Décisions de la Cour d'appel fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Cour d'appel fédérale

 

Federal Court of Appeal

 

Date : 20120314

Dossier : A-405-10

Référence : 2012 CAF 88

 

CORAM :      LE JUGE EN CHEF BLAIS

                        LA JUGE SHARLOW

                        LE JUGE MAINVILLE

 

ENTRE :

BRIGITTE GRATL

appelante

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

 

 

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 14 mars 2012

Jugement rendu à l'audience à Toronto (Ontario), le 14 mars 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :                                               LA JUGE SHARLOW

 


 

Cour d'appel fédérale

 

Federal Court of Appeal

Date : 20120314

Dossier : A-405-10

Référence : 2012 CAF 88

 

CORAM :      LE JUGE EN CHEF BLAIS

                        LA JUGE SHARLOW

                        LE JUGE MAINVILLE

 

ENTRE :

BRIGITTE GRATL

appelante

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

 

(Prononcés à l'audience à Toronto (Ontario), le 14 mars 2012)

 

 

LA JUGE SHARLOW

[1]        L'appelante a fait l'objet de cotisations en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.), pour 2001 et 2002. Elle a interjeté appel de ces cotisations à la Cour canadienne de l'impôt. La Couronne a déposé un avis de requête auprès de la Cour de l'impôt afin de faire radier certains passages du troisième avis d'appel modifié. Dans une ordonnance du 6 octobre 2010, le juge Bowie a accueilli en partie la requête de la Couronne (2010 TCC 491). L'appelante interjette maintenant appel à la Cour d'appel fédérale.

[2]        L'appel concerne principalement le paragraphe 5 du troisième avis d'appel modifié, qui est libellé comme suit :

[TRADUCTION]

 

5.         L'appelante soutient que ses droits constitutionnels ont été violés pour les motifs suivants :

 

a.         L'appelante affirme qu'elle est traitée de manière discriminatoire par rapport aux autres avocats, contrairement aux dispositions des articles 7 et 15 de la Charte, parce que le ministère insiste pour qu'elle reçoive des clients à son bureau satellite au milieu de la nuit. La contribuable a produit ses registres quotidiens et a donné des explications suffisantes pour démontrer que travailler les soirs à son bureau à domicile fait nécessairement partie de son travail comme avocate. La contribuable passe ses journées au tribunal et ses soirées à rencontrer des clients à son bureau principal, de sorte qu'elle ne peut préparer les avis de demande, avis d'appel, avis de requête en modification d'une ordonnance définitive, affidavits, dossiers en vue d'une conférence préparatoire et de nombreux autres documents, un travail qui exige un environnement calme, qu'après son retour à la maison, la nuit et tôt le matin.

 

b.         La contribuable soutient que des pénalités ne sont pas justifiées vu son inexpérience en tant qu'avocate et que ces pénalités équivalent en fait à une peine cruelle et inusitée contraire à l'article 12 de la Charte canadienne des droits et libertés, si certaines des dépenses déduites de son revenu sont jugées inappropriées.

 

c.         La contribuable soutient en outre que le fait que le ministère de l'impôt ne divulgue pas l'intérêt exigé porte atteinte à son droit à une divulgation complète garanti à l'article 7 de la Charte. Sans cette information, la contribuable n'est pas en mesure de vérifier si les intérêts qu'elle doit payer ont été bien calculés.

 

d.         L'accumulation quotidienne des intérêts constitue une peine cruelle et inusitée contraire à l'article 12 de la Charte, en particulier à la lumière du fait que le ministère de l'impôt bénéficie du retard — dont il est le seul responsable — concernant l'examen des déclarations de revenus de la contribuable.

 

e.         Dans la mesure où le retard constitue un traitement injuste de la contribuable, les dispositions de l'article 7 de la Charte s'appliquent également.

 

[3]        L'ordonnance du juge Bowie radie le paragraphe 5 (la contribuable est autorisée à le modifier afin de contester la décision de refuser des dépenses, l'imposition de pénalités et le calcul des intérêts exigés sans faire référence à la Charte), ainsi que les références corrélatives à la Charte figurant ailleurs dans le troisième avis d'appel modifié.

