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Cour d'appel fédérale

Federal Court of Appeal

Date : 20120615

Dossier : A-360-11

Référence : 2012 CAF 184

 

CORAM :      LE JUGE EN CHEF BLAIS

                        LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE PELLETIER

 

ENTRE :

SOCIÉTÉ RADIO-CANADA

appelante

et

VILLE DE MONTRÉAL

intimée

 

 

 

 

 

 

 

 

Audience tenue à Montréal (Québec), le 5 juin 2012.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 15 juin 2012.

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                     LE JUGE LÉTOURNEAU

Y ONT SOUSCRIT :                                                                             LE JUGE EN CHEF BLAIS

                                                                                                                       LE JUGE PELLETIER

 


Cour d'appel fédérale

Federal Court of Appeal

Date : 20120615

Dossier : A-360-11

Référence : 2012 CAF 184

 

CORAM :      LE JUGE EN CHEF BLAIS

                        LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE PELLETIER

 

ENTRE :

SOCIÉTÉ RADIO-CANADA

appelante

et

VILLE DE MONTRÉAL

intimée

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

LE JUGE LÉTOURNEAU

 

Les questions en litige

 

[1]               Le juge Martineau (juge) de la Cour fédérale a-t-il eu tort d’annuler la décision de l’appelante, la Société Radio-Canada, par laquelle elle refusait de verser à l’intimée des intérêts pour retard du paiement du capital dû?

 

[2]               Au soutien de sa prétention que le juge a erré en en arrivant à cette conclusion, l’appelante invoque les motifs suivants. Premièrement, le juge se serait mépris dans l’interprétation du cadre législatif applicable en l’espèce en donnant à une simple lettre de l’appelante une valeur normative qu’elle n’a pas et en acceptant une directive de Travaux publics et services gouvernementaux Canada (TPSGC) alors qu’elle était irrecevable en preuve et inapplicable en droit. Ce faisant, soutient l’appelante, le juge a indûment restreint la discrétion dont elle jouit quant à l’octroi d’intérêts en cas de retard indu de paiement du capital.

 

[3]               Deuxièmement, le juge aurait erré en qualifiant de déraisonnable la décision de l’appelante de refuser de verser des intérêts alors qu’elle était pleinement justifiée de le faire pour chacune des périodes en litige. Pour utiliser l’expression de l’appelante, le juge aurait fait fi des motifs invoqués par l’appelante pour justifier sa décision.

 

[4]               Troisièmement, le juge aurait commis une erreur en ne tenant pas compte du fait que l’intimée, la Ville de Montréal, prenait comme position que l’appelante n’avait pas le droit de récupérer les sommes qui seraient versées en trop ou d’opérer une compensation des montants dus avec ces sommes. L’absence d’un droit de compensation, dit l’appelante, la justifiait de retarder le paiement des intérêts qu’elle prétendait ne pas être tenue de verser.

 

[5]               Selon l’appelante, les trois erreurs alléguées sont des erreurs de droit qui ont amené le juge à conclure que la décision de l’appelante relative au refus de verser des intérêts est déraisonnable. Sans ces erreurs, elle prétend que le juge aurait rejeté la demande de contrôle judiciaire faite par l’intimée puisqu’il aurait ainsi vu que le retard à effectuer le paiement du capital était pleinement justifié.

 

[6]               Pour les motifs qui suivent, je crois qu’il y a lieu de rejeter l’appel. Mais auparavant, un court résumé des faits à la source du litige et un extrait de la législation applicable s’imposent pour une bonne compréhension du débat.

 

Le résumé des faits

 

[7]               L’appelante est une société d’état de la Couronne fédérale qui, à ce titre, jouit de l’immunité fiscale. Toutefois, elle est assujettie à la Loi sur les paiements versés en remplacement d’impôts, L.R.C. (1985), c. M-13 (Loi) ainsi qu’au Règlement sur les paiements versés par les sociétés d’état, DORS/81-1030 (Règlement). La Loi et le Règlement prévoient le versement, par la Couronne et ses sociétés d’état, d’un paiement en remplacement des impôts qui normalement devraient être payés à l’autorité taxatrice sur le territoire duquel les immeubles sont érigés.

 

[8]               Avant que l’intimée ne modifie en 2003 son régime fiscal, l’appelante versait à l’intimée un montant équivalant à la taxe foncière que déterminait cette dernière. Mais elle était cependant exemptée législativement de la taxe d’affaire.

 

[9]               Au lendemain de la modification de son régime fiscal, l’intimée avait abandonné sa taxe d’affaire, mais non sans intégrer à sa taxe foncière un montant proportionnel à celui de la taxe d’affaire. Il en résultait pour l’appelante une augmentation substantielle des montants réclamés par l’intimée sans pour autant qu’il n’y ait d’accroissement du nombre ou de la valeur des immeubles de l’appelante situés sur le territoire de l’intimée.

 

[10]           L’appelante a, en 2004, contesté en vain en Cour fédérale le montant réclamé par l’intimée correspondant à l’ancienne taxe d’affaire. Le litige fut porté en appel où l’appelante eut gain de cause sur la question principale de la taxe d’affaire. De là il se transporta en Cour suprême où cette dernière, le 25 avril 2010, dans l’arrêt Montréal (Ville de) c. Administration portuaire de Montréal et al., [2010] 1 R.C.S. 427, infirma la décision de notre Cour et rétablit les conclusions de la Cour fédérale : les paiements de l’appelante en remplacement des impôts devaient tenir compte du nouveau régime fiscal mis en place par l’intimée.

