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Cour d’appel fédérale

Federal Court of Appeal

 

 

Date : 20120427

Dossier : A‑357‑11

Référence : 2012 CAF 131

 

CORAM :      LE JUGE EVANS

                        LA JUGE SHARLOW

                        LA JUGE DAWSON

 

ENTRE :

SPIRITS INTERNATIONAL B.V.

appelante

et

 

BCF S.E.N.C.R.L. et

REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE

 

intimés

 

 

 

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 26 mars 2012.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 27 avril 2012.

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                        LA JUGE SHARLOW

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                          LE JUGE EVANS

                                                                                                                         LA JUGE DAWSON

 


Cour d’appel fédérale

Federal Court of Appeal

 

 

Date : 20120427

Dossier : A‑357‑11

Référence : 2012 CAF 131

 

CORAM :      LE JUGE EVANS

                        LA JUGE SHARLOW

                        LA JUGE DAWSON

 

ENTRE :

SPIRITS INTERNATIONAL B.V.

appelante

et

 

BCF S.E.N.C.R.L. et

REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE

 

intimés

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE SHARLOW

[1]               Le 18 juin 2008, à la demande de l’intimée BCF s.e.n.c.r.l. (BCF), le registraire des marques de commerce a envoyé un avis à l’appelante, Spirits International B.V. (Spirits BV), conformément au paragraphe 45(1) de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T‑13. L’avis sommait Spirits BV de démontrer que sa marque de commerce MOSKOVSKAYA RUSSIAN VODKA & Dessin (marque de commerce LMC 208,808) avait été employée au Canada en liaison avec de la vodka au cours des trois années précédentes.

 

[2]               Spirits BV a répondu en produisant deux affidavits. Les affidavits en question ont été examinés par madame P. Fung, agente d’audience de la Commission des oppositions des marques de commerce, qui a conclu que les éléments de preuve présentés n’étaient pas suffisants pour démontrer l’emploi exigé. Le registraire a décidé de radier la marque de commerce (2010 COMC 122).

 

[3]               Spirits BV a interjeté appel à la Cour fédérale en vertu de l’article 56 de la Loi sur les marques de commerce et a soumis un affidavit supplémentaire. Le juge Scott a rejeté l’appel (2011 CF 805). Spirits BV interjette maintenant appel devant notre Cour. Pour les motifs qui suivent, je suis arrivée à la conclusion que l’appel devrait être accueilli.

 

Cadre légal

[4]               La présente affaire concerne une instance introduite en vertu de l’article 45 de la Loi sur les marques de commerce, qui dispose notamment comme suit :

(1) Le registraire peut, et doit sur demande écrite présentée après trois années à compter de la date de l’enregistrement d’une marque de commerce, par une personne qui verse les droits prescrits, à moins qu’il ne voie une raison valable à l’effet contraire, donner au propriétaire inscrit un avis lui enjoignant de fournir, dans les trois mois, un affidavit ou une déclaration solennelle indiquant, à l’égard de chacune des marchandises ou de chacun des services que spécifie l’enregistrement, si la marque de commerce a été employée au Canada à un moment quelconque au cours des trois ans précédant la date de l’avis et, dans la négative, la date où elle a été ainsi employée en dernier lieu et la raison de son défaut d’emploi depuis cette date.

45. (1) The Registrar may at any time and, at the written request made after three years from the date of the registration of a trade‑mark by any person who pays the prescribed fee shall, unless the Registrar sees good reason to the contrary, give notice to the registered owner of the trade‑mark requiring the registered owner to furnish within three months an affidavit or a statutory declaration showing, with respect to each of the wares or services specified in the registration, whether the trade‑mark was in use in Canada at any time during the three year period immediately preceding the date of the notice and, if not, the date when it was last so in use and the reason for the absence of such use since that date.

(2) Le registraire ne peut recevoir aucune preuve autre que cet affidavit ou cette déclaration solennelle, mais il peut entendre des représentations faites par le propriétaire inscrit de la marque de commerce ou pour celui‑ci ou par la personne à la demande de qui l’avis a été donné ou pour celle‑ci.

