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Cour d'appel fédérale

 

Federal Court of Appeal

Date : 20120613

Dossier : A-242-11

Référence : 2012 CAF 175

 

CORAM :      LA JUGE SHARLOW

                        LE JUGE PELLETIER                 

                        LE JUGE MAINVILLE

 

ENTRE :

ADJUDANT‑MAÎTRE LINDA L. MEGGESON

appelante

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimé

 

 

 

Audience tenue à Vancouver (Colombie‑Britannique), le 16 mai 2012

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 13 juin 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :                                             LE JUGE MAINVILLE

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                   LA JUGE SHARLOW

                                                                                                                      LE JUGE PELLETIER

 

 


Cour d’appel fédérale

 

Federal Court of Appeal

Date : 20120613

Dossier : A‑242‑11

Référence : 2012 CAF 175

 

CORAM :      LA JUGE SHARLOW

                        LE JUGE PELLETIER                 

                        LE JUGE MAINVILLE

 

ENTRE :

ADJUDANT‑MAÎTRE LINDA L. MEGGESON

appelante

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimé

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE MAINVILLE

[1]               La Cour est saisie d’un appel formé contre le jugement du juge Pinard de la Cour fédérale (le juge de première instance) portant le numéro de référence 2011 CF 600, lequel a rejeté la demande de contrôle judiciaire d’une décision datée du 21 juin 2010 par laquelle le Chef d’état-major de la Défense accordait une réparation partielle à l’issue du grief contestant le rapatriement prématuré de l’appelante au Canada à la suite de son déploiement dans la péninsule du Sinaï en Égypte.

 

[2]               L’appelante soulève deux moyens d’appel : a) le juge de première instance a commis une erreur en concluant que la réparation d’une affectation éventuelle telle qu’accordée par le Chef d’état-major de la Défense était raisonnable étant donné que l’appelante est, pour des raisons médicales, inapte de façon permanente pour un tel déploiement; et b) le juge de première instance a également commis une erreur en refusant d’ordonner que la demande de contrôle judiciaire soit instruite comme s’il s’agissait d’une action conformément au paragraphe 18.4(2) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C., 1985, ch. F-7.

 

[3]               Pour les motifs énoncés ci-dessous, je n’accepte pas les arguments invoqués par l’appelante quant au premier moyen d’appel, mais j’accueillerais l’appel sur le deuxième moyen, et j’ordonnerais par conséquent, sous réserve de conditions, que la demande soit instruite comme s’il s’agissait d’une action.

 

Le différend donnant lieu au grief

[4]               L’appelante est membre des Forces canadiennes depuis 1977. En juillet 2006, elle a débuté une assignation d’une période d’une année à titre d’adjudant-maître responsable de la coordination et de la gestion du parc de véhicules de la Force multinationale et Observateurs en Égypte, tout en s’acquittant de tâches secondaires à titre de sergente-major du contingent.

 

[5]               Au début d’octobre 2006, quelques mois suivant son déploiement en Égypte, l’appelante fut unilatéralement rapatriée au Canada. Elle a déposé un grief, par l'entremise de sa chaîne de commandement, conformément à l’article 29 de la Loi sur la défense nationale, L.R.C. 1985, ch. N -5. Le grief a été transmis au Comité des griefs des Forces canadiennes, lequel a présenté ses conclusions et ses recommandations en décembre 2009.

 

[6]               Le Chef d’état-major de la Défense, étant l’autorité de dernière instance en matière de griefs conformément à l’article 29.11 de la Loi sur la défense nationale, a pour l’essentiel suivi les recommandations de ce Comité. Il a conclu que l’équité procédurale n’avait pas été respectée dans le cadre du processus donnant lieu au rapatriement de l’appelante au Canada, et que l’officier ayant ordonné son rapatriement unilatéral avait pris cette décision sans détenir le pouvoir requis.

 

[7]               Bien que l’appelante eût demandé, entre autres, une indemnisation pécuniaire pour la perte des prestations qu’elle aurait reçues au cours des mois qui lui restaient à compléter pour son déploiement en Égypte, le Chef d’état-major de la Défense a soutenu qu’en matière de griefs il n’avait pas le pouvoir d’octroyer une indemnisation pécuniaire pour des services qui n’avaient pas été rendus aux Forces canadiennes, y compris les paiements à titre gracieux. Il a avisé l’appelante que toute demande d’indemnisation pécuniaire devait être soumise au Directeur – Réclamations et contentieux des affaires civiles du ministère de la Défense nationale à titre de réclamation visant l’État.