 

[11]           Durant toute la période du litige jusqu’à la décision finale de la Cour suprême, soit de 2004 à 2010, l’appelante n’a versé ni le capital correspondant au montant de la taxe d’affaire, ni les intérêts sur ce capital déterminé selon le nouveau régime fiscal.

 

[12]           Le 6 mai 2010, suite au jugement de la Cour suprême, l’intimée adresse à l’appelante ses états de compte représentant les montants dus pour les exercices financiers des années 2003 à 2010 et pour les exercices financiers subséquents. Aucune somme n’était en souffrance pour l’année 2003 : voir le dossier d’appel, vol. 1, à la page 50.

 

[13]           L’intimée demande le paiement d’intérêts sur le capital dû. Elle fonde cet aspect de sa réclamation sur l’article 8.1 du Règlement ainsi que sur les paragraphes 3(1.1) et (1.2) de la Loi qui prévoient une augmentation balisée du montant dû si le versement de tout ou de partie de celui-ci a fait l’objet d’un retard indu.

 

[14]           La réponse de l’appelante ne tarde pas. Le 27 mai 2010, elle informe l’intimée qu’elle effectuera le paiement en capital pour les périodes concernées, mais aucun intérêt sur celui-ci puisque les versements en capital n’ont pas été indûment retardés.

 

[15]           Au total, le montant en capital estimé par l’intimée s’élève à 18 586 627,05 $ alors que les intérêts totalisent la somme de 4 034 554,14 $ pour les années en litige. Ces montants ne sont pas contestés.

 

[16]           Évidemment, cette saga ultime recèle un échange de correspondance entre les parties qui témoignent d’une certaine confusion, sinon d’une confusion certaine au niveau des intentions et des perceptions respectives des parties. En règle générale, la confusion, volontaire ou involontaire, engendre la confusion. Et le cas présent ne fait pas exception à la règle. À ce stade-ci toutefois, je ne compte pas faire étalage de celle-ci car il en résulterait par la suite une duplication. J’évoquerai plutôt les allégations respectives des parties témoignant de cette confusion lorsque j’analyserai leurs arguments au soutien de leurs prétentions.

 

 

La législation pertinente en l’espèce

 

[17]           Les paragraphes (1), (1.1) et (1.2) de l’article 3 de la Loi accordent au ministre de TPSGC une discrétion de verser à une autorité taxatrice un paiement en remplacement de l’impôt foncier pour une année donnée. De plus, le ministre peut augmenter le montant du versement si le versement du montant a été indûment retardé, et ce jusqu’à concurrence d’une augmentation maximale. Ces articles se lisent ainsi :

 

3. (1) Le ministre peut, pour toute propriété fédérale située sur le territoire où une autorité taxatrice est habilitée à lever et à percevoir l’un ou l’autre des impôts mentionnés aux alinéas a) et b), et sur réception d’une demande à cet effet établie en la forme qu’il a fixée ou approuvée, verser sur le Trésor un paiement à l’autorité taxatrice :

 

a) en remplacement de l’impôt foncier pour une année d’imposition donnée;

 

b) en remplacement de l’impôt sur la façade ou sur la superficie.

 

 

 

(1.1) S’il est d’avis que le versement de tout ou partie du paiement visé au paragraphe (1) a été indûment retardé, le ministre peut augmenter le montant de celui-ci.

 

(1.2) L’augmentation ne peut dépasser le produit de la somme non versée par le taux d’intérêt fixé en vertu de l’article 155.1 de la Loi sur la gestion des finances publiques. Elle couvre la période pour laquelle, selon le ministre, il y a eu retard.

3. (1) The Minister may, on receipt of an application in a form provided or approved by the Minister, make a payment out of the Consolidated Revenue Fund to a taxing authority applying for it

 

(a) in lieu of a real property tax for a taxation year, and

 

(b) in lieu of a frontage or area tax

 

in respect of federal property situated within the area in which the taxing authority has the power to levy and collect the real property tax or the frontage or area tax.

 

(1.1) If the Minister is of the opinion that a payment under subsection (1) or part of one has been unreasonably delayed, the Minister may supplement the payment.

 

(1.2) The supplement shall not exceed the product obtained by multiplying the amount not paid by the rate of interest prescribed for the purpose of section 155.1 of the Financial Administration Act, calculated over the period that, in the opinion of the Minister, the payment has been delayed.

 

[Je souligne.]

 

 

[18]           L’article 6, l’alinéa 12(1)a) et le paragraphe 12(2) du Règlement énoncent que le paiement d’une société en remplacement de l’impôt foncier n’est assorti d’aucune condition, qu’il doit être effectué dans les cinquante (50) jours de la réception de la demande de paiement et qu’advenant le cas où le montant du paiement ne peut être déterminé de façon définitive, la société doit, au cours du délai de cinquante (50) jours, effectuer un versement provisoire correspondant au montant estimatif du total du paiement. Je reproduis les dispositions en question :

 

6. Le paiement effectué par une société en remplacement de l’impôt foncier ou de l’impôt sur la façade ou sur la superficie à l’égard d’une propriété qui serait une propriété fédérale si un ministre fédéral en avait la gestion, la charge et la direction n’est assorti d’aucune condition et ne doit pas être inférieur aux sommes visées aux articles 7 et 11.

 

 

12. (1) Sous réserve du paragraphe (2), le paiement effectué par une société en application de l’article 6 est versé :

 

 

a) uniquement à l’autorité taxatrice du lieu où la propriété est située;

 

 

[…]

 

(2) Lorsqu’une société est incapable de déterminer de façon définitive le montant du paiement à verser aux termes de l’article 6 au cours du délai visé à l’alinéa (1)b), elle doit, au cours de ce délai, effectuer un versement provisoire qui correspond au montant estimatif total du paiement.

