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Date : 20120523

Dossier : A‑74‑12

Référence : 2012 CAF 152

 

En présence de monsieur le juge Pelletier

 

ENTRE :

BELL HELICOPTER TEXTRON CANADA LIMITÉE

appelante

et

EUROCOPTER

intimée

 

 

 

Requête jugée sur dossier sans comparution des parties

 

Ordonnance délivrée à Ottawa (Ontario), le 23 mai 2012

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :   LE JUGE PELLETIER

 


Date : 20120523

Dossier : A‑74‑12

Référence : 2012 CAF 152

 

En présence de monsieur le juge Pelletier

 

ENTRE :

BELL HELICOPTER TEXTRON CANADA LIMITÉE

appelante

et

EUROCOPTER

intimée

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

LE JUGE PELLETIER

  • [1] La Cour est saisie d’une requête visant à arrêter le contenu du dossier d’appel, une des premières étapes à franchir dans le cas d’un appel interjeté à l’encontre d’une décision de la Cour fédérale dans une action portant sur un brevet. Ainsi qu’il arrive fréquemment dans le cas d’actions comportant une quantité abondante de documents, les parties ont préparé un recueil conjoint de documents en vue de l’utiliser au procès. La question soulevée par la présente requête est celle de savoir si les documents qui se trouvent dans ce recueil conjoint, mais qui n’ont pas été cotés au procès devraient faire partie du dossier d’appel.

 

  • [2] La pratique consistant à préparer des recueils conjoints de documents vise à simplifier la gestion des documents dans les procès complexes. Cette mesure aide toutes les personnes présentes dans la salle d’audience – avocats, juge, agents du greffe – à gérer des liasses de documents en les rassemblant et en utilisant un système uniforme d’identification. Il serait impossible de bien gérer les grands procès sans un tel système.

 

  • [3] Des problèmes surgissent toutefois lorsque les parties n’ont pas clairement précisé quelle utilisation elles entendent faire de ces documents au procès.

 

  • [4] Il y a deux questions à résoudre lorsqu’on a affaire à des preuves documentaires. En premier lieu, il faut établir l’authenticité des documents. À de rares exceptions près, la preuve de l’authenticité est relativement simple. Un témoin est appelé à la barre pour expliquer qu’il est l’auteur du document et confirmer que la signature qui y figure est bien la sienne. À l’ère électronique, des considérations légèrement différentes entrent en jeu, mais elles ne sont pas plus litigieuses que dans le cas des documents écrits. Par conséquent, il n’est pas inusité que les parties s’entendent pour dire que les documents se trouvant dans leur recueil conjoint ont été établis par leur auteur apparent à la date qui y est indiquée.

 

  • [5] La question plus épineuse à résoudre est celle de l’utilisation des documents pour établir la véracité de leur contenu. Cette question est intrinsèquement liée à la règle de l’irrecevabilité de la preuve par ouï‑dire et aux diverses exceptions à cette règle, notamment celles relatives aux documents commerciaux. Le processus peut être simplifié si les parties s’entendent pour dire qu’un document fait foi de la véracité de son contenu. Mais, comme c’est le cas en l’espèce, une autre étape doit être franchie. Le fait que le document se trouve dans un recueil conjoint de documents et que son authenticité et la véracité de son contenu soient admises ne suffit pas pour lui conférer valeur de preuve au procès. La compilation de documents dans un recueil conjoint de sources répond à des soucis de commodité et de gestion en ce qui concerne la documentation et non aux exigences de la preuve.

 

  • [6] La façon dont les documents pourront être utilisés au cours de l’instance pourra être déterminée au fur et à mesure que chaque document sera présenté en preuve ou encore faire l’objet d’une entente entre les parties ou une combinaison des deux.

 

  • [7] En l’espèce, les parties ont déposé un recueil conjoint contenant 540 documents ainsi que divers actes de procédure et ordonnances. Les deux parties ont reconnu l’authenticité de la plupart de ces 540 documents. Toutefois, seulement 14 de ces documents ont fait l’objet d’admissions par les deux parties permettant qu’ils soient considérés pour la véracité de leur contenu. L’une d’elles, Bell Helicopter Textron Canada Limitée (Bell Helicopter), a admis que 93 documents faisaient foi de la véracité de leur contenu tandis que l’autre partie, Eurocopter, a formulé cette admission à l’égard de six des 541 documents se trouvant dans le recueil conjoint de documents.