 

[8]               Le Chef d’état-major de la Défense a toutefois accordé une réparation à l’appelante. Il a ordonné qu’un rapport du service du personnel soit retiré de son dossier, que certaines dépenses en lien avec son déménagement soient remboursées, et qu’elle soit prise en considération pour une assignation advenant qu’une autre occasion de déploiement opérationnel correspondant à ses compétences et à son expérience se présente.

 

Le jugement de la Cour fédérale

[9]               L’appelante a contesté cette décision devant la Cour fédérale au moyen d’une demande de contrôle judiciaire. Elle s’est représentée elle-même tout au long des procédures devant la Cour fédérale. L’appelante a fait valoir que la réparation accordée par le Chef d’état-major de la Défense était inadéquate et déraisonnable. Elle a soulevé deux principaux arguments pour appuyer son allégation.

 

[10]           Premièrement, elle a soutenu que le fait de la prendre en considération pour un redéploiement était une réparation inexécutable. Après son retour de l’Égypte, l’appelante a fait l’objet de restrictions médicales temporaires qui l’empêchaient de participer à un redéploiement. Ces restrictions temporaires sont devenues par la suite des restrictions médicales permanentes, et ce, quelque temps avant le prononcé de la décision définitive sur son grief. Par conséquent, l’appelante a fait valoir que l’offre relative à un redéploiement éventuel était déraisonnable compte tenu de sa disqualification pour des raisons médicales et du refus des Forces canadiennes de lui accorder une dispense médicale.

 

[11]           Deuxièmement, elle a soutenu que le Chef d’état-major de la Défense aurait dû faire parvenir directement au Directeur – Réclamations et contentieux des affaires civiles du ministère de la Défense ses demandes d’indemnisation pécuniaire accompagnées d’une recommandation  qu’elles soient favorablement examinées et approuvées.

 

[12]           Par conséquent, l’appelante a demandé que la Cour fédérale rende différentes ordonnances pour faire en sorte qu’elle soit déployée à son ancien poste en Égypte ou, alternativement, que les indemnités et les prestations dont elle a été privée en raison de son rapatriement prématuré de l’Égypte lui soient versées. Elle a également demandé, à titre de réparation alternative, une ordonnance autorisant que la demande de contrôle judiciaire soit instruite comme une action en dommages-intérêts.

 

[13]           Appliquant la norme de la décision raisonnable à la décision sur le grief, le juge de première instance a conclu que le Chef d’état-major de la Défense n’était pas tenu de prendre en considération le fait que l’appelante était inapte au déploiement sur le plan médical. Le juge de première instance a conclu que le Chef d’état-major de la Défense ne disposait pas de ces renseignements lorsqu’il a ordonné la réparation qui s’imposait. Le juge de première instance a également conclu que l’on avait offert à l’appelante une occasion de présenter ces renseignements aux autorités des griefs avant que ne soit rendue la décision définitive sur son grief, mais qu’elle ne s’est pas prévalue de cette occasion. Par conséquent, il a conclu a) que rien n’indiquait que la réparation accordée était déraisonnable vu les circonstances de l’affaire, et b) qu’il n’existait aucun fondement juridique sur lequel la Cour fédérale aurait pu ordonner son redéploiement en dépit de son état de santé.

 

[14]           En outre, le juge de première instance a affirmé que le Chef d’état-major de la Défense a correctement conclu qu’il ne possédait pas le pouvoir d’accorder l’indemnisation pécuniaire demandée par l’appelante dans le cadre d’un grief. Le juge de première instance a par ailleurs refusé soit a) d’ordonner au Chef d’état-major de la Défense de faire parvenir au Directeur – Réclamations et contentieux des affaires civiles du ministère de la Défense nationale les réclamations pécuniaires avec la recommandation qu’elles soient accordées, ou soit b) d’ordonner que la demande de contrôle judiciaire soit instruite comme s’il s’agissait d’une action en dommages-intérêts. Le fondement de ces refus a été énoncé comme suit au paragraphe 24 des motifs du juge de première instance :

