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Cour d'appel fédérale

Federal Court of Appeal

Date : 20120229

Dossier : A-472-10

Référence : 2012 CAF 67

 

CORAM :      LA JUGE SHARLOW

                        LA JUGE DAWSON

                        LA JUGE TRUDEL

 

 

ENTRE :

CECIL BELLROSE

 

appelant

 

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE

 

intimée

 

 

Audience tenue à Edmonton (Alberta), le 14 février 2012

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 29 février 2012

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                            LA JUGE DAWSON

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                       LA JUGE SHARLOW           

                                                                                                                             LA JUGE TRUDEL           

 


Cour d'appel fédérale

Federal Court of Appeal

Date : 20120229

Dossier : A-472-10

Référence : 2012 CAF 67

 

CORAM :      LA JUGE SHARLOW

                        LA JUGE DAWSON

                        LA JUGE TRUDEL

 

 

ENTRE :

CECIL BELLROSE

 

appelant

 

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE

 

intimée

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

LA JUGE DAWSON

[1]               Aux dates en cause, M. Bellrose était un représentant élu de la Métis Nation of Alberta Association (MNAA). Il a été élu une première fois en 1996, comme vice-président du conseil régional métis de la zone IV et, de 2005 à 2011, il a rempli la fonction de président élu de ce conseil. À l’égard des années d’imposition 2000, 2003, 2004 et 2005, il a demandé l’exemption applicable à l’allocation de dépenses de conseiller municipal prévue par la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.) (la Loi), pour un montant équivalant au tiers de la rémunération que lui versait la MNAA, faisant valoir que sa fonction d’élu du conseil régional métis correspondait à celle de conseiller élu d’une administration municipale dotée de la personnalité morale. Estimant que M. Bellrose n’avait pas droit à cette exemption, le ministre du Revenu national a établi une nouvelle cotisation pour chacune de ces années d’imposition.

 

[2]               Pour les motifs exposés dans la décision 2011 CCI 32, la Cour canadienne de l’impôt a rejeté les appels interjetés par M. Bellrose à l’encontre des nouvelles cotisations. Notre Cour est saisie de l’appel formé contre le jugement de la Cour canadienne de l’impôt.

 

[3]               M. Bellrose fait essentiellement valoir devant nous qu’en qualité de conseiller élu d’une administration municipale dotée de la personnalité morale, il a droit à une allocation non imposable en application du paragraphe 81(3), dont voici le texte :

Lorsque l’une des personnes suivantes :

 

a) un conseiller élu d’une administration municipale dotée de la personnalité morale;

 

b) un conseiller d’une commission ou société municipale de services publics ou de tout autre organisme administratif similaire qui est élu par la population;

 

 

c) un membre d’une commission scolaire publique ou séparée ou de tout organisme similaire administrant un district scolaire,

 

a reçu de la municipalité ou de l’organisme dont il est conseiller ou membre (appelé « employeur » au présent paragraphe) une allocation, au cours d’une année d’imposition, pour les dépenses occasionnées par l’exercice de ses fonctions comme conseiller ou membre, l’allocation n’est pas incluse dans le calcul de son revenu pour l’année; toutefois, si elle dépasse la moitié du montant qui lui a été versé au cours de l’année par son employeur à titre de traitement ou autre rémunération comme conseiller ou membre, seul est inclus, dans le calcul de son revenu pour l’année, l’excédent de cette allocation sur la moitié du montant ainsi versé à titre de traitement ou de rémunération. [Non souligné dans l’original.]

Where a person who is

 

 

(a) an elected officer of an incorporated municipality,

 

 

(b) an officer of a municipal utilities board, commission or corporation or any other similar body, the incumbent of whose office as such an officer is elected by popular vote, or

 

 

(c) a member of a public or separate school board or similar body governing a school district,

 

 

has been paid by the municipal corporation or the body of which the person was such an officer or member (in this subsection referred to as the person’s “employer”) an amount as an allowance in a taxation year for expenses incident to the discharge of the person’s duties as such an officer or member, the allowance shall not be included in computing the person’s income for the year unless it exceeds 1/2 of the amount that was paid to the person in the year by the person’s employer as salary or other remuneration as such an officer or member, in which event there shall be included in computing the person’s income for the year only the amount by which the allowance exceeds 1/2 of the amount so paid to the person by way of salary or remuneration. [emphasis added]

 

[4]               M. Bellrose soutient que le juge a mal apprécié la preuve en donnant un poids insuffisant à certains éléments et qu’il a rejeté les appels par suite d’erreurs de droit qu’il a commises.

