Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20120411

Dossier : A‑69‑11

Référence : 2012 CAF 110

CORAM :      LE JUGE EVANS

                        LA JUGE SHARLOW

                        LA JUGE DAWSON

 

 

ENTRE :

TREVOR NICHOLAS CONSTRUCTION CO. LIMITED

 

appelante

 

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE

 

intimée

 

 

 

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 28 mars 2012.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 11 avril 2012.

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                           LA JUGE DAWSON

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                          LE JUGE EVANS

                                                                                                                      LA JUGE SHARLOW

 

 


Date : 20120411

Dossier : A‑69‑11

Référence : 2012 CAF 110

CORAM :      LE JUGE EVANS

                        LA JUGE SHARLOW

                        LA JUGE DAWSON

 

ENTRE :

 

TREVOR NICHOLAS CONSTRUCTION CO. LIMITED

appelante

 

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

LA JUGE DAWSON

[1]               En 1995, Trevor Nicholas Construction Co. Limited (demanderesse ou appelante) a poursuivi la Couronne fédérale (défenderesse) concernant quatre appels d’offres annoncés par Travaux publics Canada. Trois de ces appels d’offres avaient pour objet des services de dragage à trois endroits : sur la rivière Sainte‑Claire, à Amherstburg et à Collingwood. Le quatrième appel d’offres concernait l’installation de roches concassées et de pierres de protection à Cobourg. Deux causes d’action ont été alléguées. La demanderesse a allégué que la défenderesse l’avait traitée de manière inéquitable et aussi qu’elle avait manqué à une clause implicite des contrats ayant pris naissance lorsque la demanderesse avait déposé quatre soumissions basses entièrement conformes.

 

[2]               Par ordonnance datée du 16 mai 2001, la Cour fédérale a accordé un jugement sommaire rejetant la réclamation en dommages‑intérêts de la demanderesse fondée sur les prétendues  modalités contractuelles. Voici l’ordonnance rendue par la Cour fédérale :

2.                  La présente affaire sera renvoyée à procès pour qu’il soit statué sur les questions suivantes :

 

(i)                 Vu la prétention de la demanderesse selon laquelle elle aurait été traitée de manière inéquitable, la défenderesse avait‑elle l’obligation implicite de traiter la demanderesse équitablement?

(ii)               Si une telle obligation incombait à la défenderesse, celle‑ci a‑t‑elle manqué à son obligation?

(iii)             S’il y a eu manquement à cette obligation, quels dommages‑intérêts, s’il en est, peuvent être obtenus par suite de ce manquement?

 

[3]               Subséquemment, par ordonnance datée du 20 janvier 2011, un juge de la Cour fédérale a  accueilli une requête en jugement sommaire rejetant le reste de la réclamation de la demanderesse (2011 CF 70, 328 D.L.R. (4th) 665). Le juge a conclu à l’absence d’une véritable question litigieuse en rapport avec la prétention de la demanderesse selon laquelle la défenderesse a manqué à son obligation de la traiter équitablement dans le cadre des quatre soumissions.

 

[4]               Il s’agit d’un appel de l’ordonnance de la Cour fédérale, datée du 20 janvier 2011, rejetant l’action de la demanderesse.

 

Les questions en litige

[5]               La demanderesse a soulevé dix motifs d’appel dans son mémoire des faits et du droit. Je formulerais les questions à trancher dans le cadre du présent appel de la façon suivante :

1.                  L’ordonnance de la Cour fédérale a‑t‑elle été entachée par un quelconque vice de procédure?

2.                  La requête pour jugement sommaire aurait‑elle dû être accueillie étant donné la conclusion tirée par le juge selon laquelle le principe de l’autorité de la chose jugée ne s’appliquait pas à la question de savoir si la demanderesse avait été traitée équitablement?

3.                  Le juge a‑t‑il admis de façon irrégulière une preuve par ouï‑dire?

4.                  La preuve dont disposait la Cour fédérale pouvait‑elle soulever une ou plusieurs questions de crédibilité ne pouvant être tranchées qu’à la suite d’un procès ?

