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Date : 20120130

Dossier : A-308-10

Référence : 2012 CAF 33

 

CORAM :      LE JUGE EN CHEF BLAIS

                        LE JUGE NADON

                        LA JUGE DAWSON

 

ENTRE :

SA MAJESTÉ LA REINE

 

appelante

 

et

 

DAVID A. BARRETT

 

intimé

 

 

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 25 octobre 2011

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 30 janvier 2012

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                           LA JUGE DAWSON

Y ONT SOUSCRIT :                                                                           LE JUGE EN CHEF BLAIS

                                                                                                                            LE JUGE NADON

 

 


Date : 20120130

Dossier : A-308-10

Référence : 2012 CAF 33

 

CORAM :      LE JUGE EN CHEF BLAIS

                        LE JUGE NADON

                        LA JUGE DAWSON

 

ENTRE :

SA MAJESTÉ LA REINE

 

appelante

et

 

DAVID A. BARRETT

 

intimé

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

LA JUGE DAWSON

[1]               Le paragraphe 323(1) de la Loi sur la taxe d’accise, L.R.C. 1985, ch. E‑15 (la Loi), prévoit que, si une personne morale ne verse pas la TPS comme elle doit le faire, ses administrateurs peuvent être personnellement tenus de la payer :

323. (1) Les administrateurs de la personne morale au moment où elle était tenue de verser une taxe nette comme l’exigent les paragraphes 228(2) ou (2.3), sont, en cas de défaut par la personne morale, solidairement tenus, avec cette dernière, de payer cette taxe ainsi que les intérêts et pénalités y afférents.

323. (1) Where a corporation fails to remit an amount of net tax as required under subsection 228(2) or (2.3), the directors of the corporation at the time the corporation was required to remit the amount are jointly and severally liable, together with the corporation, to pay that amount and any interest thereon or penalties relating thereto.

[2]               Le paragraphe 323(2) de la Loi renferme un certain nombre de dispositions qui limitent la responsabilité des administrateurs. La seule limite pertinente en l’espèce est celle prévue à l’alinéa 323(2)a) :

323. (2) L’administrateur n’encourt de responsabilité selon le paragraphe (1) que si :

a) un certificat précisant la somme pour laquelle la personne morale est responsable a été enregistré à la Cour fédérale en application de l’article 316 et il y a eu défaut d’exécution totale ou partielle à l’égard de cette somme; [Non souligné dans l’original.]

323. (2) A director of a corporation is not liable under subsection (1) unless

 

(a) a certificate for the amount of the corporation’s liability referred to in that subsection has been registered in the Federal Court under section 316 and execution for that amount has been returned unsatisfied in whole or in part; [emphasis added]

 

 

[3]               L’article 316 de la Loi, auquel renvoie l’alinéa 323(2)a), prévoit un mécanisme de recouvrement des sommes payables sous le régime de la Loi. Les paragraphes 316(1) et (2), qui sont reproduits en annexe, permettent au ministre de délivrer un certificat établissant le montant de taxe payable en vertu de la Loi et de l’enregistrer à la Cour fédérale. Une fois enregistré, le certificat a le même effet que s’il s’agissait d’un jugement rendu par cette cour contre le débiteur pour le montant attesté dans le certificat. Celui‑ci peut ensuite être exécuté notamment au moyen d’un bref de saisie‑exécution par un shérif (règle 425 et paragraphe 433(3) des Règles des Cours fédérales).

 

[4]               Il s’agit en l’espèce d’un appel interjeté à l’encontre d’un jugement de la Cour canadienne de l’impôt (2010 CCI 298) où le juge, appliquant l’alinéa 323(2)a) de la Loi, a annulé une cotisation relative à un montant de TPS impayé qui était exigible en vertu des dispositions de la Loi sur la responsabilité des administrateurs. La seule question soulevée en appel consiste à déterminer si le juge a commis une erreur de droit dans son interprétation et son application de l’alinéa 323(2)a) de la Loi.