(2) The Registrar shall not receive any evidence other than the affidavit or statutory declaration, but may hear representations made by or on behalf of the registered owner of the trade‑mark or by or on behalf of the person at whose request the notice was given.

(3) Lorsqu’il apparaît au registraire, en raison de la preuve qui lui est fournie ou du défaut de fournir une telle preuve, que la marque de commerce, soit à l’égard de la totalité des marchandises ou services spécifiés dans l’enregistrement, soit à l’égard de l’une de ces marchandises ou de l’un de ces services, n’a été employée au Canada à aucun moment au cours des trois ans précédant la date de l’avis et que le défaut d’emploi n’a pas été attribuable à des circonstances spéciales qui le justifient, l’enregistrement de cette marque de commerce est susceptible de radiation ou de modification en conséquence.

(3) Where, by reason of the evidence furnished to the Registrar or the failure to furnish any evidence, it appears to the Registrar that a trade‑mark, either with respect to all of the wares or services specified in the registration or with respect to any of those wares or services, was not used in Canada at any time during the three year period immediately preceding the date of the notice and that the absence of use has not been due to special circumstances that excuse the absence of use, the registration of the trade‑mark is liable to be expunged or amended accordingly.

 

 

 

[5]               L’article 45 a été qualifié de mécanisme permettant d’éliminer le « bois mort » du registre des marques de commerce (la juge Desjardins a employé cette expression dans la dissidence qu’elle a exprimée dans l’affaire Boutiques Progolf Inc. c. Marks & Clerk, [1993] A.C.F. no 1363 (QL), au paragraphe 37, 54 C.P.R. (3d) 451 (C.A.F.), à la page 457). Le juge Hugessen explique en des termes un peu plus formels l’objet de l’article 45 dans l’arrêt Berg Equipment Co. (Canada) c. Meredith & Finlayson, [1991] A.C.F. no 1318 (QL), au paragraphe 3, 40 C.P.R. (3d) 409 (C.A.F.), à la page 412 :

L’article 45 prévoit une méthode simple et rapide de radier du registre les marques tombées en désuétude. Il n’est pas censé prévoir un moyen supplémentaire de contester une marque de commerce, autre que la procédure litigieuse courante visée par l’article 57.

La même idée a été reprise dans d’autres décisions : Austin Nichols & Co. c. Cinnabon, Inc. (C.A.F.), [1998] 4 C.F. 569, au paragraphe 14;  United Grain Growers Ltd. c. Lang Michener (C.A.F.), [2001] 3 C.F 102, au paragraphe 16.

 

[6]               L’emploi que l’inscrivant doit démontrer en réponse à l’avis qui lui a été adressé en vertu du paragraphe 45(1) est précisé à l’article 4 de la Loi sur les marques de commerce, dont voici les dispositions pertinentes :

4. (1) Une marque de commerce est réputée employée en liaison avec des marchandises si, lors du transfert de la propriété ou de la possession de ces marchandises, dans la pratique normale du commerce, elle est apposée sur les marchandises mêmes ou sur les colis dans lesquels ces marchandises sont distribuées, ou si elle est, de toute autre manière, liée aux marchandises à tel point qu’avis de liaison est alors donné à la personne à qui la propriété ou possession est transférée.

4. (1) A trade‑mark is deemed to be used in association with wares if, at the time of the transfer of the property in or possession of the wares, in the normal course of trade, it is marked on the wares themselves or on the packages in which they are distributed or it is in any other manner so associated with the wares that notice of the association is then given to the person to whom the property or possession is transferred.

[…]

(3) Une marque de commerce mise au Canada sur des marchandises ou sur les colis qui les contiennent est réputée, quand ces marchandises sont exportées du Canada, être employée dans ce pays en liaison avec ces marchandises.

(3) A trade‑mark that is marked in Canada on wares or on the packages in which they are contained is, when the wares are exported from Canada, deemed to be used in Canada in association with those wares.

