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Cour d’appel fédérale

 

Federal Court of Appeal

Date : 20120110

Dossier : A‑370‑10

Référence : 2012 CAF 3

 

CORAM :      LA JUGE SHARLOW

                        LA JUGE LAYDEN‑STEVENSON

                        LE JUGE STRATAS

 

ENTRE :

CIBC WORLD MARKETS INC.

appelante

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

 

 

Requête écrite examinée sans comparution des parties

 

Ordonnance rendue à Ottawa (Ontario), le 10 janvier 2012

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :                                                                LE JUGE STRATAS

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                   LA JUGE SHARLOW

                                                                                                 LA JUGE LAYDEN‑STEVENSON


Cour d’appel fédérale

 

Federal Court of Appeal

Date : 20120110

Dossier : A‑370‑10

Référence : 2012 CAF 3

 

CORAM :      LA JUGE SHARLOW

                        LA JUGE LAYDEN‑STEVENSON

                        LE JUGE STRATAS

 

ENTRE :

CIBC WORLD MARKETS INC.

appelante

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

 

LE JUGE STRATAS

 

A.        Introduction

 

[1]               L’appelante, CIBC World Markets, demande sous le régime de l’article 403 des Règles qu’il soit donné pour directive à l’officier taxateur de lui accorder des dépens supérieurs à la normale au titre de son appel accueilli par notre Cour (2011 CAF 270) et de l’instance qu’elle a portée devant la Cour canadienne de l’impôt (2010 CCI 460).

 

[2]               CIBC World Markets invoque à l’appui de cette requête une offre de règlement qu’elle a communiquée au ministre intimé le 30 juin 2009, soit bien avant l’instance portée devant la Cour de l’impôt et l’appel instruit par notre Cour. Elle y proposait au ministre d’établir une nouvelle cotisation lui accordant 90 % des crédits de taxe sur les intrants qu’elle avait demandés dans sa déclaration de TPS. Le ministre a rejeté cette offre.

 

[3]               L’offre de CIBC World Markets n’avait pas de date d’expiration. Elle est restée ouverte, prête à être acceptée, jusqu’au jugement de notre Cour.

 

[4]               CIBC World Markets rappelle que, du fait du jugement de notre Cour, elle recevra la totalité des crédits de taxe sur les intrants qu’elle avait demandés dans sa déclaration de TPS. En conséquence, elle nous demande de donner pour directive à l’officier taxateur de liquider les dépens comme suit :

 

●          Pour la période allant jusqu’à la date de l’offre de règlement inclusivement, fixer les dépens au niveau normal, c’est‑à‑dire conformément au tarif B des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale), DORS/90‑688a, et y ajouter les débours et la TPS/TVH.

 

●          Pour la période allant de la date de l’offre de règlement à la date du jugement de notre Cour, fixer les dépens à 80 % des dépens procureur-client, et y ajouter les débours et la TPS/TVH. Ce niveau de dépens est prévu par les Directives sur la procédure de la Cour de l’impôt nos 17 et 18.

 

[5]               Je rejetterais la requête de CIBC World Markets pour les motifs qui suivent.

 

B.        Analyse

 

1)         La nécessité de réitérer l’offre de règlement après la décision de la Cour de l’impôt

 

[6]               La requête en majoration des dépens formée par CIBC World Markets devant notre Cour se heurte d’emblée à une objection rédhibitoire. En effet, une offre de règlement faite avant la décision de première instance ne peut avoir d’effet sur la taxation des dépens en appel que si elle a été réitérée lorsque l’appel était pendant; voir WIC TV Amalco Inc. c. ITV Technologies Inc., 2005 CAF 253, où l’on cite Century Services Inc. c. ZI Corp., 1998 ABCA 403, et Douglas Hamilton Design Inc. c. Mark (1993), 20 C.P.C. (3d) 224 (C.A. Ont.). Or, si elle a présenté son offre avant le jugement de la Cour de l’impôt, CIBC World Markets ne l’a pas réitérée après celui‑ci. Par conséquent, cette offre ne peut avoir aucun effet sur la taxation des dépens devant notre Cour.

 

[7]               Il s’ensuit que la seule question que nous ayons ici à trancher est celle de savoir s’il convient d’adjuger à l’appelante des dépens supérieurs à la normale au titre de l’instance qu’elle a portée devant la Cour de l’impôt.

