Cour d’appel fédérale |
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Federal Court of Appeal |
ENTRE :
et
Audience tenue à Montréal (Québec), le 29 février 2012.
Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 7 mars 2012.
MOTIFS DU JUGEMENT : LE JUGE NOËL
Y ONT SOUSCRIT : LA JUGE GAUTHIER
LE JUGE MAINVILLE
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Federal Court of Appeal |
Date : 20120307
Dossier : A-254-11
Référence : 2012 CAF 76
CORAM : LE JUGE NOËL
LA JUGE GAUTHIER
LE JUGE MAINVILLE
ENTRE :
FIDUCIE FAMILLE GAUTHIER
appelante
et
SA MAJESTÉ LA REINE
intimée
MOTIFS DU JUGEMENT
[1] Il s’agit d’un appel logé par la fiducie famille Gauthier (l’appelante) à l’encontre d’une décision du juge Archambault de la Cour canadienne de l’impôt (le juge de la CCI) confirmant une cotisation établie en vertu de l’alinéa 84.1(1)b) de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch.1 (5e suppl.) (la Loi) qui avait pour effet de prélever l’impôt sur un dividende réputé reçu par l’appelante suite à une vente d’actions effectuée au cours de son année d’imposition 2002.
[2] L’appelante conteste le montant du dividende réputé. Elle prétend que le juge de la CCI a jugé à tort que la contrepartie qu’elle a reçue suite à la vente d’actions comprenait la somme de 233 786 $ représentant le montant des frais professionnels (honoraires) payés pour le compte de l’appelante dans le cadre de cette vente. Le montant de ces honoraires est parfois identifié comme étant 233 550 $ selon la preuve, mais les parties ayant pris la position que cette différence était sans importance, je m’en tiens au montant de 233 786 $ tout au long de l’analyse.
[3] Les dispositions de la Loi qui sont pertinentes à l’analyse sont reproduites en annexe aux présents motifs.
MISE EN CONTEXTE
[4] Les faits qui ont mené à l’émission de la cotisation sont relatés de façon détaillée dans l’exposé des faits que l’on retrouve dans l’avis d’appel déposé par l’appelante, lequel est reproduit de façon intégrale au paragraphe 1 des motifs du juge de la CCI (2009-2331(1T)G). Il suffit de dire pour nos fins que la transaction qui a donné lieu au dividende réputé s’inscrit dans le cadre d’une vente à distance de la totalité des actions du Groupe Orléans Express inc. (Groupe Orléans Express) à la Société Keolis Canada inc. (Keolis) dont partie était détenue par l’appelante. Afin d’obtenir certains avantages fiscaux, les 433 actions que détenait l’appelante furent vendues à 4041763 Canada inc. (4041763), société avec laquelle l’appelante avait un lien de dépendance, laquelle les vendit à Keolis le même jour.
[5] Le litige est issu du fait que selon le prix inscrit au contrat de vente, 4041763 aurait acquis ces actions de l’appelante à un prix moindre que celui auquel elle les vendit à Keolis. Le paragraphe 9 de l’exposé des faits de l’appelante explique cette différence comme suit (motifs, paragraphe 1) :
9. Le prix de vente des 433 actions en faveur de Keolis était de 2 836 423 $, soit 6 550,63 $ par action. L'écart entre le prix de vente en faveur de Keolis et celui en faveur de l'appelante (2 836 423 $ - 2 602 637 $ = 233 786 $) représente les frais professionnels qui furent payés par 4041763 à l'occasion de la disposition et qui auraient eu à être payés par l'appelante si celle-ci avait vendu directement lesdites actions à Keolis.
[Je souligne]
[6] Parmi les faits relatés dans ce paragraphe, le seul qui donne lieu à controverse est l’affirmation que l’on retrouve à la toute fin. L’intimée a précisé dans sa réponse à l’avis d’appel que l’appelante demeurait redevable du paiement des honoraires dans le cadre de la vente à Keolis par l’intermédiaire de 4041763, et que c’est pour le compte de l’appelante que 4041763 a effectué ce paiement (motifs, paragraphe 2).
