement pendant la saison hivernale, connait un fort achalandage sur lequel l’appelante mise pour écouler son miel et ses produits dérivés du miel (le miel ou son miel).  Celle-ci offre aussi d’autres produits du terroir provenant de sources indépendantes.

 

[7]               La stratégie de mise en marché est telle que l’usager doit se procurer un produit de la ferme pour accéder aux sentiers.  La transaction s’exécute par l’achat de coupons.  Le premier coupon se vend 12 $ pour un adulte et 10 $ pour un enfant.  En pratique, un adulte qui débourse 12 $ obtient un premier produit de la ferme dont le prix a été fixé à un coupon (évalué à 1,50 $) et peut, sans plus, emprunter les sentiers pour le nombre d’heures qu’il souhaite dans la journée.  Selon la grille de tarification de l’appelante, un coupon permet d’obtenir l’un des produits suivants : 50 g de miel ou de sirop d’érable, un sac de 8 bonbons, un suçon à l’érable ou un sac de 454 g de farine de sarrasin.  Par comparaison, le pot de 500 g de miel liquide baratté, évalué à 6 $, requiert 4 coupons alors que le pot de 1 kg, évalué à 9 $, requiert 6 coupons.  Sauf exception, les coupons supplémentaires coûtent 1,50 $ chacun.  Il ne s’agit là que de quelques exemples illustrant la tarification mise en place par 9056 (Liste de prix des produits vendus, ibidem, onglet 25, page 211).

[8]               De l’aveu même de l’appelante, un client paie ainsi un prix considérable pour le premier coupon et l’acquisition d’un seul produit de la ferme de minime valeur.  Cependant, il paie un prix inférieur pour l’achat de produits subséquents (mémoire de l’appelante, paragraphe 12).  L’appelante compte ainsi que les clients qui empruntent le labyrinthe en profiteront pour acheter des coupons supplémentaires et se procurer son miel en plus grande quantité que celle disponible à l’achat du coupon d’entrée initial.

 

[9]               C’est dans ce contexte que l’article 138 de la LTA s’est soulevé.  Le ministre du Revenu a adopté la position que la vente de miel et l’accès au labyrinthe constituaient des fournitures mixtes.  Le miel et autres produits du terroir offerts par 9056 sont détaxés (Annexe VI, partie III, article 1 de l’Annexe auquel réfère le paragraphe 123(1) de la LTA) alors que l’accès au labyrinthe, l’appelante le concède, constitue l’entrée à un lieu de divertissement, soit une fourniture taxable effectuée dans le cadre d’une activité commerciale (au sens du paragraphe 123(1) de la LTA) (mémoire de l’appelante, paragraphes 32 et s.).  Le ministre du Revenu, considérant que le labyrinthe constituait la fourniture principale et le miel l’accessoire, a retenu l’ensemble des ventes de 9056 et émis une cotisation pour un montant de taxe nette de 36 992,08 $ avec des intérêts de 2 020,87 $ et une pénalité de 4 211,04 $.  Sauf pour la pénalité, le juge a confirmé la position du ministre.

 

 

 

 

 

La norme de contrôle

 

[10]           L’article 138 de la LTA requiert l’application d’un ensemble de faits à une norme juridique, ce qui constitue une question mixte de faits et de droit révisable par notre Cour en cas d’erreur manifeste et dominante (Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235 [Housen]).

 

[11]           Par ailleurs, l’énoncé de cette norme juridique est une question de droit soumise à la norme de la décision correcte (Housen précité, paragraphe 27; Camp Mini-Yo-We inc. c. Canada, 2006 CAF 413, paragraphe 17 [Camp Mini]).

 

Le jugement de la Cour canadienne de l’impôt

 

[12]           En appel devant la Cour canadienne de l’impôt, 9056 a adopté des positions juridiques alternatives :

 

7.  La position de l’appelante est sans équivoque : la vente de miel et l’accès au sentier constituent une seule et même fourniture aux fins de la LTA.

8.  Cette fourniture unique est la vente de miel par l’appelante et constitue une fourniture détaxée au sens de la LTA.

9.  Toutefois, et de façon subsidiaire seulement, l’appelante soumet que si la vente de miel et l’accès au sentier constituent des fournitures multiples, ce qu’elle nie vigoureusement, alors l’accès au sentier est un élément accessoire à la vente de miel, au sens de l’article 138 LTA.