 

[5]               Avec égards, j’estime, pour les motifs qui suivent, que le juge a commis une erreur dans son interprétation et son application de l’alinéa 323(2)a). J’accueillerais donc l’appel, avec dépens devant la Cour et devant la Cour de l’impôt.

 

Les faits

[6]               L’intimé, M. Barrett, était un administrateur de Creative Promotions Limited (Creative). D’octobre 1993 à mars 1995, Creative a omis de verser la TPS, contrairement à la Loi. Creative a cessé ses activités en 1995.

 

[7]               Le ministre a enregistré un certificat à l’encontre de Creative à la Cour fédérale, en vertu du paragraphe 316(2) de la Loi, le 6 octobre 1998. Le même jour, il a obtenu un bref de saisie‑exécution, puis le 31 octobre 2000, il a ordonné au shérif d’exécuter le bref à l’encontre de Creative.

 

[8]               Le 22 novembre 2000, le shérif a transmis un procès‑verbal nulla bona au ministre, indiquant que le bref de saisie‑exécution ne pouvait pas être exécuté.

 

[9]               Le 8 septembre 2003, le ministre a établi une cotisation pour la somme de 128 696,47 $ à l’égard de M. Barrett au sujet de la dette de Creative au titre de la TPS.

[10]           Le juge a constaté :

 

i.                    qu’en 1995 M. Barrett avait dit à un représentant de l’Agence du revenu du Canada que Creative n’avait pas d’actifs et pas d’argent pour payer la somme de TPS due (alinéa 29(b) des motifs);

ii.                  qu’un bref d’exécution délivré à l’encontre de Creative relativement à des retenues à la source non versées s’était soldé par un procès-verbal de non‑exécution (alinéa 29(j) des motifs);

iii.                que M. Barrett avait témoigné que, en 1998, Creative avait toujours suffisamment d’actifs pour payer la TPS due, mais qu’« il n’[avait] pu offrir que des généralisations sur les fonds restants et sur la date à laquelle les actifs avaient pu être employés » (paragraphe 11 des motifs);

iv.                que, après que Creative a cessé ses activités, M. Barrett a utilisé les actifs pour payer un divorce et les études universitaires de ses quatre enfants et pour investir dans une petite entreprise. De plus, sa femme a retiré des sommes du compte de banque de Creative (paragraphe 12 des motifs).

 

La décision de la Cour de l’impôt

[11]           Le juge a d’abord rejeté la prétention de M. Barrett selon laquelle la cotisation devait être infirmée parce que le ministre avait agi trop lentement. Il a conclu que le ministre s’était conformé au seul délai applicable prévu par la Loi, au paragraphe 323(5). Cette disposition interdit qu’une cotisation soit établie à l’égard d’un administrateur plus de deux ans après qu’il a cessé d’être administrateur.

[12]           Le juge s’est ensuite intéressé aux efforts déployés par le ministre en matière de recouvrement. Il a analysé brièvement la nature et l’étendue de l’obligation du ministre :

16        La question de savoir s’il y a eu défaut d’exécution est essentiellement une question de fait, ainsi que l’écrivait le juge en chef Bowman (tel était alors son titre) dans la décision Miotto c. La Reine8 :

 

42      La question de savoir si le bref a bel et bien été exécuté est essentiellement une question de fait. L’exécution d’un bref de fieri facias demande des efforts raisonnables de la part de l’huissier. La perfection n’est pas exigée. [...]

 

17        Il est clair que, s’agissant de ce en quoi consistent des efforts raisonnables, on ne doit pas considérer uniquement les mesures prises par le shérif, mais également les mesures prises par le créancier, à savoir l’intimée, dans ses directives adressées au shérif9. Autrement dit, pour savoir si des efforts raisonnables ont été faits, on examine le processus tout entier d’exécution, un processus qui englobe les moyens pris par l’ARC pour vérifier l’existence d’actifs et pour déterminer les instructions à donner au shérif, ainsi que les mesures que celui-ci devra prendre.