 

 

 

[7]               Dans le cadre d’une instance introduite en vertu de l’article 45, l’inscrivant doit démontrer qu’au cours de la période pertinente il a lui‑même employé la marque ou que celle‑ci a été utilisée par une autre personne d’une manière qui lui a profité (Marcus c. Quaker Oats Co. (1988), 20 C.P.R. (3d) 46, aux pages 51 et 52 (C.A.F.)). L’emploi requis de la marque peut être celui d’un licencié si l’inscrivant démontre qu’en vertu de la licence il contrôle, directement ou indirectement, les caractéristiques ou la qualité des marchandises selon le paragraphe 50(1) de la Loi sur les marques de commerce (House of Kwong Sang Hong International Ltd. c. Borden Ladner Gervais, 2004 CF 554, au paragraphe 22).

 

[8]               Le fardeau qui incombe à l’inscrivant pour démontrer l’emploi dans le cadre d’une instance introduite en vertu de l’article 45 n’est pas très lourd. Un affidavit ou une déclaration solennelle suffira si on y trouve une description factuelle de l’emploi de la marque en cause qui démontre que les conditions de l’article 4 sont respectées (Eclipse International Fashions Canada Inc. c. Shapiro Cohen, 2005 CAF 64, au paragraphe 6 (voir également les arrêts Central Transport, Inc. c. Mantha & Associés/Associates, [1995] A.C.F. no 1544 (QL), 64 C.P.R. (3d) 354 (C.A.F.), et Plough (Canada) Ltd. c. Aerosol Fillers Inc. (C.A.F.), [1981] 1 C.F. 679)). Il est toujours loisible au registraire, en tant que juge des faits, de tirer des conclusions raisonnables des faits qui sont énoncés dans l’affidavit ou dans la déclaration solennelle.

 

[9]               Aux termes du paragraphe 56(1) de la Loi sur les marques de commerce, la décision rendue par le registraire en vertu du paragraphe 45(1) peut être portée en appel devant la Cour fédérale. Le paragraphe 56(5) permet à l’appelant de présenter des éléments de preuve supplémentaires dans le cadre d’un tel appel.

 

Norme de contrôle

[10]           Dans le cadre de l’appel d’une décision rendue en vertu du paragraphe 45(1) de la Loi, c’est la norme de contrôle de la décision raisonnable que la Cour fédérale doit appliquer aux conclusions de fait tirées par le registraire et aux décisions qu’il rend en vertu de son pouvoir discrétionnaire. Toutefois, si le juge conclut que les éléments de preuve supplémentaires qui lui ont été soumis en appel auraient influé substantiellement sur les conclusions de fait du registraire ou sur l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, le juge doit tirer ses propres conclusions au sujet de la question à laquelle se rapportent les éléments de preuve supplémentaires en question (Brasseries Molson c. John Labatt Ltée (C.A.F.), [2000] 3 C.F. 145, au paragraphe 51).

 

[11]           Le rôle de la notre Cour consiste à décider si le juge de première instance a choisi et appliqué correctement la norme de contrôle en question (Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226, 2003 CSC 19, aux paragraphes 43 et 44).

 

[12]           Dans le cas d’un appel interjeté en vertu de l’article 56 de la Loi sur les marques de commerce dans lequel des éléments de preuve supplémentaires ont été soumis à la Cour fédérale, notre Cour doit également examiner la conclusion tirée par le juge de première instance sur la question de savoir si les éléments de preuve supplémentaires qui lui ont été soumis auraient influé substantiellement sur les conclusions de fait du registraire ou sur l’exercice de son pouvoir discrétionnaire. Il s’agit là d’une question mixte de fait et de droit; la conclusion du juge de première instance sera donc maintenue à moins qu’il n’ait commis une erreur manifeste et dominante ou une erreur de droit isolable (Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235).

 

Analyse

[13]           La marque de commerce en cause a été enregistrée en 1974 à la demande du prédécesseur de Spirits BV, laquelle est devenue l’inscrivante en 1999. La demande initiale faisait état de l’emploi de cette marque au Canada depuis juin 1966 en liaison avec de la vodka.

 

[14]           Le 18 juin 2008, le registraire a envoyé à Spirits BV un avis lui enjoignant de démontrer que la marque en cause avait été employée au Canada en liaison avec de la vodka au cours de la période de trois ans précédant l’avis (c.‑à‑d. du 18 juin 2005 au 18 juin 2008). En réponse à cet avis, Spirits BV a soumis deux affidavits.

