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Date : 20120120

Dossier : A‑117‑11

Référence : 2012 CAF 19

 

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE DAWSON

 

ENTRE :

INSTITUT PROFESSIONNEL DE LA

FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

 

demandeur

et

 

AGENCE CANADIENNE D’INSPECTION DES ALIMENTS

 

défenderesse

 

 

 

 

 

 

Requête jugée sur dossier sans comparution des parties.

Ordonnance prononcée à Ottawa (Ontario), le 20 janvier 2012.

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :                                                                    LA JUGE DAWSON

 

 

 


Date : 20120120

Dossier : A‑117‑11

Référence : 2012 CAF 19

 

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE DAWSON

 

ENTRE :

INSTITUT PROFESSIONNEL DE LA

FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

 

demandeur

et

AGENCE CANADIENNE D’INSPECTION DES ALIMENTS

 

défenderesse

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

LA JUGE DAWSON

[1]               L’Agence canadienne d’inspection des aliments (l’ACIA) a présenté une requête par écrit en vue d’obtenir une ordonnance rejetant la présente demande de contrôle judiciaire au motif qu’elle est théorique. À titre subsidiaire, l’ACIA sollicite une ordonnance prorogeant le délai qui lui est imparti pour terminer le contre‑interrogatoire des auteurs des affidavits qui ont été déposés dans la présente instance.

 

[2]               L’Institut professionnel de la fonction publique du Canada (l’Institut) rétorque que la demande de contrôle judiciaire n’est pas devenue théorique. L’Institut convient toutefois avec l’ACIA que la question du caractère théorique devrait être jugée sur dossier, à titre préliminaire, et que, si la Cour conclut qu’il n’y a pas de litige actuel entre les parties, la demande devrait être rejetée à la présente étape préliminaire. L’Institut convient par ailleurs que, si la requête en rejet de la demande échoue, une prorogation de délai devrait être accordée en vue de permettre le contre‑interrogatoire des auteurs des affidavits.

 

Les faits

[3]               Les faits à l’origine de la présente requête ne sont pas contestés.

 

[4]               L’Institut est, en vertu des dispositions de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, art. 2 (la Loi), certifié comme agent négociateur chargé de représenter les vétérinaires (le groupe VM) qui sont au service de l’ACIA. L’Institut et l’ACIA ont entamé en décembre 2006 des négociations en vue de la conclusion d’une entente sur les services essentiels (l’entente) pour le groupe VM.

 

[5]               Au cours des négociations, l’Institut a, en décembre 2006, présenté à la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la Commission) une demande visant à faire trancher certaines questions se rapportant à l’entente et au groupe VM. La demande en question était présentée en vertu de l’alinéa 123(1)a) de la Loi.

 

[6]               Le 8 février 2011, la Commission a rendu une ordonnance dans laquelle elle concluait que l’entente sur les services essentiels de l’ACIA avec l’Institut devait comprendre des dispositions sur les services suivants, jugés nécessaires pour la sûreté et la sécurité du public :

i)              hygiène des viandes, dans la mesure où elle est liée au mandat de l’ACIA aux termes de la Loi sur l’inspection des viandes et du Règlement de 1990 sur l’inspection des viandes;

 

ii)             laboratoires, dans la mesure où ils sont liés au diagnostic, à la pathologie, à la salubrité et à la sécurité des aliments ainsi qu’aux soins de santé des animaux, aux transferts technologiques en cas d’éclosion et aux commandes de substances contrôlées;

 

iii)           santé des animaux, dans la mesure où elle est liée au mandat de l’ACIA aux termes de la Loi sur la santé des animaux et du Règlement sur la santé des animaux;

 

iv)           soin des animaux dans les fermes spécialisées et dans les laboratoires gérés par l’ACIA;

 

v)            délivrance de certificats d’exportation et d’importation prévue par le Règlement de 1990 sur l’inspection des viandes et par la Loi sur la santé des animaux;