DÉCISION SOUS APPEL
[7] Le juge de la CCI a retenu la position de l’intimée sur ce point. Il lui a semblé évident que la réduction du prix des actions vendues par l’appelante à 4041763 avait pour but de reconnaître le fait que cette dernière s’était engagée à acquitter les honoraires pour le compte de l’appelante (motifs, paragraphe 14) et qu’elle avait en quelque sorte assumé la responsabilité de l’appelante en défrayant la facture (motifs, paragraphe 16).
[8] Fort de ce constat, le juge de la CCI n’a pas eu de difficulté à conclure que la contrepartie reçue par l’appelante aux fins de l’application de l’alinéa 84.1(1)b), ou plus précisément la juste valeur marchande de cette contrepartie, comprenait le montant qui lui fut payé pour les actions ainsi que la valeur des services payés en son nom. Selon le juge de la CCI, ceci n’a pas pour effet de modifier de façon indue la transaction entre l’appelante et 4041763 mais plutôt de tenir compte de la transaction telle qu’elle s’est déroulée entre les parties.
[9] En jugeant que la contrepartie comprenait les honoraires, le juge de la CCI s’est aussi trouvé à rejeter l’argument selon lequel l’alinéa 84.1(1)b) ne pouvait permettre cet ajout sans l’invocation conjointe de l’alinéa 69(1)b).
MOTIFS D’APPEL
[10] Au soutien de l’appel, l’appelante remet en question la conclusion du juge de la CCI selon laquelle c’est elle qui était redevable des honoraires et que 4041763 aurait payé ces honoraires en son nom (mémoire de l’appelante, paragraphes 21 et 24). Elle insiste sur le fait que les états de compte furent envoyés à 4041763 et que c’est cette dernière qui a vendu les actions à Keolis (mémoire de l’appelante, paragraphe 23). Il s’ensuit selon elle que les honoraires ne font pas partie de la « contrepartie » qu’elle a reçue aux fins de la partie D de la formule prévue à l’alinéa 84.1(1)b).
[11] À tout événement, le montant de la contrepartie identifié au contrat de vente ne peut être modifié sans que ne soit remis en question la juste valeur marchande des actions vendues en vertu de l’alinéa 69(1)b) de la Loi. L’appelante ajoute que l’alinéa 69(1)b) ne peut être invoqué étant donné que la cotisation a été émise à l’extérieur de la période normale de cotisation, et que l’alinéa 69(1)b) ne figure pas parmi les dispositions à l’égard desquelles elle a signé une renonciation (mémoire de l’appelante, paragraphe 26).
ANALYSE ET DISPOSITION
[12] S’agissant d’un appel d’une décision de la CCI, la norme de contrôle applicable est celle établie dans l’arrêt Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235 : les questions de droit sont révisables suivant la norme de la décision correcte et cette Cour doit s’en remettre à la décision de la CCI quant aux questions de fait et aux questions mixtes de fait et de droit en l’absence de la démonstration d’une erreur manifeste et dominante.
[13] La question à savoir qui, entre 4041763 et l’appelante, était responsable du paiement des honoraires soulève une question de fait ou tout au plus une question mixte de fait et de droit. Il s’ensuit qu’il incombait à l’appelante de démontrer dans un premier temps que le juge de la CCI a commis une erreur manifeste et dominante en concluant que 4041763 a payé ces honoraires pour le compte de l’appelante.
[14] Aucune telle erreur n’a été démontrée. Le juge de la CCI a conclu du fait que l’appelante a accepté de réduire le prix de vente payé par 4041763 par un montant équivalent aux honoraires attribuables à cette vente, que c’est elle qui était redevable de ces honoraires (motifs, para. 17). Il s’en est aussi remis au témoignage du fiscaliste qui agissait pour le compte des détenteurs des actions du Groupe Orléans Express qui a expliqué que le prix de vente payé par 4041763 avait été volontairement réduit afin de tenir compte des honoraires défrayés par cette dernière (ibidem).
[15] Rien n’aurait empêché les parties d’attribuer la charge des honoraires de façon différente si telle avait été l’entente entre elles. Cependant, compte tenu de la preuve, il incombait à l’appelante de démontrer que la réduction du prix des actions, telle qu’expliquée par le fiscaliste, n’avait pas pour objet de reconnaître le fait que 4041763 avait effectué ce paiement en son nom. L’appelante n’a pas fait cette démonstration.
