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Cour d’appel fédérale

Federal Court of Appeal

 

Date : 20111214

Dossiers : A-442-10

A-443-10

 

Référence : 2011 CAF 352

 

CORAM :      LE JUGE EVANS

                        LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

                        LE JUGE MAINVILLE

 

ENTRE :

LYNCORP INTERNATIONAL LTD.

 

appelante

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

 

 

Audience tenue à Calgary (Alberta), le 14 décembre 2011

Jugement rendu à Calgary (Alberta), le 14 décembre 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                LE JUGE EVANS

Y ONT SOUSCRIT :                                                             LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

                                                                                                                     LE JUGE MAINVILLE


Cour d’appel fédérale

Federal Court of Appeal

Date : 20111214

Dossiers : A-442-10

A-443-10

 

Référence : 2011 CAF 352

 

CORAM :      LE JUGE EVANS

                        LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

                        LE JUGE MAINVILLE

 

ENTRE :

LYNCORP INTERNATIONAL LTD.

 

appelante

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

LE JUGE EVANS

Introduction

[1]               Lyncorp International Ltd. (l’appelante) interjette appel d’une décision rendue par la Cour canadienne de l’impôt, publiée à 2010 CCI 532. Dans cette décision, le juge Campbell Miller (le juge) a refusé certaines dépenses que l’appelante avait engagées en fournissant des services et qui, selon elle, pouvaient être déduites du revenu tiré d’un bien pour les années d’imposition 2002 et 2003.

[2]               L’appelante affirmait qu’elle avait engagé les dépenses en vue de tirer un revenu d’une entreprise ou d’un bien au sens de l’alinéa 18(1)a) de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985 (5e suppl.), ch. 1 (LIR), lequel prévoit :

18. (1) Dans le calcul du revenu du contribuable tiré d’une entreprise ou d’un bien, les éléments suivants ne sont pas déductibles :

 

a)      les dépenses, sauf dans la mesure où elles ont été engagées ou effectuées par le contribuable en vue de tirer un revenu de l’entreprise ou du bien;

 

[…]

 

18. (1) In computing the income of a taxpayer from a business or property no deduction shall be made in respect of

 

(a)   an outlay or expense except to the extent that it was made or incurred by the taxpayer for the purpose of gaining or producing income from the business or property;

 

 

...

 

 

[3]               L’appelante a circonscrit la portée de son appel à une seule question : le juge a‑t‑il commis une erreur en statuant que les dépenses qu’elle avait engagées lorsque son propriétaire unique, David Mullen, avait emprunté un jet privé pour offrir gratuitement des services à des entreprises dont elle possédait des actions n’avaient pas pour but de lui permettre de tirer dans l’avenir un revenu d’un bien, plus précisément un revenu de ces actions? Lyncorp avait un revenu élevé provenant d’autres biens.

 

[4]               Le juge a statué également que ces dépenses ne donnaient pas droit à des crédits de taxe sur les intrants (CTI) en vertu du paragraphe 169(1) de la Loi sur la taxe d’accise, L.R.C. 1985, ch. E‑15 (LTA), qui auraient permis à l’appelante de recouvrer la taxe sur les produits et services (TPS) qu’elle avait payée pour les services de transport par avion. Il a conclu que ces services n’avaient pas été utilisés dans le cours des « activités commerciales » de l’appelante.

 

[5]               Les faits sont les mêmes dans les deux appels et sont exposés en détail dans les motifs du juge. Il suffit en l’espèce de dire que l’appelante possédait des actions de quatre sociétés. M. Mullen a rendu visite à ces sociétés afin de leur fournir des services de consultation et d’exploitation pour lesquels (à une exception près) ni lui ni l’appelante n’ont exigé de frais. Il a voyagé à bord d’un avion dont l’appelante avait la propriété partagée. L’appelante voulait déduire de son revenu les dépenses liées aux vols de M. Mullen et demander des CTI afin de recouvrer la TPS qu’elle avait payée relativement à la fourniture des services de transport par avion.

 

[6]               Pour les motifs qui suivent, je rejetterais les appels fondés sur la LIR et la LTA. Les présents motifs s’appliquent aux deux appels et un exemplaire en sera versé dans les deux dossiers.

