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Cour d'appel fédérale

Federal Court of Appeal

Date : 20120118

Dossier : A-358-11

Référence : 2012 CAF 14

 

Présent :         LE JUGE EN CHEF BLAIS

 

ENTRE :

AIR CANADA

appelante

et

MICHEL THIBODEAU

et

LYNDA THIBODEAU

intimés

et

 

LE COMMISSAIRE AUX LANGUES OFFICIELLES

 

intervenant

 

 

 

Requête écrite décidée sans comparution des parties.

 

Ordonnance rendue à Ottawa (Ontario), le 18 janvier 2012.

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :                                                         LE JUGE EN CHEF BLAIS

 


Cour d'appel fédérale

Federal Court of Appeal

Date : 20120118

Dossier : A-358-11

Référence : 2012 CAF 14

 

Présent :         LE JUGE EN CHEF BLAIS

 

ENTRE :

AIR CANADA

appelante

et

MICHEL THIBODEAU

et

LYNDA THIBODEAU

intimés

et

 

LE COMMISSAIRE AUX LANGUES OFFICIELLES

 

intervenant

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

LE JUGE EN CHEF BLAIS

 

INTRODUCTION

[1]               Il s’agit d’une requête de la part du Commissaire aux langues officielles pour être autorisé à être constitué comme partie à l’instance d’appel dans l’affaire Thibodeau c. Air Canada.

 

[2]               Subsidiairement, le Commissaire demande que cette Cour lui accorde le statut d’intervenant et l’autorise à participer pleinement à l’appel, soit de produire un mémoire, faire des représentations écrites et orales sur toutes les questions en litige ainsi que le droit d’interjeter appel des décisions de cette Cour.

 

[3]               Pour les motifs qui suivent, la requête principale du Commissaire sera rejetée et, avec le consentement d’Air Canada, la requête subsidiaire, elle, sera acceptée.

 

[4]               Je ne reviendrai pas sur la trame factuelle de ce dossier puisqu’elle est bien connue des parties et qu’il ne semble pas y avoir de contestation relativement aux faits.

 

INTERVENTION DU COMMISSAIRE EN PREMIÈRE INSTANCE

[5]               Par une ordonnance rendue le 11 juin 2010, la protonotaire Tabib a accordé au Commissaire le statut de partie intervenante avec plein droit incluant la permission d’assister aux contre-interrogatoires, de faire des représentations écrites et orales et d’interjeter appel de toute décision de la Cour au même titre qu’une partie.

 

[6]               Devant la Cour fédérale, il appert que le Commissaire a fait des représentations orales sur toutes les questions en litige en s’attardant plus particulièrement sur la question du rapport entre la Convention pour l’unification de certaines règles relatives au transport aérien international (Convention de Montréal) et la Loi sur les langues officielles (LLO). Il a alors eu un droit de réplique.

 

INTERVENTION DU COMMISSAIRE EN APPEL

[7]               En préparation de l’audience du 28 mars 2011, le Commissaire a déposé un mémoire de fait et de droit couvrant l’entièreté du dossier. Dans ce mémoire, il soutient notamment:

a.       que la LLO prime la Convention de Montréal;

b.      que les plaignants ont le droit de déposer en preuve, en vertu de l’article 79 de la LLO, des plaintes de même nature concernant Air Canada; et

c.       que les Cours fédérales ont le pouvoir d’octroyer toute réparation convenable et juste eu égard aux circonstances, incluant notamment celui d’octroyer des dommages-intérêts.

 

[8]               Le Commissaire soutient maintenant qu’il est dans l’intérêt de la justice de lui accorder le statut de co-intimé en appel.

 

QUESTION SOULEVÉE PAR CETTE REQUÊTE

[9]               Afin d’assurer une étude complète et approfondie des questions en litige, est-il nécessaire que le Commissaire aux langues officielles soit autorisé à agir comme partie à l’instance ?

 

ANALYSE

[10]           Une ordonnance pour constituer un requérant comme partie à l’instance en vertu de la règle 104(1)b) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, est discrétionnaire (Stevens c. Canada (Commissaire, Commission d'enquête) [1998] 4 C.F. 125 au paragraphe 10 (F.C.A.) [Stevens]). Ce constat s’applique également au mécanisme prévu par l’alinéa 78(1)c) de la LLO, lequel spécifie que le commissaire peut « comparaître, avec l’autorisation du tribunal, comme partie à une instance » [je souligne].

