Décisions de la Cour d'appel fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20120120

Dossier : A‑350‑10

Référence : 2012 CAF 20

 

CORAM :      LE JUGE EVANS

                        LA JUGE LAYDEN‑STEVENSON

                        LE JUGE MAINVILLE

 

ENTRE :

TRANSALTA CORPORATION

appelante

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

 

 

Audience tenue à Calgary (Alberta), le 13 décembre 2011.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 20 janvier 2012.

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                    LE JUGE MAINVILLE

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                         LE JUGE EVANS

                                                                                              LA JUGE LAYDEN‑STEVENSON

 


Date : 20120120

Dossier : A‑350‑10

Référence : 2012 CAF 20

 

CORAM :      LE JUGE EVANS

                        LA JUGE LAYDEN‑STEVENSON

                        LE JUGE MAINVILLE

 

ENTRE :

TRANSALTA CORPORATION

appelante

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE MAINVILLE

[1]               Le présent appel porte sur l’existence, l’évaluation et la répartition du prix de l’achalandage dans les industries réglementées aux fins de l’impôt sur le revenu.

 

[2]               En 2002, TransAlta Corporation (TransAlta) a vendu son entreprise réglementée de transmission d’électricité en Alberta à AltaLink, L.P. (AltaLink) à un prix négocié à 1,31 fois la valeur comptable nette réglementée de ses actifs corporels. Les parties ont attribué la majeure partie de la prime de 31 % en sus de la valeur comptable nette réglementée – un montant de 190 824 476 $ – à l’achalandage. Il s’agissait d’une répartition normale pour les industries réglementées, laquelle était justifiée par la théorie de l’évaluation, les états financiers vérifiés et la pratique bien établie dans l’industrie.

 

[3]               Le ministre du Revenu national (ministre) a contesté cette répartition au motif qu’il n’existe aucun achalandage dans une industrie réglementée. Par conséquent, il a établi une nouvelle cotisation à l’égard de TransAlta en vertu de l’article 68 de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.) (Loi) –, lequel permet une réattribution suivant la norme de la raisonnabilité – en réattribuant le montant total de 190 834 476 $ accordé à l’achalandage aux actifs corporels. Le ministre soutient que la pratique bien établie dans les industries réglementées qui consiste à attribuer à l’achalandage les primes versées en sus de la valeur comptable nette réglementée de leurs actifs corporels est déraisonnable parce qu’elle permet aux vendeurs d’éviter la récupération des déductions pour amortissement.

 

[4]               La nouvelle cotisation a été contestée par TransAlta devant la Cour canadienne de l’impôt, et dans ses motifs portant le numéro de référence 2010 CCI 375, le juge Campbell Miller de la Cour canadienne de l’impôt (juge de la Cour de l’impôt) a conclu qu’il peut exister un achalandage dans une industrie réglementée et qu’en l’espèce, cet achalandage a effectivement été vendu avec l’entreprise réglementée de transmission d’électricité de TransAlta. Cependant, en se fondant sur une description de l’achalandage élaborée il y a plus d’un siècle par lord Macnaghten dans l’affaire The Commissioners of Inland Revenue v. Muller & Co.’s Margarine, Limited, [1901] A.C. 217 (Muller), le juge de la Cour de l’impôt a conclu que deux éléments qui étaient censés représenter l’achalandage – la possibilité d’effet de levier et l’avantage potentiel au titre de la provision pour impôt – étaient en fait rattachés aux actifs corporels vendus. Il a évalué la valeur de ces deux éléments à 50 000 000 $, qu’il a déduit du montant attribué à l’achalandage par les parties à l’opération. TransAlta interjette appel de ce jugement et l’intimée forme un appel incident.

 

[5]               La notion d’achalandage a considérablement évolué depuis le début du 20e siècle. Autrefois considéré comme l’avantage que procurent la renommée, la réputation et les relations d’une entreprise, l’achalandage est maintenant chargé d’un sens plus large, influencé par les théories des domaines de l’économie, de la comptabilité et de l’évaluation.

 

[6]               L’achalandage a trois caractéristiques : a) il s’agit d’un actif incorporel; b) il doit découler de l’attente de futurs gains, rendements ou autres avantages supérieurs à ceux que produirait normalement une entreprise comparable; c) il doit être indissociable de l’entreprise à laquelle il se rattache et ne peut normalement être vendu séparément de l’entreprise en exploitation. En présence de ces trois caractéristiques, il est raisonnable de conclure qu’il s’agit d’achalandage.

 

[7]               Pour déterminer s’il est raisonnable de considérer qu’un montant représente la contrepartie de la disposition d’un bien particulier, il faut, en application de l’article 68 de la Loi, se demander si un homme ou une femme d’affaires raisonnable, ayant à l’esprit des considérations commerciales, aurait attribué ce montant au bien en question. Par conséquent, les pratiques de longue date qui ont cours dans l’industrie et dans le milieu de la réglementation, tout comme les pratiques et les normes de vérification et d’évaluation, sont pertinentes dans le cadre d’une telle détermination.

 

[8]               En raison de l’objet et de la nature même du processus réglementaire, il est raisonnable de conclure que la valeur comptable nette réglementée des actifs corporels réglementés de l’entreprise de transmission en cause représente la juste valeur marchande de ces actifs. Les autorités de réglementation se fondent notamment sur la valeur comptable nette réglementée des actifs réglementés  pour déterminer le taux de rendement réglementé. Selon la norme de l’industrie, toute prime versée en sus de la valeur comptable nette réglementée des actifs est attribuée à l’achalandage. Il est raisonnable de comprendre qu’une telle prime équivaut à la valeur des avantages particuliers offerts par l’entreprise de transmission grâce auxquels celle-ci pourrait réaliser des rendements supérieurs à celui que l’organisme de réglementation considérerait comme un rendement du marché normal. Le caractère raisonnable de cette pratique de longue date de l’industrie est appuyé en l’espèce par le processus réglementaire lui-même ainsi que par les théories et les pratiques de l’évaluation et de la comptabilité. Il est donc permis de considérer que l’attribution d’une telle prime à l’achalandage est raisonnable aux fins de l’article 68 de la Loi.

 

[9]               En conséquence, j’accueillerais l’appel de TransAlta et rejetterais l’appel incident de la Couronne avec dépens.

 

 

 

Contexte de l’instance

[10]           L’entreprise de transmission d’électricité de TransAlta – entreprise qui appartenait à TransAlta par le truchement de filiales – était composée d’environ 11 600 km de lignes de transmission et de 260 sous-stations qui fournissaient de l’électricité à près de 60 % de la population de l’Alberta. Le coût initial des actifs de l’entreprise de transmission était d’environ 1,4 milliard de dollars. L’amortissement aux fins comptables de ces actifs pendant qu’ils appartenaient à TransAlta était d’environ 780 millions de dollars, de sorte que leur valeur comptable, aux fins comptables, était d’environ 640 millions de dollars.

 

[11]           Au moment de l’opération, l’entreprise de transmission de TransAlta était réglementée par l’Alberta Energy and Utilities Board (la Commission), conformément à l’Electric Utilities Act (Alberta), S.A. 1995, ch. E-5.5. La Commission est un organisme quasi judiciaire indépendant du gouvernement de l’Alberta, chargé de réglementer l’industrie de la transmission d’électricité en Alberta. Pendant toute la période pertinente, la Commission a établi les tarifs que l’entreprise de transmission pouvait exiger pour ses services en fonction de l’approche réglementaire fondée sur le coût du service. La Commission fixait généralement les tarifs en fonction des prévisions soumises par TransAlta, de façon que l’entreprise de transmission puisse : a) recouvrer la valeur comptable nette réglementée de ses actifs à mesure qu’ils étaient amortis aux fins réglementaires; b) recouvrer les montants estimatifs des dépenses de fonctionnement que l’entreprise de transmission envisageait de faire, y compris les intérêts afférents à sa dette, les impôts et d’autres montants; c) gagner un rendement raisonnable sur la partie de la valeur comptable nette réglementée qui, selon la Commission, constituait les capitaux propres à cette fin.

 

[12]           Aux fins de la tarification, le ratio des capitaux propres à l’endettement était établi comme suit : capitaux propres de 35 % et financement par emprunt de 65 %. Au moment de la vente de l’entreprise, le taux de rendement des capitaux propres approuvé par la Commission était de 9,75 %. Le rendement réel des capitaux propres que TransAlta avait obtenu de l’entreprise de transmission allait de 11,79 % en 1999 et en 2000 à 13,57 % en 2001.

