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Cour d’appel fédérale

 

Federal Court of Appeal

Date : 20120307

Dossier : A-255-11

Référence : 2012 CAF 75

 

CORAM :      LE JUGE NOËL

                        LA JUGE GAUTHIER

                        LE JUGE STRATAS

 

ENTRE :

TOP ACES CONSULTING INC.

appelante

et

LE MINISTRE DE LA DÉFENSE NATIONALE

intimé

 

 

 

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 7 mars 2012.

Jugement prononcé à l’audience à Ottawa (Ontario), le 7 mars 2012.

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :                                                              LE JUGE NOËL

 


Cour d’appel fédérale

 

Federal Court of Appeal

Date : 20120307

Dossier : A-255-11

Référence : 2012 CAF 75

 

CORAM :      LE JUGE NOËL

                        LA JUGE GAUTHIER

                        LE JUGE STRATAS

 

ENTRE :

TOP ACES CONSULTING INC.

appelante

et

LE MINISTRE DE LA DÉFENSE NATIONALE

intimé

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

(prononcés à l’audience, à Ottawa (Ontario), le 7 mars 2012)

 

LE JUGE NOËL

[1]               Dans le présent appel, la Cour est appelée à décider si la clause qui permet au ministre de la Défense nationale (le ministre) de divulguer des renseignements déterminés recueillis en vertu de la Loi sur la production de défense, L.R.C. 1985, ch. D‑1 (la LPD) est assimilable à un consentement au sens de l’article 30 de la LPD et, dans l’affirmative, si ce consentement dégage le ministre de son obligation de refuser de divulguer les renseignements en question prévue au paragraphe 24(1) de la Loi sur l’accès à l’information, L.R.C. 1985, ch. A‑1 (la LAI).

[2]               Le juge Beaudry de la Cour fédérale (le juge de la Cour fédérale) a répondu par l’affirmative aux deux questions et a refusé de faire droit à la demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle le ministère de la Défense nationale avait divulgué les prix unitaires qui figuraient dans des offres à commandes soumises par l’appelante pour des services de soutien à l’entraînement en vol. Pour les motifs qui suivent, l’appel ne peut être accueilli.

 

[3]               L’article 30 de la LPD dispose :

 Les renseignements recueillis sur une entreprise dans le cadre de la présente loi ne peuvent être communiqués sans le consentement de l’exploitant de l’entreprise, sauf :

*                   a) à un ministère, ou à une personne autorisée par un ministère, qui en a besoin pour l’accomplissement de ses fonctions;

*                  

b
) aux fins de toute poursuite pour infraction à la présente loi ou, avec le consentement du ministre, de toute affaire civile ou autre procédure judiciaire.

 

 No information with respect to an individual business that has been obtained under or by virtue of this Act shall be disclosed without the consent of the person carrying on that business, except

*                   (a) to a government department, or any person authorized by a government department, requiring the information for the purpose of the discharge of the functions of that department; or

*                   (b) for the purposes of any prosecution for an offence under this Act or, with the consent of the Minister, for the purposes of any civil suit or other proceeding at law.

 

[Non souligné dans l’original.]

L’article 30 de la LPD se trouve au nombre des dispositions énumérées à l’annexe mentionnée au paragraphe 24(1) de la LAI, qui dispose :

 (1) Le responsable d’une institution fédérale est tenu de refuser la communication de documents contenant des renseignements dont la communication est restreinte en vertu d’une disposition figurant à l’annexe II.

[…]

 

 (1) The head of a government institution shall refuse to disclose any record requested under this Act that contains information the disclosure of which is restricted by or pursuant to any provision set out in Schedule II.

 

 

[4]               La clause de dérogation à laquelle l’appelante a souscrit était ainsi libellée :        

[traduction] L’offrant accepte que ses prix unitaires soient divulgués par le Canada [...] et convient qu’il n’aura aucun droit de réclamation contre le Canada, le ministre, l’utilisateur désigné, leurs employés, agents ou préposés en ce qui a trait à ladite divulgation.

 

[5]               Le juge de la Cour fédérale a statué qu’en souscrivant à cette disposition, l’appelante avait donné son « consentement » à la divulgation des prix unitaires, au sens que l’article 30 de la LPD donne à ce terme. Le juge a également statué que le paragraphe 24(1) de la LAI n’avait pas pour effet d’empêcher la divulgation de ces renseignements.