 

  • [8] Comme nous l’avons déjà expliqué, dans le cadre de la présente requête il s’agit de déterminer si seuls les documents qui ont été cotés comme pièces au procès devraient faire partie du dossier d’appel. La requérante, Bell Helicopter, adopte ce point de vue. L’intimée, Eurocopter, souhaite verser au dossier d’appel tous les autres documents du recueil conjoint, c’est‑à‑dire environ 231 documents. De ce nombre, 51 documents proviennent du groupe de documents ayant fait l’objet d’une admission de la part de Bell Helicopter quant à la véracité de leur contenu, tandis que les 182 autres documents ne sont pas visés par une telle admission. Qui plus est, Eurocopter cherche à inclure dans le dossier d’appel un document qui a été présenté comme pièce au procès, mais qui a été écarté par le juge de première instance au cours du procès.

 

  • [9] Au procès, la question de la valeur des documents se trouvant dans le recueil conjoint de documents a été soulevée. La décision du juge de première instance est reproduite intégralement ci‑dessous :

  [traduction]

Me ROBINSON : Suivant ce que nous croyons comprendre du recueil conjoint, Monsieur le Juge, il s’agit d’un mécanisme dont les parties et la Cour se servent pour plus de commodité, mais un document n’est déposé en preuve qu’au moment où il est soumis par un témoin ou par un autre moyen, notamment par certification.

 

Je soutiens donc...

 

LA COUR : Eh bien, son acceptation est assujettie aux réserves que les parties ont formulées dans leur tableau.

 

Me ROBINSON : Cela me convient.

 

LA COUR : Il y a donc des éléments qui, à mon avis, ont déjà été soumis à la Cour, en l’occurrence, toutes les pièces dont l’authenticité et la véracité du contenu, le cas échéant, font l’objet d’une admission. Il n’est donc pas nécessaire que ces documents soient déposés officiellement par un témoin. C’est là mon opinion.

 

Par contre, pour ce qui est des éléments de preuve dont l’authenticité a été admise, mais dont la véracité du contenu n’est pas admise, s’ils sont déposés pour établir l’existence du document... eh bien, cela ne pose pas de problème.

 

Mais s’ils sont déposés pour établir l’existence de leur contenu, alors il incombera à la partie qui souhaite utiliser ce document pour en établir la véracité de faire comparaître un témoin devant la Cour, et ce témoin pourrait, selon la teneur du document, affirmer ou non qu’autant qu’il le sache, tout ce que ce document contient est véridique. C’est en gros ce qui pourrait se produire.

 

Ainsi donc, sous réserve de ce qui précède, il faudra effectivement faire entendre des témoins et si, en fin de compte, aucun témoin ne comparait pour établir la véracité de contenu d’un document censé être utilisé pour établir la preuve de son contenu, il ne pourra probablement être utilisé que pour démontrer l’ordre chronologique ou pour établir si une mise en demeure a été reçue, par exemple.

 

  • [10] Si je comprends bien la décision du juge, les documents dont l’authenticité a été admise et à l’égard desquels il a été convenu par les deux parties qu’ils pouvaient être utilisés pour établir la véracité de leur contenu devaient être considérés comme des éléments de preuve, sans plus. La partie qui souhaitait utiliser un document pour établir la véracité de son contenu devra, à défaut d’entente, en établir l’admissibilité comme preuve de son contenu. Je conclus que le simple fait qu’un document figure dans le recueil conjoint de documents ne permet pas d’établir son rôle au niveau de la preuve.

 

  • [11] Dans le jugement Bojangles’ International, LLC c. Bojangles Café Ltd., 2006 CAF 291, [2006] A.C.F. no 1306 (Bojangles), la juge Sharlow, de notre Cour, était saisie d’une requête semblable. Eurocopter se fonde sur l’extrait suivant des motifs de ma collègue :

Ce critère est souple. Par exemple, il peut être indiqué d’exclure du dossier d’appel un document qui a été soumis à la juridiction inférieure pour démontrer un fait qui n’est pas en cause en appel. Par contre, il faut l’inclure si l’on peut raisonnablement supposer qu’il sera nécessaire à l’appréciation globale des faits par la cour d’appel. De la même façon, il peut convenir d’exclure un document présenté par une partie qui n’entend pas l’invoquer à l’appui de son argumentation en appel, mais il faudrait l’inclure si la partie adverse peut raisonnablement estimer qu’elle s’en servira à l’appui d’un de ses arguments. De façon générale, il y a lieu d’exclure un élément de preuve si sa seule fonction prévisible est de permettre à une partie de souligner une faiblesse générale dans la preuve présentée par la partie adverse devant la juridiction inférieure.

 

  • [12] L’affaire Bojangles portait sur l’exclusion du dossier d’appel de documents qui avaient été portés à la connaissance de l’auteur de la décision. Cette affaire était un appel présenté sous forme de demande. En pareil cas, la Cour accepte les affidavits et les pièces jointes tels qu’ils lui sont soumis, à moins qu’une objection soit soulevée. Par conséquent, aucun témoignage de vive voix n’a été entendu et aucune question n’a été soulevée au sujet de l’admissibilité des documents. La question qui se posait était celle de savoir si certains affidavits ou certaines des annexes aux affidavits qui avaient été soumis à la Cour fédérale devaient être inclus dans le dossier d’appel du simple fait qu’il s’agissait d’éléments de preuve devant la Cour fédérale.