 

[13]           Les revenus tarifaires n’étaient pas rajustés rétroactivement en fonction des coûts réels, sauf dans le cas de certains ajouts d’immobilisations. Par conséquent, quand des gains d’efficience se traduisaient par des dépenses inférieures aux prévisions, TransAlta conservait les bénéfices excédentaires.

 

[14]           En 2001, TransAlta a décidé de se départir de l’entreprise de transmission et lancé un processus d’appel d’offres. L’opération envisagée dans les documents de soumission consistait en la vente d’actions d’une nouvelle filiale qui devait détenir les actifs de l’entreprise de transmission, mais non ses dettes. Outre l’entreprise de transmission réglementée existante, les documents de soumission faisaient état d’intéressantes occasions d’affaires découlant de la vente, y compris l’important développement potentiel du réseau de transmission en Alberta, la possible adoption d’un plan de réglementation basée sur le rendement selon lequel les économies de coûts attribuables à l’efficience seraient partagées par l’organisme de réglementation entre les clients et le propriétaire de la ligne de transmission, et la possibilité de croissance de la composante non réglementée, à savoir les télécommunications, la transmission marchande, les services d’ingénierie, d’approvisionnement et de gestion de la construction, ainsi que les services d’exploitation et d’entretien.

 

[15]           Diverses soumissions ont été reçues. Les soumissionnaires proposaient d’acheter l’entreprise de transmission à différents prix, soit à la valeur comptable nette réglementée des actifs réglementés ou à cette valeur assortie de diverses primes. Le consortium qui a par la suite formé AltaLink a soumis ce qui était considéré comme la meilleure offre. Ce consortium était formé de SNC Lavalin Inc. (50 %), du Régime de retraite des enseignantes et des enseignants de l’Ontario (le Régime, 25 %), de Macquarie North America Ltd. (15 %) et d’une filiale à cent pour cent de Trans Elect Inc. (10 %). Le fait qu’il s’agissait d’investisseurs bien informés et expérimentés n’ayant aucun lien de dépendance avec TransAlta n’est pas contesté.

 

[16]           Dans sa proposition révisée, le consortium offrait d’acheter l’entreprise de transmission par le truchement d’une société en commandite à la valeur comptable à la clôture multipliée par 1,31. Au cours des négociations qui ont suivi la présentation de cette proposition, certains actifs ont été exclus de l’opération et d’autres rajustements ont été faits. En outre, sur le prix d’achat, un montant de 36 millions de dollars de plus que ce que TransAlta proposait au départ au consortium a été attribué aux actifs amortissables.

 

[17]           La convention d’achat-vente finale a été signée le 4 juillet 2001 et modifiée le 21 janvier 2002. Aux fins du présent appel, les principaux éléments de la convention modifiée sont les articles 2,1 et 2,2, et les définitions des termes [traduction] « Actifs », « Entreprise », « Valeur comptable nette réglementée » et « Base tarifaire » à l’annexe A.

[traduction]

2.1              Achat-vente

En contrepartie du paiement au vendeur par l’acquéreur du prix d’achat et de la prise en charge par l’acquéreur des obligations prises en charge, et sous réserve des dispositions des présentes, à la date de la clôture, le vendeur cédera, transférera et remettra à l’acquéreur, et l’acquéreur acquerra du vendeur en tant qu’entreprise en activité, les actifs et l’entreprise […]

2.2              Prix d’achat

(1)   Le prix d’achat à verser au vendeur par l’acquéreur (le « prix d’achat ») sera la somme des montants énoncés ci-dessous aux alinéas 2.2(1)a) et b) :

(a)    la valeur comptable nette réglementée des actifs au 31 décembre 2000 (qui s’élève, comme les Parties en conviennent, à 613 200 000 $), moins 8 565 705 $ (ce qui représente l’estimation faite par les Parties de la portion de la valeur comptable nette réglementée attribuée aux actifs retenus [...]), ce qui donne 604 634 295 $, multiplié par 1,31, soit un montant de 792 070 926,50 $ en tout (le « prix d’achat de base »);

(b)   le montant déterminé au moyen des rajustements prévus à l’article 2.3 des présentes.

[…]

(2)   Le vendeur et l’acquéreur répartiront le prix d’achat entre les actifs conformément à l’annexe 2.2(2) des présentes; en produisant leurs déclarations de revenus respectives, l’acquéreur et le vendeur utiliseront pareille répartition du prix d’achat.

 

ANNEXE A

GLOSSAIRE

« Actifs » L’entreprise et tous les biens corporels et incorporels (biens immeubles, biens meubles ou biens mixtes, virtuels ou non), droits, avantages, privilèges ou actifs appartenant au vendeur, à TransAlta Utilities Corporation ou à l’une de leurs filiales, ou auxquels le vendeur, TransAlta Utilities Corporation ou l’une de leurs filiales ont droit et utilisés exclusivement ou principalement dans l’entreprise, de quelque genre que ce soit, quelle que soit leur description, et où qu’ils soient situés, et notamment les actifs suivants :

(i)                 les sites et les bâtiments;

(ii)               le matériel;

(iii)             les droits fonciers;

(iv)             les actifs à court terme;

(v)               le plein avantage des Contrats et tous les autres contrats ou engagements auxquels le vendeur, TransAlta Utilities Corporation ou l’une de leurs filiales ont droit à l’égard de l’entreprise […];

(vi)             les garanties, le cas échéant;

(vii)           les permis;

(viii)         les logiciels énumérés à l’annexe 1.1a);

(ix)             l’achalandage de l’entreprise, et notamment :

a.       le droit exclusif de l’acquéreur de se présenter comme exploitant l’entreprise à titre de remplaçant du vendeur et de TransAlta Utilities Corporation et le droit non exclusif d’utiliser tout terme indiquant que l’entreprise est ainsi exploitée, et

b.      dans la mesure où elles sont transférables, toutes les listes de clients et toutes les listes de fournisseurs de l’entreprise;

(x)               tous les plans et devis […];

(xi)             tous les documents;

Toutefois, sont exclus les actifs exclus.

« Entreprise » Entreprise de transmission d’électricité existante exploitée par le vendeur, par TransAlta Utilities Corporation ou par une filiale pour leur compte, y compris les installations de transmission et les systèmes et services associés, en Alberta, et les services d’exploitation, d’entretien et de construction d’installations, les initiatives en matière de télécommunications, les services d’ingénierie, d’approvisionnement et de gestion et les services de transmission marchande, toutes les composantes susmentionnées devant être transférées à l’acquéreur à titre d’entreprise en activité, mais n’incluant toutefois pas les installations de génération d’énergie ou les actifs exclus;

« Valeur comptable nette réglementée » Coût total des actifs du vendeur et de TransAlta Utilities Corporation (autres que les actifs à court terme) formant les actifs et les actifs retenus, moins l’amortissement cumulé (qui exclut l’amortissement cumulé des contributions des clients) applicable et les contributions non amorties des clients, établi conformément aux principes comptables généralement reconnus et qui serait inclus dans la base tarifaire;

 

« Base tarifaire » Actifs de l’entreprise servant à la détermination des besoins en revenus de transmission réglementés approuvés par l’AEUB [Alberta Energy and Utilities Board] à l’occasion, y compris, sans limiter la généralité de ce qui précède, les biens de transmission, les biens répartis de la société, une provision pour le fonds de roulement et les contributions des clients;

 

 

[18]           À l’annexe modifiée 2.2(2) de la convention d’achat-vente, les parties ont convenu de la formule applicable à la répartition du prix d’achat. Le prix d’achat final – y compris le prix d’achat de base et les rajustements – a été établi à 818 150 705 $. Suivant la formule, le prix d’achat a été réparti comme suit :

a.       590 582 039 $ pour les actifs amortissables;

b.      11 897 581 $ pour les biens-fonds;

c.       14 583 208 $ pour les droits fonciers;

d.      10 263 401 $ pour le fonds de roulement;

e.       190 824 476 $ pour l’achalandage.

Les montants attribués aux actifs amortissables et aux biens-fonds étaient égaux à la valeur comptable nette réglementée de l’entreprise de transmission de TransAlta à la date de prise d’effet de la vente de l’entreprise, soit un montant global de 602 479 620 $.

 

[19]           Cette répartition a été examinée par le cabinet de comptables agréés Ernst & Young dans le cadre des vérifications faites pour AltaLink. Bien que certaines réserves aient été faites à propos d’éléments qui ne sont pas en litige en l’espèce, aucune réserve n’a été faite à propos de l’attribution à l’achalandage : lettre du 22 août 2002 reproduite aux p. 949 et suivantes du dossier d’appel. Cette attribution à l’achalandage a depuis été comptabilisée dans les états financiers vérifiés d’AltaLink.

