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Cour d’appel fédérale

 

Federal Court of Appeal

Date : 20120110

Dossier : A‑140‑11

Référence : 2012 CAF 7

 

CORAM :      LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE NOËL

                        LA JUGE GAUTHIER

 

ENTRE :

L’ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

et CATHY MURPHY

appelantes

et

L’AGENCE DU REVENU DU CANADA

intimée

et

LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

intimée

 

 

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 10 janvier 2012.

Jugement rendu à l’audience à Ottawa (Ontario), le 10 janvier 2012.

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :                                                              LE JUGE NOËL

 


Cour d’appel fédérale

 

Federal Court of Appeal

Date : 20120110

Dossier : A‑140‑11

Référence : 2012 CAF 7

 

CORAM :      LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE NOËL

                        LA JUGE GAUTHIER

 

ENTRE :

L’ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

et CATHY MURPHY

appelantes

et

L’AGENCE DU REVENU DU CANADA

intimée

et

LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

intimée

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

(Prononcés à l’audience à Ottawa (Ontario), le 10 janvier 2012.)

 

LE JUGE NOËL

[1]               Les appelants reprennent pour l’essentiel au soutien de leur appel les arguments successivement examinés par le Tribunal canadien des droits de la personne (le Tribunal) en première instance et par la Cour fédérale en contrôle judiciaire. La Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) soutient pour sa part que les mesures de cotisation prises par l’Agence du revenu du Canada (l’ARC), plus précisément par le ministre du Revenu national (le ministre), conformément à la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.) (la LIR), constituent des « services » au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H‑6 (la LCDP).

 

[2]               Le Tribunal a examiné chacun de ces arguments dans une analyse très approfondie et d’une clarté digne d’éloges, que le juge de la Cour fédérale, appliquant le critère du caractère raisonnable, n’a vu aucun motif de remettre en question. Le juge de la Cour fédérale ne nous paraît s’être trompé ni dans le choix de la norme de contrôle (voir Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 53, paragraphe 24, et Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, paragraphe 30) ni en concluant à l’absence d’erreur donnant lieu à révision, encore que nous tenions à bien préciser que l’application de la norme de la décision correcte nous aurait conduits à la même conclusion.

 

[3]               La seule question sur laquelle nous pouvons présenter des observations utiles est la conclusion du Tribunal selon laquelle la discrimination supposée dans la présente espèce ne résulte pas d’une mesure ministérielle qui pourrait être considérée comme un service, mais plutôt de l’application la LIR à des faits non contestés (paragraphe 50 des motifs du Tribunal). Comme le fait remarquer le Tribunal au paragraphe 54 de ses motifs :

 

[...] Même si les tâches entreprises par l’ARC [...] constituent un service, elles ne sont pas le fondement de la différence de traitement alléguée dans la plainte. La pratique discriminatoire alléguée a comme seule origine le libellé des articles 100.2 et 120.31 de la LIR. Aucune des preuves qui m’ont été présentées n’établit le fait que la discrimination alléguée découle du comportement des responsables de l’ARC ou de l’application discrétionnaire de politiques ou de pratiques de l’ARC [...]

 

 

[4]               En effet, l’article 152 de la LIR impose au ministre l’obligation d’établir le montant des impôts en conformité avec la loi. Il s’ensuit que même si ses mesures de cotisation pouvaient être considérées comme des services, le ministre n’en était pas moins tenu de fixer de manière identique les cotisations de tous les contribuables ayant reçu des paiements forfaitaires rétroactifs admissibles (PFRA), sans égard à leurs situations personnelles respectives.

 

[5]               Or la plainte a pour objet les dispositions de la LIR qui prévoient l’imposition des PFRA, ou plus précisément [TRADUCTION] « la manière dont ces paiements sont soumis à l’impôt », comme l’écrivent les appelantes au paragraphe 73 de leur mémoire. Selon les appelantes, cette manière d’imposer les PFRA ne devrait pas être appliquée aux paiements en litige, non pas parce qu’ils ne sont pas admissibles sous le régime des dispositions applicables de la LIR, mais parce que le fait de donner effet à ces dispositions viendrait ajouter à la discrimination que les plaignants ont déjà subie de la part de leur employeur.

