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Date : 20120508

Dossier : A‑198‑11

Référence : 2012 CAF 140

 

CORAM :      LA JUGE SHARLOW

                        LE JUGE PELLETIER

                        LE JUGE STRATAS

 

ENTRE :

SURYAKANT KARELIA

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA POUR LE COMPTE DU MINISTRE DES RESSOURCES HUMAINES ET DU DÉVELOPPEMENT DES COMPÉTENCES DU CANADA

défendeur

 

 

 

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 2 mai 2012

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 8 mai 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                        LE JUGE PELLETIER           

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                   LA JUGE SHARLOW

                                                                                                                         LE JUGE STRATAS

 


Date : 20120508

Dossier : A‑198‑11

Référence : 2012 CAF 140

 

CORAM :      LA JUGE SHARLOW

                        LE JUGE PELLETIER

                        LE JUGE STRATAS

 

ENTRE :

SURYAKANT KARELIA

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA POUR LE COMPTE DU MINISTRE DES RESSOURCES HUMAINES ET DU DÉVELOPPEMENT DES COMPÉTENCES DU CANADA

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE PELLETIER

[1]               La demande de contrôle judiciaire vise une décision par laquelle le juge‑arbitre L.‑P. Landry a rejeté l’appel interjeté à l’encontre d’une décision du conseil arbitral (le conseil) de maintenir la conclusion de la Commission de l’assurance‑emploi du Canada (la Commission) selon laquelle M. Karelia avait perdu son emploi en raison d’une inconduite et n’était pas admissible aux prestations d’assurance‑emploi. Pour les motifs exposés ci‑dessous, je rejetterais la demande de contrôle judiciaire.

 

[2]               M. Karelia était un employé de longue date d’un concessionnaire automobile de Toronto qui s’est hissé au fil du temps au poste de gérant du service des pièces. On peut déduire de ce cheminement qu’il a été, pendant la majeure partie de sa carrière, un employé dont le rendement était satisfaisant. Toutefois, au printemps 2009, M. Karelia a commencé à s’absenter du travail, et ce, à tel point qu’à la mi‑août de cette année‑là l’employeur lui a envoyé une lettre pour lui exprimer son mécontentement à cet égard et lui expliquer les conséquences de ses absences sur les activités de l’entreprise. Le dernier paragraphe de la lettre était rédigé comme suit :

[traduction]

Par la présente, nous vous avisons que le fait que vous soyez continuellement absent du travail est inacceptable et que, pour maintenir votre emploi auprès de [l’employeur], vous devez être présent au travail et accomplir vos tâches de manière acceptable. Les mots « de manière acceptable » signifient notamment que vous devez aviser [l’employeur] à l’avance de toute absence nécessaire pour des raisons médicales de sorte que des mesures appropriées puissent être prises pour vous remplacer, fournir un certificat médical subséquent pour justifier votre absence, aviser immédiatement par téléphone lorsqu’il n’est pas possible de fournir un préavis et vous présenter assidûment au travail à l’heure, à moins de raisons médicales ou d’absences autorisées à l’avance.

 

[3]               Par suite de cette lettre, l’assiduité de M. Karelia au travail a été satisfaisante jusqu’en décembre 2009 lorsqu’il s’est encore absenté du travail, du 15 au 18 décembre, sans autorisation préalable et pour des raisons que l’employeur n’a pas jugé particulièrement crédibles (dossier du défendeur, à la page 28). Par conséquent, M. Karelia a été congédié le 16 décembre 2009, mais il n’a reçu la lettre de congédiement que lorsqu’il est retourné à l’établissement de l’employeur le 21 décembre 2009. Par la même occasion, l’employeur a remis à M. Karelia une indemnité équivalant à deux mois de salaire comme mesure de transition.