10.  Si les deux positions de l’appelante ne sont pas retenues par la Cour, l’appelante soumet finalement que la fourniture de miel n’est pas l’accessoire de l’accès au sentier et l’article 138 LTA ne trouve donc pas l’application (documents supplémentaires au dossier de l’appelante, volume III, onglet 46, page 433).

 

[13]           Le juge a rejeté l’argument de la fourniture unique.  En appel devant notre Cour, l’appelante a abandonné cette position, avec raison je crois.  La fourniture unique est généralement caractérisée par le fait qu’un des éléments de l’opération est tellement dominé par un autre élément qu’il en perd toute identité aux fins fiscales.  L’arrêt Camp Mini, précité, en est un bon exemple.  Dans cet arrêt, la preuve avait démontré qu’il n’était pas possible de facturer, d’une part, une somme pour les services religieux offerts aux enfants qui fréquentaient le Camp Mini-Yo-We et, d’autre part, une autre somme pour les services récréatifs et sportifs. C’est dans ce contexte que l’article 138 avait été jugé inapplicable puisqu’on était en présence d’une fourniture unique à multiples composantes.  Les faits dans le présent appel ne pointent aucunement dans cette direction.

 

[14]           Ayant ainsi décidé, le juge s’est alors engagé dans l’analyse des faits et leur application dans le cadre de fournitures multiples afin de déterminer lequel des services offerts se caractérisait comme fourniture principale.  L’appelante invitait le juge à conclure que le miel constituait la fourniture principale, faisant en sorte que le labyrinthe était présumé une fourniture détaxée avec les caractéristiques fiscales qui en découlent.

 

[15]           À l’appui de sa thèse, l’appelante mettait l’accent sur la décision favorable de la CPTAQ autorisant son projet de sentiers. La CPTAQ avait noté que la demande de 9056 visait « simplement à ce que des sentiers existants et nécessaires à l’autocueillette soient utilisés à l’occasion à des fins autres qu’agricoles, soit en période estivale à des fins éducatives et d’observation, soit en période hivernale pour permettre la pêche blanche, comme se fait l’utilisation de terres agricoles ou de sentiers en forêt pour l’aménagement des pistes de motoneiges ou de ski de fond » (dossier d’appel, volume II, onglet 22, page 195).  La CPTAQ disait ne pouvoir « ignorer qu’une autorisation de la demande favoriserait la vente d’une partie de la production agricole de la demanderesse, ce qui serait favorable au développement de l’agriculture de ce secteur » (ibidem).  Par ailleurs, la CPTAQ précisait ne pouvoir « permettre l’implantation d’un usage commercial non relié à l’agriculture dans ce milieu » (ibidem).

 

[16]           L’appelante invitait le juge à conclure dans le même sens.  9056, cela se comprend, recherchait devant la Cour canadienne de l’impôt une décision s’harmonisant avec la décision de la CPTAQ sans laquelle son projet n’aurait pu voir le jour.

 

[17]           C’est avec raison que le juge a noté qu’il n’avait pas à commenter la décision de la CPTAQ laquelle était sans effet sur le litige fiscal dont il était saisi.  9056 ne porte pas cette conclusion du juge en appel devant nous.  La décision de la CPTAQ ne primait pas sur celle à intervenir.  La Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles, L.R.Q., ch. P-41.1 et la LTA ont toutes deux des objectifs fort différents.  Le souci de la CPTAQ, dans le dossier de l’appelante, était de s’assurer que 9056 ne vienne pas limiter l’exercice des activités agricoles sur les parcelles environnantes.  Le souci du ministre du Revenu, sous la LTA, est de s’assurer que 9056 rencontre ses obligations fiscales en matière de taxe sur les produits et services.

 

[18]           Dans cette veine, le juge a ainsi défini la question en litige :

 

[27] La véritable question est de savoir, si le prix du coupon était la considération pour l’achat de la très petite quantité de miel ou autre produit ou le droit d’accès aux sentiers ?  En d’autres termes, le prix ou montant déboursé pour l’acquisition du coupon constituait-il un stratagème pour diluer, sinon occulter, la véritable considération pour l’accès aux sentiers ?

 

[19]           Tel que mentionné précédemment, le juge a conclu que l’article 138 de la LTA s’appliquait et que 9056 livrait principalement un service récréotouristique, soit l’accès au labyrinthe.  La vente de miel n’en était que l’accessoire au sens de la disposition précitée. Pour ainsi conclure, le juge a pris en compte les éléments de disproportion entre le prix du coupon initial et la valeur réelle du produit de la ferme obtenu; les campagnes publicitaires de 9056 insistant sur les activités récréatives; l’important achalandage hivernal; et les infrastructures mises en place pour l’exploitation des sentiers, dont le stationnement pouvant accueillir plusieurs centaines de véhicules et l’utilisation d’une surfaceuse de marque Zamboni pour entretenir la glace (motifs du jugement, paragraphes 95, 22, 29 et 64).