 

[5]               Pour bien évaluer l’argumentation de M. Bellrose, il faut examiner la nature de la MNAA et les fonctions que ce dernier y exerce.

 

[6]               La MNAA a été constituée sous le régime de la Societies Act, R.S.A. 2000, ch. S-14. Elle poursuit les objectifs suivants, énoncés à ses règlements administratifs 

[traduction]

1.1              Promouvoir le développement culturel, économique, éducatif, politique et social des Métis en Alberta et au Canada;

 

1.2              Représenter tous les Métis de l’Alberta au plan politique et promouvoir l’autodétermination et l’autonomie gouvernementale des Métis en Alberta et au Canada;

1.3              Promouvoir et défendre les droits ancestraux, légaux, constitutionnels et autres des Métis en Alberta et au Canada;

 

1.4              Ré-établir des assises territoriales et des assiettes de ressources;

 

1.5              Faire prendre conscience du passé digne de fierté de la Métis Nation of Alberta et promouvoir son histoire, ses valeurs, sa culture, ses langues et ses traditions spirituelles;

 

1.6              Promouvoir la prospérité et l’autosuffisance économiques au sein de la Métis Nation of Alberta;

 

1.7              Promouvoir et assurer la participation des anciens, des femmes, des jeunes et des personnes handicapées métis au développement éducatif, culturel, politique et social de la Métis Nation of Alberta.

 

 

 

[7]               Environ un neuvième de la population de Métis d’Alberta vit dans des établissements constitués en vertu du Métis Settlements Accord. Le reste vit dans d’autres localités urbaines ou rurales. M. Bellrose soutient que les conditions socioéconomiques, les pressions sociales, l’abandon des modes de vie traditionnels et divers autres facteurs sociétaux ont fait en sorte que les membres de la MNAA sont tombés [traduction] « entre les mailles du filet de la modernité canadienne et de ses formes de gouvernement municipal ». C’est pour corriger cette situation que la MNAA a été formée. S’appuyant sur les règlements administratifs de la MNAA, il fait valoir qu’ils établissent une structure de gouvernance complexe prévoyant des conseils provinciaux, régionaux et locaux, et se comparent aux règlements municipaux de n’importe quel village ou ville de l’Alberta. En résumé, il avance qu’en créant la MNAA [traduction] « les Métis ont formé un gouvernement le plus à même de relever les défis qui se posent à eux ».

 

[8]               M. Bellrose a rappelé qu’au mois de juin 2008, le gouvernement de l’Alberta a conclu une entente cadre avec la MNAA, laquelle visait à promouvoir le bien‑être économique et communautaire des Métis et à améliorer leur accès aux services provinciaux. En 2009, l’Alberta et la MNAA ont conclu une entente cadre de financement prévoyant le versement de subventions à la MNAA en vue de la mise en œuvre des objectifs de l’entente cadre.

 

[9]               M. Bellrose a décrit ainsi ses fonctions au sein de la MNAA :

[traduction]

2.                  J’ai été élu à mon poste au sein de la Métis Nation of Alberta à l’automne 1996.

 

3.                  Au cours de mes trois premiers termes, j’ai été vice-président de la zone IV, qui englobe un secteur près de la frontière entre l’Alberta et la Colombie‑Britannique jusqu’à Waskateneau et qui va du secteur de Grand Prairie jusqu’au nord de Red Deer/Rocky Mountain House.

 

4.                  J’ai occupé la fonction de président de la zone IV pendant les deux derniers termes, c’est‑à‑dire de 2005 à 2008 et de 2008 à 2011.

 

5.                  J’ai assisté à de multiples assemblées en Alberta en ma qualité de président de la zone IV.

 

[…]

 

9.                  Dans une perspective provinciale, j’ai le portefeuille des droits et du registre des Métis en Alberta; il s’agit d’une charge substantielle et d’une lourde obligation.