6. The payment made by a corporation in lieu of a real property tax or frontage or area tax in respect of any corporation property that would be federal property if it were under the management, charge and direction of a minister of the Crown is made without any condition, in an amount that is not less than the amount referred to in sections 7 to 11.

 

 

 

12. (1) Subject to subsection (2), where a corporation makes a payment in accordance with section 6, it shall be made

 

(a) only to the taxing authority for the area in which the corporation property is situated; and

 

 

(2) Where a corporation is unable to make a final determination of the amount of a payment made in accordance with section 6 within the time referred to in paragraph (1)(b), the corporation shall make, within that time, an interim payment that corresponds to the estimated total payment to be made.

 

[Je souligne.]

 

 

Analyse de la décision du juge et des prétentions des parties

 

[19]           Je débuterai par la question de l’interprétation du cadre législatif applicable en l’espèce, laquelle selon l’appelante aurait d’une manière injustifiée restreint la discrétion dont elle bénéficie.

 

L’interprétation par le juge du cadre législatif et réglementaire applicable en l’espèce était-elle erronée?

 

 

[20]           Selon l’appelante, l’erreur du juge prendrait sa source dans le fait qu’il ait donné à une politique administrative de TPSGC et à une simple lettre de l’appelante, constituant tout au plus une directive sans valeur impérative, la valeur normative d’un règlement. Le juge aurait aussi fait de la lettre de l’appelante, écrite par M. Tim Neal, chef de la Gestion des affaires et administration chez l’appelante, et datée du 27 novembre 2002, une politique de l’appelante. Avec respect, je ne crois pas que l’interprétation que l’appelante fait de la décision du juge sur ce point rende justice à ce dernier.

 

[21]           Premièrement, le juge reconnaît que les décisions contestées de l’appelante sont la résultante de l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire : voir le paragraphe 5 des motifs de sa décision, dossier d’appel, vol. 1, à la page 7.

 

[22]           Deuxièmement, il apparaît nettement du paragraphe 9 de ses motifs qu’il examine la raisonnabilité des décisions contestées à la lumière du régime législatif et réglementaire : ibidem, à la page 8. Se penchant sur les paragraphes 3(1.1) et (1.2) de la Loi, il reconnaît la double discrétion conférée au paragraphe (1.1) au ministre d’augmenter le montant du paiement en remplacement des impôts s’il est d’avis que le paiement à l’autorité taxatrice a été indûment retardé. Ce pouvoir du ministre est conféré à l’appelante par le truchement de l’article 8.1 du Règlement qui lui rend ces pouvoirs applicables : ibidem, au paragraphe 12, à la page 9. Cet article se lit :

 

8.1 Les paragraphes 3(1.1) et (1.2) et l’alinéa 3.1b) de la Loi s’appliquent à la société pour toute année d’imposition débutant le 1er janvier 2000 ou après cette date, les mentions du ministre et des propriétés fédérales valant respectivement mention de la société et des propriétés de la société.

8.1 In respect of a taxation year starting on or after January 1, 2000, subsections 3(1.1) and (1.2) and paragraph 3.1(b) of the Act apply to a corporation as if any reference in those provisions to “the Minister” were a reference to “a corporation” and any reference to “federal property” were a reference to “corporation property”.

 

 

[23]           Au paragraphe 17 des motifs de sa décision, le juge fait référence à la politique de TPSGC de 2009 qui, pour les propriétés ministérielles, établit une procédure et des critères pour l’application et l’administration de demandes de versements d’intérêts sur les paiements en retard. Il signale la définition de retard indu que l’on y trouve, soit que le concept comprend notamment un retard qu’on accuse dans le versement des paiements, en tout ou en partie, au-delà de la date d’échéance établie, que ce retard s’explique par une activité ou l’inaction du gouvernement fédéral (je souligne).

 

[24]           L’appelante prétend que le passage ci-haut souligné que l’on retrouve dans la Procédure de TPSGC rend automatique l’octroi d’intérêts dès qu’il existe un retard. « Face à une telle définition », écrit-elle au paragraphe 42 de son mémoire des faits et du droit, « l’administration n’a d’autre choix que de conclure à un retard indu dans tous les cas. La Procédure élimine toute discrétion et est de ce fait invalide et inapplicable ».

 

[25]           Encore là, l’appelante se méprend sur ce que le juge a fait et sur l’interprétation qu’il y a lieu de faire de ce passage souligné. Ce dernier veut, tout uniment et sans plus, dire que le retard doit être le fait du débiteur, et cela qu’il soit dû à un acte ou une omission de sa part. En rien ce passage ne préjuge-t-il du caractère indu ou non du retard. En d’autres termes reste ouverte et toute entière la question de savoir si l’acte ou l’omission du débiteur était raisonnablement justifiée dans les circonstances de façon à faire du retard qui en a découlé un retard qui n’est pas indu. La Procédure, pour paraphraser le terme utilisé par l’appelante, n’élimine pas toute discrétion. Au contraire, et cela le juge le reconnaît au paragraphe 26 de ses motifs en réitérant que :

 

a)         « l’adoption ou la communication de politiques aux autorités taxatrices ne sauraient entraver l’exercice de la discrétion administrative qui existe en vertu de la Loi et de ses règlements d’application »;

 

b)         « le paragraphe 3(1.1) de la Loi exige que le retard soit indu (ou déraisonnable) » ; et

 

c)         « chaque cas doit donc être décidé à son mérite ».

 

[26]           Ceci m’amène à traiter brièvement de la lettre de M. Tim Neal.