 

[20]           L’appelante reproche au juge de ne pas avoir conclu que le miel constituait la fourniture principale avec le labyrinthe comme service accessoire.  Je ne décèle ici aucune erreur.  Considérant la preuve au dossier, l’article 138 se fût-il appliqué que j’aurais conclu de même.  Je ne traiterai donc plus de ce motif d’appel.

 

[21]           Reste donc l’argument de l’appelante selon lequel l’article 138 ne trouve pas ici application.  Au paragraphe 90 de ses motifs, le juge a écrit :

 

Cette réalité [l’appelante fait indirectement ce que la Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles l’empêche de faire directement] fait en sorte que je conclus que l’élément de la fourniture multiple autre que l’accès au labyrinthe ne doit pas être inclus ou comme faisant partie de la fourniture taxable qui sera exclusivement la valeur de l’accès. [Je souligne.]

 

[22]           Une lecture attentive de ce paragraphe amène le lecteur à penser que le juge accepte l’argument de 9056.  En effet, si le juge conclut que la fourniture du miel ne doit pas être incluse ou ne doit pas être présumée une fourniture taxable, et que la fourniture taxable sera réduite à la valeur de l’accès au labyrinthe, il n’y a plus de fournitures multiples au sens de la disposition précitée et celle-ci ne peut servir à résoudre le litige.  Notre Cour a déjà décidé que l’article 138 de la LTA s’applique seulement dans le cadre de fournitures multiples [Camp Mini]. Pourtant, la conclusion ultime du juge est toute autre.

 

[23]           Avec respect, je ne m’explique cette incohérence dans les motifs du juge que par son omission d’énoncer correctement la norme juridique applicable en l’instance et de l’appliquer par la suite aux faits mis en preuve et acceptés par lui.

 

[24]           Je commencerai donc mon analyse en traitant de l’article 138 de la LTA puis j’exposerai les motifs pour lesquels je suis d’avis qu’il ne peut recevoir application en l’espèce.

 

Analyse

 

[25]           Pour des fins de commodité, j’en reproduis de nouveau le libellé :

 

 Pour l’application de la présente partie, le bien ou le service dont la livraison ou la prestation peut raisonnablement être considérée comme accessoire à la livraison ou à la prestation d’un autre bien ou service est réputé faire partie de cet autre bien ou service s’ils ont été fournis ensemble pour une contrepartie unique.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[Je souligne.]

138. For the purposes of this Part, where

(a) a particular property or service is supplied together with any other property or service for a single consideration, and

(b) it may reasonably be regarded that the provision of the other property or service is incidental to the provision of the particular property or service,

the other property or service shall be deemed to form part of the particular property or service so supplied.

[Emphasis added.]

 

 

[26]           Il en ressort que deux conditions sont requises pour que l’on soit en présence de fournitures multiples : (1) deux ou plusieurs fournitures doivent être fournies pour une contrepartie unique;  et (2) l’une des fournitures doit être raisonnablement considérée comme l’accessoire de l’autre.

 

A. Les fournitures multiples ou mixtes pour une contrepartie unique

 

[27]           Afin d’examiner si la première condition est présente, il est utile de se rappeler la règle énoncée dans O.A. Brown Ltd. c. Canada, [1995] A.C.I. no 678, laquelle est reprise par madame la juge Sharlow dans Hidden Valley Golf Resort Association c. Canada, [2000] A.C.F. no 869, 257 N.R. 164 (CAF) et citée à nouveau au paragraphe 28 de l’arrêt Camp Mini (supra) :

 

Dans chaque cas, il est utile de se demander s’il serait possible d’acheter chacun des divers éléments séparément et d’obtenir néanmoins un article ou service utile.  Car si cela n’est pas possible, il faut alors nécessairement conclure qu’une fourniture mixte qui ne peut pas être divisée aux fins de la taxe est en cause.