 

10.              Mon travail consiste à présenter des recommandations au conseil d’administration du Ralliement national des Métis au sujet des questions examinées par ce comité sur les droits des Métis.

 

11.              J’assiste aux assemblées bimestrielles du conseil provincial de la MNA qui se tiennent habituellement à Edmonton mais peuvent aussi avoir lieu ailleurs en Alberta.

 

[10]           Le juge a entendu d’autres témoignages qu’il a ainsi décrits :

[traduction]

Karen Collins, présidente du conseil régional des Métis de la zone II, de Bonnyville (Alberta), a témoigné pour le compte de l’appelant. Elle a décrit les fonctions qu’elle remplit comme présidente de la région II; j’en déduis que celles de l’appelant sont semblables. Elle dispose d’un bureau modeste, où elle exerce principalement des tâches d’agente de liaison. Des Métis s’y rendent pour qu’elle les aide à remplir des formulaires ou qu’elle les dirige vers des services de logement subventionné par la province, des conseils scolaires, des centres de réadaptation, des services d’aide à l’enfance et des refuges pour femmes ou pour obtenir de l’aide pour des problèmes de jeu, de toxicomanie ou d’alcoolisme.

 

Elle trouve les programmes répondant aux besoins de ses électeurs. Sa zone reçoit des fonds de la province de l’Alberta; leur montant varie, mais il est actuellement de 169 000 $ par année environ. Il sert à payer des salaires, frais de déplacement, frais de bureau et, même, des avances occasionnelles d’une cinquantaine de dollars dans des situations d’urgence. Elle a conduit 400 kilomètres pour se rendre à l’audience à Edmonton.

 

[11]           Les témoignages de M. Bellrose et de Mme Collins ont impressionné le juge, qui a indiqué :

[traduction]

En conclusion, l’appelant et Mme Collins ont témoigné de façon impressionnante. J’admire et je loue le travail qu’ils accomplissent auprès des membres de leur communauté métis dans le besoin. Il n’est pas exagéré de dire qu’ils sauvent littéralement des vies. Ce sont des contribuables méritants.

 

[12]           C’est sur ces témoignages que repose l’argument de M. Bellrose selon lequel la MNAA est une municipalité de facto, comparable aux autres municipalités et organismes analogues, et que, par suite, l’intention du législateur est que des représentants élus tels que lui bénéficient de l’exemption fiscale visant l’allocation versée aux conseillers élus d’administrations municipales.

 

[13]           Malgré l’argumentation avancée par l’avocat de M. Bellrose, je ne suis pas convaincue que le juge a commis les erreurs invoquées en l’espèce.

 

[14]           Je constate, en premier lieu, que le juge a soigneusement examiné la preuve concernant les objectifs, la structure, les effectifs et les activités de la MNAA ainsi que la preuve décrivant les fonctions de M. Bellrose. Il a correctement relevé que la Loi ne définit pas le mot « municipalité », lequel doit donc s’interpréter selon son sens ordinaire de collectivité possédant et exerçant des pouvoirs relevant de l’autonomie gouvernementale et fournissant le genre de services généralement fournis par un tel organisme. Il a estimé que le conseil régional métis de la zone IV n’avait pas de tels pouvoirs et ne fournissait pas de tels services et que, par conséquent, la charge de M. Bellrose ne lui donnait pas droit à l’allocation non imposable prévue par le paragraphe 81(3) de la Loi.

 

[15]           Je ne décèle dans les motifs du juge aucune erreur de fait, erreur sur une question mixte de fait et de droit ou erreur de droit et, pour les motifs qu’il a exposés, je souscris à sa conclusion.

 

[16]           Pour conclure ainsi, j’ai examiné l’argument de M. Bellrose selon lequel le juge s’est erronément appuyé sur le fait que de nombreux services généralement fournis par une municipalité ne sont pas fournis par la MNAA. Il invoque la preuve établissant que l’absence de ces services est uniquement attribuable au manque de ressources. À mon avis, les raisons de la capacité limitée de la MNAA de fournir des services ne sont pas pertinentes. Un organisme qui ne gouverne pas et ne fournit pas de services assimilables à des services municipaux, quelle qu’en soit la raison, ne peut être qualifié de municipalité.