5.                  La preuve a‑t‑elle soulevé une véritable question litigieuse?

 

Examen des questions en litige

1.         L’ordonnance de la Cour fédérale a‑t‑elle été entachée par un quelconque vice de procédure?

 

[6]               L’appelante affirme que :

 

a.                   La défenderesse n’a pas qualité pour présenter une deuxième requête en jugement sommaire compte tenu du libellé de l’ordonnance rendue par la Cour fédérale en date du 16 mai 2001, laquelle ordonnait le « renvoi de l’affaire à procès ». Dans les circonstances, le juge n’avait pas la compétence pour instruire la requête en jugement sommaire.

b.                  Le juge n’avait également pas compétence pour instruire la requête en jugement sommaire parce que la défenderesse n’avait pas sollicité et obtenu l’autorisation d’introduire une deuxième requête en jugement sommaire.

c.                   Un jugement déclaratoire ne peut être obtenu au moyen d’une requête en jugement sommaire.

d.                  Le dossier de la requête en jugement sommaire étaient incomplet parce que tous les actes de procédure pertinents n’avaient pas été produits devant la Cour. Plus particulièrement, la défenderesse avait omis d’inclure la réponse de la demanderesse dans le dossier de requête.

 

[7]               Pour les motifs suivants, je conclus qu’aucun vice de procédure n’a entaché la procédure de jugement sommaire. Les réponses qui suivent à chacun des manquements à l’équité procédurale reproché ont été formulées dans l’ordre selon lequel ces manquements ont été allégués par l’appelante :

a.         Lorsque l’ordonnance rendue le 16 mai 2001 est lue en toute impartialité, dans le contexte des motifs la justifiant, il appert que la Cour fédérale ne statuait pas sur le mécanisme en vertu duquel la question du traitement inéquitable serait tranchée. La Cour rejetait plutôt la réclamation en dommages‑intérêts découlant de manquements présumés à des obligations contractuelles, tout en autorisant le renvoi à procès des allégations de traitement inéquitable. La Cour fédérale a conservé en tout temps le pouvoir discrétionnaire de statuer sur la façon dont la question du traitement inéquitable serait tranchée.

b.         La demanderesse invoque le paragraphe 213(2) des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, dont le texte actuellement en vigueur est le suivant :

213. (2) Si une partie présente l’une de ces requêtes en jugement sommaire ou en procès sommaire, elle ne peut présenter de nouveau l’une ou l’autre de ces requêtes à moins d’obtenir l’autorisation de la Cour.

213. (2) If a party brings a motion for summary judgment or summary trial, the party may not bring a further motion for either summary judgment or summary trial except with leave of the Court.

 

La requête en jugement sommaire en l’espèce a été présentée le ou vers le 4 janvier 2005. Cependant, comme le juge l’a fait remarquer à juste titre, le paragraphe 213(2) dans sa forme actuelle est entré en vigueur en décembre 2009. Avant cette date, l’article 213(2) ne limitait pas le nombre de requêtes en jugement sommaire qu’une partie pouvait présenter. Le résumé de l’étude d’impact de la réglementation accompagnant les Règles modifiant les Règles des Cours fédérales (jugement et procès sommaires), DORS/2009‑331 soulignaient précisément que « le paragraphe 213(2) des Règles est remplacé par une disposition qui prévoit qu’une partie ne peut présenter qu’une seule requête en jugement sommaire ou en procès ». Il s’ensuit que le juge a conclu à bon droit qu’à la date de présentation de la requête, la défenderesse n’avait pas à obtenir l’autorisation à la Cour pour présenter une deuxième requête en jugement sommaire. De plus, même si la version antérieure des Règles avait prévu une limitée implicite au nombre de requêtes en jugement sommaire, le juge disposait du pouvoir discrétionnaire que lui confère l’article 55 des Règles pour modifier une règle ou accorder une exemption d’application.

c.                  La Cour fédérale n’a pas rendu de jugement déclaratoire. Le juge a seulement conclu qu’il n’y avait pas de véritable question litigieuse en rapport avec la réclamation de la demanderesse selon laquelle la défenderesse avait manqué à son obligation implicite de la traiter équitablement. En outre, bien qu’un jugement déclaratoire ne puisse être accordé de manière interlocutoire, je ne vois en principe aucune raison pour ne pas accorder de jugement déclaratoire dans le cadre d’un jugement sommaire. Voir, par exemple, Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Schneeberger, 2003 CF 970, [2004] 1 R.C.F. 280.