 

[4]               Pour justifier son absence, M. Karelia a expliqué que, pour plusieurs raisons qui ont évolué avec le temps, il avait décidé de conduire sa fille à Buffalo, New York, le 14 décembre, soit son jour de congé hebdomadaire, afin qu’elle puisse se procurer un billet d’avion bon marché pour se rendre en Angleterre. Il n’a pas appelé à l’avance pour réserver un billet, parce qu’il ne s’attendait pas à ce qu’il soit difficile de trouver un vol. Toutefois, aucun billet n’était disponible pour le 14 décembre, si bien que le nom de sa fille a été inscrit sur une liste d’attente. Aucune place ne s’est libérée les 14  et 15 décembre. M. Karelia a toutefois été informé qu’un vol partirait de l’aéroport Kennedy, à New York, le 16 décembre. Un ami a conduit M. Karelia et sa fille à New York d’où elle a pris un vol le 16 décembre. En revenant à Buffalo pour récupérer sa voiture, M. Karelia et son ami ont été pris dans un accident de la route qui a laissé la voiture de son ami hors d’état de rouler. Ce n’est donc que le samedi soir que M. Karelia est rentré à Toronto.

 

[5]               M. Karelia a communiqué avec un collègue de travail tard dans la soirée du 14 décembre pour lui dire qu’il serait absent du travail le lendemain. Il a communiqué avec l’employeur le matin du 15 décembre pour lui dire qu’il était à l’étranger pour organiser un voyage pour un membre de sa famille et qu’il rentrerait plus tard dans la journée. Il a communiqué de nouveau avec l’employeur le 16 décembre pour lui dire qu’il était toujours à l’étranger et qu’il serait de retour au travail plus tard dans la journée ou le lendemain matin (dossier du défendeur, à la page 31). Suivant l’opinion minoritaire exposée dans la décision du conseil, M. Karelia aurait rappelé son employeur le 17 décembre, mais la lettre de congédiement ne confirme pas ce fait (dossier du défendeur, à la page 33).

 

[6]               Lorsque la Commission a communiqué avec M. Karelia la première fois, celui-ci a dit à l’enquêteur que, le soir du vendredi 11 décembre, sa fille avait décidé qu’elle voulait se rendre en Angleterre pour voir sa famille. Il a affirmé qu’il n’y avait aucune urgence (dossier du défendeur, à la page 29). Lorsqu’il a comparu devant le conseil, toutefois, M. Karelia a affirmé que ce voyage avait principalement pour but de permettre à sa fille de passer un examen médical, en précisant encore une fois qu’il n’y avait rien d’urgent (dossier du défendeur, à la page 46). Dans son avis d’appel au juge‑arbitre, M. Karelia a donné plus de renseignements concernant les circonstances du voyage de sa fille. Il a écrit ce qui suit :

[traduction]

Mon frère qui vit en Angleterre m’a appelé le dimanche 13 décembre pour me demander d’envoyer au plus vite ma fille en Angleterre parce qu’un certain prêtre, médecin ou gourou particulier serait en Angleterre cette semaine‑là et qu’il pourrait obtenir un rendez‑vous spécial avec lui pour ma fille. Nous croyions que, après avoir vu ce prêtre, ma fille serait guérie ou soulagée de plusieurs de ses difficultés.

 

 

[7]               Le dossier ne comporte aucune indication quant à savoir si les faits décrits dans l’avis d’appel ont été mis en preuve devant le juge‑arbitre.

 

[8]               Après son congédiement, M. Karelia a présenté une demande de prestations d’assurance‑emploi à la Commission, mais celle‑ci a refusé sa demande au motif qu’il avait perdu son emploi en raison de sa propre inconduite et qu’il était donc exclu du bénéfice des prestations en vertu de l’article 30 de la Loi sur l’assurance‑emploi, L.C. 1996, ch. 23. M. Karelia a contesté cette décision devant le conseil. Après avoir exposé les faits, le conseil a fait référence à l’arrêt de notre Cour, Canada (Procureur général.) c. Tucker, [1986] 2 C.F. 329, [1986] A.C.F. no 203, à l’appui de la proposition selon laquelle l’inconduite doit être volontaire, délibérée ou à ce point insouciante qu’elle frôle le caractère délibéré. Appliquant cette proposition aux faits de l’affaire, le conseil, à la majorité, a conclu que M. Karelia avait mis en péril son emploi en prenant délibérément la décision de se rendre à Buffalo pendant son jour de congé sans s’accorder plus de temps, en cas de besoin, pour trouver un vol pour sa fille. De l’avis de la majorité, cela équivalait à écarter volontairement la politique de l’employeur, autrement dit les conditions imposées à M. Karelia, en août 2009, par suite de son problème d’absentéisme.