 

[20]           L’opération d’achat-vente a été soumise au processus d’approbation réglementaire. La Commission a approuvé l’opération le 28 mars 2002, dans la décision 2002-038. Au cours de ce processus d’approbation, le possible recouvrement de la prime versée en sus de la valeur comptable nette réglementée et les effets sur les usagers ont été expressément considérés. À cette fin, la Commission a appliqué les principes du critère de l’absence de préjudice. Ce critère consiste à déterminer si une opération proposée peut être réalisée sans que les usagers ne se retrouvent dans une situation moins avantageuse qu’avant l’opération. Les mesures peuvent prendre la forme d’une indemnité financière, comme le recouvrement de la prime, de la fixation de conditions appropriées, ou d’une combinaison de mesures. La Commission avait examiné à fond le critère de l’absence de préjudice dans sa décision antérieure 2000-41, dans laquelle elle avait approuvé le transfert de l’entreprise de distribution d’électricité de TransAlta pour une somme équivalant à 1,5 fois la valeur comptable nette réglementée des actifs corporels de cette entreprise.

 

[21]           AltaLink s’était engagée à respecter une condition : la valeur comptable nette réglementée à la clôture – ou le solde de la base tarifaire à la clôture – de TransAlta serait égale à la valeur comptable nette réglementée à l’ouverture – ou la base tarifaire à l’ouverture – d’AltaLink. Ainsi, toute prime versée en sus de la valeur comptable nette réglementée ne serait pas incluse dans la future base tarifaire d’AltaLink. La Commission a estimé que cette condition était appropriée et compatible avec sa décision antérieure 2000-41 concernant le recouvrement d’une prime d’acquisition, et elle n’a donc pas ordonné que la prime soit recouvrée en faveur des usagers.

 

Les motifs du juge de la Cour de l’impôt

[22]           Le ministre a établi une nouvelle cotisation en réattribuant aux actifs corporels le plein montant de 190 824 476 $ qui avait été attribué à l’achalandage par les parties. TransAlta a interjeté appel de cette nouvelle cotisation à la Cour canadienne de l’impôt.

 

[23]           Les principaux éléments de preuve invoqués par le ministre devant la Cour canadienne de l’impôt à l’appui de cette réattribution étaient un rapport de M. Scott S. Lawritsen, lequel a conclu qu’il n’existe aucun achalandage dans le cas de l’achat ou la vente d’actifs réglementés.

 

[24]           Le juge de la Cour de l’impôt a rejeté cette prétention principalement parce que TransAlta avait réalisé des bénéfices additionnels élevés grâce à sa culture commerciale efficiente de contrôle des coûts et qu’une telle culture commerciale était une chose pour laquelle un acquéreur serait prêt à verser de l’argent. Il s’agissait d’un achalandage : motifs, par. 37, 64 et 65.

 

[25]           Bien qu’aucune preuve directe n’ait été présentée au juge de la Cour de l’impôt quant à la raison pour laquelle AltaLink a payé la prime de 31 % en sus de la valeur comptable nette réglementée, l’intimée et TransAlta ont convenu que la prime avait été versée au moins en partie à cause de l’avantage potentiel au titre de la provision pour impôt et de la possibilité d’effet de levier.

[26]           L’avantage potentiel au titre de la provision pour impôt aurait résulté de la prise en compte de l’impôt par la Commission aux fins d’établissement des tarifs pour l’entreprise de transmission. Cela étant, il est possible qu’AltaLink se soit attendue à ce que les revenus annuels autorisés par la Commission comportent une provision pour impôts sur le revenu qui excède l’impôt sur le revenu réellement payé par au moins un des associés, à savoir le Régime. En sa qualité de société en commandite, AltaLink n’était pas elle-même assujettie à l’impôt, mais les obligations fiscales afférentes à l’exploitation de son entreprise de transmission devaient être transmises à ses associés, dont une caisse de retraite non imposable. Par conséquent, on pouvait s’attendre à ce que 25 % de la provision pour impôt autorisée par la Commission – représentant la part du Régime dans la société en commandite – soit potentiellement transmise au Régime nette d’impôt.

 

[27]           AltaLink croyait également être en mesure d’organiser ses affaires de façon à utiliser un niveau d’endettement supérieur à ce qu’avait présumé la Commission aux fins d’établissement des tarifs. Même si, à tout le moins, le ratio d’endettement aux actifs propres de 65:35 était maintenu à l’égard d’AltaLink, les associés pourraient financer une partie de leur participation au capital-actions d’AltaLink en contractant des emprunts, permettant ainsi un effet de levier à l’égard de leurs rendements respectifs.

 

[28]           Dans le cadre du processus d’approbation réglementaire se rapportant à l’achat-vente, AltaLink a déclaré à la Commission qu’elle pouvait justifier la prime compte tenu du fait :

a.       qu’un plan de réglementation basée sur le rendement pourrait donner lieu à un partage des avantages avec les clients, permettant d’accroître les bénéfices; la Commission examinait cette possibilité au moment de l’opération;

b.      que la possibilité d’une croissance soutenue de la base tarifaire réglementée pourrait diluer l’importance de la prime; certes, on s’attendait à ce que d’importants investissements de capitaux soient faits dans l’entreprise de transmission d’électricité, lesquels pourraient potentiellement donner lieu à des rendements supplémentaires;

c.       que l’existence de projets concurrentiels de transmission marchande pourrait offrir des possibilités d’améliorer  les bénéfices et d’accroître.

 

Le juge de la Cour de l’impôt a reconnu que ces éléments constituaient de l’achalandage : motifs aux par. 36, 38 et 63.

 

 

[29]           Cependant, retenant la définition de l’achalandage élaborée par lord Macnaghten dans Muller, il a aussi conclu que la possibilité d’effet de levier et l’avantage potentiel au titre de la provision pour impôt dont il est question plus haut ne pouvaient pas être attribués à l’achalandage vendu par TransAlta : motifs aux par. 33, 34 et 39. Il a aussi considéré que, dans R c. Jessiman Brothers Cartage Ltd., [1978] C.T.C. 274, 78 D.T.C. 6205 (Jessiman), le juge Mahoney faisait une distinction entre l’« achalandage » et les « raisons pour lesquelles un acquéreur peut verser plus d’argent pour des actifs corporels » : motifs aux par. 56 à 58.

 

[30]           Le juge de la Cour de l’impôt a ensuite écarté la répartition du prix d’achat-vente dont avaient convenu TransAlta et AltaLink. Bien qu’il ait reconnu que les parties étaient sans lien de dépendance, il a conclu qu’elles n’avaient pas mené des négociations serrées en ce qui concerne la répartition, étant donné que « le montant n’était pas important dans le contexte général du marché, qu’une partie manifestait de l’indifférence et que les parties en sont venues là où la norme de l’industrie et la logique des affaires dans l’industrie réglementée les mèneraient naturellement » : motifs au par. 53. Il a donc conclu que TransAlta n’avait pas présenté une preuve prima facie du caractère raisonnable et il a ensuite déterminé ce qu’il considérait comme une répartition raisonnable compte tenu de sa propre évaluation : motifs au par. 54.

 

[31]           Ayant conclu que la possibilité d’effet de levier et l’avantage potentiel au titre de la provision pour impôt ne faisaient pas partie de l’achalandage de TransAlta, le juge de la Cour de l’impôt a déduit la valeur respective de ces éléments de l’achalandage et l’a attribuée aux actifs corporels. À cette fin, il a déterminé que la valeur de l’avantage au titre de la provision pour impôt était de l’ordre de 25 000 000 $ à 50 000 000 $ et que la valeur se rattachant à l’effet de levier serait de 25 000 000 $. Le juge de la Cour de l’impôt a donné des explications limitées sur la méthode d’évaluation qu’il a utilisée pour déterminer ces montants. Appliquant la limite inférieure de sa fourchette, il a déduit 50 000 000 $ du montant convenu de 190 824 476 $ attribué à l’achalandage.

 

Les questions en litige

[32]           La première série de questions à trancher dans le présent appel porte sur la notion d’achalandage dans les industries réglementées. L’intimée prétend qu’il n’existe aucun achalandage dans une industrie réglementée alors que le juge de la Cour de l’impôt a conclu que la possibilité d’effet de levier et l’avantage potentiel au titre de la provision pour impôt ne faisaient pas partie de l’achalandage dans cette opération. Ces questions commandent d’examiner le cadre juridique régissant l’entreprise réglementée de transmission et la notion juridique d’achalandage. Ce sont essentiellement des questions de droit, qu’il faut trancher selon la norme de la décision correcte : Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] R.C.S. 235, aux par. 8 et 9.