d.                 Le juge a conclu que la défenderesse n’était pas tenue d’inclure la réponse de la demanderesse dans son dossier de requête. De plus, le juge a estimé que la demanderesse n’avait subi aucun préjudice du fait que la défenderesse avait omis d’inclure cette réponse dans son dossier de requête parce qu’il n’y avait dans ce document aucune information qui aurait pu être pertinente à l’égard de la requête et qui n’avait pas déjà été soumise à la Cour. L’appelante n’a pas démontré que le juge avait commis une erreur dans son appréciation de l’obligation de la défenderesse de produire l’acte de procédure de la demanderesse ou dans l’importance du contenu de la réponse de la demanderesse. De toute façon, l’appelante a annoncé en plaidoirie qu’elle avait soumis au juge la réponse dans le cadre de la requête en jugement sommaire. Aucune plainte ne peut être formulée alors que la Cour disposait du document dans le cadre de la requête en jugement sommaire.

 

2.         La requête pour jugement sommaire aurait‑elle dû être accueillie étant donné la conclusion tirée par le juge selon laquelle le principe de l’autorité de la chose jugée ne s’appliquait pas à la question de savoir si la demanderesse avait été traitée équitablement?

 

[8]               Dans le cadre de la requête en jugement sommaire, la défenderesse a soutenu qu’il avait été établi, selon le principe de l’autorité de la chose jugée, qu’elle avait traité la demanderesse équitablement. La défenderesse s’est appuyée sur la décision rendue par la Cour fédérale dans une procédure connexe (2001 FCT 1282). Le juge a souscrit à l’argument de la demanderesse suivant lequel il y avait suffisamment de différences entre les faits et les allégations dont il était question dans l’affaire dont il était saisie et ceux dont il était question dans 2001 FCT 1282 pour écarter l’application du principe de la chose jugée. Dans le présent appel, l’appelante soutient maintenant que cette conclusion avait porté un coup fatal à la requête en jugement sommaire de la défenderesse.

 

[9]               Je dois respectueusement dire que je ne suis pas d’accord. Même s’il a décidé d’écarter l’application du  principe de l’autorité de la chose jugée, le juge était toujours tenu d’apprécier la preuve dont il disposait de façon à vérifier s’il existait une véritable question litigieuse (voir le premier motif invoqué dans le cadre de la requête en jugement sommaire de la défenderesse). Le juge pouvait conclure qu’il n’existait pas de véritable question litigieuse en se fondant sur le reste des éléments de preuve invoqués par la défenderesse.

3.         Le juge a‑t‑il admis de façon irrégulière une preuve par ouï‑dire?

 

[10]           L’appelante soutient qu’une preuve par ouï‑dire ne peut être présentée dans le cadre d’une requête en jugement sommaire, à moins de satisfaire au critère d’une des exceptions à la règle du ouï‑dire.  Plus particulièrement, la demanderesse se plaint qu’elle n’a pas été en mesure de contre‑interroger utilement M. Grossi, l’auteur de l’affidavit de la défenderesse, au sujet des pièces jointes à son affidavit, et qu’en conséquence elle a subi un préjudice.

 

[11]           Le juge a disposé des arguments de la demanderesse en ce qui concerne la preuve par ouï‑dire aux paragraphes 33, 34 et 38 de ses motifs :

33.       La demanderesse a fait valoir qu’un grand nombre des pièces jointes à l’affidavit de M. Joseph Grossi, que ce dernier a souscrit le 23 décembre 2004 (l’affidavit de M. Grossi), constituent une preuve par ouï‑dire dont il convient de faire abstraction car M. Grossi n’était pas en mesure de jurer de la véracité du contenu de ces documents et que, en fait, il ne l’a pas fait.

 

34.       Cet argument confond la question de l’utilisation que fait la défenderesse des pièces avec la véracité du contenu de ces dernières. M. Grossi n’a pas juré de la véracité du contenu des pièces en question. Il a simplement juré de la véracité du fait que la défenderesse avait tenu compte du contenu des pièces quand elle avait pris les décisions d’exclure les soumissions.