Premièrement, il incombe à la demanderesse elle-même, et non au CEMD [Chef d’état-major de la Défense], de présenter au DRCAC [Directeur – Réclamations et contentieux des affaires civiles] une réclamation étayée, comme cela lui a été suggéré dans la décision. Deuxièmement, sauf circonstances extraordinaires, il est trop tard pour que la Cour, à l’instruction de la demande de contrôle judiciaire, accueille la requête visant à ce que la demande soit instruite comme s’il s’agissait d’une action conformément au paragraphe 18.4(2) de la Loi sur les Cours fédérales. Une telle requête devrait et aurait dû être faite à un stade bien antérieur de la demande de contrôle.

 

La réparation accordée était‑elle raisonnable?

[15]           Le premier moyen d’appel met en cause le caractère raisonnable de la réparation accordée par le Chef d’état-major de la Défense. L’appelante soutient que le juge de première instance a commis une erreur en concluant que rien dans le dossier n’indiquait qu’elle était inapte à un futur déploiement. Par conséquent, compte tenu de la preuve médicale disponible, un déploiement éventuel ne constituait pas une forme raisonnable de réparation.

 

[16]           Il n’est pas contesté que le Comité des griefs des Forces canadiennes savait que des restrictions médicales temporaires s’appliquaient à l’appelante à des fins professionnelles et géographiques. Or, ces restrictions se sont plus tard révélées permanentes. Toutefois, les parties ne s’entendent pas sur la question de savoir si ce Comité savait ou aurait dû savoir que l’appelante faisait l’objet de restrictions médicales permanentes qui l’auraient exclue d’un déploiement opérationnel.

 

[17]           L’appelante fait remarquer que le Comité des griefs des Forces canadiennes lui a demandé une autorisation écrite lui permettant d’accéder à ses dossiers du service du personnel et médicaux, ce à quoi elle a consenti. Elle en conclut que le Comité, lorsqu’il a recommandé un déploiement éventuel, ne pouvait ignorer les renseignements médicaux confirmant qu’elle avait été jugée inapte de manière permanente pour un déploiement opérationnel.

 

[18]           Je rejette les arguments de l’appelante sur ce moyen d’appel.

 

[19]           Premièrement, le fait que les autorités des griefs savaient que l’appelante faisait l’objet de restrictions temporaires ne rend pas déraisonnable la réparation qui lui a été accordée. Les restrictions temporaires n’étant censées s’appliquer que pendant une période de temps limitée, un déploiement éventuel était par conséquent une réparation pouvant éventuellement s’avérer efficace. Dans ces circonstances, une telle réparation appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

[20]           Deuxièmement, bien que le Comité des griefs des Forces canadiennes eût pu se livrer à une analyse plus approfondie et actualisée de la classification médicale attribuée à l’appelante avant de présenter sa recommandation à l’égard de la réparation, il n’en demeure pas moins que l’appelante a eu la possibilité de corriger toute lacune qu’elle aurait perçue dans la réparation recommandée fondée sur sa classification médicale, mais elle ne l’a pas fait.

 

[21]           Le Comité des griefs des Forces canadiennes a présenté ses conclusions et ses recommandations à l’appelante le 1er décembre 2009. Dans sa lettre d’accompagnement, il a avisé l’appelante qu’elle pouvait formuler des commentaires ou fournir des documents pertinents qui seraient soumis au Chef d’état-major de la Défense aux fins d’examen avant qu’il ne rende sa décision définitive sur le grief :

[TRADUCTION]

 

Après avoir examiné les [conclusions et recommandations], vous pouvez si vous le désirez formuler des commentaires ou fournir d’autres documents pertinents au [Directeur – Réclamations et contentieux des affaires civiles] aux fins d’examen par [l’autorité de dernière instance]. Le cas échéant, vous devez indiquer vos intentions au moyen du formulaire ci-joint que vous devez remplir, signer et ensuite transmettre au [Directeur général – Autorité des griefs des Forces canadiennes] dans les 21 jours civils suivant la réception de la présente lettre…

 

(Dossier d’appel, à la p. 667)

 