 

vi)           services d’inspection des importations et d’inspection à la frontière liés à la santé et au bien‑être des animaux;

 

vii)         intervention d’urgence en matière de salubrité des aliments, de santé des animaux et de toute autre urgence relevant du mandat de l’ACIA;

 

viii)        de façon conditionnelle, quand le directeur exécutif régional s’efforce de prendre de mesures d’urgence dans le cas d’une maladie animale soupçonnée ou diagnostiquée en établissant un Centre d’opérations d’urgence, les VM nécessaires, tels que déterminés par l’employeur, réagiront à l’urgence.

 

 

[7]               Dans la présente demande de contrôle judiciaire, l’Institut sollicite une ordonnance annulant la décision de la Commission.

 

[8]               Les parties n’ont pas encore signé d’entente sur les services essentiels.

 

[9]               Le 8 septembre 2011, l’agent négociateur a informé la Commission que le groupe VM de l’Institut avait changé son mode de règlement des différends et avait opté pour l’arbitrage plutôt que pour la conciliation et la grève. Ce changement a également été communiqué à l’Institut par lettre datée du 13 septembre 2011.

 

[10]           La convention collective en vigueur entre l’ACIA et l’Institut a expiré le 30 septembre 2011. Le 13 septembre 2011, l’Institut a signifié un avis de négociation pour le compte du groupe VM.

 

Question en litige

[11]           La seule question à trancher dans la présente requête est celle de savoir si la présente demande est devenue théorique par suite du changement apporté par l’Institut au mode de règlement des différends.

 

Critère du caractère théorique

[12]           Je suis d’accord avec les parties pour dire que le critère à appliquer pour déterminer si une question est devenue théorique est celui qu’a énoncé la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342. Pour ce faire, la Cour doit déterminer s’il existe un « litige actuel » entre les parties et, dans la négative, décider si elle devrait néanmoins exercer son pouvoir discrétionnaire et décider d’instruire l’affaire.

 

Examen de la question

[13]           Selon la Loi, une entente sur les services essentiels doit être conclue lorsque le mode de règlement des différends applicable à l’unité de négociation est la conciliation et la grève et que l’employeur a avisé par écrit l’agent négociateur qu’il estime qu’il existe au sein de l’unité de négociation des postes nécessaires pour permettre à l’employeur de fournir des services essentiels (articles 119 et 122). Autrement dit, une entente sur les services essentiels n’est nécessaire que pour protéger les services essentiels en cas de grève. Ainsi, les dispositions de la Loi portant sur les ententes sur les services essentiels entrent en jeu lorsque le syndicat choisit la voie de la conciliation et de la grève plutôt que l’arbitrage comme mode de règlement des différends et que l’employeur a avisé l’agent négociateur qu’il existe au sein de l’unité de négociation des postes nécessaires pour lui permettre de fournir des services essentiels.

 

[14]           L’ACIA affirme qu’il n’y a plus de litige actuel entre les parties parce que le changement de mode de règlement des différends retenu par l’Institut fait en sorte qu’il est peu probable qu’on assiste à un retrait de services ou à une grève au cours de la présente ronde de négociation collective. Il s’ensuit selon elle que l’obligation faite par la Loi au sujet de l’existence d’une entente sur les services essentiels ne s’applique plus aux parties.

 

[15]           L’ACIA reconnaît toutefois que l’article 104 de la Loi permet à l’Institut de s’adresser plus tard à la Commission pour lui demander de prendre acte de tout nouveau choix de mode de règlement des différends. Si la conciliation et la grève étaient le mode de règlement des différends retenu par les parties pour les prochaines rondes de négociation, elles seraient obligées de conclure une entente sur les services essentiels avant de retirer des services ou de déclencher une grève.