 

[33]           La deuxième série de questions consiste à savoir si le juge de la Cour de l’impôt a commis une erreur en concluant que la répartition convenue entre TransAlta et AltaLink était déraisonnable suivant l’article 68 de la Loi, et s’il pouvait substituer sa propre répartition fondée sur sa propre évaluation. Ces questions soulèvent d’autres interrogations concernant : a) le critère juridique prévu à l’article 68, ce qui est une question de droit devant être tranchée selon la norme de la décision correcte : Enterprises Ludco Ltée c. Canada, 2001 CSC 62, [2001] 2 R.C.S. 1082, au par. 34; et b) l’application de ce critère en l’espèce, ce qui est une question mixte de fait et de droit devant être tranchée selon la norme de la raisonnabilité.

 

Première série de questions : l’achalandage dans les industries réglementées

            Les avis d’experts

[34]           Selon l’expert du ministre, M. Lawritsen, ce qui est acquis lors d’une opération d’achat-vente concernant une entreprise réglementée, c’est le flux de trésorerie – ou le flux de rentrées – généré par les actifs corporels réglementés de l’entreprise. Par conséquent, même si les négociations entre TransAlta et AltaLink étaient fondées sur un multiple de la valeur comptable nette réglementée des actifs corporels de l’entreprise de transmission, le prix payé pour l’entreprise était en fait directement lié au flux de rentrées qui serait généré par ces actifs. Le prix d’achat doit donc être attribué en totalité à ces actifs corporels.

 

[35]           M. Lawritsen a reconnu que son opinion ne correspondait pas aux pratiques courantes de l’industrie et de l’évaluation. Essentiellement, M. Lawritsen – et le ministre, par voie de conséquence nécessaire – contestait la validité des théories économiques et juridiques qui sous-tendent le système de réglementation. L’échange suivant, qui a eu lieu à la fin du contre-interrogatoire de M. Lawritsen, illustre clairement sa position (aux pages 499 à 501 de la transcription, reproduites dans le dossier d’appel aux pages 1661 à 1663) :

[traduction] Q. […] Donc, si vous n’acceptez pas la conclusion, alors vous ne reconnaissez pas la validité des théories économiques qui sous-tendent le système de réglementation. Est-ce exact?

R. Absolument. C’est-à-dire qu’il y a quelques distinctions fondamentales à faire, n’est-ce pas? L’organisme de réglementation a dit qu’il visait un taux de rendement de 9,75 %. En réalité, des taux de rendement de 11, 12 et 13 % ont été réalisés.

Q. Oui.

R. De plus, aucun marché ne détermine que 9,75 % est un…

Q. Exactement.

R. … taux de rendement du marché. Ce sont les acheteurs particuliers qui décident. L’acheteur particulier n’en tiendrait pas compte, comme tel. Il dirait « un résultat avant intérêts, impôts et amortissements de 105 millions de dollars est rattaché à ces actifs; combien suis-je prêt à payer pour en faire l’acquisition? ».

Q. D’accord.

R. En réalité, si je pouvais payer 800 millions de dollars pour une entreprise ayant un résultat avant intérêts, impôts et amortissements de 105 millions de dollars en 2002 dans un contexte d’instabilité économique, je serais content.

[…]

Q. Encore une question, M. Lawritsen, et je vous promets que j’ai ensuite fini. Donc, à la base, le désaccord concerne la légitimité des chiffres que la Commission utilise comme indicateurs du marché? C’est le point qui vous tracasse dans…

R. Oui, dans…

Q. … le modèle de la valeur nette actualisée de Mme Glass?

R.  Mme Glass dit que la valeur comptable nette réglementée est égale à la juste valeur marchande des…

Q. Non, je…

R. … actifs corporels parce que l’organisme de réglementation l’affirme.

 

 

 

[36]           Le rapport d’évaluation exhaustif préparé par le témoin expert de TransAlta, Mme Susan H. Glass de KPMG, donne un point de vue différent. Selon Mme Glass, a) une entreprise exerçant ses activités dans une industrie à tarifs réglementés est soumise à des restrictions qui, de manière générale, réduisent le multiple de la valeur comptable nette qu’un acheteur est prêt à payer pour faire l’acquisition de l’entreprise, ce qui, en retour, peut avoir pour effet de réduire, mais non d’éliminer, la possibilité d’achalandage; b) ces mêmes restrictions se soldent généralement par une juste valeur marchande des actifs corporels liés aux activités à tarifs réglementés qui est égale à la valeur comptable nette réglementée de ces mêmes actifs; c) par conséquent, dans une industrie à tarifs réglementés, toute prime versée en sus de la valeur comptable nette réglementée serait normalement attribuée à l’achalandage ou à d’autres actifs incorporels. Voir le rapport d’évaluation de KPMG, au paragraphe 177, reproduit à la page 1082 du dossier d’appel.

 

[37]           Mme Glass explique en outre que la méthode d’évaluation courante dans de telles circonstances consiste à évaluer la juste valeur marchande des actifs corporels et des actifs incorporels identifiables, et à attribuer à l’achalandage la différence entre la juste valeur marchande évaluée et le prix réel payé pour les actifs.

 

[38]           Pour évaluer les actifs corporels visés par l’opération de TransAlta, Mme Glass a utilisé la méthode qu’elle jugeait la plus appropriée dans les circonstances, à savoir l’approche bénéfices, ou méthode de l’actualisation des flux. Elle a calculé une juste valeur marchande des actifs de 600 698 000 $, ce qui correspondait à la valeur comptable nette réglementée des actifs à 2,7 % près, pourcentage qui s’inscrivait aisément dans une marge d’erreur acceptable. Voir le rapport de KPMG, aux paragraphes 371 à 373, reproduits à la page 1118 du dossier d’appel.

 

[39]           Pour mieux illustrer ses propos, Mme Glass a indiqué certains facteurs de l’achalandage ayant trait aux bénéfices excédentaires, aux rendements excédentaires, à la croissance et aux avantages stratégiques qui pouvaient avoir et qui avaient vraisemblablement eu un effet sur le prix qu’AltaLink était prête à payer pour acquérir l’entreprise de transmission. Elle a reconnu que ces facteurs ne pouvaient être quantifiés avec précision; néanmoins, leur quantification approximative étayait son opinion d’experte selon laquelle, à la date de clôture de l’opération, a) la juste valeur marchande des actifs corporels et des droits fonciers incorporels vendus par TransAlta était égale à la valeur comptable nette réglementée des actifs; b) la juste valeur marchande de l’achalandage de l’entreprise de transmission était égale à la totalité de la prime d’acquisition versée par AltaLink; c) par conséquent, la répartition du prix d’achat négociée par TransAlta et AltaLink concordait avec la juste valeur marchande des actifs corporels et incorporels achetés et vendus. Voir le rapport de KPMG, aux paragraphes 401 et 414, reproduits aux pages 1123 et 414 du dossier d’appel.

            Le cadre juridique du système de réglementation

[40]           La réglementation, au moyen de tarifs, des prix facturés par l’entreprise de transmission de TransAlta vise principalement à empêcher l’entreprise d’abuser de son monopole. L’entreprise de transmission d’électricité de TransAlta est donc réglementée en vue d’assurer la prestation d’un service essentiel efficient et rentable aux clients, et de garantir parallèlement la réalisation d’un taux de rendement juste et raisonnable sur le capital nécessaire à la prestation de ce service.

 

[41]           Le processus d’établissement des tarifs dans une industrie réglementée a été décrit dans Northwestern Utilities Ltd. c. City of Edmonton, [1929] R.C.S. 186. En 1922, le Board of Public Utility Commissioners (la régie) de l’Alberta avait rendu une ordonnance dans laquelle elle fixait les tarifs applicables à la fourniture de gaz dans la ville d’Edmonton. À cette fin, la régie avait établi que le taux de 10 % représentait un rendement raisonnable sur le capital investi par l’entreprise. En 1926, Northwestern Utilities a demandé la reconduction des tarifs. Après avoir fait ses calculs, la régie a réduit le taux de rendement à 9 % en raison de la dégradation des conditions du marché monétaire. Le juge Lamont a rejeté l’appel et s’est exprimé ainsi [aux pages 192 et 193] :

[traduction] Le rôle de la régie consistait à fixer des tarifs justes et raisonnables, c’est‑à‑dire des tarifs qui, dans les circonstances, seraient justes pour le consommateur, d’une part et, d’autre part, garantiraient à la société un rendement équitable sur le capital investi. Un rendement équitable signifie que la société pourra retirer du capital investi dans son entreprise un rendement (net) aussi élevé que celui qu’elle aurait obtenu en investissant la même somme dans d’autres placements présentant un effet d’attraction, une stabilité et un degré de certitude comparables à ceux de l’entreprise de la société. En fixant ce rendement net, la régie doit tenir compte du taux d’intérêt que la société est obligée de payer sur ses obligations pour avoir dû les vendre à un moment où le taux d’intérêt payable sur ces obligations excédait le taux payable sur les obligations émises au moment de l’audience. Pour bien fixer un rendement équitable, la régie doit nécessairement être informée du taux de rendement que l’argent rapporterait dans d’autres types d’investissements. Après avoir longuement étudié la question en 1922 et établi que le taux de 10 % représentait un rendement équitable dans le contexte de l’époque, la régie avait seulement besoin de savoir, en vue de fixer un taux de rendement approprié en 1927, si les conditions du marché monétaire avaient changé et, le cas échéant, dans quel sens et dans quelle mesure.