[22]           L’appelante a bien fourni des commentaires supplémentaires au Directeur général – Autorité des griefs des Forces canadiennes le 9 janvier 2010, mais aucun de ceux-ci n’avait trait aux conséquences de ses restrictions médicales permanentes sur la proposition d’un  redéploiement opérationnel éventuel. Bien que l’appelante ait, à cette date, fait l’objet de restrictions médicales permanentes qui l’auraient exclue d’un déploiement opérationnel, elle n’a pas fait état de ce fait, ni n’a-t-elle contesté pour ce motif le redéploiement éventuel qui était proposé. L’appelante a formulé des commentaires concernant son état de santé seulement lorsqu’elle a abordé ses demandes d’indemnisation pécuniaire, ajoutant une observation sibylline selon laquelle le rapport du Comité [TRADUCTION] « ne semble pas aborder la répercussion négative sur ma santé et mon bien-être transmise au Comité et versée à mon dossier » (Dossier d’appel, à la p. 694).

 

[23]           Cette observation diffère des commentaires clairement exprimés par l’appelante à l’intention de l’Autorité des griefs des Forces canadiennes peu après la présentation de la décision définitive du Chef d’état-major de la Défense. En effet, c’est dans un courriel en date du 11 août 2011 que l’appelante a soulevé pour la première fois les répercussions qu’auraient ses restrictions médicales sur les occasions de déploiement :

[TRADUCTION]

 

Le CEMD [Chef d’état-major de la Défense] a ordonné que je sois prise en considération pour l’exécution de fonctions si une autre occasion de déploiement correspondant à mes compétences et à mon expérience se présentait. Veuillez également noter qu’aucune condition supplémentaire n’est rattachée à l’offre du CEMD. Par conséquent, je présume après avoir pris connaissance de la décision du CEMD que des dispenses seront fournies dans tous les secteurs exigés, y compris l’aptitude médicale, aux fins de la mise en œuvre de l’ordonnance du CEMD.

 

J’ai communiqué avec le gestionnaire des carrières afin de voir quelle tournée serait proposée. À l’heure actuelle, je fais partie d’une catégorie médicale qui m’empêcherait d’être déclarée apte au déploiement opérationnel. Je prendrais en considération tout déploiement opérationnel que pourrait proposer le GC, mais je préfère retourner à mon ancien poste en Égypte, dans le cadre de l’OPÉRATION CALUMET, si mon état de santé ne constitue pas un problème ou s’il fait l’objet d’une dérogation.

 

(Dossier d’appel, aux p  300 et 301)

 

[24]           Si l’appelante avait formulé ces commentaires en temps opportun avant que la décision définitive sur son grief ne soit rendue, elle aurait pu faire valoir ses arguments quant au caractère déraisonnable de la réparation qui lui a été accordée. Toutefois, elle a choisi de soulever ses restrictions médicales seulement après le prononcé de la décision définitive et aux fins de l’obtention d’une dérogation ex post facto quant à ces restrictions.

 

[25]           Dans les circonstances de ce litige, et prenant en considération le fait que l’appelante n’a pas soulevé ses restrictions médicales en temps opportun, je ne constate aucune erreur susceptible de contrôle dans la conclusion du juge de première instance portant que la réparation accordée était raisonnable.

 

Le juge de première instance a‑t‑il commis une erreur en refusant d’ordonner que la demande soit instruite comme s’il s’agissait d’une action?

 

[26]           Le paragraphe 18.4(2) de la Loi sur les Cours fédérales dispose de ce qui suit :

*       (2) Elle peut, si elle l’estime indiqué, ordonner qu’une demande de contrôle judiciaire soit instruite comme s’il s’agissait d’une action.

 

*       (2) The Federal Court may, if it considers it appropriate, direct that an application for judicial review be treated and proceeded with as an action.

 

 

[27]           L’appelante a notamment demandé les réparations suivantes dans son avis de demande de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale :

[traduction]

La demanderesse soumet une demande en vue d’obtenir :

[…]

b) Une ordonnance enjoignant au [Chef d’état-major de la Défense] de réintégrer sans condition la demanderesse dans son ancien poste.

 

c) Alternativement, une ordonnance enjoignant au [Chef d’état-major de la Défense] de faire parvenir le dossier de la demanderesse au Directeur – Réclamations et contentieux des affaires civiles (DRCAC) accompagné de sa recommandation que soit versé à la demanderesse toutes les indemnités et les prestations dont elle a été privée depuis la date de la cessation non autorisée de ses fonctions jusqu’à la date où elle aurait terminé sa tournée d’une année.