 

[13]           Une seule source est citée à la note 9 des motifs au soutien de la conclusion selon laquelle un tribunal doit considérer le caractère raisonnable des mesures prises par le ministre dans ses directives au shérif. Il s’agit en fait des deux dernières phrases de ce que le juge désigne comme le paragraphe 41 des motifs formulés par le juge en chef de l’époque, le juge Bowman, dans Miotto c. Canada, 2008 CCI 128 (le passage pertinent se trouve en réalité au paragraphe 27 de la version des motifs publiée dans QuickLaw). Le juge en chef Bowman a écrit :

27        Ces précédents vénérables sont probablement encore valables du point de vue juridique, mais je ne crois pas qu’ils viennent donner un appui très solide à la position de l’appelant. L’agente de recouvrement de l’ARC avait des motifs tout à fait raisonnables de croire que Pacific n’avait aucun bien. L’huissier et elle n’avaient aucune raison de croire que les appelants avaient peut‑être encore en leur possession certains biens ayant jadis appartenu à Pacific.

 

[14]           Selon le juge, les deux dernières phrases de ce paragraphe traduisent la conclusion du juge en chef Bowman voulant que le caractère raisonnable des mesures prises par l’agente de recouvrement et par l’huissier doive être considéré.

 

[15]           Le juge a ensuite décrit les efforts déployés pour recouvrir le montant de TPS payable par Creative. Au paragraphe 32, il a résumé les démarches accomplies par le ministre avant qu’il ordonne au shérif d’exécuter le bref de saisie‑exécution :

32        En résumé, les principales démarches accomplies jusqu’à la date des instructions données au shérif ont été les suivantes :

(a)        on avait parlé à l’appelant, qui avait déclaré qu’il n’y avait pas d’actifs;

(b)        on avait appris que l’entreprise avait cessé ses activités en 1995;

(c)        on avait vérifié l’existence possible de biens mobiliers;

(d)        on avait décidé de l’endroit où envoyer le shérif et, à cette occasion, on avait conclu, à la lecture du dossier, que la société n’avait plus d’adresse distincte bien à elle;

(e)        on avait constaté qu’un bref d’exécution antérieur portant sur des retenues à la source s’était soldé par un procès-verbal de non‑exécution; et

(f)        on avait sans doute découvert un compte bancaire dont le solde était très faible (cette découverte avait eu lieu, mais il est impossible d’après la preuve de savoir si elle avait eu lieu avant ou après que le shérif a été dépêché).

 

[16]           Le juge a ensuite expliqué :

33        Les efforts entrepris pour exécuter le bref étaient-ils raisonnables? Comme je l’écrivais plus haut, l’exécution est un processus et l’on doit considérer le processus tout entier pour savoir si les efforts de l’ARC et du shérif ont été raisonnables compte tenu des circonstances.

34        Je suis d’avis qu’il était raisonnable pour Mme Kopli d’envoyer le shérif à l’adresse qu’elle avait trouvée à la faveur de son examen du registre des véhicules automobiles, étant donné qu’elle avait des raisons de penser que les autres adresses n’étaient pas valides.

35        L’appelant a fait grand cas du fait que les agents de recouvrement avaient tenu compte de sa déclaration selon laquelle la société n’avait plus d’actifs lorsqu’ils avaient décidé des mesures qu’il convenait de prendre.

36        On s’attendrait d’un agent de recouvrement qu’il considère avec prudence une telle déclaration faite par un administrateur et copropriétaire, mais l’on pouvait raisonnablement compter que l’appelant saurait si la société avait des actifs, et je suis d’avis que, dans ces circonstances, il était raisonnable de la part des agents de recouvrement de considérer la déclaration comme ils l’ont fait, étant donné, entre autres choses, le temps qui s’était écoulé depuis que la société avait cessé ses activités.