 

[6]               Il s’agit là d’une attaque directe à l’encontre des articles 110.2 et 120.31 de la LIR, fondée sur des considérations entièrement extrinsèques à celle‑ci. Or, ainsi qu’il a été conclu aux paragraphes 37 et 38 de la décision Forward c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 TCDP 5, à propos d’une plainte analogue mettant en cause des dispositions précises de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. 1985, ch. C‑29, les contestations de cette nature échappent au champ d’application de la LCDP, parce qu’elles visent les dispositions législatives en soi et rien d’autre. Dans le même ordre d’idées, la Cour fédérale a fait observer en obiter dans Wignall c. Canada (Ministre du Revenu national), 2003 CF 1280, que l’opposition en vertu de la LCDP à l’application de l’alinéa 56(1)n) de la LIR était vouée à l’échec si elle se fondait seulement sur ses conséquences supposées discriminatoires pour le plaignant : seule une contestation de la constitutionnalité de cette disposition offrait des chances de succès. Nous souscrivons à l’opinion exprimée dans ces décisions, étant donné que la LCDP ne prévoit pas la possibilité de déposer de plaintes contre une loi fédérale (voir son paragraphe 40(1), qui autorise le dépôt de plaintes, et ses articles 5 à 14.1, qui définissent les « actes discriminatoires » pouvant faire l’objet de celles‑ci).

 

[7]               Notre Cour a rendu sa décision dans l’affaire Canada (Procureur général) c. Druken, [1989] 2 C.F. 24 (C.A.F.) [Druken], en se fondant sur la conclusion que la plainte en question concernait un acte discriminatoire lié à la fourniture d’un service en vertu de l’article 5, un fait que le procureur général a admis et qui n’a donc pas été contesté (voir la réserve exprimée à ce sujet par le juge Robertson aux paragraphes 78 à 80 de Canada (Procureur général) c. McKenna, [1999] 1 C.F. 401 (C.A.)). Cependant, malgré cette concession, il ressort à l’évidence de cet arrêt et du redressement accordé (Druken, page 29, alinéa a)) que la plainte visait seulement l’applicabilité des alinéas 3(2)c) et 4(3)d) de la Loi sur l’assurance-chômage, S.C. 1974-1975-1976, ch. 80, et de l’alinéa 4(3)d) du Règlement sur l’assurance-chômage, C.R.C., ch. 1576, de sorte que, pour les raisons déjà exposées, une plainte de cette nature ne porte sur aucun des actes pouvant faire l’objet de plaintes sous le régime de la LCDP.

 

[8]               Nous estimons mal fondée la conclusion subsidiaire des appelantes selon laquelle le ministre aurait pu renoncer en vertu du pouvoir discrétionnaire que lui confère le paragraphe 220(3.1) de la LIR à une partie des impôts fixés dans le cadre du mécanisme des PFRA, et qu’il a commis un acte discriminatoire en omettant d’exercer ce pouvoir en faveur des plaignants (mémoire des appelantes, paragraphes 58 et 59). Premièrement, il faut rappeler qu’il n’a pas été demandé de mesures correctives sous le régime du paragraphe 220(3.1). Mais il y a plus important : il ressort à l’évidence de l’article 120.31 que les montants fixés sous son régime sont des impôts, de sorte que le ministre ne pouvait y renoncer.

 

[9]               Il nous suffit de faire observer à ce propos que le montant calculé sous le régime de cet article est « l’impôt payable » (paragraphe 120.31(2)), lequel comprend un « montant égal au montant qui serait calculé à titre d’intérêts » au taux prescrit applicable aux remboursements (sous-alinéa 120.31(3)b)(ii)), en supposant que la partie déterminée du montant forfaitaire admissible qui fait l’objet de la nouvelle répartition et l’impôt y afférent aient été payés dans l’année à laquelle ils se rapportent (alinéa 120.31(3)b)). Le fait que l’impôt comprenne une somme destinée à compenser le manque à gagner en intérêts résultant du fait que le contribuable ne l’a pas payé dans les années où il aurait dû selon l’hypothèse qui sous-tend le mécanisme des PFRA ne change rien à sa nature d’impôt.

[10]           La décision de la Cour de l’impôt Fetterly c. La Reine, 2006 CCI 94, n’est d’aucun secours aux appelantes. Le juge McArthur y écrivait ce qui suit en obiter (paragraphe 13) :

 

Même s’il ne m’est pas loisible de prendre une décision à la place du comité, la somme de 15 475,72 $ que l’appelant souhaite voir le comité prendre en considération possède toutes les caractéristiques d’un intérêt. Pour reprendre les termes employés par le juge Mogan dans la décision Sanford c. La Reine, [2000] A.C.I. no 801, « si une créature à deux pattes et avec des plumes se dandine comme un canard, cancane comme un canard et ressemble à un canard, ce doit être un canard ». Dans la mesure où je suis habilité à le faire, je soumets que la somme constitue en réalité de l’intérêt et je recommande que la demande présentée par l’appelant dans le cadre du Dossier Équité soit examinée avec soin.