[…]

e) Alternativement, une ordonnance autorisant que la présente demande de contrôle judiciaire procède comme une  action en dommages-intérêts.

 

(Dossier d’appel, aux p. 19 et 20), [non souligné dans l’original].

 

[28]           L’appelante cherchait ainsi à préserver son droit d’intenter une action en dommages-intérêts découlant de son rapatriement unilatéral au Canada advenant que le juge de première instance conclût qu’elle ne pouvait obtenir les indemnités et les prestations perdues dans le cadre de la procédure de règlement des griefs. Autrement dit, si la Cour fédérale concluait que le Chef d’état-major de la Défense avait à raison décliné sa compétence pour lui accorder les indemnités et les prestations perdues qu’elle réclamait dans le cadre de la procédure de règlement des griefs, l’appelante cherchait alors l’occasion de poursuivre ses demandes pécuniaires devant la Cour fédérale en demandant à la Cour d’instruire sa demande comme s’il s’agissait d’une action.

 

[29]           Le juge de première instance a refusé d’ordonner que la demande de contrôle judiciaire soit instruite comme s’il s’agissait d’une action. Cette décision discrétionnaire ne peut être contrôlée dans le cadre d’un appel que dans la mesure où le juge de première instance s’est fondé sur des considérations erronées en ce qui concerne le droit applicable (par exemple, s’il s’est fondé sur un principe erroné, s’il n’a pas pris compte de facteurs dont il aurait dû tenir compte ou, inversement, s’il a tenu compte de facteurs qui n’étaient pas appropriés), ou a commis une erreur manifeste dans son appréciation des faits : Colombie-Britannique (Ministre des Forêts) c. Bande indienne Okanagan, [2003] 3 R.C.S. 371, 2003 CSC 71, au par. 43, renvoyant avec approbation à Pelech c. Pelech, [1987] 1 R.C.S. 801, aux p. 814 et 815.

 

[30]           Il s’agit d’une question importante pour les parties, étant donné qu’elles conviennent toutes deux que si l’appelante intentait une nouvelle action en vue d’obtenir une indemnisation pécuniaire, la question de savoir si cette action était recevable en raison des délais de prescriptions donnerait lieu à controverse.

 

[31]           La Cour fédérale peut ordonner qu’une demande de contrôle judiciaire soit instruite comme s’il s’agissait d’une action afin d’éviter les restrictions et les contraintes procédurales qui découlent du caractère sommaire et expéditif de la procédure de contrôle judiciaire : Association des crabiers acadiens Inc. c. Canada (Procureur général), 2009 CAF 357, 402 N.R. 123 (« Association des crabiers acadiens »), au par. 38. Par exemple, il est possible d’instruire une demande de contrôle judiciaire comme s’il s’agissait d’une action si la demande de contrôle judiciaire ne fournit pas de garanties procédurales suffisantes lorsqu’on recherche un jugement déclaratoire : Haig c. Canada, [1992] 3 C.F. 611 (C.A.), à la p. 618, conf. pour d’autres motifs par [1993] 2 R.C.S. 995; ou lorsque les faits sur lesquels repose la demande ne peuvent être adéquatement établis au moyen d’affidavits : Macinnis c. Canada (Procureur général), [1994] 2 C.F. 464 (C.A.), aux p. 470 et 471.

 

[32]           Le paragraphe 18.4(2) de la Loi sur les Cours fédérales n’impose aucune limite quant aux facteurs qui peuvent être pris en considération lorsqu’il s’agit de savoir s’il convient ou non de permettre qu’une demande de contrôle judiciaire soit instruite comme s’il s’agissait d’une action : Drapeau c. Canada (Ministre de la Défense nationale) (1995), 179 N.R. 398 (C.A.F.), au par. 1 (« Drapeau »); Hinton c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 215, [2009] 1 R.C.F. 476 (« Hinton »), au par. 44. Par conséquent, faciliter l’accès à la justice et éviter des coûts et délais inutiles sont des facteurs qui peuvent être considérés : Drapeau, au par. 1; Association des crabiers acadiens, au par. 39.