[Non souligné dans l’original.]

 

 

 

[42]           Ce processus a été adopté en Alberta aux fins d’établissement des tarifs de l’entreprise de transmission au moment où elle a été vendue par TransAlta. Dans le cadre de ce processus réglementaire, les tarifs établis par la Commission procuraient des revenus suffisamment élevés pour couvrir non seulement les dépenses de fonctionnement, mais aussi les coûts du capital de l’entreprise financée par endettement et par les capitaux propres. Le taux de rendement et le ratio d’endettement connexe étaient déterminés par la Commission et révisés périodiquement, habituellement après la tenue d’audiences publiques. Le processus réglementaire a donc servi comme indicateur du marché.

 

[43]           Par conséquent, d’après la théorie sur laquelle repose le système de réglementation appliqué par la Commission à l’entreprise de transmission en cause, le rendement des détenteurs de capitaux déterminé aux fins du processus réglementaire devrait normalement équivaloir au rendement que ceux-ci obtiendraient sur des investissements qui seraient réalisés dans des entreprises présentant des risques comparables.

 

[44]           Ce résultat prescrit par la loi a d’importantes conséquences aux fins d’établissement de la juste valeur marchande des actifs sous-jacents d’une entreprise réglementée. Étant donné que les rendements des capitaux propres sont déterminés selon la méthode de la juste valeur marchande, la valeur marchande des actifs corporels d’une entreprise réglementée devrait normalement correspondre à la valeur comptable réglementée de ces actifs. Il s’agit là d’une conséquence intrinsèque du mandat juridique qui régit le fonctionnement de l’organisme de réglementation.

 

[45]           En fait, les industries réglementées peuvent parfois réaliser des rendements sur les capitaux propres supérieurs à ceux qui sont approuvés par un organisme de réglementation aux fins d’établissement des tarifs.

 

[46]           Une telle situation peut se produire quand les gestionnaires de l’entreprise réglementée obtiennent des rendements exceptionnels, qui surpassent les rendements obtenus par des entreprises comparables. Si les gestionnaires contrôlent les coûts avec efficience, une plus grande part du revenu réglementé peut être affectée aux rendements sur les capitaux propres, de sorte que les rendements seront supérieurs à ceux du marché pour un investissement présentant un niveau de risque comparable. Des rendements additionnels sur les capitaux propres peuvent aussi être réalisés si de nouvelles occasions d’affaires génèrent d’autres revenus. Ces gains d’efficience et ces nouvelles occasions peuvent être explicitement ou implicitement favorisés par le cadre réglementaire, étant donné qu’ils peuvent être récupérés en totalité ou en partie à l’avantage des usagers.

 

[47]           Par ailleurs, même sans rendements additionnels, une entreprise réglementée peut présenter des occasions d’affaires stratégiques qui rehaussent sa valeur comme entreprise sans nécessairement rehausser la valeur de ses actifs corporels sous-jacents. Ces facteurs stratégiques peuvent varier considérablement, mais la perspective de développement de nouveaux marchés constitue assurément un facteur d’importance.

 

[48]           En raison de la nature du système de réglementation, la juste valeur marchande des actifs corporels de l’entreprise réglementée est largement équivalente à la valeur comptable réglementée de ces actifs. Comme nous l’avons vu, cette situation découle du cadre réglementaire que la loi impose à cette industrie. Dès lors, toute augmentation de la valeur de l’entreprise découlant des rendements additionnels réalisés en raison d’une gestion exceptionnelle, de nouvelles occasions d’affaires ou d’autres facteurs stratégiques devrait normalement être attribuée à l’achalandage.

 

[49]           La Commission a elle-même reconnu ce fait implicitement. Comme c’est le cas en l’espèce, une entreprise réglementée peut être vendue à un prix supérieur à la valeur comptable réglementée de ses actifs corporels sous-jacents. Cette prime peut être attribuable au fait que l’organisme de réglementation n’a pas évalué correctement les rendements des capitaux propres obtenus sur le marché pour des investissements comparables et a ainsi fixé un taux réglementé trop élevé. Elle peut également découler d’un bouleversement du marché qui serait survenu brusquement après la dernière détermination du taux réglementaire. Toutefois, selon la théorie de la réglementation, de telles erreurs ou fluctuations brusques du marché seraient, en temps normal, rapidement corrigées au moment de la détermination subséquente du taux réglementaire.

 

[50]           La Commission a formulé les observations suivantes dans la décision 2004-052 concernant le coût générique du capital, sous la rubrique [traduction] « Ratios valeur marchande-valeur comptable et primes d’acquisition » :

[traduction] La Commission convient avec les demandeurs qu’un certain nombre de facteurs influent sur les ratios valeur marchande-valeur comptable des sociétés de gestion de service public, et que la prudence est de mise au moment de tirer des conclusions à propos des services publics réglementés. La Commission reconnaît également que certains facteurs stratégiques peuvent influer sur le prix qu’un acheteur paie pour acquérir un service public.

Par exemple, NOVA Gas Transmission Ltd. affirme que sa société mère n’a pas fait l’acquisition d’un intérêt additionnel dans le pipeline Foothills, en payant 1,6 fois la valeur comptable, pour avoir la possibilité de réaliser un rendement au taux prévu par la formule de l’Office national de l’énergie; la société a plutôt investi pour que TransCanada PipeLines Limited ait de meilleures chances de participer à un projet de pipeline dans le Nord. La Commission reconnaît aussi que, dans certains cas, l’acheteur peut verser une prime lors de l’acquisition d’actifs réglementés en prévision d’une forte croissance de la base tarifaire dans l’avenir, à des fins de diversification géographique ou encore pour s’implanter dans un nouveau marché. Toutefois, les parties connaissent aussi les contraintes auxquelles les services publics réglementés sont soumis en ce qui concerne les opérations menées avec des sociétés affiliées, et plus particulièrement des sociétés affiliées non réglementées.

En l’absence de tels facteurs stratégiques, la Commission s’attendrait à ce qu’un investisseur prudent ne verse pas de prime importante, à moins que les rendements accordés ne soient supérieurs à ceux qu’exige le marché. La Commission prend note des points de vue de certaines parties selon lesquels le versement d’une prime en sus de la valeur comptable d’un service public réglementé indique que le rendement des capitaux propres accordé récemment pourrait être supérieur aux exigences du marché. La Commission n’est pas au courant des facteurs stratégiques qui peuvent avoir influé sur le prix payé pour l’acquisition de services publics en Alberta ces dernières années. Néanmoins, ce que la Commission sait du ratio valeur marchande-valeur comptable des services publics et de l’acquisition de services publics de l’Alberta ces dernières années lui permet de croire avec une certaine assurance que les rendements des capitaux propres qu’elle a accordés récemment n’étaient pas trop bas.

            […]

            La notion d’achalandage

[51]           Le juge de la Cour de l’impôt s’est fondé sur la définition suivante de l’achalandage, élaborée par lord Macnaghten dans Muller aux p. 223 et 224 :

[traduction] Qu’est‑ce que l’achalandage? Il s’agit d’une chose très facile à décrire, mais très difficile à définir. Il s’agit de l’avantage que procurent la renommée, la réputation et les relations d’une entreprise. Il s’agit de la force d’attraction qui amène la clientèle. C’est une chose qui distingue une entreprise établie depuis longtemps d’une nouvelle d’entreprise qui vient d’être créée. L’achalandage d’une entreprise doit émaner d’un centre particulier ou d’une source particulière. Quelle que soit l’étendue de l’influence de l’entreprise, l’achalandage ne vaut rien à moins d’exercer un pouvoir d’attraction suffisant pour amener l’eau au moulin. L’achalandage est composé de divers éléments. Sa composition est différente d’un métier à l’autre et, dans un secteur, d’une entreprise à l’autre. Un élément peut être prépondérant dans un cas, alors qu’un autre élément l’emporte dans un autre cas. Analyser l’achalandage et le diviser dans ses parties constituantes, le réduire de la façon dont les commissaires veulent le faire jusqu’à ce qu’il ne reste que des cendres là où l’entreprise est exploitée, alors que tout le reste s’évapore, me semble aussi utile en pratique que de réduire le corps humain en diverses substances dont il serait composé. L’achalandage d’une entreprise forme un tout, et dans un cas comme celui‑ci, il faut le considérer comme un tout.