[16] Compte tenu de cette conclusion, il était loisible au juge de la CCI de conclure que la juste valeur marchande de la « contrepartie » reçue par l’appelante pour les actions vendues, aux fins de l’application de l’alinéa 84.1(1)b), était égale à la totalité de ce qu’elle a reçue suite à cette vente, soit le prix identifié au contrat de vente et la valeur des services payés en son nom.
[17] Finalement, l’invocation de l’alinéa 69(1)b) n’était ni nécessaire ni utile puisque la valeur de cette contrepartie coïncide avec le prix auquel les actions furent vendues par 4041763 dans le cadre de la transaction à distance qui eût lieu le même jour et est donc égale à leur juste valeur marchande.
[18] Je rejetterais donc l’appel avec dépens.
« Marc Noël »
j.c.a.
« Je suis d’accord
Johanne Gauthier j.c.a. »
« Je suis d’accord
Robert M. Mainville j.c.a. »
ANNEXE
69. (1) Sauf disposition contraire expresse de la présente loi : […]
est réputé avoir reçu par suite de la disposition une contrepartie égale à cette juste valeur marchande; […]
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69. (1) Except as expressly otherwise provided in this Act,
the taxpayer shall be deemed to have received proceeds of disposition therefor equal to that fair market value; and …
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84.1 (1) […]
(A + D) - (E + F) où :
représente le montant correspondant à l’augmentation — conséquence de l’émission des nouvelles actions — du capital versé au titre de toutes les actions du capital-actions de l’acheteur, calculée sans que le présent article soit appliqué à l’acquisition des actions concernées,
la juste valeur marchande, immédiatement après la disposition, de toute contrepartie, à l’exclusion des nouvelles actions, reçue de l’acheteur par le contribuable pour les actions concernées,
le plus élevé des montants suivants : (i) le capital versé au titre des actions concernées immédiatement avant la disposition, (ii) le prix de base rajusté des actions concernées pour le contribuable immédiatement avant la disposition, sous réserve des alinéas (2)a) et a.1),
le total des montants dont chacun représente un montant que l’acheteur doit déduire selon l’alinéa a) dans le calcul du capital versé au titre d’une catégorie d’actions de son capital-actions à cause de l’acquisition des actions concernées. […]
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84.1 (1) …
(A + D) - (E + F) where
is the increase, if any, determined without reference to this section as it applies to the acquisition of the subject shares, in the paid-up capital in respect of all shares of the capital stock of the purchaser corporation as a result of the issue of the new shares,
is the fair market value, immediately after the disposition, of any consideration (other than the new shares) received by the taxpayer from the purchaser corporation for the subject shares,
is the greater of (i) the paid-up capital, immediately before the disposition, in respect of the subject shares, and (ii) subject to paragraphs 84.1(2)(a) and 84.1(2)(a.1), the adjusted cost base to the taxpayer, immediately before the disposition, of the subject shares, and
is the total of all amounts each of which is an amount required to be deducted by the purchaser corporation under paragraph 84.1(1)(a) in computing the paid-up capital in respect of any class of shares of its capital stock by virtue of the acquisition of the subject shares. …
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : A-254-11
APPEL D’UN JUGEMENT DE L’HONORABLE JUGE ARCHAMBAULT DE LA COUR CANADIENNE DE L’IMPÔT DU 23 JUIN 2011, N° DU DOSSIER 2009-2331(11)G.
INTITULÉ : FIDUCIE FAMILLE GAUTHIER et SA MAJESTÉ LA REINE
LIEU DE L’AUDIENCE : Montréal (Québec)
DATE DE L’AUDIENCE : Le 29 février 2012
MOTIFS DU JUGEMENT : LE JUGE NOËL
Y ONT SOUSCRIT : LA JUGE GAUTHIER
DATE DES MOTIFS : Le 7 mars 2012
COMPARUTIONS :
POUR L’APPELANTE
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POUR L’INTIMÉE
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Norton Rose OR S.E.N.C.R.L., s.r.l. Montréal (Québec)
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POUR L’APPELANTE
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Sous-procureur générale du Canada |
POUR L’INTIMÉE
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