 

[15]           Un des affidavits, qui avait été signé par le professeur Michael S. Mulvey le 12 décembre 2008, abordait uniquement la question de savoir si la marque effectivement employée par Spirits BV au cours de la période pertinente était sensiblement différente de celle qui avait été enregistrée. Le juge de première instance a tranché cette question en faveur de Spirits BV, et cette question n’est pas en litige dans le présent appel. Il n’est donc pas nécessaire de s’attarder davantage à l’affidavit de monsieur Mulvey.

 

[16]           L’autre affidavit soumis au registraire était celui qu’avait signé monsieur Pavel Fedoryna le 11 décembre 2008. Cet affidavit était censé démontrer que la marque en question avait été employée en liaison avec de la vodka au cours de la période pertinente.

 

[17]           Dans l’affidavit de monsieur Fedoryna, tous les actes se rapportant à l’emploi de la marque de commerce en cause étaient attribués à [traduction] « MA SOCIÉTÉ ». Cette expression était employée dans l’affidavit pour désigner un groupe de sociétés liées (le Groupe SPI) qui comprenait une société suisse, soit S.P.I. Group SA, ainsi que certaines autres sociétés contrôlées par elle, dont Spirits BV.

 

[18]           L’affirmation suivant laquelle une marque a été employée par un groupe dont l’inscrivante fait partie est, de par sa nature, ambiguë. En soi, elle ne peut démontrer que la marque a été employée par l’inscrivante ou par un autre membre du groupe au profit de l’inscrivante. C’est ce que l’agente d’audience explique clairement aux paragraphes 11 et 12 des motifs de sa décision (non souligné dans l’original) :

¶11. Dans son affidavit, M. Fedoryna affirme en toutes lettres que MA SOCIÉTÉ, et non l’inscrivante, exerçait un contrôle direct ou indirect sur les caractéristiques et sur la qualité de la vodka vendue en liaison avec la Marque au Canada au cours de la période pertinente. À cet égard, les déclarations sous serment du déposant ainsi que le certificat de S.P.I. Group SA produit comme pièce « D » corroborent l’affirmation de l’inscrivante elle‑même selon laquelle elle n’est que l’une des nombreuses entités regroupées sous le nom de MA SOCIÉTÉ. C’est là la seule déclaration fournie par l’inscrivante au sujet du contrôle. Il n’y a pas de description du contrôle lui‑même, ni de copie de l’accord de licence. Aucun détail n’est fourni non plus au sujet des présidents, des administrateurs ou des dirigeants des entités faisant apparemment partie de MA SOCIÉTÉ.

¶12. Lorsque j’examine l’ensemble de la preuve, je ne puis que conclure qu’un groupe de sociétés appelé MA SOCIÉTÉ et composé d’au moins cinq entités distinctes a exercé une forme de contrôle sur les caractéristiques ou sur la qualité des marchandises visées par l’enregistrement au cours de la période pertinente. Bien qu’il soit possible que l’inscrivante appartienne à l’une ou à chacune de ces entités ou qu’elle soit affiliée à celles‑ci, il n’y a tout simplement pas suffisamment d’éléments de preuve au sujet du contrôle pour me permettre de conclure que les ventes des marchandises visées par l’enregistrement en liaison avec la Marque, qu’elles aient été réalisées par MA SOCIÉTÉ ou par l’une des sociétés affiliées, seraient attribuées à l’inscrivante.

 

 

 

[19]           S’appuyant sur cette analyse, le registraire a rendu une ordonnance de radiation. Le juge de première instance a conclu – et j’abonde dans son sens – que la décision du registraire était raisonnable, compte tenu de l’affidavit de monsieur Fedoryna.