 

L’appel fondé sur la LIR

[7]               Le juge (au paragraphe 68) formule dans les termes suivants la question pertinente dans cet appel :

[…] les investissements effectués par l’appelante dans les actions des entreprises commerciales, avec la possibilité que des dividendes soient déclarés sur ces actions, permettent‑ils de déduire les frais contestés de transport en avion, qui auraient été engagés en vue de produire un revenu de dividendes

 

[8]               Il a statué (au paragraphe 73) que les dépenses de transport par avion étaient liées directement au revenu d’entreprise des quatre sociétés parce qu’elles avaient été engagées pour rendre ces dernières plus rentables. Les dépenses ne se rapportaient toutefois qu’indirectement à la source de revenu tiré d’un bien par l’appelante (les actions). Le juge a conclu avec concision (au paragraphe 75) :

Cette générosité ne constituait ni un prêt ni une participation de la part de l’appelante. Il s’agirait plutôt d’une entente dans laquelle une partie s’engage à payer les dépenses de quelqu’un d’autre. Les investissements sous forme de participation produisent un revenu de dividendes. Les investissements sous forme de créance produisent un revenu d’intérêts. Les services gratuits, sans obligation de remboursement, ne produisent que de l’espoir. Il ne s’agit pas d’une dépense déductible.

 

 

[9]               Selon l’appelante, le juge a oublié qu’il suffit, pour déduire une somme en application de l’alinéa 18(1)a), que l’appelante ait engagé les dépenses pour accroître la rentabilité des sociétés dans le but de recevoir un revenu de dividende. Elle soutient que le juge a commis une erreur en concluant que, sous le régime de l’alinéa 18(1)a), une dépense engagée en vue de tirer un revenu d’un bien ne peut être déduite du revenu que si elle se rapporte directement au bien.

 

[10]           L’avocat s’est fondé à cet égard sur l’arrêt Canada c. Byram, 99 DTC 5117 (Byram). La Cour devait, dans cette affaire, décider si un contribuable qui avait consenti un prêt sans intérêt à une société de laquelle il était actionnaire pouvait réclamer une perte en capital relativement à ce prêt en application du sous‑alinéa 40(2)g)(ii) de la LIR si le prêt avait été fait dans le but d’obtenir des dividendes.

 

[11]           Le juge McDonald, qui a rédigé les motifs de la Cour, a affirmé (au paragraphe 16) qu’il n’était pas nécessaire que « le contribuable tire directement le revenu du prêt » pour pouvoir déduire une perte en capital relativement au prêt. Il a poursuivi (au paragraphe 17) :

Ce raisonnement est aussi compatible avec la réalité commerciale. Il arrive fréquemment que des actionnaires consentent de tels prêts sans intérêt en s’attendant que les activités financées par ces prêts produisent des dividendes.

 

 

[12]           Le juge McDonald a cependant ajouté (au paragraphe 21) :

Il est aussi clair que la perspective de toucher un revenu de dividendes ne saurait être trop éloignée […] une déduction ne peut être tellement éloignée du flux de revenu correspondant que son lien avec la perspective de revenu est, au mieux, ténu.

 

 

[13]           Il a conclu qu’un prêt par un actionnaire n’était pas trop éloigné car il existe un lien direct entre les actionnaires d’une société, d’une part, et les gains futurs de celle‑ci et les dividendes qu’elle versera, d’autre part. Il y a lieu de mentionner que, dans Byram, le contribuable et des membres de sa famille immédiate étaient les seuls actionnaires de la société à toutes les époques pertinentes.

 

[14]           Quoique des distinctions puissent facilement être faites entre la présente affaire et Byram sur le plan du droit et des faits, cet arrêt est pertinent parce que la Cour y a reconnu que le lien existant entre une dépense engagée par un contribuable et le revenu de dividende que celui‑ci s’attend à recevoir ne peut pas être ténu ou éloigné. Dans Stewart c. Canada, 2002 CSC 46, [2002] 2 R.C.S. 645, la Cour suprême du Canada a dit (au paragraphe 57) :

Si la déductibilité d’une dépense particulière est en cause, ce n’est pas l’existence d’une source de revenu qui doit être mise en doute, mais plutôt le lien entre cette dépense et la source à laquelle elle est censée se rapporter. (Non souligné dans l’original.)

 

 

[15]           Il peut s’avérer relativement facile d’établir un lien suffisamment étroit entre un prêt sans intérêt consenti par un actionnaire et un dividende attendu. Ce n’est toutefois pas nécessairement le cas de services fournis gratuitement à une société par un actionnaire. Cela dépendra en grande partie des faits.