 

2)         Une question de preuve

 

[8]               Le dossier de requête de CIBC World Markets comprend le texte non expurgé d’une lettre exposant une offre de règlement. Cette lettre fait aussi état de certaines observations et opinions formulées par le juge de la Cour de l’impôt qui a présidé la conférence préparatoire à l’audience de cette affaire. Le ministre nous demande de ne tenir aucun compte de ces observations et opinions, qu’il affirme être protégées contre la communication à des tiers.

 

[9]               Je suis d’accord en cela avec le ministre. Les conférences préparatoires se tiennent à huis clos, et leur contenu ne doit pas être utilisé dans les observations relatives aux dépens; voir Morrissey c. Canada, 2011 CCI 373, paragraphes 59 et 60. La raison d’être de cette règle est bien expliquée dans le passage suivant de Bell Canada c. Olympia & York Developments Ltd., [1994] O.J. No. 343, pages 144 et 145 (C.A.), cité dans Morrissey :

 

[TRADUCTION] Les conférences préalables ont été conçues pour donner au tribunal l’occasion de tenter, grâce à l’expérience et à l’influence de ses juges, de convaincre les parties à l’instance de conclure un règlement raisonnable ou de préciser les questions en litige. Rien de tout cela ne serait possible si les parties à l’instance n’avaient pas l’assurance qu’elles peuvent parler librement, négocier ouvertement et prendre en considération les recommandations faites par un juge sans s’inquiéter de mettre en péril la position qu’elles feront valoir lors de l’instance.

 

 

[10]           Normalement, dans une conférence préparatoire, les parties font valoir leurs positions et présentent des propositions de compromis, et il arrive souvent que le juge qui la préside exprime des opinions et fasse des suggestions. Après une telle conférence, rien n’interdit à une partie de communiquer à l’autre, par exemple dans une offre de règlement, des positions et des propositions analogues à celles qui y ont été discutées. De même, le contenu de l’offre de règlement pourra être invoqué ultérieurement dans des observations sur la taxation des dépens.

 

[11]           Cependant, lorsqu’on demande l’adjudication de dépens supérieurs à la normale, comme c’est le cas ici, il est interdit de rapporter purement et simplement les positions et propositions formulées par les parties dans leurs discussions à la conférence préparatoire et non intégrées dans des offres de règlement ultérieures, ou de citer les observations et opinions exprimées par le juge qui présidait cette conférence. Tous ces éléments restent en effet protégés contre la communication à des tiers.

 

[12]           Il était permis à CIBC World Markets de verser à son dossier de requête la lettre où elle exposait son offre de règlement. Mais les passages de cette lettre faisant étant des observations et opinions du juge de la Cour de l’impôt auraient dû être caviardés, et je n’en tiendrai ici aucun compte.

 

3)         Le point de savoir s’il convient d’adjuger des dépens supérieurs à la normale au titre de l’instance portée devant la Cour de l’impôt

 

                        a)         Principes généraux

 

[13]           Il n’est pas contesté que les offres de règlement sont pertinentes pour l’exercice du pouvoir discrétionnaire d’adjudication des dépens. Ce principe est énoncé au paragraphe 147(1) et à l’alinéa 147(3)d) des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale) :

 

 (1) La Cour peut fixer les frais et dépens, les répartir et désigner les personnes qui doivent les supporter.

 

[…]

 

(3) En exerçant sa discrétion conformément au paragraphe (1), la Cour peut tenir compte :

 

[…]

 

d) de toute offre de règlement présentée par écrit;

 

[…]

 (1) The Court may determine the amount of the costs of all parties involved in any proceeding, the allocation of those costs and the persons required to pay them.

 

(3) In exercising its discretionary power pursuant to subsection (1) the Court may consider,

 

 

(d) any offer of settlement made in writing,

 

 

[14]           L’alinéa 147(3)d) est conçu pour inciter les parties à faire des offres de règlement et à prendre au sérieux celles qui leur sont faites. Le rejet d’une telle offre peut entraîner des conséquences défavorables sous le rapport des dépens s’il s’avère, au vu de la décision de la Cour, qu’on aurait dû l’accepter.

 

[15]           Mais cette règle est soumise à une importante condition implicite : seules les offres qu’il aurait été permis d’accepter en droit peuvent entraîner des conséquences du point de vue des dépens. Dans le cas où, pour une quelconque raison juridique, la partie à qui l’offre a été faite n’aurait pas pu l’accepter, le rejet de celle‑ci ne doit pas avoir pour elle de conséquences défavorables sur le plan des dépens.

