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Date : 20120110

Dossier : A-63-11

Référence : 2012 CAF 4

 

CORAM :      LE JUGE NOËL

                        LA JUGE DAWSON

                        LA JUGE TRUDEL

 

ENTRE :

COMMISSIONAIRES NOVA SCOTIA

appelante

et

 

DAVID CROUSE

intimé

 

 

 

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 13 décembre 2011

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 10 janvier 2012

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                              LA JUGE DAWSON

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                                LE JUGE NOËL

                                                                                                                             LA JUGE TRUDEL

 



Date : 20120110

Dossier : A-63-11

Référence : 2012 CAF 4

 

CORAM :      LE JUGE NOËL

                        LA JUGE DAWSON

                        LA JUGE TRUDEL

 

ENTRE :

COMMISSIONAIRES NOVA SCOTIA

appelante

et

 

DAVID CROUSE

intimé

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

LA JUGE DAWSON

 

[1]               La Cour est saisie d’un appel de la décision (2011 CF 125, 383 F.T.R. 277) par laquelle la Cour fédérale a accueilli la demande de contrôle judiciaire d’une décision d’un arbitre désigné sous le régime de l’article 251.12 du Code canadien du travail, L.R.C. 1985, ch. L‑2 (le Code). Le point central en litige devant la Cour fédérale était la question de savoir si l’arbitre avait commis une erreur en reportant l’application du Code à l’expiration d’un contrat liant Commissionaires Nova Scotia (CNS) et l’Administration de l’aéroport international d’Halifax (l’AAIH).

 

[2]               Par les motifs qui suivent, je conclus que la décision de l’arbitre a été valablement annulée. En conséquence, je rejetterais le présent appel avec dépens.

 

Les faits

[3]               Les parties ont plaidé devant l’arbitre sur la base d’un exposé conjoint des faits, lesquels n’étaient donc pas contestés. Aux fins du présent appel, les faits peuvent se récapituler comme suit :

 

i.                     CNS a passé en 2000 avec l’AAIH un contrat de services destinés à l’Aéroport international d’Halifax.

ii.                   CNS employait pour fournir ces services des commissionnaires qui, au départ, n’étaient pas syndiqués.

iii.                  En juillet 2005, CNS et l’AAIH ont passé un nouveau contrat de services de sécurité pour une durée de cinq ans, soit du 1er octobre 2005 au 30 septembre 2010 (le contrat). Des commissionnaires employés par CNS devaient assurer ces services de sécurité.

iv.                 Plus précisément, CNS s’engageait par ce contrat à fournir à l’AAIH [TRADUCTION] « des services d’agents de la paix – plus précisément de patrouille, de sécurité et de soutien –, ayant pour fin de prévenir les atteintes à la sûreté de l’aviation civile en protégeant le matériel et les installations ».

v.                   CNS et l’AAIH ont passé ce contrat sur le fondement du postulat que c’était le Labour Standards Code de la Nouvelle‑Écosse, R.S.N.S. 1989, ch. 246, qui déterminait leurs obligations légales touchant les congés et les heures supplémentaires.

vi.                 Le 16 août 2007, le Conseil canadien des relations industrielles (le Conseil) a accrédité l’Alliance de la Fonction publique du Canada à titre d’agent négociateur de « tous les employés du Corps canadien des commissionnaires, division de la Nouvelle‑Écosse qui travaillent à l’aéroport international de Halifax [...] ».

vii.                Par cette décision, le Conseil établissait que les services fournis par CNS étaient « essentiels à l’exploitation de l’aéroport ». Il s’ensuivait que c’était le Code qui régissait les relations du travail des employés de CNS opérant à l’Aéroport international d’Halifax.

viii.              Le 17 novembre 2008, M. David Crouse, l’un des employés de CNS travaillant à l’aéroport, a déposé sous le régime de la partie III du Code une plainte selon laquelle les conditions d’emploi garanties par cette partie ne lui étaient pas offertes.

ix.                 L’inspectrice saisie a établi que CNS devait à M. Crouse des primes d’heures supplémentaires, des indemnités de congés payés et des payes de vacances au titre de la période du 25 août 2007 au 31 janvier 2009, et elle a émis un ordre de paiement en conséquence.

x.                   CNS a contesté cet ordre de paiement devant le ministre du Travail.

xi.                 Le ministre a désigné un arbitre pour instruire ce recours.