 

[16]           En l’espèce, la preuve de la nature précise des services fournis par M. Mullen était incomplète. Le juge a d’ailleurs fait remarquer (au paragraphe 33) que la réponse de M. Mullen « n’indiquait pas d’une façon très détaillée les modalités de sa propre intervention ». De plus, après avoir entendu M. Mullen expliquer ce qu’il avait fait, le juge a dit : « On ne sait pas trop ce que tout cela voulait dire. » L’appelante ou M. Mullen et les quatre sociétés ne s’entendaient pas sur les services. En outre, certaines des feuilles de temps produites par M. Mullen ne semblaient pas être exactes car elles indiquaient qu’il travaillait pour le groupe Mullen, une vaste entreprise prospère, alors qu’il avait dit qu’il fournissait des services aux autres sociétés (paragraphe 39). Il ne commençait à travailler pour Lyncorp qu’à la fin de l’après‑midi, le vendredi (paragraphe 10).

 

[17]           Enfin, contrairement à la situation dans Byram, permettre à l’appelante de déduire les dépenses engagées pour fournir gratuitement des services aux quatre sociétés dans le but d’obtenir des dividendes n’est pas « compatible avec la réalité commerciale ». 

 

[18]           Dans les circonstances, nous ne sommes pas convaincus que le juge a commis une erreur justifiant notre intervention lorsqu’il a conclu que le lien entre les dépenses réclamées par l’appelante et les actions des sociétés en tant que source de revenu n’était pas suffisamment direct pour être visé à l’alinéa 18(1)a). Comme le juge l’a mentionné, le lien direct se situait plutôt entre les dépenses et les entreprises des sociétés.

 

L’appel fondé sur la LTA

[19]           La Cour doit déterminer si l’appelante a le droit de recouvrer, à titre de CTI, le montant de la TPS qu’elle a dû payer au fournisseur des services de transport par avion que M. Mullen a utilisés pour rendre visite aux quatre sociétés lorsqu’il a fourni des services de consultation commerciale.

 

[20]           Un contribuable a habituellement droit à un CTI lorsqu’il a payé un montant de TPS « pour consommation, utilisation ou fourniture dans le cadre de ses activités commerciales » : LTA, alinéa 169(1)c). L’expression « activité commerciale » est définie dans les termes suivants au paragraphe 123(1) de la LTA : « l’exploitation d’une entreprise […], sauf dans la mesure où l’entreprise comporte la réalisation par la personne de fournitures exonérées ».

 

[21]           Le juge a rejeté la prétention de l’appelante (au paragraphe 77) au motif que l’objet de la fourniture des services était lié aux entreprises des quatre sociétés et non à l’entreprise de l’appelante. Il a déterminé (au paragraphe 78) que les services n’avaient pas été fournis à l’appelante dans le cours de ses activités commerciales en prenant en considération quatre facteurs : l’objet de l’intrant, le bénéficiaire de l’intrant, le contexte dans lequel l’intrant a été engagé et la jurisprudence sur les activités commerciales.

 

[22]           La question de savoir si l’intrant a été engagé dans le cours des activités commerciales de l’appelante ou des quatre sociétés est une question mixte de droit et de fait. En l’absence d’une question de droit que l’on peut facilement isoler, la Cour ne peut intervenir que si le juge a commis une erreur manifeste et dominante. Or, je ne suis pas persuadé qu’il l’a fait en l’espèce.

 

[23]           L’appelante soutient que le terme « entreprise » est défini de manière très générale au paragraphe 123(1) et inclut « toutes affaires quelconques », avec ou sans but lucratif. À mon avis, cette prétention ne règle pas le problème : l’« entreprise », même au sens large, doit être celle du contribuable.

 

Conclusion

[24]           Pour ces motifs, je rejetterais l’appel avec dépens.

 

« John M. Evans »

j.c.a.

 

« Je suis d’accord.

            Carolyn Layden-Stevenson j.a. »

 

 

« Je suis d’accord.

            Robert M. Mainville j.a. »

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


 

COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIERS :                                                        A-442-10

                                                                              A-443-10

 

INTITULÉ :                                                        LYNCORP INTERNATIONAL LTD. c.

                                                                              SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                Calgary (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                               Le 14 décembre 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                             LE JUGE EVANS

 

Y ONT SOUSCRIT :                                         LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

                                                                              LE JUGE MAINVILLE

 

DATE DES MOTIFS :                                       Le 14 décembre 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Ken S. Skingle, c.r.

POUR L’APPELANTE

 

Darcy Charlton

Mary Softley

POUR L’INTIMÉE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Felesky Flynn LLP

Calgary (Alberta)

POUR L’APPELANTE

 

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

 

POUR L’INTIMÉE

 

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