 

 

[28]           En théorie, et bien que la pratique commerciale de 9056, guidée par la décision de la CPTAQ, soit toute autre, le miel et le labyrinthe peuvent aisément faire l’objet de transactions séparées.  L’achat de miel et l’utilisation du labyrinthe ne sont pas interreliés et ne forment pas ensemble une fourniture unique à multiples composantes.  Les services offerts par l’appelante ne sont pas interreliés au point de ne pouvoir utilement être séparés, comme c’était le cas dans Camp Mini (ibidem).  La preuve a d’ailleurs révélé que les usagers qui achètent une passe saisonnière pour accéder au labyrinthe n’ont pas à se procurer un produit du terroir à chaque visite.  9056 explique que ceux-ci paient davantage pour le premier coupon vendu alors au prix de 50 $ (interrogatoire de Thérèse Deslauriers, transcription du procès, page 166, lignes 1-10).  Ce premier coupon leur permet de se procurer l’un des produits énumérés au paragraphe [7] et des coupons supplémentaires, s’ils le souhaitent, sont disponibles pour 1 $ chacun.

 

[29]           Sur cette base, je conclus que la première condition de l’article 138 est remplie.  Je passe donc à la seconde condition.

 

 

B. Les fournitures multiples: le principal et l’accessoire

 

[30]           Étant en présence de fournitures multiples, lequel du labyrinthe ou du miel est l’accessoire de l’autre? ou, pour reprendre les propos du juge, « … l’accès à la patinoire désignée comme labyrinthe, constituait-il pour la période visée par la cotisation une fourniture exonérée ou s’agissait-il plutôt d’une fourniture taxable? » (motifs du jugement, paragraphe 19).

 

[31]           Tel que mentionné précédemment, le juge a conclu que le miel était l’accessoire du labyrinthe.  Le juge exprime ainsi le raisonnement qui sous-tend sa conclusion :

 

[58]      De façon générale, il s’agit de choses [ou de] composantes indissociables souvent non tangibles. Par contre, lorsqu’il s’agit, comme en l’espèce de biens individuels n’ayant strictement rien en commun, cela soulève instantanément un réflexe de questionnement aux fins notamment d’identifier le principal versus l’accessoire.

 

[59]      Bien qu’il existe plusieurs décisions en la matière, il n’existe ni formule objective ou recette magique assorties de différents critères permettant d’obtenir un résultat tranchant et fiable.

 

[60]      Je crois que le cheminement et l’analyse doivent être guidés par une approche élémentaire bon (sic) sens exercé dans un contexte de raisonnabilité. […]

 

[32]           Il est vrai que la jurisprudence canadienne est peu bavarde quant à la disposition sous étude.  Bien que l’applicabilité de l’article 138 de la LTA ait été examinée à quelques reprises par cette Cour ou par la Cour canadienne de l’impôt, aucune décision n’en traite de manière détaillée ou n’établit de norme quant à l’évaluation du caractère accessoire d’une fourniture (voir Camp Mini, précité; Locator of Missing Heirs Inc. c. Canada, [1997] A.C.F. no 528 (CAF), paragraphe 14; Sterling Business Academy Inc. c. Canada, [1998] A.C.I. no 1106 (CCI), paragraphe 22 [Sterling] reprenant Minister of National Revenue v. Estate of Cunnumparathu Abraham Zachariah, [1970] 70 D.T.C. 6326 (CCI) [Zacharias]; Oxford Frozen Foods Ltd. c. Canada, [1996] A.C.I. no 1222 (CCI), paragraphes 29 et 32; Robertson v. Canada, [2002] T.C.J. No. 48 (CCI), paragraphe 145; Interior Mediquip Ltd. c. Canada, [1994] A.C.I. no 1160 (CCI), paragraphes 8 et 10).  De fait, dans la plupart de ces causes, l’article 138 a été exclu parce qu’il s’agissait d’une fourniture unique à composantes multiples.

 

[33]           Néanmoins, avant de procéder à l’analyse de la preuve, le juge se devait d’articuler la norme juridique qui allait guider son raisonnement.  Ici, sans cerner la raison d’être de l’article 138 de la LTA, pas plus que la définition du terme « accessoire » s’y retrouvant, le juge s’est contenté de faire l’énumération des activités de 9056 relatives à l’apiculture et au labyrinthe et de conclure que :

 

[l]a nette prépondérance de la preuve est à l’effet que le miel, ses produits dérivés, le sirop d’érable ou autres produits n’étaient pas les éléments dominants; il s’agissait plutôt d’éléments secondaires, l’élément dominant, principal et ou déterminant étant, le droit d’accéder aux sentiers (motifs du jugement, paragraphe 93). [Je souligne.]