 

[11]           La discrétion du juge est guidée par un seul critère : la nécessité. Dans Stevens, supra, le juge Stone s’est référé à la jurisprudence anglaise pour préciser les exigences du critère de la nécessité :

Bien que le présent appel porte sur l'allégation qu'une personne a été constituée partie à tort, il est instructif de jeter un regard sur la jurisprudence qui a traité de la constitution d'une personne comme partie sous le régime de règles de procédure semblables. Dans l'affaire Amon c. Raphael Tuck & Sons Ltd., [1956] 1 Q.B. 357, la Cour a été priée de constituer une personne comme partie défenderesse à une action en vertu de l'Ordonnance 16, règle 11 des règles de pratique d'Angleterre. Selon cette règle, la Cour était habilitée à constituer partie toute personne [Traduction] "dont la présence devant la Cour peut être nécessaire pour permettre à la Cour de juger valablement et complètement toutes les questions en litige dans la cause ou dans l'affaire et statuer sur elles". Je ferais remarquer que l'Ordonnance 16, règle 11 des règles anglaises, correspond à l'alinéa 1716(2)b) des règles de notre Cour. Il me semble que le sens que les tribunaux ont donné au mot "nécessaire" dans cet alinéa nous aide à comprendre l'intention des mots "constituée partie sans nécessité" à l'alinéa 1716(2)a). En se disant d'accord avec ses collègues pour dire que la présence de la nouvelle partie défenderesse éventuelle n'était pas "nécessaire", le juge Devlin (tel était alors son titre) a déclaré, à la page 380 :

 

[Traduction] La personne qu'il faut constituer partie doit être une personne dont la présence est nécessaire en tant que partie. Qu'est-ce qui fait qu'une personne est une partie nécessaire? Ce n'est pas, bien sûr, uniquement le fait qu'elle a des éléments de preuve pertinents à apporter à l'égard de certaines des questions en litige; elle ne serait alors qu'un témoin nécessaire. Ce n'est pas uniquement le fait qu'elle a un intérêt à ce que soit trouvée une solution adéquate à quelque question en litige, qu'elle a préparé des arguments pertinents et qu'elle craint que les parties actuelles ne les présentent pas adéquatement. Autrement, dans des affaires d'interprétation d'une clause contractuelle courante, de nombreuses parties pourraient exiger d'être entendues, et si la Cour avait le pouvoir d'admettre certaines personnes, il n'existe aucun principe discrétionnaire en vertu duquel certaines personnes pourraient être admissibles et d'autres non. La Cour pourrait souvent conclure qu'il serait utile ou souhaitable d'entendre certaines de ces personnes pour s'assurer de trouver la réponse adéquate, mais personne ne semble suggérer qu'il soit nécessaire de les entendre à cette fin. La seule raison qui puisse rendre nécessaire la constitution d'une personne comme partie à une action est la volonté que cette personne soit liée par l'issue de l'action; la question à trancher doit donc être une question en litige qui ne peut être tranchée adéquatement et complètement sans que cette personne ne soit une partie.

 

(ibid. au paragraphe 20 [je souligne])

 

[12]           En d’autres mots, est-il nécessaire d’accorder au Commissaire ladite autorisation pour assurer l’instruction complète et le règlement des questions en litige ?

 

[13]           Le Commissaire note que la possibilité de comparaître comme partie à l’instance s’inscrit dans son mandat. En vertu du paragraphe 56(1) de la LLO, « [i]l incombe au commissaire de prendre, dans le cadre de sa compétence, toutes les mesures visant à assurer la reconnaissance du statut de chacune des langues officielles et à faire respecter l’esprit de la présente loi ».

 

[14]           Le Commissaire maintient que l’autorisation est nécessaire compte tenu de l’importance des questions en litige pour l’ensemble des membres du public voyageur et des répercussions potentielles sur plusieurs dispositions de la LLO. Toujours selon lui, le fait que les intimés ne sont pas représentés par avocat souligne l’importance d’accorder l’autorisation. Autrement, un déséquilibre prévaudrait entre les parties en raison du caractère très complexe des arguments énoncés par Air Canada en appel.

 

[15]           Finalement, le Commissaire soutient qu’il a un intérêt particulier dans le dossier puisque :

a.       à titre d’ombudsman chargé de l’application de la LLO, il veut s’assurer qu’Air Canada respecte ses obligations ;

b.      la décision de cette Cour pourrait avoir un impact sur la tenue des enquêtes du Commissaire à l’égard d’autres institutions ; et

c.       la décision de cette Cour aura un impact sur l’interprétation de plusieurs dispositions de la LLO.

 

[16]           De son côté, Air Canada s’oppose à la requête du Commissaire. Selon elle, la complexité des questions en litige ne justifie pas la requête du Commissaire pour autant. Elle rappelle qu’en première instance le Commissaire a pu déposer un mémoire complexe et étoffé et faire des représentations orales sur toutes les questions en litige.

 

[17]           Air Canada prétend que le Commissaire ne remplit pas les critères pour obtenir l’autorisation d’agir comme partie. La crainte, note-t-elle, que des arguments ne soient pas présentés adéquatement par les parties au litige n’est pas suffisante. De plus, le Commissaire n’a pas démontré qu’il serait directement touché par le jugement à être rendu par cette Cour (Warner-Lambert Canada Inc. c. Canada (ministre de la Santé), 2001 CAF 116 au paragraphe 5).