 

[20]           Spirits BV a interjeté appel à la Cour fédérale et, à l’appui de son appel, a soumis comme élément de preuve supplémentaire l’affidavit signé par monsieur Dmitry Denisov le 10 novembre 2010. Le juge devait donc examiner si l’affidavit de monsieur Denisov aurait pu influer substantiellement sur la décision du registraire. Le juge de première instance a conclu, au paragraphe 32 de ses motifs, qu’il fallait répondre négativement à cette question étant donné que l’affidavit de monsieur Denisov ne comblait pas les lacunes de celui de monsieur Fedoryna et n’avait pas plus de valeur probante que la preuve soumise au registraire. À mon humble avis, pour les raisons exposées ci-dessous, le juge de première instance ne pouvait raisonnablement tirer cette conclusion.

 

[21]           L’affidavit de monsieur Denisov était censé compléter, et non remplacer, celui de monsieur Fedoryna. Pour cette raison, je commence mon analyse en résumant ce que j’estime être les allégations factuelles pertinentes que l’on retrouve dans les deux affidavits en question :

 

a)                  Spirits BV est le propriétaire inscrit de la marque en cause (affidavit de monsieur Denisov, au paragraphe 5).

 

b)                  La procédure prévue à l’article 45 a été introduite par BCF. À l’époque, BCF représentait Les Distilleries Ltée., société qui était partie à plusieurs autres instances dans lesquelles on contestait la position de Spirits BV à l’égard de demandes d’enregistrement de marques de commerce à être employées en liaison avec de la vodka. Certaines de ces instances sont toujours pendantes (affidavit de monsieur Denisov, aux paragraphes 7 à 12).

 

c)                  Au cours de la période qui est pertinente en l’espèce, S.P.I. Group SA possédait directement 83,5 p. 100 des actions de Spirits BV et était indirectement propriétaire de 100 p. 100 des actions de S.P.I. Spirits (Cyprus) Limited (« Spirits Cyprus ») (affidavit de monsieur Denisov, au paragraphe 13, et pièce DD‑1; affidavit de monsieur Fedoryna, aux paragraphes 1 à 15, et pièce D).

 

d)                 Spirits BV a consenti à Spirits Cyprus une licence l’autorisant à employer la marque en cause en liaison avec de la vodka vendue au Canada au cours de la période pertinente (affidavit de monsieur Denisov, aux paragraphes 17 et 22).

e)                  En vertu de la licence, Spirits BV a établi les normes à respecter quant aux caractéristiques et à la qualité de la vodka qui portait la marque en cause et qui était vendue au Canada au cours de la période pertinente et, pour ce faire, elle a délégué à d’autres sociétés membres du Groupe SPI la tâche de procéder à des vérifications périodiques du respect des normes quant aux caractéristiques et à la qualité fixées par Spirits BV (affidavit de monsieur Denisov, au paragraphe 18).

 

f)                   En vertu de la licence, Spirits BV s’assurait que la marque en cause n’était employée que pour de la vodka qui respectait ses normes (affidavit de monsieur Denisov, au paragraphe 19).

 

g)                  La marque en cause figurait sur les étiquettes apposées sur des bouteilles contenant de la vodka qui avait fait l’objet de vérifications en vertu de la licence et respectait les normes quant aux caractéristiques et à la qualité fixées par la licence et qui était vendue au Canada au cours de la période pertinente (affidavit de monsieur Denisov, au paragraphe 20).

 

h)                  D’après les factures annexées à l’affidavit de monsieur Fedoryna comme preuve des ventes de vodka de marque MOSKOVSKAYA à des acheteurs canadiens, ce produit avait été vendu à des acheteurs canadiens à diverses dates au cours de la période pertinente. Les factures indiquent le nom « Groupe SPI » ainsi que le nom de Spirits Cyprus, laquelle est désignée comme l’auteur de la facture et la personne à qui le paiement devait être fait et, dans certains cas, comme étant l’agent d’expédition (affidavit de monsieur Fedoryna, pièce C).

 

i)                    Dans les factures annexées à l’affidavit de monsieur Fedoryna, le produit désigné sous le nom de MOSKOVSKAYA est la vodka qui a fait l’objet de vérifications, qui respectait les normes et qui a été étiquetée de la manière décrite aux paragraphes précédents, et le nom « SPI Group » qui figure sur certaines des factures indique que Spirits Cyprus faisait partie du Groupe SPI (affidavit de monsieur Denisov, aux paragraphes 17, 22 et 23).