 

 

[52]           Cette définition a été élaborée il y a plus d’un siècle, à une époque où la clientèle et la bonne réputation étaient considérées comme les principaux éléments de l’achalandage. Bien que cette définition soit toujours utile, il faut également tenir compte des importants développements survenus dans les domaines des affaires, de la comptabilité, de l’évaluation et du droit au cours du dernier siècle pour bien comprendre la notion moderne d’achalandage.

 

[53]           Comme l’a indiqué lord Macnaghten, l’achalandage est un concept difficile à définir. Il se compose de divers éléments et sa composition varie d’un métier à l’autre et, dans un même secteur, d’une entreprise à l’autre. Par conséquent, même après des études poussées et de nombreuses publications sur le sujet, les milieux juridiques et comptables n’ont pas encore arrêté une définition. À l’instar des comptables, j’en conclus que toute tentative de définir l’achalandage est vouée à l’échec. Il convient plutôt de dégager les diverses caractéristiques inhérentes à la notion d’achalandage pour ensuite procéder à une analyse au cas par cas.

 

[54]           Comme nous l’avons vu au début des présents motifs, trois caractéristiques doivent être présentes pour qu’il y ait achalandage : a) l’achalandage doit être un actif incorporel non déterminé, par opposition à un bien corporel ou à un bien incorporel déterminé, comme une marque de fabrique, un brevet ou une franchise; b) l’achalandage doit découler de l’attente de futurs gains, rendements ou autres avantages supérieurs à ceux que produirait normalement une entreprise comparable; c) l’achalandage doit être indissociable de l’entreprise à laquelle il se rattache et ne peut normalement être vendu séparément de l’entreprise en exploitation. En présence de ces trois caractéristiques, il est raisonnable de conclure qu’il y a achalandage : voir John W. Durnford, « Goodwill in the Law of Income Tax », Canadian Tax Journal 759, vol 29, no 6 (1981) (Durnford), p. 763 à 775; voir aussi Muller, précité; Manitoba Fisheries Ltd. c. Canada, [1979] 1 R.C.S. 101; Dominion Dairies Limited c. Ministre du Revenu national (1965), 66 D.T.C. 5028 (C. de l’É.); Les Placements A & N Robitaille Inc. c. Le Ministre du Revenu national (1994), 96 D.T.C. 1062 (C.C.I.); FCT c. Murray (1998), 155 ALR 67 (Aus. H.C.).

 

[55]           Une réputation établie, la satisfaction de la clientèle, un produit ou un procédé exclusif qui confère une situation de monopole, une bonne gestion ou une gestion astucieuse, un emplacement favorable, l’efficacité opérationnelle, des relations de travail harmonieuses, la publicité, la qualité des produits et la situation financière sont tous considérés comme des facettes de l’achalandage, dans la mesure où ils respectent les trois caractéristiques : voir Durnford, aux pages 772 et 773.

[56]           Ainsi, en l’espèce, la gestion efficience de TransAlta et les nouvelles occasions d’affaires que présente l’entreprise de transmission de TransAlta peuvent être qualifiées d’achalandage. Ces actifs incorporels découlent de l’attente de futurs gains, rendements ou autres avantages supérieurs à ceux que produirait normalement une entreprise comparable, ils sont indissociables de l’entreprise à laquelle ils se rattachent et ne peuvent normalement être vendus séparément de l’entreprise en exploitation. Ce sont là les caractéristiques de l’achalandage.

 

[57]           Enfin, je traite de la distinction entre « l’achalandage » et « les raisons pour lesquelles un acquéreur peut verser plus d’argent pour des actifs corporels », que le juge de la Cour de l’impôt a établie en se fondant sur l’affaire Jessiman. Dans cette affaire, il était question de la vente de camions servant à la livraison du courrier, et non de la vente de l’entreprise de livraison de courrier à laquelle les camions appartenaient en tant qu’entreprise en exploitation. Comme l’une des caractéristiques de l’achalandage dégagées précédemment est que l’achalandage ne peut être vendu qu’avec l’entreprise en tant qu’entreprise en exploitation, l’achalandage ne pouvait donc pas être transféré ou vendu dans le contexte de la vente des camions dont il est question dans Jessiman : voir FCT v. Murray, précité. Jessiman ne constate que cela.

 

[58]           En conclusion, je conviens avec le juge de la Cour de l’impôt que le ministre a commis une erreur de droit en soutenant qu’il n’existe aucun achalandage dans une industrie réglementée.

Le juge de la Cour de l’impôt a‑t‑il commis une erreur en concluant que l’effet de levier et l’avantage au titre de la provision pour impôt ne faisaient pas partie de l’achalandage?

 

 

[59]           Comme l’a dit le juge de la Cour de l’impôt, l’achalandage a été vendu et acheté dans le cadre de l’opération en cause. L’entreprise achetée et vendue ne comprenait pas seulement l’entreprise de transmission, mais aussi les « services d’entretien et de construction d’installations, les initiatives en matière de télécommunications, les services d’ingénierie, d’approvisionnement et de gestion et les services de transmission marchande » : voir la définition d’« entreprise » figurant dans la convention définitive d’achat-vente reproduite précédemment. Il s’agissait de sources potentielles de revenus et de rendement vendues par TransAlta aux acquéreurs potentiels dans le cadre de son processus d’appel d’offres. De même, le juge de la Cour de l’impôt a conclu que plusieurs autres éléments justifiant le paiement de la prime en sus de la valeur comptable nette réglementée pouvaient être attribués à l’achalandage.

 

[60]           Cependant, il a également conclu que la possibilité d’effet de levier et l’avantage potentiel au titre de la provision pour impôt ne faisaient pas partie de l’achalandage vendu par TransAlta, et que la valeur de ces éléments devait être attribuée aux actifs corporels de TransAlta : motifs aux par. 60 à 62. A-t-il commis une erreur en arrivant à cette conclusion?

 

[61]           Le juge de la Cour de l’impôt a exclu la possibilité d’effet de levier de l’achalandage en se fondant sur sa définition de la notion d’achalandage (motifs, au par. 72) :

Ils [les montants se rapportant à l’achalandage] se rapportent davantage au taux des bénéfices basé sur la VCNR [valeur comptable nette réglementée] des actifs corporels, et plus précisément, à la capacité d’AltaLink de tirer un rendement supérieur de ces actifs, et non à quelque chose que TransAlta a fait pour conserver ou pour étendre sa clientèle, et ils sont donc à juste titre attribués à ces actifs corporels. 

 

 

[62]           Or, contrairement à la notion étroite retenue par le juge de la Cour de l’impôt, l’achalandage ne se résume pas au maintien ou à l’expansion de la clientèle. L’achalandage existe aussi quand une entreprise peut générer des rendements supérieurs à ceux que produirait une entreprise comparable. La possibilité d’effet de levier dans l’entreprise de transmission est un actif incorporel qui, s’il est utilisé avec prudence, peut donner lieu à des rendements additionnels. Le fait que TransAlta n’ait pas elle-même fait jouer d’effet de levier à son investissement dans l’entreprise de transmission d’électricité ne signifie pas que le potentiel de rendements excédentaires attribuable à cet effet de levier ne fait pas partie des actifs incorporels qu’elle détenait dans cette entreprise. La possibilité d’effet de levier est un actif incorporel susceptible d’être commercialisé et vendu à des acheteurs potentiels qui ont la capacité de l’utiliser.

 

[63]           La possibilité d’effet de levier est un actif incorporel qui peut nourrir l’attente de rendements supérieurs à ceux que produirait une entreprise comparable; cet effet de levier est indissociable de l’entreprise et ne peut être vendu séparément de l’entreprise en tant qu’entreprise en exploitation. La possibilité d’effet de levier revêt donc toutes les caractéristiques susmentionnées de l’achalandage. À moins d’une bonne raison qui permettrait de conclure autrement (bonne raison qui n’est pas présente en l’espèce), la possibilité d’effet de levier était donc un aspect de l’achalandage vendu avec l’entreprise de transmission.