 

[9]               Selon l’opinion minoritaire du conseil, les circonstances atténuantes étaient telles que les actes de M. Karelia ne constituaient pas une inconduite volontaire ou insouciante. Le membre dissident a conclu que M. Karelia était justifié d’attendre un vol à Buffalo et de se rendre ensuite en voiture jusqu’à l’aéroport Kennedy pour que sa fille puisse y prendre un vol. À son avis, M. Karelia, un employé comptant 27 ans de service, [traduction] « ne pouvait absolument pas se douter que son emploi était en danger », décision du conseil, dossier no 054‑025, à la page 12.

 

[10]           M. Karelia a interjeté appel devant le juge‑arbitre, qui a confirmé la décision de la majorité. 

 

[11]           Le juge‑arbitre a examiné les faits et conclu qu’il n’y avait pas lieu d’intervenir. Aucune erreur de droit n’avait été démontrée et la preuve soutenait les conclusions factuelles du conseil. Il a rejeté les observations présentées au nom de M. Karelia qui laissaient entendre que des circonstances atténuantes auraient dû entraîner une sanction moins sévère. Le juge‑arbitre a souligné que la sévérité de la sanction n’est pas une considération pertinente lorsqu’il s’agit de déterminer si le comportement en cause constitue une inconduite au sens de l’article 30 de la Loi sur l’assurance‑emploi.

 

[12]           La norme de la décision correcte s’applique aux conclusions du juge‑arbitre portant sur des questions de droit, alors que celle de la décision raisonnable entre en jeu lorsqu’il s’agit de l’application du droit aux faits : voir Canada (Procureur général) c. Lemire, 2010 CAF 314, [2010] A.C.F. no 1429, au paragraphe 8 [Lemire], MacNeil c. Canada (Commission de l’assurance‑emploi), 2009 CAF 306, [2009] A.C.F. no 1358, au paragraphe 20 [MacNeil]. La détermination par le juge‑arbitre de la norme qui doit être appliquée à la décision du conseil est une question de droit et, par voie de conséquence, elle est susceptible de contrôle par notre Cour suivant la norme de la décision correcte : voir Lemire, précité, au paragraphe 9, et MacNeil, précité, au paragraphe 20.

 

[13]           En l’espèce, le juge‑arbitre a correctement déterminé et appliqué la norme de contrôle.

 

[14]           L’avocat de M. Karelia a allégué que les incohérences factuelles entre la décision du conseil et la décision du juge‑arbitre étaient telles que le juge‑arbitre aurait dû renvoyer l’affaire au conseil pour qu’une autre décision soit rendue. Il a particulièrement insisté sur le fait que le conseil a conclu que le voyage de la fille de M. Karelia n’avait rien d’urgent alors que le juge‑arbitre reconnaissait selon lui le caractère urgent du voyage en raison de l’appel téléphonique du frère de M. Karelia reçu le dimanche soir.

 

[15]           À mon avis, le conseil n’a commis aucune erreur en s’appuyant sur la preuve présentée par M. Karelia qui démontrait qu’il n’y avait rien d’urgent. Si M. Karelia avait d’autres éléments de preuve à présenter concernant d’autres faits que le conseil aurait dû examiner, le recours dont il disposait était prévu à l’article 120 de la Loi sur l’assurance‑emploi, qui est rédigé comme suit :

 

 

120. La Commission, un conseil arbitral ou le juge‑arbitre peut annuler ou modifier toute décision relative à une demande particulière de prestations si on lui présente des faits nouveaux ou si, selon sa conviction, la décision a été rendue avant que soit connu un fait essentiel ou a été fondée sur une erreur relative à un tel fait.

120. The Commission, a board of referees or the umpire may rescind or amend a decision given in any particular claim for benefit if new facts are presented or if it is satisfied that the decision was given without knowledge of, or was based on a mistake as to, some material fact.

 

[16]           La question de savoir si le conseil aurait donné suite à une requête en réexamen, fondée sur cette disposition, en raison de renseignements dont M. Karelia disposait depuis le début est une tout autre question.

 

[17]           Toutefois, le juge‑arbitre n’a pas commis d’erreur en ne modifiant pas la conclusion de fait du conseil sur ce point.