 

j)                    La valeur en dollars des produits vendus au Canada en liaison avec la marque en cause au cours de la période pertinente se chiffre à environ 5,3 millions de dollars (affidavit de monsieur Fedoryna, au paragraphe 13).

 

[22]           À mon avis, ces allégations factuelles, ajoutées aux conclusions que l’on peut raisonnablement en tirer, suffisent pour démontrer l’emploi requis de la marque en cause au cours de la période pertinente. Il s’ensuit que l’agente d’audience aurait pu raisonnablement décider, compte tenu de ces allégations, que la marque en cause ne devait pas être radiée; il s’ensuit également, par conséquent, que l’affidavit de monsieur Denisov aurait pu influer substantiellement sur la décision du registraire.

 

[23]           Le juge de première instance a tiré la conclusion contraire parce qu’il avait retenu plusieurs des arguments invoqués par BCF, notamment en ce qui concerne le rôle joué par Spirits Cyprus, le manque de détails relatifs à la licence et le caractère vague des allégations relatives aux vérifications faites sur la vodka. BCF a repris essentiellement les mêmes arguments devant notre Cour.

 

[24]           Le principal moyen que BCF avait invoqué devant la Cour fédérale et qu’elle a repris devant nous concernait le fait que, dans son affidavit, monsieur Denisov ne déclarait pas expressément que Spirits Cyprus était titulaire d’une licence l’autorisant à employer la marque en cause pour fabriquer ou vendre de la vodka au Canada. Il est toutefois raisonnable d’inférer de l’affidavit de monsieur Denisov, lorsqu’on tient également compte des factures jointes à l’affidavit de monsieur Fedoryna (dont monsieur Denisov fait mention dans son affidavit), qu’aux termes de la licence que Spirits BV lui avait accordée, Spirits Cyprus agissait comme agent de vente au Canada de la vodka portant la marque en cause. BCF n’a cité aucun précédent ni aucune doctrine pour appuyer son argument selon lequel il ne s’agit pas là d’un emploi d’une marque de commerce qui soit suffisant pour satisfaire aux exigences de l’article 4, et je ne vois pas pourquoi cet emploi ne serait pas suffisant.

 

[25]           BCF invoque l’affirmation, dans l’affidavit de monsieur Denisov, que Spirits Cyprus fournit un soutien juridique aux sociétés faisant partie du Groupe SPI comme élément atténuant toute allégation selon laquelle la marque de commerce est employée par Spirits Cyprus. La partie de l’affidavit de monsieur Denisov à laquelle BCF se réfère est celle où l’on trouve des renseignements généraux visant à décrire le rôle de l’auteur de l’affidavit (qui est le directeur du service juridique de Spirits Cyprus) et à expliquer comment et pourquoi il est au courant des faits pertinents. Ces renseignements ne sont pas inconciliables avec l’allégation selon laquelle Spirits Cyprus est un agent de vente en vertu d’une licence.

[26]           BCF invoque également le fait que, dans son affidavit, monsieur Denisov ne précise pas la date à laquelle la licence a pris effet et celle à laquelle elle a expiré. À mon avis, cette omission n’a pas d’importance. L’affidavit de monsieur Denisov indique avec suffisamment de clarté qu’au cours de la période pertinente Spirits Cyprus était autorisée en vertu d’une licence à employer la marque en cause et que les ventes précises sur lesquelles Spirits BV se fonde pour établir l’emploi requis (dont les dates figurent sur les factures) ont eu lieu au cours de la période pertinente. Le fait de préciser le début ou la fin de la licence n’ajouterait rien.

 

[27]           BCF soutient que les affirmations que l’on trouve dans l’affidavit de monsieur Denisov sont trop vagues pour démontrer que Spirits BV exerçait un contrôle suffisant sur les caractéristiques et la nature de la vodka vendue sous la marque en cause au cours de la période pertinente. Je ne suis pas de cet avis. Selon moi, les déclarations dans l’affidavit de monsieur Denisov ne sont pas que de simples assertions que le contrôle exigé par l’article 50 de la Loi sur les marques de commerce était exercé. Il s’agit d’affirmations de fait qui expliquent en quoi Spirits BV avait le contrôle exigé et comment elle l’exerçait.