 

 

[34]           Mais l’article 138 s’entend d’un élément secondaire au sens de mineur ou non essentiel.  Ne suffit pas pour que la seconde condition soit remplie que la fourniture ou le service soit secondaire, faut-il encore que cette fourniture ou service soit minime par rapport à l’activité principale.  C’est d’ailleurs ce qui ressort de l’énoncé de politique P-159R1, Sens de l'expression « peut raisonnablement être considérée comme accessoire », révisé le 8 mars 1999, portant sur les fournitures multiples (voir aussi Sterling et Zacharias cités au paragraphe [32]).

 

[35]           Bien que les interprétations administratives ne lient pas les tribunaux, elles peuvent avoir un certain poids et même constituer un facteur important dans l’interprétation des lois (Canada c. Stantec Inc., 2009 CAF 285, citant Silicon Graphics Limited c. Canada, [2003] 1 C.F. 447 (CAF)).

 

[36]           Cette politique administrative explique, en premier lieu, que l’article 138 « a trait aux opérations commerciales qui se répètent, lorsqu’il est difficile pour le fournisseur sur le plan administratif de répartir le prix d’achat entre deux articles ou plus fournis ensemble, particulièrement si l’opération se répète fréquemment et que la valeur en dollars du produit ou du service est minime » (documents supplémentaires au dossier de l’appelante, volume III, onglet 46, pages 449 et s.).

 

[37]           La preuve n’a pas démontré qu’il serait administrativement difficile pour l’appelante de répartir le prix du premier coupon entre ses services de miel et de labyrinthe.  Ces deux fournitures sont fort différentes et engendrent des frais d’exploitation propres que l’appelante peut aisément identifier, comme en font foi ses documents financiers (ibidem, pages 480 à 484; mémoire de l’appelante, paragraphes 59 à 62).

 

[38]           Cet énoncé de politique propose aussi deux questions permettant de décider du caractère accessoire d’une fourniture : (1) l’objectif premier du fournisseur est-il de fournir un bien ou un service donné, ou de fournir ensemble plusieurs biens ou services? et (2) la valeur de la contrepartie exigée en retour de ces plusieurs biens ou services est-elle la même que la valeur de la contrepartie du bien ou du service principal s’il avait été fourni seul, ou n’en diffère-t-elle que très peu?

 

[39]           La première question vise à déterminer l’objectif du fournisseur.  En l’espèce, le juge a trouvé que l’appelante vendait l’accès à ses sentiers en espérant des retombées positives quant à la vente de son miel (motifs du jugement, paragraphe 91).  Le juge a aussi conclu que les clients cherchaient principalement à se procurer l’accès aux sentiers (ibidem, paragraphes 89, 91, 94 et 95).  Sur la foi du dossier tel que constitué, je ne vois ici aucune erreur manifeste et dominante justifiant l’intervention de notre Cour.

 

[40]           La seconde question que propose l’énoncé de politique concerne la valeur de la contrepartie exigée à l’égard du bien ou du service principal. En règle générale, lorsque la valeur de la contrepartie exigée à l’égard du bien ou du service principal fourni en même temps que plusieurs autres biens ou services est la même que celle qui aurait été exigée à l’égard du bien ou du service principal s’il avait été fourni seul, ou diffère de celle-ci de très peu seulement, la livraison ou prestation des biens ou des services secondaires peut être considérée comme accessoire à la livraison ou à la prestation du bien ou du service principal (mémoire de l’appelante, paragraphe 54).

 

[41]           À cet égard, le juge a conclu que le miel « était l’équivalent de la surprise dans la boîte de céréales » (motifs du jugement, paragraphe 94).  Il a jugé disproportionné le coût du coupon initial par rapport à la quantité de miel reçue (12 $ pour un pot de 50 g de miel).  Pour lui, le miel n’avait qu’une valeur symbolique dans la valeur du premier coupon vendu au client.

 

[42]           Tout comme le juge, je note la disproportion entre le prix du premier coupon et la quantité de miel auquel il donne droit.  La comparaison entre la nature et l’étendue des activités disponibles à l’achat d’un coupon, c’est-à-dire plusieurs heures d’activités de plein air opposées à 50 g de miel ou 1 suçon à l’érable tend à démontrer que le volet apicole de la transaction est secondaire au volet récréotouristique.  Mais ce second rang ne donne pas automatiquement au miel un rôle mineur et non essentiel (en anglais « incidental ») par rapport à l’autre service offert.