 

[16]           Compte tenu du droit de l’Institut de choisir à l’avenir la conciliation et la grève comme mode de règlement des différends, j’estime qu’il est nécessaire d’examiner les effets qu’aurait, le cas échéant, la décision de la Commission présentement à l’examen suivant ce scénario. Plus précisément, pour le cas où l’arbitrage serait remplacé par la conciliation et la grève comme mode de règlement des différends et que l’ACIA continuerait de soutenir que les employés de l’unité de négociation visée occupent des postes nécessaires pour lui permettre de fournir des services essentiels, il y a lieu de se demander si la décision dans laquelle la Commission définit les services essentiels aurait encore des effets juridiques. Pour qu’il n’y ait plus de litige actuel entre les parties, il faut que la décision de la Commission à l’examen ait cessé d’avoir des effets à l’avenir sur les parties par suite du choix actuel de l’arbitrage comme mode de règlement des différends. Sinon, j’estime qu’il existe toujours un litige actuel entre les parties.

 

[17]           L’Institut soutient qu’il découle de l’article 125 de la Loi que toute entente sur les services essentiels qui a été négociée – et, implicitement, la décision de la Commission – continue d’exister même si l’agent négociateur opte pour l’arbitrage plutôt que pour la conciliation et la grève comme mode de règlement des différends. Cet argument se fonde sur les articles 119 et 125 de la Loi.

 

[18]           Les articles 119 et 125 de la Loi sont ainsi libellés : 

Application

 

119. La présente section s’applique à l’employeur et à l’agent négociateur représentant une unité de négociation dans le cas où le mode de règlement des différends applicable à celle‑ci est le renvoi à la conciliation.

 

[…]

 

Durée de l’entente

 

125. L’entente sur les services essentiels demeure en vigueur jusqu’à ce que les parties décident conjointement qu’aucun des fonctionnaires de l’unité de négociation n’occupe un poste nécessaire pour permettre à l’employeur de fournir de tels services.

Application of Division

 

119. This Division applies to the employer and the bargaining agent for a bargaining unit when the process for the resolution of a dispute applicable to the bargaining unit is conciliation.

 

 

. . .

 

Duration

 

125. An essential services agreement continues in force until the parties jointly determine that there are no employees in the bargaining unit who occupy positions that are necessary for the employer to provide essential services.

 

[19]           Voici un extrait du mémoire de l’Institut (passages non soulignés dans l’original) :

[traduction] 

24.       L’article 125 signifie à première vue qu’une entente sur les services essentiels dûment signée demeure en vigueur de façon indéfinie jusqu’à ce qu’il n’y ait plus aucun fonctionnaire de l’unité de négociation qui occupe un poste nécessaire pour permettre à l’employeur de fournir de tels services. Toutefois, l’article 119 prévoit que la section dans laquelle se trouve cet article (ainsi que l’article 125) s’applique lorsque le syndicat a choisi « la grève » comme mode de règlement des différends. Le fait de passer à « l’arbitrage » signifie‑t‑il que la section de la Loi relative aux services essentiels s’applique dans tous les cas, de sorte que tout le travail fait au cours des négociations en vue de la conclusion de l’entente sur les services essentiels ne compte plus? Il existe de nombreuses raisons pratiques pour lesquelles un tel résultat aurait des conséquences négatives sur les relations de travail :

 

(i)                                          un gaspillage, pour les parties, la Commission et même (à l’occasion) la Cour, du temps et des ressources qui ont été consacrés pour arriver à conclure l’entente sur les services essentiels;

 

(ii)                                        le syndicat qui serait insatisfait de la teneur de l’entente sur les services essentiels pourrait choisir « l’arbitrage », puis opter de nouveau pour « la grève », pour annuler une entente sur les services essentiels déterminée, pour ensuite s’adresser à nouveau à la Commission pour chercher à améliorer l’entente sur les services essentiels;

 

(iii)                                       il faudrait des années pour réussir à conclure une entente sur les services essentiels comme le démontre la présente affaire, dans laquelle les parties ont commencé à négocier en 2004 et n’ont pas encore réussi à s’entendre. Le syndicat qui choisirait « l’arbitrage » et qui opterait ensuite pour « la grève » serait confronté à l’obligation de devoir négocier une entente sur les services essentiels, ce qui retarderait pendant des années son exercice du droit de grève reconnu par la Loi.