 

[...]

 

38.       Les affaires sur lesquelles s’appuie la demanderesse à cet égard peuvent être distinguées de la présente. Dans la décision Expressvu Inc. c. NII Norsat International Inc., [1997] A.C.F. no 276, aux paragraphes 5 à 7 (1re inst.), le juge en chef adjoint Jerome a radié certains passages d’affidavits déposés par les demanderesses parce que ces passages constituaient des « avis sur les questions de droit que la Cour [était] appelée à trancher » et que « des hypothèses [...] formulées au sujet de faits éventuels ou quant à ce que d’autres personnes ont en tête, et des déclarations qui ne sont pas pertinentes aux fins de statuer sur les questions en litige ou qui se fondent sur des renseignements ou des croyances dont la source n’est pas indiquée y figur[aient] ». Dans l’affaire Inhesion Industrial Co. c. Anglo Canadian Mercantile Co. (2000), 6 C.P.R. (4th) 362, aux paragraphes 21 à 24 (C.F. 1re inst.), le juge O’Keefe a refusé d’accepter une preuve par affidavit concernant la cession d’un droit d’auteur – une question capitale dans cette affaire – parce que le souscripteur ne s’était pas entretenu avec l’auteur du motif dont il était question et qu’il avait une connaissance personnelle restreinte de la cession, en faveur de la demanderesse, du droit d’auteur afférent à ce motif. Par contraste, comme il a été mentionné plus tôt, M. Grossi a pris étroitement part à l’étude que la défenderesse a faite des soumissions et il était personnellement au courant du fait que la défenderesse avait pris en considération les pièces en question au moment de prendre les décisions d’exclusion. Son affidavit était donc conforme au paragraphe 81(1) des Règles.

 

 

[12]           L’appelante n’a pas démontré que le juge a commis une erreur dans  l’analyse de l’utilisation qu’il convient de faire des pièces jointes à l’affidavit de M. Grossi ou de l’importance de contre‑interroger un témoin sur des événements survenus après que la décision eût été prise de ne pas accepter les soumissions de la demanderesse.

 

[13]           Le juge devait trancher la question de l’existence ou non d’une véritable question litigieuse en rapport avec le manquement par la défenderesse à son obligation de traiter équitablement la demanderesse. Le juge a donc été contraint d’examiner en premier lieu les exigences que comportait l’obligation de traiter équitablement la demanderesse. Le juge a correctement énoncé le droit applicable au contenu de l’obligation de traitement équitable, au paragraphe 46 de ses motifs :

L’obligation implicite qu’a la défenderesse de traiter équitablement la demanderesse découle de son « obligation de traiter équitablement tous les soumissionnaires et de n’accorder à aucun d’entre eux un avantage indu sur les autres » et de ne pas privilégier inéquitablement un soumissionnaire plutôt qu’un autre (Northeast Marine Services Limited c. Administration de pilotage de l’Atlantique, [1993] 1 C.F. 371, aux pages 411 et 412 (1re inst.), décision infirmée pour d’autres motifs, [1995] 2 C.F. 132 (C.A.)). Pour évaluer s’il y a eu manquement à cette obligation, il faut donc déterminer si la demanderesse a été traitée inéquitablement par rapport à d’autres soumissionnaires. Dans le cadre de cette évaluation il convient de décider si les décisions d’exclure la soumission ont été prises en fonction de facteurs qui étaient étrangers à ceux qui étaient énoncés ou qui figuraient implicitement dans le dossier d’appel d’offres (M.J.B. Enterprises Ltd. c. Defence Construction (1951) Ltd., [1999] 1 R.C.S. 619, aux paragraphes 45 à 48; Best Cleaners and Contractors Ltd. c. La Reine du chef du Canada, [1985] 2 C.F. 293, aux pages 306 et 307 (C.A.); Direct Underground Inc. c. Pickering (City), (2000), 6 B.L.R. (4th) 147, aux paragraphes 17 et 18 (C.S.J. Ont.)). À mon avis, il faudrait également déterminer dans le cadre de l’évaluation si la défenderesse avait un préjugé à l’encontre de la demanderesse ou si elle a pris une ou plusieurs des décisions d’exclusion de mauvaise foi, par exemple, en fondant l’une quelconque de ces décisions sur des faits qu’elle savait faux ‑ ou aurait dû savoir qu’ils l’étaient ‑ au moment où elles ont été prises. [Non souligné dans l’original.]