 

[64]           Le juge de la Cour de l’impôt a également conclu que l’avantage potentiel au titre de la provision pour impôt ne faisait pas partie de l’achalandage parce qu’il résultait de la façon dont TransAlta s’était structurée. L’avantage que comportait l’utilisation d’une provision pour impôt par un partenaire non imposable ne pouvait donc pas être considéré comme un actif de TransAlta. Je suis d’accord. Toutefois, le même raisonnement oblige aussi à conclure que l’avantage potentiel au titre de la provision pour impôt ne peut être rattaché aux actifs corporels vendus par TransAlta. Par conséquent, l’avantage potentiel au titre de la provision pour impôt, en droit, ne faisait pas partie de l’achalandage de TransAlta, ni n’était rattaché aux actifs corporels de TransAlta. Il s’agissait plutôt d’un actif incorporel d’AltaLink ou du Régime.

 

[65]           Cette conclusion justifie-t-elle la ponction de 25 000 000 $ à 50 000 000 $ faite sur la somme attribuée à l’achalandage – ce qui représente entre 13 % et 26 % de la prime versée par AltaLink – comme le juge de la Cour de l’impôt l’a fait en l’espèce? La réponse est non, pour trois raisons distinctes.

 

[66]           D’abord, la valeur de l’avantage potentiel au titre de la provision pour impôt était de beaucoup inférieure à l’évaluation qu’en a faite le juge de la Cour de l’impôt. Même si TransAlta et la Couronne croient toutes deux qu’AltaLink a peut-être tenu compte de l’avantage potentiel au titre de la provision pour impôt en établissant la prime qu’elle a versée pour acquérir l’entreprise de transmission, elles ne s’entendent pas sur la valeur que TransAlta a pu attribuer à cet avantage potentiel. La seule évaluation soumise comme élément de preuve en l’espèce était le rapport d’évaluation de KPMG. Dans ce rapport, Mme Glass, l’experte en évaluation de KPMG, conclut que « seule une petite portion de la prime a peut-être été versée en raison de la provision pour impôt » : voir le rapport d’évaluation de KPMG, au paragraphe 135, reproduit à la page 1075 du dossier d’appel (non souligné dans l’original). Elle souligne aussi que, conformément à la théorie de l’évaluation, aucune partie de cette provision ne pouvait être attribuée à la valeur des actifs corporels : voir le rapport d’évaluation de KPMG, au paragraphe 168, reproduit à la page 1080 du dossier d’appel. Mme Glass ajoute que l’achalandage n’a pas perdu de sa valeur après que la Commission eut rajusté la provision pour impôt pour tenir compte de la participation du Régime à la société en commandite : voir le rapport d’évaluation de KPMG, au paragraphe 150, reproduit à la page 1078 du dossier d’appel. Vu la nature contingente et incertaine de cet avantage, un investisseur prudent aurait probablement réduit de beaucoup sa valeur.

 

[67]           Ensuite, même si une petite portion de la prime qui avait été versée pouvait être attribuée à l’avantage potentiel au titre de la provision pour impôt, il n’était pas déraisonnable pour les parties à l’opération d’attribuer cette portion à l’achalandage aux fins de l’article 68 de la Loi. En effet, tel que noté ci-dessus, l’avantage potentiel au titre de la provision pour impôt ne faisait pas partie de l’achalandage de TransAlta ni de ses actifs corporels. Comme nous le verrons plus loin, l’article 68 établit que le critère de la raisonnabilité s’applique aux fins de la répartition d’un prix. Ainsi, un montant qui n’est pas attribuable à l’achalandage au sens juridique du concept peut quand même lui être attribué à des fins comptables et fiscales si une telle répartition peut être jugée raisonnable. En l’espèce, étant donné que l’avantage potentiel au titre de la provision pour impôt ne peut être attribué aux actifs corporels qui ont été vendus, toute portion de la prime qui pourrait être attribuée à l’avantage potentiel au titre de la provision pour impôt serait traitée, à des fins comptables et fiscales, comme s’il s’agissait d’achalandage. Dans de telles circonstances, le fait que les parties aient attribué cette portion à l’achalandage peut être considéré comme raisonnable aux fins de l’article 68 de la Loi.

 

[68]           Enfin, lorsque de multiples aspects de l’achalandage sont en jeu, il ne convient pas d’attribuer une valeur distincte particulière à chacun de ces aspects. L’achalandage est, en soi, difficile à évaluer, la valeur de ses divers aspects pouvant varier en fonction des circonstances. Lord Macnaghten s’est exprimé ainsi dans Muller (à la page 224) :

[traduction] Un élément peut être prépondérant dans un cas, alors qu’un autre élément l’emporte dans un autre cas. Analyser l’achalandage et le diviser dans ses parties constituantes […] me semble aussi utile en pratique que de réduire le corps humain en diverses substances dont il serait composé. L’achalandage d’une entreprise forme un tout, et dans un cas comme celui‑ci, il faut le considérer comme un tout.

 

[69]           Voilà pourquoi la méthode résiduelle est l’approche privilégiée à adopter pour évaluer l’achalandage. Selon cette méthode, une juste valeur marchande est d’abord attribuée aux actifs les plus faciles à évaluer (par exemple les actifs corporels), et toute somme versée en sus de la juste valeur marchande est attribuée à l’achalandage. En l’espèce, la méthode résiduelle était la méthode d’évaluation approuvée par les deux experts, celui du ministre et celui de TransAlta. L’extrait du contre‑interrogatoire de M. Lawritsen présenté ci‑dessous est révélateur (aux pages 432, 443 et 444 de la transcription, reproduites aux pages 1594, 1605 et 1606 du dossier d’appel) :

[traduction] Q. Donc, vous affirmez que l’achalandage est un concept résiduel? Vous et Mme Glass êtes d’accord là‑dessus, essentiellement?

 

R. Oui.

 

[…]

 

Q. Très bien, merci. Maintenant, M. Lawritsen, je vous ai questionné il y un moment sur la nature résiduelle de l’achalandage, et je crois que vous et moi en avions convenu, au paragraphe 5.05(3), dans une de vos définitions, vous dites ceci :

L’achalandage ne peut être ni quantifié ni déterminé précisément (directement). Il s’agit seulement de la différence entre le prix d’achat et la valeur des actifs nets identifiables.

 

            Je crois que nous nous sommes entendus là‑dessus il y a quelques minutes.

 

            R. C’est le genre de définition type qu’un évaluateur utiliserait.

 

[70]           Le fait que certains éléments incorporels qui ne font pas partie de l’achalandage au sens juridique peuvent être pris en considération dans une telle méthode d’évaluation – par exemple l’avantage potentiel au titre de la provision pour impôt – ne signifie pas que la méthode d’évaluation est incorrecte ou inappropriée. La méthode révèle simplement que ces types d’actifs incorporels devraient être traités comme s’ils faisaient partie de l’achalandage à toutes fins pratiques – y compris à des fins comptables et fiscales – même s’ils ne relèvent pas à proprement parler de la notion juridique d’achalandage.

 

[71]           Par conséquent, conformément à l’avis unanime des experts ayant témoigné en l’espèce, l’achalandage devrait normalement être évalué comme un tout résiduel. Le juge de la Cour de l’impôt n’avait aucune raison de conclure autrement.

 

Deuxième série de questions : le caractère raisonnable de l’attribution de l’achalandage

 

            Le critère prévu à l’article 68 de la Loi

[72]           L’article 68 de la Loi dispose ce qui suit :

 Dans le cas où il est raisonnable de considérer que le montant reçu ou à recevoir d’une personne est en partie la contrepartie de la disposition d’un bien d’un contribuable ou en partie la contrepartie de la prestation de services par un contribuable :

 

a) la partie du montant qu’il est raisonnable de considérer comme la contrepartie de cette disposition est réputée être le produit de disposition du bien, quels que soient la forme et les effets juridiques du contrat ou de la convention, et la personne qui a acquis le bien à la suite de cette disposition est réputée l’acquérir pour un montant égal à cette partie;

 

b) la partie du montant qu’il est raisonnable de considérer comme la contrepartie de la prestation de services est réputée être un montant reçu ou à recevoir par le contribuable pour ces services, quels que soient la forme et les effets juridiques du contrat ou de la convention, et être un montant payé ou payable au contribuable par la personne à qui ces services ont été rendus.