 

La décision de l’arbitre

[4]               Selon l’arbitre, ces faits soulevaient deux questions. Premièrement, CNS était-elle régie par la partie III du Code pour ce qui concerne les normes minimales d’emploi prévues par la loi? Et deuxièmement, dans l’affirmative, avait-elle néanmoins le droit de se soustraire à l’application des normes d’emploi fixées par la partie III jusqu’à l’expiration du contrat qui la liait à l’AAIH, soit jusqu’au 30 septembre 2010?

 

[5]               L’arbitre a répondu à la première de ces questions par l’affirmative, conclusion qu’aucune des parties n’a contestée.

 

[6]               L’arbitre a ensuite examiné le point de savoir si la partie III était d’application en l’occurrence. Cet examen l’a conduit à la conclusion que CNS et tous ses contrats de travail avec ses employés affectés à l’Aéroport international d’Halifax (à l’exclusion de deux surveillants) seraient assujettis aux normes minimales applicables sous le régime du Labour Standards Code de la Nouvelle‑Écosse jusqu’au 30 septembre 2010 inclusivement, après quoi ils seraient régis par la partie III du Code.

 

[7]               L’arbitre n’a analysé ces questions que brièvement. Il écrivait ce qui suit aux paragraphes 50 à 53 des motifs de sa décision :

[TRADUCTION]

 

[50]      Le premier point à prendre en considération est le suivant. Jusqu’à l’accréditation de l’AFPC, CNS s’estimait assujettie à la législation provinciale. Elle a agi en se fondant sur cette interprétation, et aucun élément n’indique que ce fût de mauvaise foi. Qui plus est, elle était effectivement assujettie en fait et en droit à la compétence provinciale jusqu’au moment où celle‑ci a été écartée par l’affirmation de la compétence fédérale. Le droit du travail ressortit prima facie à la compétence provinciale et est présumé relever de la législation provinciale; voir Montcalm, précité. Par conséquent, avant la demande d’accréditation formée par l’AFPC, les relations entre CNS et ses employés étaient réellement régies par les lois provinciales. CNS et ses employés ont passé contrat sur ce fondement. Et CNS a signé des contrats avec des entités telles que l’AAIH sur la foi de cette interprétation. Il se peut que CNS ait été assujettie aux lois fédérales sur l’emploi à un moment ou l’autre avant la demande d’accréditation de l’AFPC, mais personne ne le savait parce que personne n’avait affirmé la compétence fédérale. Et jusqu’à ce que la compétence fédérale fût affirmée de manière à écarter la compétence provinciale, celle‑ci restait en vigueur; voir par exemple Colombie‑Britannique (Procureur général) c. Lafarge Canada Inc., [2007] 2 R.C.S. 86, paragraphes 4 et 37.

 

[51]      Nous n’avons donc pas affaire ici au cas de figure où un employeur qui était à l’époque pertinente assujetti à la législation fédérale chercherait à se soustraire à l’application de la partie III par voie contractuelle, comme dans Banque Nationale ou Lacroix, mais plutôt à la situation où des conditions d’emploi qui étaient valides et obligatoires sous le régime de la législation provinciale cessent de l’être pour la seule raison que la compétence provinciale a été remplacée par la compétence fédérale. L’argument de l’employeur n’est donc pas qu’on devrait lui permettre de se soustraire à la législation fédérale par voie contractuelle, mais plutôt que les contrats de travail passés de bonne foi sous le régime de la législation provinciale devraient être respectés et qu’on devrait les laisser suivre leur cours jusqu’à leur expiration, auquel moment la législation fédérale pourra devenir d’application.