 

[18]           L’avocat de M. Karelia a également fait valoir que la présente affaire diffère de celles où le congédiement du prestataire est attribuable à une conduite répréhensible comme l’alcoolisme, la consommation de drogues ou la vente de cigarettes de contrebande : voir par exemple Lemire, précité, au paragraphe 17; Canada (Procureur général) c. Bigler, 2009 CAF 91, [2009] A.C.F. no 365, aux paragraphes 7 et 8; Canada (Procureur général) c. Marion, 2002 CAF 185, [2002] A.C.F. no 711, aux paragraphes 2 et 3. Il a avancé que M. Karelia ne pouvait être blâmé pour la conduite à l’origine de son congédiement qui témoignait tout simplement du désir d’un père de faire le nécessaire pour sa famille. Pour cette raison, son comportement ne devrait pas être considéré comme une inconduite volontaire. En toute déférence, cette considération importe peu en l’espèce. La conduite pertinente est celle liée à l’emploi. Le conseil a conclu que M. Karelia s’était comporté d’une manière qui démontrait une indifférence volontaire à l’égard des conditions établies par l’employeur concernant son assiduité au travail et ce comportement a entraîné son congédiement. Cette conclusion est étayée par une preuve abondante. De plus, les décisions invoquées par le demandeur qui émanent d’autres tribunaux et qui portent sur d’autres définitions d’origine législative du mot « inconduite » ne sont guère utiles étant donné que nous sommes liés par la jurisprudence de notre Cour. Le juge‑arbitre n’a donc commis aucune erreur en n’intervenant pas.

 

[19]           Enfin, l’avocat a allégué que le conseil et le juge‑arbitre avaient fait erreur en considérant que M. Karelia a été congédié pour motif valable et en inférant de cette considération son inconduite volontaire. L’avocat a laissé entendre que le fait que M. Karelia a reçu deux mois de salaire lorsqu’il a été congédié et le fait que des mesures disciplinaires progressives n’ont pas été prises ne s’accordaient pas avec l’idée qu’il s’agisse d’un congédiement pour motif valable.

 

[20]           Le régime d’assurance‑emploi ne vise pas à déterminer si un employé a été congédié pour un motif valable. La seule question que soulève la présente affaire est celle de savoir si M. Karelia a perdu son emploi en raison de son inconduite volontaire ayant pour effet de l’exclure du bénéfice des prestations. Il ressort clairement de la jurisprudence que l’inconduite et le motif valable de congédiement sont des concepts distincts : Canada (Procureur général) c. McNamara, 2007 CAF 107, [2007] A.C.F. no 364, au paragraphe 22; Fakhari c. Canada (Procureur général), [1996] A.C.F. no 653, 197 N.R. 300, au paragraphe 3; Canada (Procureur général) c. Jewell, [1994] A.C.F. no 1584, 175 N.R. 350, aux paragraphes 6 et 7. La jurisprudence se rapportant à l’inconduite est nettement moins clémente que celle se rapportant au motif valable de congédiement. Par conséquent, les arguments concernant le motif valable ne sont pas pertinents dans l’examen de la question de savoir s’il y a eu inconduite volontaire de la part du demandeur au sens de la Loi de l’assurance‑emploi.

 

[21]           Pour les motifs exposés ci‑dessus, je rejetterais l’appel.

 

« J.D. Denis Pelletier »

j.c.a.

 

« Je suis d’accord

            K. Sharlow, j.c.a. »

 

« Je suis d’accord

David Stratas, j.c.a. »

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Mario Lagacé, jurilinguiste

 

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    A‑198‑11

 

INTITULÉ :                                                  SURYAKANT KARELIA c.
PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA POUR LE COMPTE DU MINISTRE DES RESSOURCES HUMAINES ET DU DÉVELOPPEMENT DES COMPÉTENCES DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 2 mai 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                       LE JUGE PELLETIER

 

Y ONT SOUSCRIT :                                   LA JUGE SHARLOW

                                                                        LE JUGE STRATAS

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 8 mai 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Philip H. Horgan et Gemma Fox (stagiaire)

Toronto (Ontario) M5A 4K2

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Derek Edwards

Toronto (Ontario) M5X 1K6

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Philip Horgan Law Office,

Avocats

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Myles J. Kirvan,

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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