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Cour d’appel fédérale

 

Federal Court of Appeal

Date : 20120330

Dossier : A-385-11

Référence : 2012 CAF 105

 

CORAM :      LE JUGE PELLETIER

                        LA JUGE GAUTHIER

                        LE JUGE MAINVILLE

 

ENTRE :

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

demandeur

et

ARMAND DOUCET

défendeur

 

 

 

Audience tenue à Fredericton (Nouveau-Brunswick), le 28 mars 2012.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 30 mars 2012.

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                           LE JUGE MAINVILLE

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                       LE JUGE PELLETIER

                                                                                                                         LA JUGE GAUTHIER

 


Cour d’appel fédérale

 

Federal Court of Appeal

Date : 20120330

Dossier : A-385-11

Référence : 2012 CAF 105

 

CORAM :      LE JUGE PELLETIER

                        LA JUGE GAUTHIER

                        LE JUGE MAINVILLE

 

ENTRE :

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

demandeur

et

ARMAND DOUCET

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

LE JUGE MAINVILLE

[1]               Le demandeur cherche à infirmer la décision CUB 77637 datée du 19 août 2011 par laquelle le juge-arbitre Guy Goulard a rejeté l’appel de la Commission de l’assurance-emploi du Canada (« Commission ») à l’encontre d’une décision d’un conseil arbitral ayant accueilli l’appel du défendeur M. Armand Doucet (le « prestataire ») à l’encontre de la décision de la Commission de lui refuser des prestations en vertu de la Loi sur l’assurance-emploi, L.C. 1996, c. 23 (« Loi ») au motif qu’il avait perdu son emploi en raison de son inconduite.

 

[2]               Le prestataire, qui provient du Nouveau-Brunswick, occupait un emploi dans un chantier au Manitoba. Son employeur interdisait la consommation d’alcool dans les chambres fournies aux employés et maintenait une politique dite de « tolérance zéro » concernant l’ébriété sur les lieux de travail. Le prestataire fut congédié après quelques mois sur le chantier au motif qu’il était en état d’ébriété dans sa chambre. La Commission lui a donc refusé les prestations d’assurance-emploi au motif qu’il avait perdu son emploi en raison de son inconduite. Je note que l’employeur a aussi justifié son congédiement en alléguant que le prestataire aurait blessé un gardien de sécurité, mais la Commission n’a pas retenu ce motif de congédiement aux fins de sa décision, étant plutôt d’avis que la version du prestataire niant cet incident était crédible : Dossier du demandeur à la p. 59.

 

[3]               Le prestataire a porté la décision de la Commission en appel devant un conseil arbitral. Il a avoué devant le conseil arbitral qu’il avait consommé deux ou trois bières dans sa chambre après son quart de travail, mais il a nié avoir été en état d’ébriété. Il a reconnu que l’employeur interdisait la consommation d’alcool dans les chambres. Il a cependant soutenu une distinction entre la politique dite de « tolérance zéro » de son employeur pour l’ébriété sur les lieux de travail, et la politique de son employeur concernant la simple consommation d’alcool dans les chambres en dehors des quarts de travail. Dans ces derniers cas, le prestataire a noté que lors d’une première violation, l’employeur imposait normalement une mesure disciplinaire prenant la forme d’un avertissement et non d’un congédiement. Il a ajouté à l’appui de sa prétention que d’autres employés impliqués dans une situation similaire ont reçu un avertissement de l’employeur.

 

[4]               Le défendeur a donc soutenu devant le conseil arbitral que son congédiement faisait partie d’une mise à pied anticipée d’une centaine d’employés, et que la mesure disciplinaire de congédiement prise contre lui en regard de l’infraction mineure en cause visait à éviter à l’employeur d’assumer le coût du billet d’avion pour son retour à la suite de sa mise à pied anticipée. Selon le prestataire, trois autres employés auraient été congédiés en même temps que lui afin d’éviter à l’employeur les frais de transport résultant de leur mise à pied dans le cadre du licenciement collectif anticipé.

 

[5]               Le conseil arbitral a accepté la version des faits soumise par le prestataire et a donc accueilli son appel. Le juge-arbitre a entériné la décision du conseil arbitral, mais il a invoqué le motif suivant au soutien de sa décision (Décision CUB 77637 à la p. 10 du Dossier du demandeur) :

J’ai revu la preuve dans le dossier en l’espèce et, en particulier, la décision bien étoffée du conseil. Je suis d’avis que le conseil a bien analysé et résumé la preuve au dossier et à l’audience. Le conseil a accepté le témoignage du prestataire à l’effet que compte tenu du fait que d’autres employés avaient reçu un avertissement pour la même conduite, il ne pouvait s’attendre à ce que son geste puisse conduire à son congédiement.

 

[6]               À la lumière de ce raisonnement du juge-arbitre, le demandeur soutient que ce dernier aurait erré en faits et en droit puisque (a) le prestataire a admis qu’il a enfreint une politique de son employeur et, dans de telles circonstances, « même si le risque n’était pas absolu, la possibilité d’un congédiement découlant de la consommation d’alcool était réelle. » : Mémoire du demandeur au para. 20; et (b) vu la décision de notre Cour dans Canada (Procureur général) c. Lee, 2007 CAF 406, 372 N.R. 198, le fait qu’un employeur impose des sanctions différentes à d’autres individus ayant commis des gestes apparentés n’est pas pertinent pour décider s’il y a inconduite au sens de l’article 30 de la Loi : Mémoire du demandeur au para. 37.