37        On s’attendrait normalement à ce que l’une des étapes du processus d’exécution consiste à utiliser les renseignements figurant dans les dossiers de l’ARC pour y découvrir des comptes bancaires, d’autant que l’ARC aura souvent à sa disposition un moyen de savoir quel est l’établissement financier d’un contribuable.

38        En l’absence d’une telle vérification de l’existence d’un compte bancaire, et compte tenu des autres mesures attestées par la preuve, je suis d’avis qu’il n’était pas raisonnable d’interrompre le processus d’exécution au stade où il a pris fin. [Notes de bas de page omises.]

 

[17]           Ainsi, se fondant sur le défaut du ministre de vérifier l’existence possible d’un compte de banque de la société, le juge a conclu que des efforts raisonnables n’avaient pas été faits pour exécuter le bref de saisie‑exécution et, en conséquence, que l’exigence prévue à l’alinéa 323(2)a) de la Loi n’était pas remplie, de sorte que la cotisation devait être annulée.

 

[18]           Le juge n’a tiré aucune conclusion au sujet de la question de savoir si Creative possédait des actifs suffisants pour payer sa dette au moment de la délivrance du bref ou au moment de l’exécution de celui‑ci par le shérif.

 

La norme de contrôle

[19]           L’interprétation de l’alinéa 323(2)a) de la Loi est une question de droit. La réponse donnée à cette question par le juge est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte (Housen c. Nikolaisen, [2002] 2 R.C.S. 235, au paragraphe 8).

 

L’application de la norme de contrôle

[20]           La Cour suprême du Canada a décrit l’approche qu’elle privilégie en matière d’interprétation des lois dans les termes suivants :

10        Il est depuis longtemps établi en matière d’interprétation des lois qu’« il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur » : voir 65302 British Columbia Ltd. c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 804, par. 50. L’interprétation d’une disposition législative doit être fondée sur une analyse textuelle, contextuelle et téléologique destinée à dégager un sens qui s’harmonise avec la Loi dans son ensemble. Lorsque le libellé d’une disposition est précis et non équivoque, le sens ordinaire des mots joue un rôle primordial dans le processus d’interprétation. Par contre, lorsque les mots utilisés peuvent avoir plus d’un sens raisonnable, leur sens ordinaire joue un rôle moins important. L’incidence relative du sens ordinaire, du contexte et de l’objet sur le processus d’interprétation peut varier, mais les tribunaux doivent, dans tous les cas, chercher à interpréter les dispositions d’une loi comme formant un tout harmonieux. [Non souligné dans l’original.]

 

Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, [2005] 2 R.C.S. 601, au paragraphe 10 [non souligné dans l’original].

 

[21]           Cette description de l’approche appropriée en matière d’interprétation des lois a été reprise récemment dans Celgene Corp. c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 1, [2011] 1 R.C.S. 3, au paragraphe 21, et Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Ministre de la Défense nationale), 2011 CSC 25, [2011] 2 R.C.S. 306, au paragraphe 27.

 

[22]           Le libellé, le contexte législatif et l’objet de l’alinéa 323(2)a) seront maintenant analysés.

 

a.         Le libellé de l’alinéa 323(2)a)

[23]           Par souci de commodité, l’alinéa 323(2)a) est reproduit à nouveau :

323. (2) L’administrateur n’encourt de responsabilité selon le paragraphe (1) que si :

a) un certificat précisant la somme pour laquelle la personne morale est responsable a été enregistré à la Cour fédérale en application de l’article 316 et il y a eu défaut d’exécution totale ou partielle à l’égard de cette somme; [Non souligné dans l’original.]