 

La portée de la lettre de M. Tim Neal

 

[27]           Tel que déjà mentionné, M. Neal était le Chef du secteur Gestion des affaires et administration de l’appelante. Au lendemain de la mise en application de la Loi, M. Neal écrit le 27 novembre 2002 à toutes les autorités taxatrices canadiennes qui sont les hôtes de propriétés fédérales qui comptent des propriétés de Radio-Canada.

 

[28]           Le contenu de la lettre est intéressant à plus d’un point de vue. Tout d’abord, M. Neal informe les autorités taxatrices des nouvelles politiques gouvernementales adoptées en conséquence de la Loi. Il indique que ces politiques ont des répercussions sur la façon de traiter les subventions versées en remplacement d’impôts.

 

[29]           Le deuxième paragraphe de cette lettre s’avère plus important. Il informe toutes les autorités taxatrices, dont l’intimée, que les politiques développées par le gouvernement canadien s’appliquent à l’appelante : voir le dossier d’appel, volume 1, aux pages 145 et 146.

 

[30]           En outre, à la lettre, est jointe une copie de chaque nouveau formulaire de demande émanant de l’appelante sur lequel l’autorité taxatrice est invitée à faire sa demande annuelle de paiement. Les récipiendaires de la lettre sont priés de communiquer avec la section Transmission de la Gestion immobilière pour « toutes questions concernant la documentation de Radio-Canada et la méthode mentionnée ci-dessus de paiement de PERI », le terme PERI étant l’acronyme de « paiement en remplacement de l’impôt ».

 

[31]           Parmi les politiques gouvernementales adoptées s’en trouve une relative à la majoration des paiements en retard. Elle est entrée en vigueur le 1er janvier 2000 et a fait l’objet d’une première révision le 1er juin 2003 : cahier de plaidoirie de l’intimée, à l’onglet 10. En 2009, TPSGC publie une Procédure sur les suppléments pour retard de paiement – PERI entrant en vigueur le 20 juillet 2009. Cette procédure rappelle l’objectif de la Loi et explique, pour l’autorité taxatrice et le débiteur, la marche à suivre en cas de retard dans les paiements en remplacement de l’impôt. Elle « se fonde sur le traitement juste, équitable et prévisible de tous les intervenants qui participent au Programme des paiements versés en remplacement d’impôts et a pour but de veiller à ce qu’on prenne toutes les mesures raisonnables pour indemniser adéquatement les autorités taxatrices lorsque les paiements… sont indûment retardés » : ibidem.

 

[32]           Je peux comprendre la surprise de l’intimée lorsqu’elle a pris connaissance du fait que l’appelante alléguait dans son mémoire du 7 janvier 2011 en première instance qu’il n’existe pas de Politique sur les suppléments pour retard de paiement, qu’il s’agit non pas d’une Politique, mais d’une Procédure et qu’il « n’existe aucune preuve que Radio-Canada ait été informée de l’existence de ce document et encore moins qu’elle en ait pris connaissance » : ibidem, à l’onglet 7 référant aux paragraphes 97 à 100 du mémoire de l’appelante.

 

[33]           L’allégation de l’appelante est d’autant plus surprenante que, le 2 mars 2004, l’intimée écrivait à Mme Powers, Directeur de l’Administration immobilière chez Radio-Canada, lui rappelant la lettre de M. Neal adressée à toutes les autorités taxatrices suite à l’adoption de la Loi : ibidem à l’onglet 11. Au cours de son interrogatoire de février 2006, Mme Powers reconnaît avoir reçu une formation des gestionnaires de travaux publics « aussitôt que la loi est sortie » : ibidem, à l’onglet 13.

 

[34]           Puisque l’intimée réclamait ses demandes de subventions sur les formulaires de l’appelante depuis la réception de la lettre de M. Neal, il est difficile de concevoir comment, chez l’appelante, on ait pu oublier l’origine de ces formulaires et la lettre de M. Neal envoyée à toutes les autorités taxatrices, surtout compte tenu du rappel de son existence fait à l’appelante en 2004 et des cours de formation suivis par l’employée de l’appelante responsable de l’administration immobilière.

 

[35]           Il est vrai que la publication de 2009 s’intitule « Procédure » et non « Politique ». Mais elle n’écarte pas le fait que l’appelante s’est appliquée à elle-même dès 2002 la « Politique relative à la majoration des paiements en retard ». Dans les circonstances, il n’est pas étonnant que l’intimée ait piaffé d’impatience et accusé des signes de frustration lorsque l’appelante soutînt que la Procédure de 2009 ne s’appliquait pas ou, si elle s’appliquait, que ce ne pouvait être qu’à compter de 2009. Ce faisant, pour les années 2003 à 2009, soit pour six des huit années en litige, l’appelante répudiait pour la première fois, ce que Mme Powers n’a pas fait en 2004, la lettre de M. Neal et l’application reconnue et suivie par l’appelante et l’intimée de la Politique relative à la majoration des paiements en retard.

 

[36]           Que la Procédure de 2009 s’applique ou non à l’appelante, et la preuve est loin d’être faite qu’elle ne s’y applique pas, ne change pas grand-chose à la situation juridique des deux parties au litige. Car par l’entremise de M. Neal l’appelante a adopté une politique qu’elle a signifiée aux autorités taxatrices et à laquelle l’intimée s’est conformée. Elle est bien mal venue de vouloir maintenant s’en dissocier alors que la Loi, le Règlement et la Procédure de 2009, qui fait suite à la Politique de 2000, révèlent clairement l’intention du législateur qu’il y ait une majoration des paiements en retard lorsque ce retard est indu.