 

 

[14]           Il est intéressant de souligner qu’il était nécessaire d’examiner la question de savoir si la défenderesse savait ou aurait dû savoir qu’elle fondait sa décision sur des facteurs erronés ou inexacts lorsqu’elle a décidé de ne pas accepter les soumissions de la demanderesse. Les renseignements sur lesquels la demanderesse cherchait à contre‑interroger M. Grossi étaient, au dire du juge, « des renseignements qui sont apparus de nombreuses années après que la défenderesse a pris la décision d’exclure la soumission de la demanderesse ». (Paragraphe 68 des motifs. Voir aussi les paragraphes 69, 79, 80, 94 et 101). Les renseignements reçus après que les  décisions d’exclure les soumissions eurent été faites n’étaient pas pertinents à la question dont la Cour était saisie. Aucun préjudice ne saurait être causé du fait de ne pouvoir contre‑interroger l’auteur d’un affidavit sur des questions non pertinentes.

 

4.         La preuve dont disposait la Cour fédérale pouvait‑elle soulever une ou plusieurs questions de crédibilité ne pouvant être tranchées qu’à la suite d’un procès?

 

[15]           L’appelante soutient que la preuve produite donne lieu à une question de crédibilité qui [traduction] « nécessite un procès devant un juge de première instance ».

 

[16]           Le juge a disposé de cette question aux paragraphes 103 et 104 de ses motifs :

La demanderesse a fait valoir que les différences entre les éléments de preuve qu’elle a produits et ceux de M. Grossi donnent lieu à une question de crédibilité qui ne peut pas être tranchée dans le cadre d’une requête en jugement sommaire, mais plutôt dans le cadre d’un procès (Suntec Environmental, précitée).

 

Je ne suis pas d’accord. Pour tirer mes conclusions dans le cadre de la présente requête, je n’étais pas tenu de faire un choix entre les éléments de preuve contradictoires que M. Grossi et la demanderesse ont présentés. Pour les motifs déjà mentionnés, j’ai conclu que la demanderesse n’a pas établi de faits précis ni produit d’éléments de preuve qui soulèvent une véritable question litigieuse quant au fait de savoir si la défenderesse a manqué à son obligation implicite de traiter équitablement la demanderesse au moment d’étudier les soumissions.

 

 

[17]           L’appelante n’a pas établi que le juge avait commis dans son appréciation de la preuve une erreur manifeste et dominante qui justifierait l’intervention de notre Cour. Plus particulièrement, l’appelante n’a cité aucun exemple de situation où le juge était tenu de faire un choix entre des éléments de preuve réellement contradictoires.

 

[18]           Lors de sa plaidoirie, l’appelante a tenté d’exposer des exemples de situations où la crédibilité de la déposition du témoin de la défenderesse, M. Grossi, a été attaquée.  Par exemple, M. Grossi a clairement fait état dans son affidavit des renseignements et des rapports sur lesquels a été fondée la décision d’exclure les soumissions déposées par l’appelante. L’appelante a ensuite attiré l’attention sur une admission de M. Grossi, selon laquelle il n’était pas dans la pièce lorsque la décision a été prise. Cette admission n’est pas en soi un facteur déterminant lorsqu’il s’agit de juger si M. Grossi, qui avait étroitement participé au processus d’appel de soumissions, savait sur quels documents les décideurs s’étaient fondés. M. Grossi aurait très bien pu connaître les documents qui ont été présentés aux décideurs même s’il n’était pas avec eux dans la pièce. Lors des plaidoiries, l’appelante a reconnu que la crédibilité de M. Grossi n’avait jamais directement été attaquée sur la façon dont il avait eu connaissance des renseignements sur lesquels la décision avait été fondée. Par conséquent, il n’y a jamais eu de véritable contradiction dans la preuve à régler.