 

[43]           À cet égard, l’auteur David Sherman (David Sherman, Canada GST Service, feuilles mobiles, Carswell, page 138-102) opine qu’en général, [TRADUCTION] « le critère de minimis employé tant par le texte législatif que la politique administrative de Revenu Canada se situe à 10% ».  À titre d’exemples, on peut penser aux déductions pour bénéfices de fabrication et de transformation qui ne sont pas accordées aux sociétés si leurs activités de fabrication génèrent moins de 10 % des recettes brutes de toutes les entreprises exploitées activement au Canada (paragraphe 125.1(3) de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.) [LIR]), aux transactions dites « butterfly » dans lesquelles est limitée à moins de 10% de sa valeur marchande la disposition de biens afin d’assurer la continuité des intérêts des actionnaires (alinéa 55(3)b) de la LIR), ou encore, lorsqu’un organisme de bienfaisance offre en échange d’un don un avantage, ce dernier n’aura une valeur nominale que si sa juste valeur marchande ne dépasse pas le moins élevé des deux montants de 50 $ ou 10 % du montant du don (LIR, articles 110.1 et 118.1; Agence du revenu du Canada, Bulletin d’interprétation, IT-110R3, Dons et reçus officiels de dons, révisé le 11 juillet 1997).

 

[44]           La preuve au dossier, pour l’exercice financier se terminant au 31 décembre 2005, montre que le miel représente 51% du chiffre d’affaires réalisé par l’appelante alors que 50% des dépenses d’entretien sont attribuables à l’apiculture (mémoire de l’appelante, paragraphe 61).  De même, les coûts de production du miel sont de 89% par rapport à son prix de vente, ce qui explique pourquoi 9056 ne peut vendre son produit de fabrication artisanale au prix des supermarchés sans générer des pertes financières (ibidem, paragraphe 65).

 

[45]           Le coût de production du miel et de ses produits dérivés est trop important pour qu’on le traite de minime par rapport au prix du coupon initial.  La politique précitée rappelle que l’article 138 « vise les situations où la valeur en dollars de la livraison ou de la prestation présumée accessoire est minime.  En règle générale, il ne s’applique pas aux opérations pour lesquelles son application aurait des conséquences importantes du point de vue des recettes fiscales. »  Ce serait ici le cas s’il s’appliquait.

 

[46]           L’appelante m’a convaincue que le juge avait eu tort de ne pas retenir ces facteurs lors de son analyse de l’applicabilité de l’article 138.  Ces faits, à la lumière de la norme juridique applicable, suffisaient à renverser l’hypothèse du ministre selon laquelle un produit de la ferme était obtenu accessoirement au paiement du droit d’entrée (motifs du jugement, alinéa 3h)). [Je souligne.]

 

[47]           Puisque je réponds à la seconde question par la négative, l’article 138 ne s’applique pas en l’instance.  Pour la période concernée, l’appelante devait remettre seulement la taxe nette découlant de ses ventes relatives au labyrinthe.  C’est sur cette base que 9056 aurait dû être cotisée.

 

Conclusions

 

[48]           Je propose donc d’accueillir l’appel avec dépens devant les deux cours;  d’annuler le jugement de la Cour canadienne de l’impôt et; prononçant le jugement qu’elle aurait dû rendre, j’annulerais la cotisation en cause et retournerais l’affaire au ministre du Revenu national pour qu’il procède à un nouvel examen et à une nouvelle cotisation en tenant compte du fait que l’article 138 de la LTA ne s’applique pas en l’espèce et que l’appelante est redevable de la taxe nette découlant de ses ventes relatives au labyrinthe, ainsi que des intérêts afférents à ces montants.

 

 

« Johanne Trudel »

j.c.a.

 

 

 

 

« Je suis d’accord.

M. Nadon j.c.a. »

 

« Je suis d’accord.

Robert M. Mainville j.c.a. »


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                            A-286-10

 

INTITULÉ :                                                                           9056-2059 QUÉBEC INC. c.

                                                                                                SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                     Montréal, Québec

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                   8 septembre 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                LA JUGE TRUDEL

 

Y ONT (A) SOUSCRIT :                                                       LE JUGE NADON

                                                                                                LE JUGE MAINVILLE

 

DATE DES MOTIFS :                                                          25 octobre 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jean-François Poulin

Jacinthe Kirouac-Letendre

POUR L’APPELANTE

 

Danny Galarneau

POUR L’INTIMÉE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Ravinsky Ryan Lemoine

Montréal, Québec

POUR L’APPELANTE

 

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

POUR L’INTIMÉE

 

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.