 

[37]           En somme, la prétention de l’appelante que le juge a conféré à la Politique administrative existante de 2000 ou à la Procédure de 2009 une valeur normative ne trouve ni fondement factuel dans la preuve, ni fondement juridique dans les motifs de la décision du juge. Quant à l’ignorance alléguée par l’appelante de l’existence d’une Politique sur les paiements en retard, elle ne saurait en imputer le blâme à quelqu’un d’autre qu’à elle-même.

 

Le retard de l’appelante était-il indu dans les circonstances?

 

[38]           Aux paragraphes 26 à 36 de sa décision, le juge a conclu que le retard de l’appelante à effectuer le paiement des sommes en litige était indu et que les motifs invoqués par celle-ci étaient déraisonnables, arbitraires et capricieux. Je reproduis ces paragraphes :

 

[26]      La Cour convient que l’adoption ou la communication de politiques aux autorités taxatrices ne sauraient entraver l’exercice de la discrétion administrative qui existe en vertu de la Loi et de ses règlements d’application. Toutefois, le paragraphe 3(1.1) de la Loi exige que le retard soit indu (ou déraisonnable). Chaque cas doit donc être décidé à son mérite. N’empêche, les politiques peuvent être considérées par la Cour lorsqu’il s’agit d’examiner la raisonnabilité d’un refus de verser un SRP. La raison d’être des politiques est de compléter tout vide législatif ou réglementaire, en énonçant des critères pouvant servir de balises aux gestionnaires dans des cas semblables. Il s’agit de s’assurer le caractère raisonnable et prévisible des décisions administratives. Il n’est donc pas question d’accorder une discrétion absolue.

 

[27]      Or, la notion même de « retard indu » ou « déraisonnable » fait à appel à une évaluation du retard lui-même et des raisons pour lesquelles le paiement est en retard. Il faut d’abord qu’il y ait une échéance avant de parler de retard. Dans le contexte de cette cause, il ne peut s’agir que du cinquantième jour suivant la réception de la demande complète de PERI, ou du jour où les intérêts commencent à courir sur les comptes d’impôts fonciers en souffrance (si l’autorité taxatrice accorde aux contribuables ordinaires un délai supérieur à cinquante jours). D’autre part, le retard devient indu lorsque, objectivement parlant, il est déraisonnable que l’autorité taxatrice, qui comptait recevoir le PERI à l’échéance, ait à supporter le fardeau financier d’un manque à gagner, sans faute de sa part, alors que le retard s’explique par l’inaction ou une action du ministre ou de la société d’État.

 

[28]      En l’espèce, il n’est pas contesté que la Ville a fait parvenir à la SRC des demandes de PERI, assorties de demandes de SRP, pour chacune des années d’imposition en cause, et que tous les formulaires et documents requis par la SRC lui ont été fournis par la Ville en temps utile. Bien que l’APM n’utilise pas un formulaire, les demandes de paiement et de versement d’intérêts ont été soumises par la Ville conformément aux politiques de l’APM, avec toute la documentation pertinente. Dans les deux cas, la Ville s’est comportée comme une autorité taxatrice, en faisant parvenir régulièrement aux défenderesses des tableaux récapitulatifs des montants réclamés et des rappels (capital et intérêts).

 

[29]      Pour preuve, à titre illustratif, dans une lettre en date du 28 janvier 2004, à laquelle était jointe une réclamation détaillée pour l’année 2004, la Ville avisait l’APM que les paiements de taxes doivent être faits en un versement unique le 1er mars ou en deux versements égaux les 1ers des mois de mars et juin 2004, et qu’un montant supplémentaire (intérêts) sera demandé pour les paiements en retard. D’autre part, dans une lettre en date du 2 mars 2004, la Ville avisait la SRC que le deuxième versement du paiement du PERI pour l’année 2003 était en retard et n’incluait pas le montant supplémentaire en intérêt prévu par la Loi. De plus, on se fondait sur la Politique de la SRC du 27 novembre 2002 pour réclamer un supplément en intérêts (PERI supplémentaire dans la lettre de la Ville), étant donné que le deuxième versement n’avait pas été versé à l’échéance du 2 juin 2003.

 

[30]      Il est également manifeste que le retard à verser le montant total du PERI pour chacune des années en cause est uniquement le fait des défenderesses qui ont refusé à l’échéance du délai normal de cinquante jours, de faire un paiement final ou provisoire comprenant tous les montants réclamés par la Ville à titre de PERI. De fait, l’APM et la SRC ont forcé la Ville à entreprendre des procédures judiciaires et ont retardé pendant plusieurs années, jusqu’à un jugement final de la Cour suprême du Canada, le versement total des paiements en remplacement de l’impôt foncier.

 

[31]      Or, le motif général invoqué par les défenderesses n’est pas qu’il était impossible à l’époque de calculer le montant total du paiement en remplacement de l’impôt foncier, mais plutôt qu’elles pouvaient légalement déduire des sommes réclamées par la Ville l’équivalent de l’augmentation des taxes foncières, qui résultait de la suppression de la taxe d’affaires abolie par la Ville en 2003, et dans le cas de l’APM, qu’elle pouvait également exclure de la base de calcul la valeur des jetées et silos situés dans le port de Montréal (les déductions en cause).

 

[32]      En choisissant d’agir unilatéralement et malgré les objections de la Ville, les défenderesses ont ouvert la porte à la possibilité d’avoir ultérieurement à lui payer un supplément de retard.