323. (2) A director of a corporation is not liable under subsection (1) unless

 

(a) a certificate for the amount of the corporation’s liability referred to in that subsection has been registered in the Federal Court under section 316 and execution for that amount has been returned unsatisfied in whole or in part; [emphasis added]

 

[24]           Le libellé de la Loi exige seulement que la somme pour laquelle la personne morale est responsable soit inscrite auprès de la Cour fédérale en application de l’article 316 de la Loi et qu’il y ait défaut d’exécution. Il n’exige aucunement du ministre qu’il prenne des mesures raisonnables pour vérifier l’existence des actifs de la personne morale débitrice avant de donner des instructions au shérif au sujet de l’exécution.

 

[25]           Cependant, comme la Cour de l’impôt l’a mentionné dans Turner c. Canada, 2006 CCI 130, au paragraphe 22, les règles de la cour qui délivre un bref d’exécution fixent les normes régissant l’exécution de celui‑ci.

[26]           Le paragraphe 55(4) de la Loi sur les Cours fédérales prévoit que le shérif ou le prévôt exécute les moyens de contrainte de la Cour fédérale. Le paragraphe 433(3) des Règles des Cours fédérales exige qu’un bref d’exécution visant le recouvrement d’une somme d’argent (ce qui inclut un bref de saisie‑exécution) porte des directives prescrivant au shérif de prélever :

a) la somme exigible dont le recouvrement est poursuivi en vertu de l’ordonnance;

b) les intérêts y afférents dont le recouvrement est poursuivi, le cas échéant, calculés à partir de la date de l’ordonnance;

c) les honoraires du shérif et les frais d’exécution.

(a) the amount of money due and payable that is sought to be recovered;

 

(b) any interest thereon that is sought to be recovered, from the date of the order; and

 

(c) any sheriff’s fees and costs of execution.

 

[27]           La règle 439 prévoit :

439. (1) La personne qui a fait délivrer un bref d’exécution peut signifier au shérif à qui il est adressé un avis l’informant qu’il est tenu, dans le délai précisé, de rédiger sur le bref un procès-verbal indiquant de quelle manière il l’a exécuté et de lui envoyer une copie de ce procès‑verbal.

 

(2) Si le shérif ne se conforme pas à l’avis signifié conformément au paragraphe (1), la personne qui le lui a signifié peut demander à la Cour de rendre une ordonnance enjoignant au shérif de se conformer à l’avis.

 

(3) Le shérif peut demander des directives à la Cour au sujet de toute question non prévue par les présentes règles qui découle de l’exécution d’une ordonnance.

439. (1) A person at whose instance a writ of execution is issued may serve a notice on the sheriff to whom the writ is directed requiring the sheriff, within such time as may be specified in the notice, to endorse on the writ a statement of the manner in which the sheriff has executed it and to send a copy of the statement to the person.

 

(2) Where a sheriff fails to comply with a notice served under subsection (1), the person by whom it was served may apply to the Court for an order directing the sheriff to comply with the notice.

 

(3) A sheriff may seek directions from the Court concerning any issue not addressed by these Rules that arises from the enforcement of an order.

 

[28]           Rien dans la Loi sur les Cours fédérales ou dans les Règles des Cours fédérales n’impose à un créancier judiciaire l’obligation de faire des efforts raisonnables pour vérifier l’existence possible d’actifs d’un débiteur judiciaire avant de donner des instructions au shérif concernant le recouvrement de la créance.

 

[29]           Les Règles des Cours fédérales relatives aux brefs d’exécution sont complétées par les règles de droit provinciales en matière d’exécution. Le paragraphe 56(3) de la Loi sur les Cours fédérales prévoit que les brefs d’exécution délivrés par la Cour fédérale sont exécutoires à l’égard des biens de la même manière que les brefs délivrés par un tribunal provincial et qu’ils doivent être exécutés autant que possible de la manière fixée pour des brefs semblables émanant de la cour supérieure de la province dans laquelle le bref doit être exécuté. En outre, la règle 448 exige que le shérif qui saisit des actifs se conforme aux règles de droit applicables à l’exécution de brefs analogues délivrés par une cour supérieure de la province où la saisie a eu lieu.