 

[52]      Dans un tel cas, on ne peut qu’abonder dans le sens du vice-président Hornung lorsqu’il faisait observer dans la décision Thunder Bay Telephone (précitée, page 6 sur 7) que « les mesures prises par les parties en application d’une loi provinciale sont valides et elles lient les parties, même après qu’il a été décidé que les relations de travail de l’employeur relevaient de la compétence fédérale ».

 

« Cette conclusion, poursuivait‑il à la même page, est celle qui est la plus logique du point de vue des relations de travail. Une entreprise peut passer du champ de compétence du fédéral à celui d’une province (et vice-versa) plusieurs fois au cours de son existence, selon les faits constitutionnels qui résultent de ses activités courantes. Dans la perspective des relations de travail, il serait insensé que les mesures prises par les parties qui participent à l’entreprise (conventions collectives, griefs, etc.), sous le régime des lois auxquelles elles étaient assujetties à un moment donné, soient déclarées nulles et sans effet juridique chaque fois que l’entreprise passerait d’un champ de compétence à l’autre. Si tel était le cas, les parties seraient obligées de revenir sans cesse à la situation où elles se trouvaient avant la convention collective. Non seulement cela créerait un hiatus opérationnel et juridique, mais cela entraînerait aussi une instabilité dans les relations de travail et constituerait une entrave à la paix industrielle. »

 

[53]      Se fondant sur ce raisonnement, le CCRI a rendu dans l’affaire Thunder Bay Telephone une ordonnance selon laquelle la convention collective existante (qui avait été signée lorsque les parties se croyaient assujetties à la législation provinciale) resterait en vigueur, conformément à ses conditions, jusqu’à son expiration, malgré le fait que les parties fussent entre-temps passées à la compétence fédérale. Il convient à mon avis de rendre ici, pour les mêmes raisons, une ordonnance allant dans le même sens. Je constate par ailleurs que le paragraphe 251.12(4) du Code me confère le pouvoir de « rendre toutes les ordonnances nécessaires à la mise en œuvre de [ma] décision »; voir par exemple Bissett c. Canada (Ministre du Travail), [1995] ACF no 1339 (1re inst.), paragraphe 12. [Non souligné dans l’original.]

 

La décision de la Cour fédérale

[8]               Selon le juge du fond, la demande de contrôle judiciaire soulevait deux questions :

 

1.                  Quelle norme de contrôle convenait‑il d’appliquer à la décision de l’arbitre?

2.                  L’arbitre avait‑il commis une erreur en concluant que le Code ne serait d’application qu’après le 30 septembre 2010?

 

[9]               Afin d’établir la norme de contrôle applicable, le juge a pris en considération les dispositions privatives du Code, l’objet de sa partie III, les connaissances spéciales de l’arbitre et la nature de la question portée devant celui‑ci. Malgré la portée considérable des dispositions privatives du Code, le juge a conclu que la norme de contrôle applicable était celle de la décision correcte. Selon lui, la question que l’arbitre avait à trancher était « une véritable question de compétence (provinciale par opposition à fédérale), à l’égard de laquelle il y aurait lieu de faire preuve de moins de retenue » (paragraphe 22 des motifs). En outre, ajoutait‑il, « [l]a Cour examine normalement ce type de question de droit, qui ne relève pas des connaissances spécialisées de l’arbitre » (paragraphe 23 des motifs).

 

[10]           Ayant ainsi retenu le critère de la décision correcte, le juge a conclu que l’arbitre avait outrepassé sa compétence en décidant de reporter l’application du Code à CNS et à ses employés jusqu’à l’expiration du contrat. En conséquence, le juge a annulé la décision de l’arbitre et lui a renvoyé l’affaire pour réexamen conforme aux motifs de sa propre décision de contrôle judiciaire.

 

Les questions en litige dans le présent appel

[11]           Les parties mettent deux questions en litige dans le présent appel :

 

1.                  La Cour fédérale a‑t‑elle commis une erreur en contrôlant la décision de l’arbitre suivant le critère de la décision correcte?