 

[33]           Cette Cour a donc décidé qu’une demande de contrôle judiciaire peut être instruite comme s’il s’agissait d’une action lorsqu’il est nécessaire d’atténuer les lacunes des réparations qui peuvent être accordées dans le cadre d’un contrôle judiciaire. Par conséquent, notre Cour a conclu que bien que des dommages-intérêts ne sauraient en règle générale être accordés dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire, une fois que la demande est instruite comme s’il s’agissait d’une action, une réparation d’ordre financier peut néanmoins être accordée dans le cadre de cette procédure : Hinton, aux par. 45 à 50; Bande indienne de Shubenacadie c. Canada (Procureur général) et autres, 2001 CFPI 181, 202 F.T.R. 30 (1re inst.), au par. 4, conf. par [2002] CAF 255.

 

[34]           Ainsi que l’a fait remarquer le juge Binnie au par. 52 de l’arrêt Canada (Procureur général) c. TeleZone Inc., [2010] 3 R.C.S. 585 (« TeleZone »), les recours disponibles dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire en vertu de la Loi sur les Cours fédérales sont les recours classiques du droit administratif et les demandes d’injonction et de jugement déclaratoire en droit administratif; l’octroi de dommages-intérêts n’est pas disponible dans le cadre de ces recours. De même, on ne peut, dans le cadre d’une action en dommages-intérêts, demander par surcroît un jugement déclaratoire ou une injonction visant à empêcher la mise en œuvre d’une décision administrative prétendument illégale, puisque le paragraphe 18(3) de la Loi sur les cours fédérales prévoit expressément que les recours relevant du droit administratif visés au paragraphe 18(1) de cette loi « sont exercés par présentation d’une demande de contrôle judiciaire ».

 

[35]           Vu que les recours relevant du droit administratif qui sont visés à l’alinéa 18(1)a) de la Loi sur les Cours fédérales relèvent de la compétence exclusive de la Cour fédérale, sans le paragraphe 18.4(2), les parties à un litige seraient tenues d’intenter deux procédures distinctes afin d’obtenir à la fois des recours relevant du droit administratif et des réparations pécuniaires visant l’État. L’effet important, utile et pratique du paragraphe 18.4(2) de la Loi sur les Cours fédérales est par conséquent de permettre d’obtenir à la fois des recours relevant du droit administratif et des réparations pécuniaires visant l’État dans le cadre d’une seule et même procédure devant la Cour fédérale.

 

[36]           Une bonne partie de la jurisprudence portant sur le paragraphe 18.4(2) fut établie à l’ombre de l’affaire Canada c. Grenier, 2005 CAF 348, [2006] 2 R.C.F. 287, dans laquelle notre Cour a décidé qu’aux fins de  préserver la compétence exclusive de la Cour fédérale en matière de contrôle judiciaire des décisions des offices fédéraux, une action en dommages-intérêts visant l’État ne pouvait être instruite avant que la décision de l’autorité fédérale appuyant cette action ne soit annulée à l’issue d’un contrôle judiciaire fondée sur la Loi sur les Cours fédérales : voir Hinton et Association des crabiers acadiens.

 

[37]           Maintenant que la Cour suprême du Canada a écarté le principe établi par Grenier dans une série d’arrêts récents (voir TeleZone; et Canada (Procureur général) c. McArthur, [2010] 3 R.C.S. 626, Parrish & Heimbecker Ltd. c. Canada (Agriculture et Agroalimentaire), [2010] 3 R.C.S. 639; Nu-Pharm Inc. c. Canada (Procureur général), [2010] 3 R.C.S. 648; Agence canadienne d’inspection des aliments c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada, [2010] 3 R.C.S. 657; Manuge c. Canada, [2010] 3 R.C.S. 672), il y a lieu dorénavant de soutenir une approche large et libérale afin de traiter les demandes de contrôle judiciaire comme des actions en application du paragraphe 18.4(2) de la Loi sur les Cours fédérales,  permettant ainsi de promouvoir et de faciliter l’accès à la justice et d’éviter des coûts, des délais et des incertitudes inutiles aux justiciables qui cherchent à exercer différents types de recours contre l’État.