 

[17]           J’estime en outre que le juge n’a pas commis d’erreur en n’appliquant pas le principe établi dans des arrêts comme R. c. Nowegijick, [1983] 1 R.C.S. 29, selon lequel les dispositions ambigües de traités ou de lois relatives aux peuples autochtones s’interprètent en faveur de ces derniers. La Loi n’est ni un traité ni une loi portant directement sur les peuples autochtones.

 

[18]           Je ne pense pas non plus que le juge ait commis une erreur en n’appliquant pas le critère des facteurs de rattachement énoncé dans l’arrêt Williams c. Canada, [1992] 1 R.C.S. 877. Ce critère a été élaboré pour déterminer le situs d’un bien personnel incorporel et n’a aucune application dans le contexte qui nous occupe.

 

[19]           Qui plus est, le rejet par le juge de l’argument de l’appelant fondé sur l’arrêt Williams n’a pas entaché son analyse d’une erreur fatale. En effet, l’interprétation de la Loi doit faire intervenir une analyse textuelle, contextuelle et téléologique destinée à dégager un sens qui s’harmonise avec la Loi dans son ensemble (Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, [2005] 2 R.C.S. 601, paragraphe 10). Or, pour ce faire, le juge devait tenir compte de facteurs substantiellement analogues à ceux qui, selon le demandeur, auraient été pertinents en application du critère des facteurs de rattachement.

 

[20]           J’ai également examiné l’argument de M. Bellrose selon lequel le juge a erré [traduction] « en appliquant une norme géographique à la définition de municipalité alors que [la Loi] n’en énonce aucune ». Au Canada, la législation régissant les municipalités a un fondement géographique. C’est certainement le cas de la Municipal Government Act, R.S.A. 2000 ch. M‑26, de l’Alberta, portant que les districts municipaux, villages, villes, cités et municipalités spécialisées doivent être formés [traduction] « pour un territoire ». Dans sa structure actuelle, la Municipal Government Act n’est pas compatible avec l’existence de municipalités non définies en fonction d’un territoire géographique. Il est possible d’envisager un autre modèle juridique permettant la constitution de municipalités en fonction d’une norme non géographique mais, comme l’a signalé l’avocat du ministre, cela nécessiterait des modifications législatives.

 

[21]           M. Bellrose a aussi invoqué l’alinéa 81(3)b) de la Loi. Toutefois, come la MNAA n’est pas une administration municipale dotée de la personnalité morale, la charge de M. Bellrose dans la MNAA ne fait pas de celui‑ci un conseiller d’une commission ou société municipale de services publics ou de tout autre organismes similaire.

 

[22]           Je signale, en dernier lieu, que les conclusions qui précèdent rendent inutile l’examen de l’argument du ministre selon lequel la MNAA, qui a été constituée sous le régime de la Societies Act, R.S.A. 2000, ch. S-14, ne peut, compte tenu du paragraphe 3(2) de cette loi, exercer les pouvoirs dévolus aux municipalités en matière de gouvernement régional. Je n’y procéderai donc pas.

[23]           En conséquence, je rejetterais l’appel avec dépens.

 

 

 

« Eleanor R. Dawson »

j.c.a.

 

« Je suis d’accord.

K. Sharlow j.c.a. »

 

« Je suis d’accord.

Johanne Trudel j.c.a. »

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Ghislaine Poitras, LL.L., Trad.a.


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

Dossier :                                                        A-472-10

 

 

INTITULÉ :                                                       Cecil Bellrose c. Sa majesté la Reine

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                Edmonton (Alberta)

 

 

DATE DE L'AUDIENCE :                              Le 14 février 2012

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                           La juge Dawson

 

 

Y ONT SOUSCRIT :                                        LA JUGE SHARLOW

                                                                            LA JUGE TRUDEL

 

DATE DES MOTIFS :                                     Le 29 février 2012

 

Comparutions

 

David Skrypichayko

 

POUR L’APPELANT

 

Darcie Charlton

 

POUR L’INTIMÉE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

Skrypichayko LLP

Barrister & Solicitor

St Albert, Alberta

 

POUR L’APPELANT

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

 

POUR L’INTIMÉE

 

 

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