 

[6]               L’appelante soutient que le juge de la Cour fédérale a commis une erreur en estimant qu’elle avait autorisé la divulgation de ses prix unitaires et que, même si elle avait accordé cette autorisation, le paragraphe 24(1) de la LAI s’applique toujours et empêche le ministre de divulguer ces renseignements. Suivant l’appelante, le juge de la Cour fédérale n’a pas suivi la décision majoritaire rendue par notre Cour dans l’affaire Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Ministre de l’Industrie), 2007 CAF 212, [2007] A.C.F. no 780 [Ministre de l’Industrie] en interprétant le paragraphe 24(1) comme il l’a fait.

[7]               On pourrait soutenir que la question de savoir si l’appelante a consenti à la divulgation de ses prix unitaires au sens de l’article 30 de la LPD soulève une question mixte de fait et de droit qui doit être examinée selon la norme de la décision raisonnable, et que celle de savoir si le paragraphe 24(1) de la LAI fait obstacle de manière absolue à la communication des renseignements demandés soulève une question de droit assujettie à la norme de contrôle de la décision correcte (Merck Frosst Canada Ltd. c. Canada (Santé), 2012 CSC 3, aux paragraphes 53 et 54).

 

[8]               Quant à la première question, nous sommes d’avis qu’indépendamment de la norme de contrôle que l’on applique, le juge de la Cour fédérale n’a commis aucune erreur en statuant que l’appelante avait consenti à la divulgation de ses prix unitaires au sens de l’article 30 de la LPD et qu’en conséquence, le ministre n’était pas lié par la restriction prévue à cette disposition. L’appelante n’a fait valoir aucun argument défendable pour réfuter la conclusion tirée par le juge de la Cour fédérale sur ce point.

 

[9]               L’argument de l’appelante suivant lequel le paragraphe 24(1) de la LAI a pour effet d’empêcher le ministre de divulguer ses prix unitaires même si l’appelante en a autorisé la divulgation requiert une analyse plus poussée. À l’appui de cet argument, l’appelante cite l’avis formulé par le juge Evans dans l’arrêt Ministre de l’Industrie, qui a écrit, dans le contexte de cette affaire, que le paragraphe 24(1) (Ministre de l’Industrie, au paragraphe 69) :

 

[...] impose une obligation non qualifiée au responsable d’une institution fédérale de « refuser la communication de documents » contenant des renseignements dont la communication est « restreinte» en vertu d’une disposition figurant à l’annexe II.

 

[Souligné dans l’original.]

 

 

[10]           Se fondant sur ce raisonnement, l’appelante fait valoir que le simple fait que ses prix unitaires constituent des renseignements dont la divulgation est « restreinte » en vertu d’une disposition figurant à l’annexe II de la LAI (c.‑à‑d. l’article 30 de la LPD) aurait dû clore le débat.

 

[11]           Le juge de la Cour fédérale a rejeté cet argument après avoir souligné que ce raisonnement se retrouvait dans les motifs dissidents du juge Evans. Toutefois, comme l’appelante le souligne à juste titre, bien qu’il ait finalement retenu la solution proposée par le juge en chef Richard, le juge Décary a expressément fait siens les motifs énoncés par le juge Evans sur ce point (Ministre de l’Industrie, au paragraphe 28). Il devient donc nécessaire de déterminer avec précision ce que le juge Evans a décidé avec l’appui du juge Décary.

 

[12]           Dans cette affaire, la Cour devait examiner une demande de communication de renseignements auxquels on pouvait éventuellement accéder au moyen de deux méthodes distinctes, la première étant celle énoncée à la LAI et l’autre étant celle prévue au paragraphe 17(2) de la Loi sur la statistique, L.R.C. 1985, ch. S‑19 [la Loi sur la statistique], qui autorise le statisticien en chef à divulguer certains renseignements sous réserve de certaines conditions précises. Le Commissaire à l’information avait adopté le point de vue suivant lequel le refus du statisticien en chef de divulguer des renseignements, qui pouvaient être communiqués en vertu du paragraphe 17(2), pouvait faire l’objet d’un contrôle sous le régime de la LAI malgré l’interdiction énoncée au paragraphe 24(1) (Ministre de l’Industrie, aux paragraphes 66 à 69).