 

[38]           Ainsi que le juge Binnie l’a fait remarquer au paragraphe 32 de TeleZone : « L’adoption de la Loi sur les Cours fédérales, S.C. 1970‑71‑72, ch. 1, et les modifications qui y ont été apportées en 1990 visaient à accroître la responsabilité de l’administration publique ainsi qu’à promouvoir l’accès à la justice. Il faut donc en interpréter le libellé de façon à promouvoir ces objets» Une interprétation large du paragraphe 18.4(2) de la Loi sur les Cours fédérales sert à promouvoir ces objets.

[39]           Dans ce dossier, l’appelante sollicitait à la fois des recours relevant du droit administratif qui lui auraient permis d’obtenir la réparation pécuniaire qu’elle demandait dans le cadre de la procédure de règlement des griefs disponible sous la Loi sur la défense nationale, et, alternativement, elle sollicitait des dommages-intérêts advenant que ses arguments relevant du droit administratif ne fussent pas retenus. Saisi de telles demandes, le juge de première instance a décidé d’entendre et d’adjuger les questions concernant le  droit administratif, tout en refusant simultanément d’instruire la demande comme s’il s’agissait d’une action. Dans le contexte particulier de la présente affaire, le juge de première instance a commis une erreur en procédant ainsi.

 

[40]           Il aurait fallu, dans de telles circonstances, ajourner l’audience relative à la demande de contrôle judiciaire et ordonner à l’appelante de présenter dans un délai prescrit une requête sollicitant l’autorisation d’instruire la demande comme s’il s’agissait d’une action, à défaut de quoi sa réclamation pécuniaire serait réputée abandonnée dans le cadre de la demande.

 

[41]           Étant donné que le juge de première instance a statué sur les questions concernant le  droit administratif qui étaient soulevées par la demande, une solution particulière et inhabituelle s’impose pour qu’il soit donné suite, à cette étape tardive, aux réclamations pécuniaires de l’appelante contre l’État dans le cadre de sa demande de contrôle judiciaire.

 


Conclusions

[42]           Par conséquent, j’accueillerais l’appel, j’annulerais le jugement de la Cour fédérale, et je le remplacerais par un jugement rédigé comme suit :

                                                              i.      La demande visant l’obtention d’une ordonnance annulant ou modifiant la décision du Chef d’état-major de la Défense en date du 21 juin 2010 est rejetée.

 

                                                            ii.      La demande visant à obtenir une ordonnance en vertu du paragraphe 18.4(2) de la Loi sur les Cours fédérales autorisant que la demande soit instruite comme s’il s’agissait d’une action est accordée relativement aux indemnités et prestations que la demanderesse réclame en raison de son rapatriement unilatéral prématuré de l’Égypte, ou pour des dommages-intérêts en tenant lieu.

 

                                                          iii.      La Cour fédérale décidera de la procédure applicable afin d’entendre la réclamation pécuniaire.

 

                                                          iv.      La question des dépens devant la Cour fédérale est différée jusqu’à ce la demande soit finalement adjugée.

 

[43]           Compte tenu du résultat partagé, il ne devrait y avoir aucune ordonnance quant aux dépens dans cet appel.
Pour conclure, rien dans les présents motifs ne devrait être interprété de manière à étayer la validité des réclamations que l’appelante a présentées pour obtenir une indemnité pécuniaire en raison de son rapatriement unilatéral de l’Égypte.

 

 Robert M. Mainville »

j.c.a.

 

 

« Je suis d’accord

            K. Sharlow, j.c.a. »

 

« Je suis d’accord

            J.D. Denis Pelletier, j.c.a. »

 

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.

 

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                            A‑242‑11

 

APPEL DE L’ORDONNANCE PRONONCÉE LE DU 30 MAI 2011 PAR LE JUGE PINARD.

 

INTITULÉ :                                                                          Adjudant‑maître Linda L. Meggeson c. Procureur général du Canada

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                            Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                 Le 16 mai 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                               LE JUGE MAINVILLE

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                           LA JUGE SHARLOW

                                                                                                LE JUGE PELLETIER

 

DATE DES MOTIFS :                                                         Le 13 juin 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

J.J. Camp

Jennifer Winstanley

 

 

POUR L’APPELANTE

 

Suzanne Pereira

POUR L’INTIMÉ

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Camp Fiorante Matthews Mogerman

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

 

POUR L’APPELANTE

 

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

POUR L’INTIMÉ

 

 

 

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