 

b)         Le ministre aurait‑il pu en droit accepter l’offre de règlement de CIBC World Markets?

 

 

[16]           Le ministre soutient qu’il lui était légalement interdit d’accepter l’offre de règlement de CIBC World Markets; en effet, explique‑t‑il, il ne peut établir de cotisations que justifiables en fait et en droit. Or, en l’occurrence, l’acceptation de l’offre de CIBC World Markets – soit l’établissement d’une cotisation lui accordant 90 % des crédits de taxe sur les intrants qu’elle avait demandés dans sa déclaration de TPS – ne pouvait se justifier en fait et en droit. Elle n’aurait donné lieu qu’à un pur et simple compromis sur le montant des crédits, et non à une solution défendable du point de vue du droit et des faits, ou qui aurait pu résulter de l’instance portée devant la Cour de l’impôt ou de l’appel interjeté devant notre Cour.

 

[17]           Le ministre fait observer, avec raison, que le point qui était en litige devant la Cour de l’impôt et en appel devant notre Cour était une question d’interprétation de la législation à laquelle on ne pouvait répondre que par oui ou par non, soit en confirmant intégralement, soit en infirmant intégralement, la cotisation par laquelle il avait refusé à CIBC World Markets les crédits de taxe demandés sur les intrants.

 

[18]           Plus précisément, la question était de savoir si la Loi sur la taxe d’accise, L.R.C. 1985, ch. E‑15, valablement interprétée, autorisait CIBC World Markets à faire de multiples demandes de crédit de taxe sur les intrants pour la même année d’imposition à condition de les présenter avant l’expiration du délai de prescription. Dans l’affirmative, la cotisation du ministre aurait été annulée, et CIBC World Markets aurait eu droit à la totalité des crédits de taxe sur les intrants qu’elle avait demandés. Dans la négative, la nouvelle cotisation du ministre aurait été confirmée, et CIBC World Markets n’aurait eu droit à aucun des crédits demandés.

 

[19]           Vu les faits particuliers de la présente espèce, je pense comme le ministre que celui‑ci n’aurait pu accorder à CIBC World Markets dans aucune hypothèse de fait ou de droit une tranche de 90 % des crédits de taxe sur les intrants qu’elle avait demandés. Il aurait pu en aller autrement si, par exemple, le montant des crédits de taxe sur les intrants avait été en litige et que le ministre s’était trouvé théoriquement à même de justifier en fait et en droit la proportion de 90 %. Mais en l’occurrence, le point à décider était une question d’interprétation législative ne pouvant recevoir qu’une réponse de tout ou rien.

 

[20]           Cette conclusion amène à poser certaines questions juridiques. Est‑il loisible au ministre d’accepter une offre de règlement qui commanderait l’établissement d’une nouvelle cotisation ne pouvant se justifier en fait et en droit? Autrement dit, le ministre est‑il investi du pouvoir d’établir de nouvelles cotisations sur la base de compromis, sans égard pour les faits et le droit en question?

 

[21]           Je dois répondre à ces questions par la négative.

 

[22]           Notre Cour est liée par son arrêt Galway c. Ministre du Revenu national, [1974] 1 C.F. 600 (C.A.). Le juge en chef Jackett, au nom de la Cour unanime, y posait en principe (à la page 602) que « le Ministre a l’obligation, aux termes de la Loi, de fixer le montant de l’impôt exigible d’après les faits qu’il établit et en conformité de son interprétation de la loi ». Il s’ensuivait selon lui que le ministre « ne peut établir une cotisation pour un certain montant fixé afin de donner effet à un compromis ». Le ministre ne peut établir de cotisation « que d’après les faits et en conformité de la loi, et non pour donner effet à un compromis ». Voir aussi Cohen c. La Reine [1980] C.T.C. 318 (C.A.F.).

 

[23]           Plus récemment, notre Cour a réaffirmé ce principe de Galway dans l’arrêt Harris c. Canada, [2000] 4 C.F. 37 (C.A.), au paragraphe 37 duquel le juge Sexton rappelait au nom de la Cour unanime que « le ministre du Revenu national est tenu de rendre ses décisions en se fondant uniquement sur des considérations tirées de la Loi elle-même » et qu’il ne peut conclure de « marchés » étrangers à ces considérations. Voir aussi, dans le même sens, Longley c. Minister of National Revenue (1992), 66 B.C.L.R. (2d) 238 (C.A.), page 455.