 

[28]           BCF soutient également que le poids pouvant être accordé à l’ensemble de la preuve est réduit en raison de contradictions entre l’affidavit de monsieur Fedoryna et celui de monsieur Denisov. Or, ce  n’est pas là une façon juste de décrire la situation. En effet, l’affidavit de monsieur Denisov fournit des éclaircissements relativement à l’affidavit de monsieur Fedoryna et y ajoute d’importants détails. Son affidavit ne contredit nullement celui de monsieur Fedoryna.

 

[29]           Enfin, BCF soutient que le fait que l’affidavit de monsieur Denisov dit que les étiquettes portant la marque en cause ont été apposées sur des bouteilles contenant de la vodka, mais non sur les boîtes dans lesquelles la vodka était expédiée aux acheteurs dont le nom figurait sur les factures jointes à l’affidavit de monsieur Fedoryna, porte un coup fatal à la thèse de Spirits BV. On ne sait pas avec certitude si cet argument a été présenté pour la première fois devant notre Cour parce que le juge de première instance n’en fait pas mention. En tout état de cause, cet argument est, selon moi, dénué de fondement. BCF n’a cité aucun précédent à l’appui de l’affirmation suivant laquelle, dans les circonstances de la présente affaire, la marque en cause devait être apposée non seulement sur les bouteilles dans lesquelles le produit était livré aux consommateurs, mais également sur les boîtes dans lesquelles les bouteilles étaient expédiées aux grossistes. Je ne suis pas convaincue que cette affirmation puisse se justifier vu les faits de l’espèce.

 

[30]           Pour ces motifs, je conclus que, compte tenu des deux affidavits qui avaient été présentés, l’agente d’audience aurait raisonnablement pu conclure que l’emploi requis de la marque en cause au cours de la période pertinente avait été démontré, de sorte que l’affidavit de monsieur Denisov aurait pu influer substantiellement sur la décision du registraire. Le juge de première instance aurait dû examiner la question de novo et tirer sa propre conclusion. Comme il ne l’a pas fait, c’est à notre Cour qu’il incombe de le faire. Puisque mon analyse des affidavits m’amène à conclure que l’emploi requis de la marque en cause au cours de la période pertinente a été démontré, Spirits BV doit obtenir gain de cause dans le présent appel.

 

Conclusion

[31]           Je suis d’avis d’accueillir l’appel et d’infirmer le jugement de la Cour fédérale. Rendant le jugement que la Cour fédérale aurait dû rendre, j’accueillerais l’appel interjeté de la décision du registraire et j’annulerais la décision du registraire exigeant la radiation de la marque en cause. Spirits BV a droit à ses dépens, payables par BCF, tant pour l’instance devant notre Cour que pour celle devant la Cour fédérale.

 

« K. Sharlow »

j.c.a.

 

« Je suis d’accord. »

            John M. Evans, j.c.a.

 

« Je suis d’accord. »

            Eleanor R. Dawson, j.c.a.

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Erich Klein, réviseur

 

 

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    A‑357‑11

 

 

APPEL DU JUGEMENT RENDU LE 30 JUIN 2011 DANS LE DOSSIER T‑1642‑10 PAR LE JUGE SCOTT DE LA COUR FÉDÉRALE

 

 

INTITULÉ :                                                  SPIRITS INTERNATIONAL B.V. c. REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE ET BCF S.E.N.C.R.L.

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 26 mars 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                       LA JUGE SHARLOW

 

Y ONT SOUSCRIT :                                   LE JUGE EVANS

                                                                        LA JUGE DAWSON

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 27 avril 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Brian Isaac

Heather Robertson

 

POUR L’APPELANTE

 

Kevin Sartorio

 

POUR LES INTIMÉS

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Smart & Biggar

Toronto (Ontario)

 

POUR L’APPELANTE

 

Gowling Lafleur Henderson LLP

Toronto (Ontario)

 

POUR LES INTIMÉS

 

 

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