 

[19]           Lors de la plaidoirie, l’appelante a également soutenu que des préoccupations en matière de crédibilité ont été soulevées parce que le juge n’avait pas rejeté les affidavits qu’elle avait invoqués, de sorte que le juge a été contraint de leur accorder un certain poids. L’appelant n’a cependant présenté aucune preuve directe établissant qu’au moment d’exclure ses soumissions, le décideur savait que les renseignements qui lui avaient été présentés étaient inexacts ou fondés sur des facteurs non pertinents. Au mieux, la preuve présentée par l’appelante mettait en doute l’exactitude de divers avis qui avait été soumis au décideur. Le juge avait le droit de mettre en balance ces éléments de preuve et ceux présentés par la défenderesse, et de statuer que la preuve de l’appelante n’offrait pas un poids suffisant pour créer une véritable question litigieuse.

 

5.         La preuve a‑t‑elle soulevé une véritable question litigieuse?

 

[20]           L’appelante n’a pas démontré que le juge a commis une erreur dans l’articulation des principes juridiques applicables à la requête en jugement sommaire de la défenderesse. Le juge n’a pas non plus commis d’erreur dans l’articulation du contenu juridique de l’obligation d’équité applicable ni dans l’évaluation des critères juridiques auxquels il faut répondre pour établir un manquement à cette obligation.

 

[21]           Le juge a examiné les allégations et les éléments de preuve en ce qui concerne chacune des quatre soumissions. Au paragraphe 30 de ses motifs, le juge a écrit qu’il n’y avait rien dans le dossier de requête de l’appelante :

[...] qui dénote de quelque manière que la défenderesse, à l’époque où elle a pris les décisions de refus, savait que l’un quelconque des faits sur lesquels elle s’était fondée pour prendre ces décisions était faux, erroné ou trompeur. Malgré mes demandes répétées à l’audience, la demanderesse n’a pas pu faire état d’un fondement quelconque à cette prétention, sinon qu’elle croyait simplement que la défenderesse savait que certains de ces faits étaient faux. 

 

 

[22]           Après avoir exposé les allégations générales de la demanderesse et fait état de la preuve, le juge a qualifié les réclamations de la demanderesse comme étant « essentiellement de simples affirmations ou, alors, elles reposent sur des renseignements qui sont apparus de nombreuses années après que la défenderesse a pris la décision d’exclure la soumission de la demanderesse à l’égard de ce projet » qui étaient « manifestement dénuées de tout fondement » (voir les paragraphes 67 et 68 des motifs. Voir aussi les paragraphes 79 et 80, 88 à 94, et 102). Le juge a tiré une conclusion de fait selon laquelle la défenderesse « s’est donnée beaucoup de mal et a engagé des dépenses considérables pour traiter équitablement la demanderesse » (paragraphe 80 des motifs).

 

[23]           L’appelante n’a pas établi que le juge avait commis une erreur manifeste et dominante dans son appréciation de la preuve sur laquelle il s’est fondé pour conclure à l’absence d’une véritable question litigieuse. Il n’y a donc aucune raison justifiant notre intervention.

 

Conclusion

[24]           Pour ces motifs, je suis d’avis de rejeter l’appel avec dépens fixés à la somme forfaitaire de 500 00 $.

 

 

« Eleanor R. Dawson »

j.c.a.

 

 

« Je suis d’accord.

            John M. Evans j.c.a. »

 

« Je suis d’accord.

            K. Sharlow j.c.a. »

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jean‑Jacques Goulet, LL.L.

 

 

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    A‑69‑11

 

 

INTITULÉ :                                                  TREVOR NICHOLAS CONSTRUCTION CO. LIMITED c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Toronto (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 28 mars 2012

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                       LA JUGE DAWSON

 

 

Y ONT SOUSCRIT :                                   LE JUGE EVANS

                                                                        LA JUGE SHARLOW

 

 

DATE DU JUGEMENT :                           Le 11 avril 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

John Susin (administrateur)

Pour son propre compte

 

POUR L’APPELANTE

 

Jacqueline Dais‑Visca

 

POUR L’INTIMÉE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John Susin (administrateur)

Pour son propre compte

 

POUR L’APPELANTE

 

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR L’INTIMÉE

 

 

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