 

 

 

[Je souligne]

 Where an amount received or receivable from a person can reasonably be regarded as being in part the consideration for the disposition of a particular property of a taxpayer or as being in part consideration for the provision of particular services by a taxpayer,

 

(a) the part of the amount that can reasonably be regarded as being the consideration for the disposition shall be deemed to be proceeds of disposition of the particular property irrespective of the form or legal effect of the contract or agreement, and the person to whom the property was disposed of shall be deemed to have acquired it for an amount equal to that part; and

 

(b) the part of the amount that can reasonably be regarded as being consideration for the provision of particular services shall be deemed to be an amount received or receivable by the taxpayer in respect of those services irrespective of the form or legal effect of the contract or agreement, and that part shall be deemed to be an amount paid or payable to the taxpayer by the person to whom the services were rendered in respect of those services.

[Emphasis added]

 

[73]           Comme il ressort clairement de l’article 68, le critère applicable est celui de la raisonnabilité. La notion de raisonnabilité aux fins d’imposition a été examinée par le juge Cattanach dans Gabco Limited v. Minister of National Revenue (1968), 68 D.T.C. 5210 (Cour de l’Échiquier) (« Gabco »), quoique dans un contexte législatif différent. Le critère suivant a été appliqué dans cette affaire (p. 5216) :

[traduction] Il s’agit non pas pour le ministre ou pour la Cour de substituer son jugement à ce qui constitue une somme raisonnable à payer, mais il s’agit plutôt pour le ministre ou la Cour d’arriver à la conclusion qu’aucun homme d’affaires raisonnable ne se serait engagé à verser une telle somme en n’ayant à l’esprit que les considérations commerciales de l’appelante.

 

[74]           Le critère élaboré dans Gabco a été adopté par notre Cour pour déterminer si la déduction d’une dépense était raisonnable aux fins de l’article 67 de la Loi : Petro‑Canada c. Canada, 2004 CAF 158, 2004 D.T.C. 6329, au par. 62.

 

[75]           La notion de raisonnabilité à l’article 68 de la Loi est semblable à celle utilisée aux fins de l’article 67 de la Loi. Par conséquent, pour les fins de l’article 68 de la Loi, je suis d’avis qu’un montant peut être raisonnablement considéré comme la contrepartie de la disposition d’un bien si un homme ou une femme d’affaires raisonnable, ayant à l’esprit des considérations commerciales, aurait attribué ce montant à ce bien. Dans ce contexte, les pratiques réglementaires et industrielles longuement  établies, ainsi que les normes et pratiques en matière de vérification et d’évaluation, sont pertinentes.

 

[76]           TransAlta soutient également que lorsque des parties sans lien de dépendance conviennent de la répartition du produit de la disposition d’un bien, il faut accorder un poids considérable à leur entente, surtout si les parties ont précisément négocié la répartition : La Reine c. Golden et autres, [1986] 1 R.C.S. 209, 86 DTC 6138, et George Golden v. Her Majesty The Queen, 83 D.T.C. 5138 (C.A.F.).

 

[77]           Une répartition convenue par les parties à une opération sans lien de dépendance est un facteur important à considérer pour les fins de l’article 68 de la Loi. Toutefois, l’importance à accorder à une telle entente dépendra des circonstances. Une importance considérable sera accordée à une entente dans le cadre de laquelle les parties ont de grands intérêts divergents à propos de la répartition, alors que moins d’importance sera accordée à une entente dans le cadre de laquelle une des parties est indifférente, ou dans le cadre de laquelle les intérêts des deux parties sont semblables en ce qui concerne la répartition : R.L. Petersen v. The Minister of National Revenue (1987), 88 D.T.C. 1040, aux p. 1046 et 1047.

 

[78]           Le fait que les parties aient convenu de la répartition ne supplante pas le critère de la raisonnabilité prévu à l’article 68 de la Loi. Comme je l’ai déjà indiqué, le critère consiste à déterminer si un homme ou une femme d’affaires raisonnable, ayant à l’esprit des considérations commerciales, aurait attribué le montant à ce bien. Le fait que les parties à une opération sans lien de dépendance se soient entendues sur la répartition est un facteur important à considérer, mais une répartition convenue entre les parties qui ne satisfait pas au critère de la raisonnabilité peut tout de même être contestée sous l’article 68.

 

L’application du critère

[79]           Le juge de la Cour de l’impôt a interprété le critère de la raisonnabilité prévu à l’article 68 comme étant un processus à deux volets :

a) il faut d’abord déterminer si l’attribution convenue entre les parties à une opération sans lien de dépendance était le résultat de « négociations réelles entre ces parties, dont les positions en matière de négociations sont relativement égales »; si c’est le cas, cette attribution constitue une preuve prima facie du caractère raisonnable de l’attribution qui ne peut être contestée par le ministre que si « le fondement de l’entente entre les parties comporte une erreur fondamentale » : motifs aux sous‑paragraphes 47(iii) et (iv);

 

b) s’il n’y a pas eu de négociations réelles entre les parties dont les positions en matière de négociations sont égales, « la Cour devra décider d’une fourchette raisonnable », laquelle est une fourchette des justes valeurs marchandes possibles fondée sur la nature de l’actif et de l’industrie, le contexte dans lequel s’inscrit l’opération et « tout autre facteur pertinent » : motifs au sous‑paragraphe 47(v) et aux par. 26 à 28.

 

[80]           Le juge de la Cour de l’impôt a conclu que les parties à l’opération n’avaient pas mené des négociations réelles. Il a conclu qu’AltaLink était indifférente au fait que le prix attribué à l’achalandage était supérieur à la valeur comptable nette réglementée des actifs corporels. Il est arrivé à cette conclusion au motif qu’aprèes la vente, les taux applicables  à TransAlta aux fins de la déduction pour amortissement seraient similaires peu importe que le montant soit attribué aux actifs corporels ou à l’achalandage : motifs au par. 51. Cette indifférence a fait en sorte que « les parties en sont venues là où la norme de l’industrie et la logique des affaires dans l’industrie réglementée les mèneraient naturellement » : motifs au par. 53. Cette conclusion a permis au juge de la Cour de l’impôt de procéder à sa propre évaluation.

 

[81]           Le critère appliqué par le juge de la Cour de l’impôt est complexe et aucun principe directeur ne s’en dégage. Il s’agit d’un critère en partie fondé sur la forme, et qui lui a permis de substituer sa propre attribution à celle convenue par les parties suivant les normes de l’industrie et les normes réglementaires.

 

[82]           Si le juge de la Cour de l’impôt avait appliqué le bon critère et recherché si un homme ou une femme d’affaires raisonnable, ayant à l’esprit des considérations commerciales, aurait attribué le montant de 190 824 476 $ à l’achalandage, il n’aurait eu d’autre choix que d’examiner les normes de l’industrie et les normes réglementaires, ainsi que les théories en matière de comptabilité et d’évaluation, lesquelles mènent toutes à l’attribution convenue. Cette attribution était raisonnable précisément parce qu’elle respectait les normes de l’industrie et les normes réglementaires ainsi que la méthode d’évaluation applicable aux entreprises réglementaires et les principes comptables appliqués dans ces industries.

 

Conclusions

[83]           Pour les motifs énoncés précédemment, j’accueillerais l’appel, annulerais le jugement de la Cour canadienne de l’impôt, rejetterais l’appel incident, accueillerais l’appel de la nouvelle cotisation du ministre établie à l’égard de TransAlta Energy Corporation, le prédécesseur de l’appelante par fusion, et renverrais l’affaire au ministre pour qu’il établisse une nouvelle cotisation conformément aux présents motifs. J’accorderais également les dépens à TransAlta.

 

« Robert M. Mainville »

j.c.a.

 

 

« Je suis d’accord.

            John M. Evans, j.c.a. »

 

« Je suis d’accord.

            Carolyn Layden‑Stevenson, j.c.a. »

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L., réviseure

 

COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

NOMS DES AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    A‑350‑10

 

 

APPEL D’UN JUGEMENT RENDU PAR LE JUGE MILLER DE LA COUR CANADIENNE DE L’IMPÔT LE 13 JUILLET 2010.

 

 

INTITULÉ :                                                  TRANSALTA CORPORATION c
SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Calgary (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 13 décembre 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                       LE JUGE MAINVILLE

 

Y ONT SOUSCRIT :                                   LE JUGE EVANS

                                                                        LA JUGE LAYDEN‑STEVENSON

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 20 janvier 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Robert McCue

Laurie Goldbach

 

POUR L’APPELANTE

 

Chang Du

 

POUR L’INTIMÉE

 

 

NOMS DES AVOCATS :

 

Bennett Jones LLP

Calgary (Alberta)

 

POUR L’APPELANTE

 

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR L’INTIMÉE

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.