 

 

[11]           Le juge McArthur ne prétendait pas décider la question en formulant cette proposition, et les appelantes n’ont pu citer aucun cas, depuis cette décision datant de 2006, où le ministre aurait renoncé suivant cette logique à une partie des impôts fixés dans le cadre du mécanisme des PFRA. Encore une fois, le fait que l’impôt comprenne une somme destinée à compenser le manque à gagner en intérêts que le fisc estime avoir subi ne change pas sa nature d’impôt, et le paragraphe 220(3.1) ne confère pas au ministre le pouvoir de renoncer à des impôts.

 

[12]           La décision de la Cour de l’impôt dans Milliken c. Canada, [2002] A.C.I. no 151 [Milliken], que les appelantes invoquent aussi, ne se révèle pas plus utile à leur cause. Le libellé du sous‑alinéa 120.31(3)b)(ii) est sans ambiguïté : le ministre ne peut calculer le manque à gagner théorique en intérêts qu’au taux prescrit qui est applicable dans le cadre du paragraphe 164(3), et Milliken, selon notre interprétation, ne dit pas le contraire (voir les paragraphes 19 et 20 de cette décision). En ce qui concerne le mode de calcul des intérêts, le paragraphe 248(11) dispose que ceux‑ci « sont composés quotidiennement », de sorte que, là encore, le ministre n’a aucune marge de discrétion.

 

[13]           Enfin, il n’est pas étonnant que le mécanisme des PFRA n’ait avantagé qu’une faible proportion des plaignants dans cette affaire, étant donné que les paiements qu’ils avaient reçus se rapportaient à des années pouvant remonter jusqu’à 1985 (motifs du Tribunal, paragraphe 73). Comme il ressort à l’évidence de la preuve, rien ne garantissait que cette mesure donnerait un résultat plus favorable que l’imposition intégrale du paiement forfaitaire dans l’année de réception, selon la règle habituelle (paragraphe 5(1) de la LIR). En fait, la seule garantie était qu’on appliquerait la méthode la plus avantageuse pour le contribuable. C’est ce qui a été fait dans la présente espèce, comme on l’aurait fait pour tout autre contribuable ayant reçu un paiement de même nature.

[14]           Il ne faut interpréter les observations qui précèdent comme entamant le bien-fondé d’aucun des autres motifs autonomes par lesquels le Tribunal a rejeté la plainte qui nous occupe.

 

[15]           Nous rejetterions l’appel avec dépens en faveur de l’intimée Agence du revenu du Canada. Nous n’adjugerions pas de dépens en faveur ni à l’encontre de la Commission.

 

 

« Marc Noël »

j.c.a.

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                                A‑140‑11

 

APPEL DU JUGEMENT RENDU PAR MONSIEUR LE JUGE BEAUDRY DE LA COUR FÉDÉRALE LE 22 FÉVRIER 2011 DANS LE DOSSIER NO T‑808‑10

 

INTITULÉ :                                                               L’ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA et CATHY MURPHY c.

                                                                                    L’AGENCE DU REVENU DU CANADA et

                                                                                    LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                         Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                       Le 10 janvier 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :           LES JUGES LÉTOURNEAU, NOËL ET GAUTHIER

 

PRONONCÉS À L’AUDIENCE PAR :                   LE JUGE NOËL

                                                                                   

 

 

COMPARUTIONS :

 

David Yazbeck

POUR LES APPELANTES

 

Catherine Lawrence

Craig Collins‑Williams

 

POUR L’INTIMÉE

Agence du revenu du Canada

 

Daniel Poulin

 

POUR L’INTIMÉE

Commission canadienne des droits de la personne

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Raven, Cameron, Ballantyne & Yazbeck, s.r.l.

Ottawa (Ontario)

 

POUR LES APPELANTES

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

 

 

POUR L’INTIMÉE

Agence du revenu du Canada

 

Division des services du contentieux à la C.C.D.P.

Ottawa (Ontario)

POUR L’INTIMÉE

Commission canadienne des droits de la personne

 

 

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