 

[30]           En l’espèce, le bref de la Cour fédérale devait être exécuté en Ontario. Or, ni la Loi sur les tribunaux judiciaires, L.R.O. 1990, ch. C‑43, ni la Loi sur l’exécution forcée, L.R.O. 1990, ch. E‑24, ni les Règles de procédure civile de l’Ontario n’exigent expressément qu’un créancier judiciaire fasse des efforts raisonnables pour vérifier l’existence possible d’actifs.

 

 

 

 

b.         Le contexte législatif de l’alinéa 323(2)a)

[31]           Il est implicite dans la méthode contextuelle d’interprétation des lois que le sens ordinaire et grammatical des mots employés dans une disposition n’est pas le seul élément porteur de sens. Il faut, dans chaque cas, examiner le contexte législatif.

 

[32]           L’alinéa 323(2)a) se trouve dans la section VIII de la partie IX de la Loi, qui a trait à l’application et à l’exécution de la TPS. Aucune des autres dispositions de cette section n’est utile pour connaître l’intention du législateur quant à la question de savoir si le ministre est tenu de faire des efforts raisonnables pour vérifier l’existence des actifs d’une personne morale débitrice avant de donner des instructions au shérif concernant l’exécution d’un bref de saisie‑exécution.

 

[33]           Le contexte législatif inclut toutefois également la nature de la dette en cause et de la relation de l’administrateur avec la personne morale débitrice.

 

[34]           Le paragraphe 222(1) de la Loi prévoit que, en règle générale, la personne qui perçoit un montant au titre de la TPS est réputée le détenir en fiducie pour Sa Majesté du chef du Canada. Ainsi, la responsabilité de l’administrateur n’a pas trait à une dette ordinaire. Il s’agit plutôt d’une obligation à l’égard de sommes perçues auprès de tiers et détenues en fiducie relativement aux obligations incombant aux tiers sous le régime de la Loi.

 

[35]           En ce qui concerne la nature de la relation de l’administrateur avec la personne morale débitrice, un administrateur est présumé, en raison de son statut d’administrateur, être au courant de l’obligation de la personne morale de remettre les sommes détenues en fiducie et de la capacité de payer de la personne morale. Un administrateur est présumé également avoir le pouvoir légal d’ordonner à la personne morale de remettre les sommes en cause. Un administrateur peut invoquer le moyen de défense fondé sur la diligence raisonnable s’il a agi avec autant de soin, de diligence et de compétence pour prévenir le manquement à l’obligation de remise que ne l’aurait fait une personne raisonnablement prudente dans les mêmes circonstances (paragraphe 323(3)).

 

[36]           Rien dans la nature de la dette ou de la relation d’un administrateur avec une personne morale débitrice n’est compatible avec l’obligation imposée par le juge au ministre de faire des efforts raisonnables pour vérifier l’existence possible d’actifs d’une personne morale débitrice, en particulier lorsqu’un administrateur tenu responsable selon le paragraphe 323(1) peut être indemnisé sur les actifs existants de la personne morale. Lorsque la dette payable a été établie lors de procédures de liquidation, de dissolution ou de faillite et que l’administrateur verse une somme au titre de la dette, il a droit au privilège auquel Sa Majesté du chef du Canada aurait eu droit si cette somme n’avait pas été versée (paragraphe 323(7)).

 

c.         L’objet de l’alinéa 323(2)a)

[37]           L’alinéa 323(2)a) vise à protéger les administrateurs contre toute responsabilité personnelle pour les montants de taxe payables par une personne morale lorsque celle‑ci est en mesure de payer elle‑même ces montants. Cependant, comme il a été mentionné précédemment, un administrateur tenu responsable selon cette disposition a le droit d’être indemnisé par la personne morale lorsque celle‑ci possède des actifs pour acquitter la dette.