 

[4]        L'appelante soutient que le juge Bowie a commis une erreur en radiant le paragraphe 5 et les références corrélatives aux articles 7 et 12 de la Charte (elle admet que la référence au paragraphe 15(1) de la Charte a été radiée à juste titre). Elle souhaite pouvoir faire valoir devant la Cour de l'impôt, en s'appuyant sur les articles 7 et 12 de la Charte : (1) qu'elle devrait avoir le droit de déduire ce qu'elle a réclamé au titre des frais de bureau, ainsi que d'autres dépenses; (2) qu'elle ne devrait pas être tenue de payer les pénalités administratives; (3) qu'elle devrait être déchargée en partie de l'obligation de payer des intérêts.

 

[5]        Les articles 7 et 12 de la Charte prévoient ce qui suit :

7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale.

 

7. Everyone has the right to life, liberty and security of the person and the right not to be deprived thereof except in accordance with the principles of fundamental justice.

 

[...]

 

. . .

 

12. Chacun a droit à la protection contre tous traitements ou peines cruels et inusités.

 

12. Everyone has the right not to be subjected to any cruel and unusual treatment or punishment.

 

 

[6]        L'appelante soutient que la Cour de l'impôt a compétence pour accorder des réparations fondées sur la Charte. Nous en convenons, mais nous souscrivons à la conclusion du juge Bowie selon laquelle il est clair et évident qu'une ordonnance annulant ou modifiant une cotisation relative à l'impôt, des pénalités administratives et des intérêts ne peut être justifiée par les articles 7 ou 12 de la Charte. En d'autres termes, même si l'on suppose que les faits allégués au paragraphe 5 du troisième avis d'appel modifié sont véridiques, ils n'indiquent aucune violation des articles 7 ou 12 de la Charte.

 

[7]        De nombreuses décisions judiciaires étayent la conclusion du juge Bowie. Il n'est pas nécessaire que nous les nommions toutes, mais nous mentionnons en particulier les arrêts Main Rehabilitation Co. Ltd. c. Canada, 2004 CAF 403, et Kaulius c. Canada, 2003 CAF 371 (confirmé par 2005 CSC 55, [2005] 2 R.C.S. 643), de la Cour d'appel fédérale, et l'arrêt Rodriguez c. Colombie‑Britannique (Procureur général), [1993] 3 R.C.S. 519, de la Cour suprême du Canada.

 

[8]        Sous le régime de la Loi de l'impôt sur le revenu actuelle, comme sous le régime de celle qui était en vigueur en 2001 et 2002, une cotisation relative à l'impôt est une affaire de nature civile qui ne touche que des intérêts économiques. Elle ne prive pas la personne à l'égard de laquelle elle est établie de sa vie, de sa liberté ou de la sécurité de sa personne au sens de l'article 7 de la Charte, et elle ne place pas cette personne sous le contrôle de l'État d'une façon qui pourrait être considérée comme un traitement ou une peine au sens de l'article 12 de la Charte.

[9]        Pour ces motifs, l'appel sera rejeté avec dépens.

 

 

« K. Sharlow »

j.c.a.

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Yves Bellefeuille, réviseur

 


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                                A-405-10

 

APPEL D'UNE ORDONNANCE RENDUE PAR LE JUGE BOWIE LE 6 OCTOBRE 2010 DANS LE DOSSIER DE LA COUR CANADIENNE DE L'IMPÔT NO 2009-3311(IT)G

 

INTITULÉ :                                                              BRIGITTE GRATL c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                                      Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                                     Le 14 mars 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :        BLAIS C.J., SHARLOW ET MAINVILLE JJ.A.

 

PRONONCÉS À L'AUDIENCE PAR :                LA JUGE SHARLOW

 

COMPARUTIONS :

 

Brigitte Gratl

 

POUR L'APPELANTE

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

 

Arnold H. Bornstein

 

POUR L'INTIMÉE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

s.o.

 

POUR L'APPELANTE

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

 

POUR L'INTIMÉE

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.