2.                  La Cour fédérale a‑t‑elle commis une erreur en concluant que l’arbitre avait outrepassé son pouvoir de redressement en reportant l’application du Code au 30 septembre 2010?

 

Examen des questions en litige

1.         La norme de contrôle

[12]           Lorsqu’elle est saisie d’un appel à l’encontre d’une décision de la Cour fédérale sur une demande de contrôle judiciaire, notre Cour est en général tenue d’établir si ladite Cour fédérale a adopté la norme de contrôle qui convenait à l’espèce, puis si elle l’y a correctement appliquée; voir Telfer c. Canada (Agence du revenu), 2009 CAF 23, 386 N.R. 212, paragraphe 19.

 

[13]           Les parties se sont longuement attardées dans leurs conclusions sur la question de la norme de contrôle applicable. Cependant, à mon sens, nous avons ici affaire à l’un de ces cas où il n’est pas nécessaire d’établir la norme applicable, parce que la décision de l’arbitre ne peut être confirmée même suivant la norme déférente du caractère raisonnable.

 

2.         La décision de l’arbitre est déraisonnable

[14]           Comme on l’a vu plus haut, l’analyse de l’arbitre a pour point de départ que CNS était [TRADUCTION] « assujettie en fait et en droit à la compétence provinciale jusqu’au moment où celle‑ci a été écartée par l’affirmation de la compétence fédérale ». À mon humble avis, cette prémisse est erronée.

 

[15]           Comme le Conseil l’avait constaté, les services de sécurité et de sûreté fournis par les employés de CNS sous le régime du contrat constituaient une partie vitale et intégrante de l’exploitation de l’Aéroport international d’Halifax. Ils étaient liés aux activités fondamentales de l’AAIH et s’inscrivaient essentiellement dans le cadre élargi des opérations aéroportuaires. Par conséquent, pendant que le contrat était en vigueur, CNS était assujettie à la compétence fédérale en matière de relations du travail pour ce qui concerne les services qu’elle fournissait à l’Aéroport international d’Halifax.

 

[16]           On ne peut dire en l’occurrence que les activités exercées par CNS sous le régime du contrat aient été à un certain moment valablement régies par la législation provinciale et qu’un changement postérieur de ces activités ait ensuite commandé l’application de la législation fédérale. Par conséquent, le Labour Standards Code de la Nouvelle‑Écosse ne s’est jamais appliqué aux employés de CNS fournissant des services à l’Aéroport international d’Halifax dans le cadre du contrat.

 

[17]           Étant donné que le Labour Standards Code de la Nouvelle‑Écosse ne s’appliquait pas aux employés de CNS fournissant des services dans le cadre du contrat, il était déraisonnable de la part de l’arbitre d’écarter l’application de la partie III du Code et de déclarer que la législation néo-écossaise resterait d’application jusqu’à l’expiration dudit contrat. Il s’ensuit que la Cour fédérale a eu raison d’annuler la décision de l’arbitre.

[18]           En conséquence, je rejetterais l’appel avec dépens.

 

 

« Eleanor R. Dawson »

j.c.a.

 

 

« Je suis d’accord.

            Marc Noël j.c.a. »

 

« Je suis d’accord.

            Johanne Trudel j.c.a. »

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                        A‑63‑11

 

INTITULÉ :                                                       COMMISSIONAIRES NOVA SCOTIA c.

                                                                            DAVID CROUSE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                               Le 13 décembre 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                            LA JUGE DAWSON

 

Y ONT SOUSCRIT :                                        LE JUGE NOËL

                                                                            LA JUGE TRUDEL

 

DATE DES MOTIFS :                                     Le 10 janvier 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Eric Durnford, c.r.

Krista Smith

 

POUR L’APPELANTE

 

Andrew Raven

POUR L’INTIMÉ

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Ritch Durnford

Avocats

Halifax (Nouvelle‑Écosse)

 

POUR L’APPELANTE

Raven, Cameron, Ballantyne

& Yazbeck, s.r.l./LLP

Avocats

Ottawa (Ontario)

POUR L’INTIMÉ

 

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