 

  • [13] La présente affaire est différente en ce sens qu’en l’espèce, le juge de première instance s’est prononcé sur la procédure à suivre pour qu’un document se trouvant dans leur recueil conjoint de documents soit admis en preuve au procès. La présente affaire serait analogue à l’affaire Bojangles si la question qui se posait était celle de l’exclusion du dossier d’appel de documents qui avaient été cotés comme pièces au procès. En fait, il s’agit de la situation inverse en l’espèce, en ce sens que nous sommes appelés à nous prononcer sur l’opportunité d’inclure dans le dossier d’appel des documents qui n’ont pas été cotés comme pièces au procès.

 

  • [14] Je suis d’avis que seuls les documents que le juge de première instance a acceptés en preuve sur la foi des admissions des parties ou encore ceux qui ont été cotés comme pièces lors du procès devraient être inclus dans le dossier d’appel. Seuls quatorze documents sont acceptés en preuve sur la foi des admissions des parties, ceux‑ci étant les seuls à l’égard desquels les deux parties ont réussi à s’entendre. Quant aux documents dont la véracité du contenu a été admise par une partie seulement, il est essentiel de rappeler qu’une telle admission ne permet pas que ce document soit utilisé contre la partie adverse comme preuve de la véracité de son contenu. L’utilisation que l’on peut faire d’un tel document au cours du procès dépend des circonstances. Le document pourrait être présenté en preuve contre la partie qui a fait l’admission, ou encore, il pourrait être utilisé pour contre‑interroger le témoin convoqué par la partie qui a fait l’admission. Ce sont là autant de questions qui n’interviennent qu’au cours du procès lui‑même. Une fois le procès terminé, le dossier de preuve est arrêté de façon définitive.

 

  • [15] Le fait que le juge de première instance ait expliqué dans ses motifs qu’il avait examiné chacune des 540 « pièces » est étonnant, étant donné que seulement 349 de ces documents ont été cotés comme pièces. S’il avait tenu compte de tous les documents se trouvant dans le recueil conjoint de documents ainsi que des autres documents cotés comme pièces, le juge de première instance aurait eu à examiner environ 707 documents, étant donné que la demanderesse a soumis 91 documents qui n’ont pas été versés au dossier conjoint et que l’intimée a présenté 76 documents supplémentaires.

 

  • [16] À la clôture de la preuve, dans un procès dans lequel les parties ont utilisé un recueil conjoint de documents, il convient de retirer du recueil tous les documents qui n’ont pas été cotés comme pièces pour éviter au juge de première instance de devoir consulter constamment ses notes pour vérifier si un document a été déposé en preuve ou non. On élimine ainsi la possibilité de se référer par inadvertance à un document qui n’a pas été soumis régulièrement à la Cour.

 

  • [17] À mon avis, les parties étaient en droit de s’attendre à ce que l’instance se déroule selon la décision que le juge de première instance a rendue à l’ouverture du procès au sujet de la preuve. Si le juge du procès s’est écarté de sa propre décision sans en informer les parties, celles‑ci peuvent s’adresser à notre Cour pour obtenir réparation. Toutefois, pour s’assurer que la formation qui entendra l’appel dispose des documents dont elle a besoin, je vais autoriser l’intimée à préparer un recueil ne contenant que les documents qui n’ont pas été cotés comme pièces et que le juge de première instance a mentionnés dans sa décision. Il reviendra à la formation qui entendra l’appel de se prononcer sur l’utilisation qui peut être faite de ces documents.

 

  • [18] Bell Helicopter a droit à ses dépens, à être taxés.

 

 

« J.D. Denis Pelletier »

j.c.a.

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Chantal DesRochers, LL.B., D.E.S.S. en trad.

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :  A‑74‑12

 

INTITULÉ :  BELL HELICOPTER TEXTRON CANADA LIMITÉE c. EUROCOPTER

 

 

REQUÊTE JUGÉE SUR DOSSIER SANS COMPARUTION DES PARTIES

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :  LE JUGE PELLETIER

 

DATE DES MOTIFS :  Le 23 mai 2012

 

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

 

 

Judith Robinson

Joanne Chriqui

Jean‑Sébastien Brière

 

POUR L’APPELANTE

 

Julie Desrosiers

David Turgeon

Joanie Lapalme

 

POUR L’INTIMÉE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Norton Rose Canada SRL

Montréal (Québec)

 

POUR L’APPELANTE

 

Fasken Martineau DuMoulin SRL

Montréal (Québec)

 

POUR L’INTIMÉE

 

 

 

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