 

[13]           Le juge Evans a rejeté cet argument. Il a cité les déclarations faites devant le Comité parlementaire chargé d’étudier la LAI, qui laissaient entendre que des dispositions d’autres lois mentionnées à l’annexe II de la LAI, comme l’article 17 de la Loi sur la statistique, faisaient partie du régime en vertu duquel il était possible d’obtenir des renseignements par divers moyens adaptés aux particularités des renseignements recueillis sous le régime des lois en question (Ministre de l’Industrie, aux paragraphes 72 à 74). Suivant le juge Evans, le paragraphe 24(1) de la LAI, en interdisant la communication de ces renseignements en vertu de la LAI, constituait une reconnaissance évidente du législateur que ces autres méthodes d’accès à l’information s’appliquaient indépendamment de la LAI (Ministre de l’Industrie, au paragraphe 75). Le recours approprié était donc celui prévu au paragraphe 17(2) de la Loi sur la statistique (Ministre de l’Industrie, au paragraphe 76). Ce raisonnement est à première vue inattaquable, surtout lorsqu’on tient compte de l’objectif législatif énoncé au paragraphe 2(2) de la LAI, qui confirme que la LAI vise à compléter les modalités d’accès aux documents de l’administration fédérale et non à remplacer les méthodes existantes d’accès aux renseignements de l’administration fédérale.

 

[14]           Toutefois, la situation à laquelle nous sommes confrontés en l’espèce est entièrement différente en ce sens que, comme l’appelante l’affirme elle-même [traduction] « la LPD ne traite nullement du mécanisme utilisé pour demander ou pour divulguer des documents » (mémoire de l’appelante, au paragraphe 41). Il s’ensuit que, pour interpréter le paragraphe 24(1) de la LAI comme l’appelante le propose, la personne qui réclame la communication des renseignements en question en l’espèce ne disposerait d’aucun moyen légal pour les obtenir, et ce, même si l’appelante a consenti à leur communication.

 

[15]           Ce n’était certainement pas là l’intention du législateur fédéral compte tenu du paragraphe 2(1) de la LAI, qui consacre le droit d’accès aux documents de l’administration fédérale sous réserve uniquement des « exceptions indispensables ». Il semble plutôt évident que, lorsque la divulgation de renseignements est restreinte par une disposition législative énumérée à l’annexe II de la LAI dans des situations où aucune autre méthode d’accès à ces renseignements n’est prévue par la loi prévoyant la restriction en question, le paragraphe 24(1) de la LAI doit être interprété comme incorporant cette restriction.

 

[16]           Nous signalons que cette interprétation est conforme à la décision de la Cour fédérale Siemens Canada Ltd. c. Canada (Ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux), 2001 CFPI 1202 [Siemens], qui a été par la suite confirmée par notre Cour (2002 CAF 414), et qui reposait sur le principe que l’article 30 de la LDP avait effectivement été incorporé de la sorte (Siemens, aux paragraphes 12 et 18 à 20).

 

[17]           Le juge de la Cour fédérale s’est fondé sur le bon principe lorsqu’il a examiné la restriction énoncée à l’article 30 de la LPD et qu’il a ordonné la divulgation des prix unitaires au motif que ces renseignements n’étaient pas « restreints » au sens du paragraphe 24(1) de la LAI en raison du consentement donné par l’appelante.

 

[18]           L’appel est par conséquent rejeté avec dépens, lesquels sont, de consentement, fixés à 1 500 $.

 

 

« Marc Noël »

j.c.a.

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                            A-255-11

 

 

APPEL D’UN JUGEMENT RENDU LE 7 JUIN 2011 DANS LE DOSSIER T‑724‑10 PAR M. LE JUGE BEAUDRY DE LA COUR FÉDÉRALE

 

 

INTITULÉ :                                                                           TOP ACES CONSULTING INC. et LE MINISTRE DE LA DÉFENSE NATIONALE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                     OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                   LE 7 MARS 2012

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :                       LES JUGES NOËL, GAUTHIER, ET STRATAS

 

PRONONCÉS À L’AUDIENCE PAR :                               LE JUGE NOËL

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Richard Sinclair

POUR L’APPELANTE

 

Jennifer Francis

POUR L’INTIMÉ

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

KELLY SANTINI

Ottawa (Ontario)

 

POUR L’APPELANTE

 

MYLES J. KIRVAN

Sous-procureur général du Canada

POUR L’INTIMÉ

 

 

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