 

[18]           Air Canada soutient également qu’en l’absence de cause d’action soulevée contre le Commissaire, ce dernier ne saurait être constitué en tant que partie. À cet effet, il invoque la décision de cette Cour dans l’affaire Bande indienne de Shubenacadie c. Canada (Ministre des Pêches et des Océans), 2002 CAF 509, 299 N.R. 241, où le juge Evans s’est prononcé comme suit aux paragraphes 6 et 7 :

La deuxième question en litige est de savoir si l'UNSI et la CMM ont été jointes à juste titre comme défenderesses en application de la règle 104, indépendamment du fait qu'elles étaient défenderesses dans la demande de contrôle judiciaire. À notre avis, elles ne furent pas jointes à juste titre comme défenderesses. La déclaration des demandeurs ne révèle aucune cause d'action contre elles, ne leur demande aucune réparation et ne contient aucune allégation contre elles. De plus, il n'est pas certain que la Cour fédérale aurait compétence pour entendre l'UNSI et la CMM comme défenderesses à l'action.

 

Il se pourrait bien que l'UNSI et la CMM soient en mesure de présenter des éléments de preuve pertinents à la déclaration des demandeurs et que leurs membres puissent être affectés de manière défavorable par l'issue de l'instance. Toutefois, ni l'une ni l'autre de ces raisons n'est suffisante pour permettre que l'UNSI et la CMM soient constituées parties défenderesses nécessaires à l'action.

                                                                                          [je souligne]

 

[19]           Enfin, Air Canada craint que l’ajout du Commissaire comme partie à l’appel change la nature du dossier en appel, puisque le recours cesserait d’être uniquement celui d’une partie privée. Air Canada allègue qu’elle en subirait un préjudice grave. Je note d’emblée que la crainte d’Air Canada est non fondée. Comme le note le Commissaire dans sa réplique au paragraphe 9, une ordonnance de cette Cour n’aurait pas d’effet rétroactif. En d’autres mots, les questions qui font l’objet de l’appel demeureraient intactes, à l’instar de la trame factuelle qui a mené à la décision de la juge de première instance.

 

[20]           Je suis d’avis que la requête du Commissaire doit être rejetée. Il est vrai que le dossier d’appel est complexe. Le conflit entre la LLO et la Convention de Montréal, l’opportunité d’une ordonnance générale de respecter la loi, l’opportunité d’une ordonnance structurelle, la mise en preuve de plaintes de même nature et de rapports antérieurs du Commissaire par les intimés Thibodeau, pour ne nommer que ceux-là, sont effectivement des questions juridiques subtiles. Cependant, la complexité des questions n’est pas le critère qui doit sous-tendre l’exercice de ma discrétion.

 

[21]           En première instance, le Commissaire a choisi de demander le statut d’intervenant auprès de la Cour fédérale. Quelques jours plus tard, soit le 11 juin 2010, la Cour a accueilli favorablement la demande et a accordé au Commissaire le statut d’intervenant.

 

[22]           Comme le rappelle à bon droit Air Canada, le Commissaire a choisi de ne pas être partie au litige en première instance, suggérant qu’ « il était plus propice pour les demandeurs [Michel Thibodeau et Lynda Thibodeau] d’initier un recours à l’encontre de la défenderesse [Air Canada] pour faire valoir les manquements qu’ils ont subis personnellement ainsi que les manquements de nature systémique ».

 

[23]           Comme on fait son lit, on se couche, dit l’adage : C’est à ce moment que le Commissaire a fait son choix et, à mon avis, il est un peu tard pour revoir sa position.

 

[24]           Somme toute, le Commissaire n’a pas démontré pourquoi une autorisation d’agir en tant que partie au stade de l’appel était nécessaire pour trancher complètement et adéquatement toutes les questions en litige. Le statut d’intervenant est amplement suffisant.

 

 

CONCLUSION

[25]           Je rejetterais la requête principale du Commissaire aux langues officielles.

 

[26]           Vu le consentement d’Air Canada à la demande subsidiaire du Commissaire, j’accorderais au Commissaire le droit d’intervenir en appel. Ce droit inclurait celui de déposer un mémoire, de faire des représentations lors de l’audition de l’appel et d’interjeter appel des décisions de cette Cour.

 

 

« Pierre Blais »

Juge en chef

 

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                            A-358-11

 

INTITULÉ :                                                                           Air Canada c. Michel Thibodeau et Lynda Thibodeau et Le Commissaire aux langues officielles

 

 

REQUÊTE ÉCRITE DÉCIDÉE SANS COMPARUTION DES PARTIES

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :                                      LE JUGE EN CHEF BLAIS

 

DATE DES MOTIFS :                                                          18 janvier 2012

 

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

 

Me Kevin Shaar

Me Pascale Giguère

POUR L’INTERVENANT

 

 

Me Louise-Hélène Sénécal

Me David Rheault

POUR L’APPELANTE

 

 

Michel Thibodeau

Lynda Thibodeau

LES INTIMÉS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Direction des affaires juridiques

Commissariat aux langues officielles

POUR L’INTERVENANT

 

 

Services juridiques, Centre Air Canada

POUR L’APPELANTE

 

 

 

 

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