 

[33]      L’APM n’a pas vraiment cherché à justifier son refus de verser un SRP dans la lettre du 29 avril 2010. La décision de la SRC de refuser de verser un SRP ne s’appuie pas sur un fondement objectif, mais sur des motifs, au demeurant, arbitraires et capricieux. Les motifs dans la lettre du 27 mai 2010 ne résistent pas à une analyse poussée. Le refus est un empreint de subjectivité. Le simple fait d’avoir obtenu un avis juridique indépendant n’est rien d’autre qu’avoir pensé que sa cause était bonne. Il est certain que la Ville en pensait tout autant. D’ailleurs, si la question posée est le moindrement compliquée, on peut facilement obtenir des avis juridiques contradictoires. Un avis juridique n’est donc pas une garantie de légalité, non plus qu’un jugement favorable qui a été porté en appel. D’ailleurs, les actions des défenderesses ont toutes été déclarées illégales par un jugement final de la Cour suprême du Canada rétablissant toutes les conclusions de la Cour fédérale.

 

[34]      Faut-il le rappeler, un contribuable qui a contesté un avis de cotisation et a perdu sa cause devant les tribunaux, ne peut pas refuser de payer des intérêts au gouvernement parce qu’il pensait avoir une bonne cause. Si c’était effectivement le cas, personne ne paierait d’intérêts. Il faut noter que le contribuable doit impérativement payer le montant dû, sans que le gouvernement ait à faire une demande spécifique à ce sujet. Dans les cas où le montant est contesté, le contribuable doit payer ledit montant de façon provisoire. S’il ne paie pas, les intérêts courent. La logique du système fiscal est sauvegardée dans le cas des PERI, sinon qu’en cas de retard indu, l’autorité taxatrice s’attendra à recevoir un SRP si elle obtient finalement gain de cause.

 

[35]      Si l’on accepte les prétentions des défenderesses, il suffirait qu’une société d’État conteste le montant du PERI à verser, pour que le délai pour payer tout solde en capital soit indéfiniment suspendu jusqu'à un jugement final en faveur de l’autorité taxatrice, ce qui pourra prendre des années (comme dans le cas présent). Il n’y aurait retard indu que si la société d’État ne versait pas le solde en souffrance dans un délai déraisonnable suivant le jugement final dans la cause. En somme, le versement ou non d’un supplément dépendrait d’évènements purement externes et difficilement prévisibles, un peu comme à la loterie, à la roulette ou à un autre jeu de hasard. Tout ceci n’a aucun sens naturellement et va directement à l’encontre de l’économie générale de la Loi et de ses règlements d’application.

 

[36]      Ayant déterminé que les décisions prises par les défenderesses sont déraisonnables, celles-ci doivent être annulées et les demandes de paiement de SRP retournées aux défenderesses afin que celles-ci soient étudiées à nouveau conformément à la Loi, à ses règlements d’application, aux politiques en vigueur, aux motifs du jugement et aux directives de la Cour. À cet égard, des questions ont été soulevées par les parties sur la façon de calculer le supplément, ce qui comprend le taux et mode de calcul du taux d’intérêt, d’où la directive plus loin.

 

 

[39]           Comme je l’évoquais au début des présents motifs, l’appelante reproche au juge de ne pas s’être prononcé sur son argument voulant que l’intimée lui niait le droit à la récupération d’un trop-payé, s’il devait y en avoir un, aussi bien qu’un droit à opérer compensation des sommes payées en trop avec les montants dus. Il aurait ignoré la position de l’appelante ainsi que l’échange de correspondance entre les parties, lesquels attesteraient de l’intransigeance de l’intimée sur ces deux questions.

 

[40]           Je débuterai par la question du droit à la compensation réclamé par l’appelante. Je crois que cette dernière se méprend lorsqu’elle justifie en partie sur ce fondement son refus de verser le capital dû et les intérêts afférents.

 

[41]           Que l’appelante possède ou non légalement un droit d’opérer compensation, je ne crois pas que ce droit puisse s’appliquer dans les circonstances. Car, pour qu’il puisse y avoir compensation, il faut au départ qu’il y ait deux personnes qui soient réciproquement débitrice et créancière l’une de l’autre. En l’espèce, l’appelante rappelle avec force que les paiements en remplacement d’impôts ainsi que ceux pour retard de paiement sont discrétionnaires : il n’y aurait donc tout simplement pas de dette de sa part à l’égard de l’intimée. Dans un tel cas, on ne saurait invoquer compensation d’une dette non-existante.

 

[42]           En tenant pour acquis, toutefois, que la Loi et le Règlement engendrent à toute fin pratique une obligation pour l’appelante de verser une subvention à l’intimée qui la demande en paiement d’impôts, l’appelante n’est toujours pas créancière de l’intimée afin de pouvoir opérer une quelconque compensation. La créance de l’appelante à l’égard de l’intimée naîtrait du fait pour l’appelante de payer la partie contestée du montant de la subvention demandée qu’elle estime n’être pas due, ce qu’elle a refusé de faire. De là sa justification pour ne pas la verser car, dit-elle, l’intimée lui nie le droit à une compensation future pour les sommes qui seraient ainsi versées en trop.

 

[43]           C’est une chose au plan juridique que de vouloir opérer une compensation de deux dettes liquides, dues et exigibles. C’en est toutefois une toute autre que de décider soi-même comme débiteur qu’une somme n’est ni due, ni exigible et, à partir de ce moment, présumer du bien-fondé de sa position, d’un droit de compensation qui en découlerait si le montant était versé et, en conséquence, de se croire justifié de ne pas effectuer le paiement litigieux.