 

[38]           De plus, les avocats de Sa Majesté ont reconnu, au cours de leur plaidoirie, que le ministre avait l’obligation d’agir de bonne foi en vertu du droit public. À mon avis, l’obligation du ministre d’agir sans arrière‑pensée ou sans motif inacceptable protège suffisamment l’objet de l’alinéa 323(2)a) de la Loi.

 

d.         Le juge a-t-il commis une erreur dans l’application de Miotto?

[39]           Avant de parvenir à une conclusion sur l’interprétation appropriée de l’alinéa 323(2)a), il importe de se pencher sur la question de savoir si, comme le juge l’a indiqué, le juge en chef Bowman a conclu dans Miotto qu’il était nécessaire que le ministre fasse des efforts raisonnables pour trouver des actifs et donne des instructions en conséquence au shérif.

 

[40]           Dans Miotto, le juge en chef Bowman a écrit, après avoir passé en revue la jurisprudence portant sur les principes de la common law régissant les débiteurs et les créanciers :

27        Ces précédents vénérables sont probablement encore valables du point de vue juridique, mais je ne crois pas qu’ils viennent donner un appui très solide à la position de l’appelant. L’agente de recouvrement de l’ARC avait des motifs tout à fait raisonnables de croire que Pacific n’avait aucun bien. L’huissier et elle n’avaient aucune raison de croire que les appelants avaient peut‑être encore en leur possession certains biens ayant jadis appartenu à Pacific.

 

28        La question de savoir si le bref a bel et bien été exécuté est essentiellement une question de fait. L’exécution d’un bref de fieri facias demande des efforts raisonnables de la part de l’huissier. La perfection n’est pas exigée. On ne pouvait certainement pas s’attendre à ce que l’huissier ou le créancier judiciaire soient dotés d’un don de clairvoyance leur permettant de présumer (ou même de soupçonner) que certains meubles et certains éléments d’équipement provenant d’on ne sait où et ayant une valeur d’on ne sait combien qui se trouvaient dans les bureaux de Stonefield Development Corporation auraient pu, à une certaine époque plus ou moins éloignée, avoir appartenu au débiteur judiciaire, Pacific. Les administrateurs ont quand même du cran de contester les cotisations et de critiquer le travail de l’huissier et de l’ARC, qui, selon eux, ont fait preuve de négligence parce qu’ils n’ont pas été en mesure de trouver les biens en question. En effet, ce sont les administrateurs qui doivent porter le blâme pour la disparition des biens, qui ont été absorbés par une autre société, et pour le fait que Pacific est maintenant rendue, pratiquement, inattaquable par jugement. C’est un peu comme l’exemple classique de l’effronterie d’une personne condamnée pour le meurtre de ses parents qui demande la clémence du tribunal en invoquant le fait qu’elle est orpheline.

 

[41]           À mon avis, le juge en chef Bowman n’avait pas l’intention, dans ces paragraphes, d’imposer au ministre une autre obligation que celle de la bonne foi. J’arrive à cette conclusion pour deux raisons. Premièrement, au paragraphe 28, le juge en chef Bowman parle des « efforts raisonnables de la part de l’huissier » (non souligné dans l’original). Deuxièmement, toutes ses remarques concernant la croyance raisonnable de l’agente de recouvrement de l’ARC, le fait que la perfection n’est pas exigée lors de l’exécution d’un bref de fieri facias (maintenant un bref de saisie‑exécution) et le caractère inapproprié des critiques formulées à l’égard de l’ARC pour ne pas avoir trouvé certains biens sont compatibles avec l’existence d’une simple obligation de bonne foi incombant au ministre.