 

[7]               Je suis d’opinion que le juge-arbitre a effectivement erré en déclarant que des sanctions différentes à l’égard d’autres employés étaient des faits pertinents dans le cadre de l’analyse de l’inconduite d’un prestataire aux fins de l’article 30 de la Loi. Par contre, cette erreur du juge-arbitre ne dispose pas du présent dossier. Avec respect, je suis aussi d’avis que le juge-arbitre n’a pas considéré ni pris en compte l’aspect principal de la décision du conseil arbitral.

 

[8]               La décision du conseil arbitral repose sur ses conclusions à l’effet « que l’employeur a congédié le prestataire pour d’autres raisons parce qu’il était sur la veille de faire un gros « lay-off » et il fallait payer les billets d’avion à moins de congédier pour de l’inconduite » et « que l’acte de boire quelques bières, ne mérite pas un congédiement vu que le prestataire n’a jamais reçu d’avertissement auparavant »: Décision du conseil arbitral, à la p. 145 du dossier du demandeur.

 

[9]               Pour déterminer aux fins de la Loi si l’inconduite pourrait mener à un congédiement, il doit exister un lien de causalité entre l’inconduite reprochée au prestataire et son emploi. L’inconduite doit donc constituer un manquement à une obligation résultant expressément ou implicitement du contrat de travail : Canada (Procureur général) c. Brissette, [1994] 1 R.C.F. 684 (C.A.) au para. 14; Canada (Procureur général) c. Cartier, 2001 CAF 274, 284 N.R. 172 au para. 12; Canada (Procureur général) c. Nguyen, 2001 CAF 348, 284 N.R. 260 au para. 5.

 

[10]           Lorsque, comme ici, le manquement à l’obligation résultant du contrat de travail est admis, il ne s’agit pas de décider si le congédiement résultant de ce manquement est justifié ou non au sens du droit du travail, mais plutôt de déterminer, selon une appréciation objective de la preuve, s’il s’agit d’une inconduite telle que son auteur pouvait normalement prévoir qu’elle serait susceptible de provoquer son congédiement : Canada (P.G.) c. Tucker, [1986] 2 R.C.F. 329 (C.A.) au paras. 12 à 23; Meunier c. Canada (Commission de l’emploi et de l’immigration) (1996), 208 N.R. 377 au para. 2; Mishibinijima c. Canada (Procureur général), 2007 CAF 36, 279 D.L.R. (4th) 121 au para. 14.

 

[11]           Mais encore faut-il que l’inconduite reprochée soit effectivement la cause réelle du congédiement en cause.

 

[12]           La décision du conseil arbitral dans ce cas-ci repose sur les conclusions explicites ou implicites suivantes quant aux faits en cause : (a) le demandeur n’était pas en état d’ébriété; (b) la mesure disciplinaire généralement imposée pour une première infraction de consommation de bière dans une chambre était la suspension et non le congédiement; et (c) la cause réelle du congédiement du défendeur était de permettre à l’employeur d’éviter d’assumer les frais liés au retour de celui-ci faisant suite à sa mise à pied anticipée. La conclusion du conseil arbitral voulant que la consommation de quelques bières ne méritait pas un congédiement doit être considérée à la lumière de sa conclusion principale concernant la cause réelle du congédiement, et sert à étoffer cette conclusion principale.

 

[13]           Le conseil arbitral a donc conclu que l’inconduite reprochée au prestataire afin de justifier son congédiement n’était qu’une excuse qui masquait la cause réelle de sa perte d’emploi. Cette conclusion de fait n’a pas été contestée par le demandeur devant le juge-arbitre ou devant nous.

 

[14]           Dans ce cas-ci, le prestataire soutient que la cause véritable de son congédiement n’est pas son inconduite, mais plutôt un autre motif, soit d’esquiver le paiement de son voyage de retour suite à sa mise à pied anticipée. Ce qui est en litige ici n’est pas la sévérité de la sanction, mais sa cause première. Dans ces circonstances, le conseil était justifié de tenir compte de la pratique de l’employeur lors d’incidents similaires et l’absence d’avertissement préalable au congédiement. Ces faits ont été retenus non pas afin d’atténuer l’inconduite du prestataire, mais plutôt pour confirmer que la cause réelle de son congédiement était autre que celle invoquée par l’employeur. Le juge-arbitre devait donc refuser l’appel du demandeur, mais pour des motifs autres que ceux énoncés dans sa décision.

 

[15]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire devrait donc être rejetée.

 

 

« Robert M. Mainville »

j.c.a.

 

« Je suis d’accord.

            J.D. Denis Pelletier j.c.a. »

 

« Je suis d’accord.

            Johanne Gauthier j.c.a. »

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                            A-385-11

 

APPEL D’UNE DÉCISION DU JUGE-ARBITRE GUY GOULARD DU 19 AOÛT 2011.

 

INTITULÉ :                                                                           Procureur général du Canada c. Armand Doucet

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                     Fredericton, Nouveau-Brunswick

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                   Le 28 mars 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                LE JUGE MAINVILLE

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                             LE JUGE PELLETIER

                                                                                                LA JUGE GAUTHIER

 

 

DATE DES MOTIFS :                                                          Le 30 mars 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Julien Matte

POUR LE DEMANDEUR

 

Armand Doucet

POUR LE DÉFENDEUR (SE REPRÉSENTE SOI-MÊME)

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DEMANDEUR

 

 

 

 

 

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