 

[44]           On peut imaginer le chaos et les coûts énormes pour les autorités taxatrices si chaque contribuable pouvait ainsi se faire justice à lui-même et contraindre les autorités taxatrices à intenter des recours, comme ce fut le cas en l’espèce, pour faire déclarer que le montant est dû de sorte que la prétendue créance du contribuable est sans fondement et ne peut donner ouverture à une compensation. Le tout se ferait sans risque pour le contribuable de devoir payer des intérêts puisque sa décision du départ, erronée quant à son obligation de verser le montant litigieux, justifierait son retard à effectuer le paiement. En une approche et des termes différents des miens, c’est précisément l’analyse à laquelle le juge s’est livré aux paragraphes 26 à 36 des motifs de sa décision que j’ai précédemment cités. Il est à mon avis inexact de dire que le juge n’a pas considéré le droit de l’appelante à la compensation. Je partage la conclusion à laquelle il en est arrivé.

 

[45]           L’appelante eût-elle versé le montant total réclamé par l’intimée pour, par la suite, obtenir gain de cause dans ses prétentions qu’une partie de ce montant n’était pas due et, de ce fait, en eût-il résulté un trop-payé qu’elle n’était pas pour autant privée d’un recours en recouvrement de ce trop-payé.

 

[46]           Le litige ayant feu et lieu au Québec, le Code civil du Québec (C.C.Q.) s’applique : voir Procureur général du Canada et Conseil du Trésor du Canada c. Constance Saint-Hilaire, 2001 CAF 63; la Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, article 8.1 et la Loi d’harmonisation no. 1 du droit fédéral avec le droit civil, L.C. 2001, ch. 4.

 

[47]           De fait, l’article 1491 du C.C.Q. oblige à la restitution le récipiendaire d’un paiement fait par erreur ou sous protestation d’absence de dette :

 

SECTION II

DE LA RÉCEPTION DE L’INDU

 

 

Art. 1491.  Le paiement fait par erreur, ou simplement pour éviter un préjudice à celui qui le fait en protestant qu’il ne doit rien, oblige celui qui l’a reçu à le restituer.

SECTION II

RECEPTION OF A THING NOT DUE

 

Art. 1491.  A person who receives a payment made in error, or merely to avoid injury to the person making it while protesting that he owes nothing, is obliged to restore it.

 

 

Dans l’affaire Kingstreet Investments Ltd. c. Nouveau-Brunswick, [2007] 1 R.C.S. 3, au paragraphe 41, le juge Bastarache indique qu’au Québec, la Cour suprême a reconnu que, tant sous l’article 1491 du C.C.Q. qu’en vertu des articles 1047 et 1048 du Code civil du Bas-Canada, des actions en recouvrement de taxes illégalement perçues pouvaient être engagées. À titre d’exemples, la Cour suprême renvoie à certaines de ses décisions datant de 1902, 1983, 1993 et 1994 ainsi qu’aux auteurs Baudoin et Jobin, Les obligations (6e éd. 2005). Face à la disponibilité de ce recours, rien n’empêchait l’appelante de faire, ou la justifiait de ne pas faire, les paiements des sommes demandées et ainsi d’éviter qu’elles ne portent intérêts.

 

[48]           Au demeurant, l’appelante n’est pas également sans recours en vertu de la common law même si, comme le reconnaît la Cour suprême dans l’affaire Kingstreet Investment Ltd., supra, le mécanisme de recouvrement est plus simple en droit civil québécois. À l’unanimité, la Cour suprême confirme que le fait pour le gouvernement de percevoir et de conserver une taxe en vertu d’une loi ultra vires sape la primauté du droit et porte atteinte aux principes constitutionnels que la Couronne ne peut lever un impôt que sous l’autorité du Parlement ou d’une législature et que la Couronne ne peut dépenser des fonds publics que sous l’autorité du Parlement ou d’une législature.

 

[49]           Cette position prise par la Cour suprême avait pour but de simplifier le recours du contribuable en recouvrement de taxes non dues. « Le droit d’obtenir la restitution des taxes payées en vertu de dispositions ultra vires », dit la Cour, « ne dépend pas des actes accomplis par chaque partie, mais bien du fait que la taxe a été érigée sans l’autorisation requise, ce qui est une considération objective » : ibidem, au paragraphe 53. On se rappellera que la prétention de l’appelante était précisément que l’intimée n’avait pas le pouvoir de lui imposer une taxe d’affaire en vertu de l’alinéa 236(1)a) de la Loi sur la fiscalité municipale, L.R.Q., c. F-2.1.

 

[50]           Dans l’optique de simplifier le recours du contribuable en recouvrement dans le cas de paiements faits à des autorités publiques, la Cour suprême élimine les exigences que ceux-ci soient effectués sous la contrainte ou sous toutes réserves. Au paragraphe 57, le juge Bastarache écrit :

 

     J’écarterais donc la doctrine du paiement fait sous la contrainte et sous toutes réserves dans le cas des paiements faits à des autorités publiques, que ce soit en vertu d’une loi inconstitutionnelle ou par suite de l’application erronée d’une loi par ailleurs valide. Une fois la règle d’immunité rejetée, il n’est pas nécessaire d’établir une distinction entre les cas relatifs à une loi inconstitutionnelle et ceux où une disposition de nature réglementaire est simplement ultra vires au sens du droit administratif. Dans tous ces cas, le paiement ne devrait pas être considéré comme volontaire dans un sens qui porterait préjudice au contribuable. Au contraire, le demandeur a le droit de se fonder sur la présomption de validité des dispositions en cause et sur le fait que l’autorité publique chargée de les administrer les a présentées comme applicables.

 

[Je souligne.]