 

e.         La conclusion relative à l’interprétation appropriée de l’alinéa 323(2)a)

[42]           Ayant examiné le libellé, le contexte législatif et l’objet de l’alinéa 323(2)a) de la Loi, je conclus que le juge a commis une erreur en interprétant cette disposition de manière à imposer au ministre l’obligation de faire des efforts raisonnables lorsqu’il donne des instructions au shérif et de vérifier l’existence d’un bien en particulier.

 

f.          L’application de l’interprétation appropriée de l’alinéa 323(2)a)

[43]           En conséquence, le juge a commis une erreur en annulant la cotisation au motif que les fonctionnaires du ministre n’avaient pas cherché un compte de banque particulier de la personne morale. Le juge n’a pas conclu que les efforts déployés pour exécuter la dette à l’encontre de Creative n’ont pas été faits de bonne foi et, à mon avis, aucune conclusion semblable ne pouvait être tirée de la preuve.

 

Conclusion

[44]           Pour ces motifs, j’accueillerais l’appel avec dépens, j’annulerais le jugement de la Cour canadienne de l’impôt et, rendant le jugement qui aurait dû être rendu, je rejetterais avec dépens l’appel interjeté par l’intimé à l’encontre de la cotisation établie par le ministre relativement au montant de TPS payable par l’intimé en vertu du paragraphe 323(1) de la Loi.

 

« Eleanor R. Dawson »

j.c.a.

 

« Je suis d’accord.

            Pierre Blais j.c. »

 

« Je suis d’accord.

            M. Nadon j.c.a. »

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L..


ANNEXE

 

            Les paragraphes 316(1) et (2) de la Loi sur la taxe d’accise prévoient ce qui suit :

 

316. (1) Tout ou partie des taxes, taxes nettes, pénalités, intérêts ou autres montants à payer ou à verser par une personne — appelée « débiteur » au présent article — aux termes de la présente partie qui ne l’ont pas été selon les modalités de temps ou autres prévues par cette partie peuvent, par certificat du ministre, être déclarés payables par le débiteur.

 

(2) Sur production à la Cour fédérale, le certificat fait à l’égard d’un débiteur y est enregistré. Il a alors le même effet que s’il s’agissait d’un jugement rendu par cette cour contre le débiteur pour une dette du montant attesté dans le certificat, augmenté des intérêts et pénalités courus comme le prévoit la présente partie jusqu’au jour du paiement, et toutes les procédures peuvent être engagées à la faveur du certificat comme s’il s’agissait d’un tel jugement. Aux fins de ces procédures, le certificat est réputé être un jugement exécutoire de la Cour contre le débiteur pour une créance de Sa Majesté.

316. (1) Any tax, net tax, penalty, interest or other amount payable or remittable by a person (in this section referred to as the “debtor”) under this Part, or any part of any such amount, that has not been paid or remitted as and when required under this Part may be certified by the Minister as an amount payable by the debtor.

 

 

(2) On production to the Federal Court, a certificate made under subsection (1) in respect of a debtor shall be registered in the Court and when so registered has the same effect, and all proceedings may be taken thereon, as if the certificate were a judgment obtained in the Court against the debtor for a debt in the amount certified plus interest and penalty thereon as provided under this Part to the day of payment and, for the purposes of any such proceedings, the certificate shall be deemed to be a judgment of the Court against the debtor for a debt due to Her Majesty and enforceable as such.

 

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                        A-308-10

 

INTITULÉ :                                                     SA MAJESTÉ LA REINE c.

                                                                            DAVID A. BARRETT

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                            Le 25 octobre 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                          LA JUGE DAWSON

 

Y ONT SOUSCRIT :                                       LE JUGE EN CHEF BLAIS

                                                                            LE JUGE NADON

 

DATE DES MOTIFS :                                    Le 30 janvier 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Marie-Thérèse Boris

Paolo Torchetti

 

POUR L’APPELANTE

 

David P. Lees

 

POUR L’INTIMÉ

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

 

POUR L’APPELANTE

Mills & Mills LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR L’INTIMÉ

 

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