 

25.       Il est plus logique de penser que l’article 125 de la Loi l’emporte dans la mesure de son incompatibilité avec l’article 119. L’entente sur les services essentiels qui a été négociée continue d’exister et demeure « en vigueur » même après que le syndicat ait opté pour « l’arbitrage », de sorte qu’il existe une entente sur les services essentiels lorsque le syndicat opte de nouveau pour « la grève ». Si le fait de repasser à « la grève » comme mode de règlement des différends survient après l’écoulement d’une longue période de temps, une des parties signifiera probablement à l’autre un avis en vue de négocier une modification à l’entente sur les services essentiels conformément à l’article 126 de la Loi, et la Commission réglera toute difficulté liée aux modifications en question en vertu de l’article 127 de la Loi. Cette interprétation s’accorde avec les dispositions en question relatives aux modifications, ainsi qu’avec l’objectif général de la Loi, en l’occurrence celui de promouvoir « des relations patronales‑syndicales harmonieuses ». En d’autres termes, lorsqu’on interprète la Loi dans son ensemble en la situant dans son contexte, on arrive à la conclusion qu’une entente sur les services essentiels doit continuer à exister même lorsque le syndicat passe de « la grève » à « l’arbitrage » comme mode de règlement des différends de sorte qu’il existe toujours une entente sur les services essentiels lorsque le syndicat opte de nouveau pour « la grève » comme mode de règlement des différends.

 

[20]           L’ACIA n’a présenté aucun argument au sujet des effets que la décision de la Commission est susceptible d’avoir à l’avenir.

 

[21]           À mon avis, il n’est pas nécessaire de trancher de façon définitive, dans le cadre de la présente requête, la question des effets juridiques que la décision de la Commission pourrait avoir à l’avenir pour le cas où l’on opterait pour la voie de la conciliation et de la grève comme mode de règlement des différends. Il suffit pour moi de conclure que l’ACIA n’a pas répondu à l’argument de l’Institut, de sorte qu’elle n’a pas réussi à démontrer que la décision actuelle de la Commission n’aurait pas à l’avenir d’incidence sur les droits qui sont reconnus aux parties par la loi. Il s’ensuit que l’ACIA n’a pas démontré qu’il n’existe pas de litige actuel entre les parties en ce moment. La requête en rejet de la présente demande de l’ACIA pour cause de caractère théorique ne saurait donc être accueillie.

 

[22]           Il est préférable de reporter à plus tard, lorsque notre Cour aura eu l’avantage de prendre connaissance des conclusions de la Commission sur la question, l’examen de la question de savoir ce qu’il advient d’une entente sur les services essentiels qui a été exécutée en tout ou en partie après que le syndicat ait opté pour l’arbitrage comme mode de règlement des différends.

 

[23]           La Cour prononcera une ordonnance rejetant la requête et prorogeant le délai imparti pour terminer les contre‑interrogatoires. L’Institut n’a pas réclamé de dépens et aucuns dépens ne seront adjugés.

 

« Eleanor R. Dawson »

j.c.a.

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    A‑117‑11

 

 

INTITULÉ :                                                   INSTITUT PROFESSIONNEL DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA c.
AGENCE CANADIENNE D’INSPECTION DES ALIMENTS

 

 

REQUÊTE JUGÉE SUR DOSSIER SANS COMPARUTION DES PARTIES

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :              LA JUGE DAWSON

 

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 20 janvier 2012

 

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

 

Christopher Rootham

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Caroline Engmann

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Nelligan O’Brien Payne LLP

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDERESSE

 

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