 

[51]           La Cour suprême n’écarte pas non plus que des actions en enrichissement sans cause contre le gouvernement puissent être indiquées dans certains cas : ibidem, au paragraphe 34.

 

[52]           En somme, l’appelante disposait de remèdes pour récupérer un trop-payé. Et son exigence que l’intimée lui reconnaisse un droit à la compensation ou au remboursement du trop-payé, si elle payait les montants contestés, ne pouvait justifier son refus de payer et, conséquemment son retard, d’autant plus que l’alinéa 12(1)b) du Règlement exige, lorsque le montant à payer ne peut être déterminé de façon définitive, que l’appelante effectue un versement provisoire qui correspond au montant estimatif total du paiement dans les cinquante (50) jours suivant la réception de la demande de paiement (je souligne).

 

L’échange de correspondance entre les parties relativement au droit à la compensation

 

[53]           Compte tenu de la conclusion à laquelle j’en arrive sur la question de la compensation, il n’est pas nécessaire de réviser l’échange de correspondance entre les parties déposée comme preuve au dossier. Je dirai toutefois ceci. Il ne fait pas de doute que la réclamation de l’appelante relative à un droit à la compensation ou à un remboursement du trop-payé a été source de confusion. L’appelante, qui gère également des fonds publics, a vu dans la position prise par l’intimée relativement au recouvrement des trop-payés ce qu’elle a qualifié d’épée de Damoclès s’installer au-dessus de sa tête. Aussi a-t-elle offerte en 2007 à l’intimée de lui verser le montant contesté en capital à condition que cette dernière accepte d’effectuer un remboursement si l’appelante avait gain de cause au mérite quant à l’exigibilité de la taxe d’affaire.

 

[54]           En outre, l’appelante refusait que l’intimée applique le montant qu’elle recevrait sur le paiement des intérêts d’abord puisque l’appelante niait devoir des intérêts : voir l’affidavit de Mme Lise Powers, dossier d’appel, volume 2, page 410, aux paragraphes 8, 9 et 10. La lettre de l’appelante contenant l’offre fut acheminée à l’intimée le 16 octobre 2007.

 

[55]           Le 30 octobre 2007, l’intimée répond à l’appelante qu’elle accepte l’offre de paiement de l’appelante, mais l’informe qu’elle imputera d’abord le paiement sur les intérêts dus et que la balance du capital continuera de porter intérêts jusqu’à paiement final. L’intimée ajoute aussi ceci :

 

Notez que la Ville a également l’obligation de maintenir les sommes en réserve.

 

 

[56]           L’appelante a estimé que la réponse de l’intimée n’exprimait pas clairement l’engagement de cette dernière de rembourser le trop-payé dans l’hypothèse où l’appelante aurait gain de cause : affidavit de Mme Lise Powers, dossier d’appel, volume 2, page 410, au paragraphe 10. L’appelante ne fait aucune mention de la note de l’intimée qu’elle gardera les sommes reçues en réserve et de la signification qu’il faut accorder à cette note.

 

[57]           Je rappelle que cet échange de correspondance a cours dans un contexte légal où l’article 6 du Règlement stipule que le paiement de l’appelante « n’est assorti d’aucune condition », où l’article 1570 du C.C.Q. énonce que, dans le cas d’un paiement qui n’est pas intégral, le paiement « s’impute d’abord sur les intérêts », où l’article 1491 du C.C.Q. confère clairement un droit à la restitution de l’indu et finalement où l’intimée ne peut engager à ses fins les sommes qui font l’objet du litige.

 

[58]           Lors d’une réunion tenue entre les parties le 21 novembre 2007, l’appelante offre à l’intimée de payer le montant en capital seulement. Dans une lettre datée du 8 janvier 2008, l’intimée refuse cette offre et réitère la position qu’elle avait prise dans sa lettre du 30 octobre 2007. Elle s’engage donc à nouveau à garder en réserve les sommes qui lui seraient versées.

 

[59]           Loin de moi l’idée de faire reproche à qui que ce soit, je ne peux cependant m’empêcher de penser que l’imprécision entourant le concept de compensation réclamée par l’appelante, la position ambiguë de l’intimée quant au remboursement du trop-payé, l’offre d’un paiement conditionnel de la part de l’appelante alors qu’il ne doit pas être assorti de conditions et le refus de l’appelante de verser le versement provisoire exigé par le Règlement a, je crois, créé un climat de méfiance chez l’un, de frustration chez l’autre, et d’incompréhension pour les deux de leurs positions respectives.

 

Conclusion

 

[60]           Pour les motifs exprimés, je rejetterais l’appel avec dépens.

 

 

« Gilles Létourneau »

j.c.a.

 

« Je suis d’accord

            Pierre Blais, j.c. »

 

« Je suis d’accord

            J.D. Denis Pelletier, j.c.a. »

 

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    A-360-11

 

 

INTITULÉ :                                                   SOCIÉTÉ RADIO-CANADA c. VILLE DE

                                                                        MONTRÉAL

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 5 juin 2012

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE LÉTOURNEAU

 

Y ONT SOUSCRIT :                                     LE JUGE EN CHEF BLAIS

                                                                        LE JUGE PELLETIER

 

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 15 juin 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Jean-Pierre Michaud

Me Valérie Scott

 

POUR L’APPELANTE

 

Me Luc Lamarre

Me Vincent Jacob

 

POUR L’INTIMÉE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

BORDEN LADNER GERVAIS s.e.n.c.r.l., s.r.l.

Montréal (Québec)

 

POUR L’APPELANTE

 

BRUNET LAMARRE

Montréal (Québec)

POUR L’INTIMÉE

 

 

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