 

[24]           CIBC World Markets invoque le paragraphe 36 de 1390758 Ontario Corporation c. The Queen, 2010 CCI 572, et Smerchanski c. Ministre du Revenu national [1977] 2 R.C.S. 23, à l’appui de la thèse que les tribunaux judiciaires ont donné effet à des transactions appliquant le droit fiscal à des faits convenus. Cette proposition est vraie. Mais le ministre ne peut convenir de faits que dans les limites du principe de Galway : il ne lui est pas permis de donner son accord à une cotisation injustifiable en fait et en droit. Aucun élément de 1390758 Ontario ni de Smerchanski n’infirme le principe de Galway.

 

[25]           Pour l’instant, la Loi sur la taxe d’accise ne contient aucune disposition qui autoriserait le ministre à conclure des règlements sur la seule base de compromis, plutôt que de s’en tenir aux faits et au droit tels qu’il les interprète ou pourrait raisonnablement les invoquer. Autrement dit et avec plus de concision, aucune disposition législative n’a annulé Galway.

 

[26]           Enfin, CIBC World Markets invoque des considérations de politique générale. S’appuyant sur 1390758 Ontario, précitée, elle fait valoir que, si tous les différends devaient atteindre la salle d’audience, [TRADUCTION] « le système croulerait vite sous le poids des affaires en souffrance ». Voir aussi les préoccupations du même ordre exprimées au paragraphe 23 de Garber c. La Reine, 2005 D.T.C. 1456 (C.C.I.), conf. par 2006 D.T.C. 6358 (C.A.F.), et à la page 731 de Consoltex Inc. c. La Reine, 97 D.T.C. 724 (C.C.I.).

 

[27]           Cela se peut, mais malgré Galway une forte proportion des différends fiscaux n’atteint pas le stade du jugement. Il arrive souvent que les négociations et discussions révèlent des faits nouveaux, permettent de mieux définir la situation d’ensemble et enrichissent l’interprétation du droit applicable. Et ces négociations et discussions peuvent aboutir à un règlement auquel il sera loisible au ministre de donner suite en établissant une nouvelle cotisation sur le fondement d’une interprétation défendable des faits et du droit.

 

[28]           Je ferai enfin observer que cette considération de politique générale invoquée par CIBC World Markets n’est qu’un des nombreux arguments fondés sur l’intérêt public que l’on fait valoir en faveur aussi bien qu’à l’encontre de la réforme législative; Daniel Sandler et Colin Campbell énumèrent certains de ces arguments dans « Catch‑22: A Principled Basis for the Settlement of Tax Appeals », (2009) 57 Rev. fisc. can. 762. C’est au législateur qu’il appartient de décider lesquels de ces arguments de politique générale doivent l’emporter, et non à notre Cour.

 

C.        Conclusion et décision proposée

 

[29]           Il s’ensuit de ce qui précède que dans aucune hypothèse de fait ou de droit la Cour de l’impôt ou notre Cour n’aurait pu accorder à CIBC World Markets une proportion de 90 % des crédits de taxe sur les intrants qu’elle avait demandés. Donc, le ministre n’aurait pas pu en droit accepter l’offre de règlement de l’appelante.

 

[30]           Par suite, l’offre de règlement faite par CIBC World Markets ne peut pas entraîner de conséquences spéciales sous le rapport des dépens.

 

[31]           En conséquence, je rejetterais la requête de CIBC World Markets, avec dépens.

 

« David Stratas »

j.c.a.

 

 

« Je suis d’accord.

     K. Sharlow, j.c.a. »

 

« Je suis d’accord.

     Carolyn Layden‑Stevenson, j.c.a. »

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Mario Lagacé, jurilinguiste


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                                A‑370‑10

 

INTITULÉ :                                                              CIBC WORLD MARKETS INC. c.

                                                                                    SA MAJESTÉ LA REINE

 

REQUÊTE ÉCRITE EXAMINÉE SANS COMPARUTION DES PARTIES

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :                         LE JUGE STRATAS

 

Y ONT SOUSCRIT :                                               LA JUGE SHARLOW

                                                                                    LA JUGE LAYDEN‑STEVENSON

                                                                                   

DATE DES MOTIFS :                                             Le 10 janvier 2012

 

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

 

Martha MacDonald

POUR L’APPELANTE

 

Marilyn Vardy

Craig Maw

POUR L’INTIMÉE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Osler, Hoskin & Harcourt, s.r.l.

Toronto (Ontario)

 

POUR L’APPELANTE

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

POUR L’INTIMÉE

 

 

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