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Date : 20120622

Dossier : A‑65‑11

Référence : 2012 CAF 190

 

CORAM :      LE JUGE EVANS

                        LA JUGE DAWSON

                        LA JUGE MACTAVISH (d’office)

 

ENTRE :

TREENA‑RAY CHAULK

demanderesse

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

et

 

LE GREATER ESSEX COUNTY

DISTRICT SCHOOL BOARD

intervenant

 

 

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 23 avril 2012.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 22 juin 2012.

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                               LE JUGE EVANS

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                      LA JUGE DAWSON

LA JUGE MACTAVISH (d’office)

 

 


Date : 20120622

Dossier : A‑65‑11

Référence : 2012 CAF 190

CORAM :      LE JUGE EVANS

                        LA JUGE DAWSON

                        LA JUGE MACTAVISH (d’office)

 

ENTRE :

TREENA‑RAY CHAULK

demanderesse

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

 

et

 

LE GREATER ESSEX COUNTY

DISTRICT SCHOOL BOARD

intervenant

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE EVANS

Introduction

[1]               La Commission de l’assurance‑emploi du Canada (la Commission) a décidé que Treena‑Ray Chaulk, une enseignante, avait reçu un versement excédentaire de prestations de maternité de l’assurance‑emploi (AE).

 

[2]               Mme Chaulk a interjeté appel de cette décision devant un conseil arbitral (le conseil arbitral). Celui‑ci a accueilli l’appel dans une décision datée du 1er avril 2010. La Commission a ensuite interjeté appel devant un juge‑arbitre, qui a statué que le conseil arbitral avait commis une erreur de droit lorsqu’il avait accueilli l’appel de Mme Chaulk. Cette dernière a présenté devant notre Cour une demande de contrôle judiciaire dans le but de faire annuler la décision du juge‑arbitre (CUB 76095) datée du 6 janvier 2011.

 

[3]               Les prestations d’AE sont réduites du montant de toute rémunération provenant d’un emploi qu’un prestataire reçoit pendant que lui sont versées ces prestations, y compris les indemnités aux termes d’un régime de congés de maternité : sous‑alinéa 35(2)c)(ii) du Règlement sur l’assurance‑emploi, DORS/96‑332 (le Règlement). L’article 38 du Règlement prévoit cependant une exception partielle à cette règle générale : les paiements faits à une prestataire en raison d’une grossesse sont exclus à titre de « rémunération » pour l’application de l’article 35, de sorte qu’ils ne réduisent pas les prestations de maternité de l’AE, sauf dans la mesure où les paiements et les prestations d’AE combinés excèdent la « rémunération hebdomadaire normale » de la prestataire.

 

[4]               En l’espèce, la Commission a décidé que la combinaison des prestations d’AE et du supplément de rémunération versé à Mme Chaulk par son employeur en application de la convention collective – le régime de suppléments aux prestations d’AE – excédait de 452 $ sa « rémunération hebdomadaire normale ». Selon la Commission, cet excédent constituait une « rémunération » et réduisait donc le montant des prestations d’AE auxquelles Mme Chaulk avait droit par ailleurs, de sorte qu’elle avait reçu un versement excédentaire hebdomadaire de 452 $.

 

[5]               L’alinéa 38a) du Règlement est la disposition pertinente en l’espèce.

38. Est exclue à titre de rémunération pour l’application de l’article 35 la partie de tout versement payé au prestataire à titre d’assuré en raison d’une grossesse, des soins donnés à un ou plusieurs enfants visés aux paragraphes 23(1) ou 152.05(1) de la Loi ou des soins ou du soutien donnés à un membre de la famille visé aux paragraphes 23.1(2) ou 152.06(1) de la Loi, ou d’une combinaison de ces raisons, qui :

 

 

a) d’une part, lorsqu’elle est ajoutée à la partie du taux de prestations hebdomadaires du prestataire provenant de son emploi, n’excède pas sa rémunération hebdomadaire normale provenant de cet emploi;

 

[…]

38. The following portion of any payments that are paid to a claimant as an insured person because of pregnancy, for the care of a child or children referred to in subsection 23(1) or 152.05(1) of the Act, or for the care or support of a family member referred to in subsection 23.1(2) or 152.06(1) of the Act, or because of any combination of those reasons, is excluded as earnings for the purposes of section 35, namely, the portion that

 

(a) when combined with the portion of the claimant’s weekly benefit rate from that employment, does not exceed that claimant’s normal weekly earnings from that employment; and

 

 

[6]               La question de droit qu’il faut trancher en l’espèce concerne la façon de calculer la « rémunération hebdomadaire normale » de Mme Chaulk, expression qui n’est pas définie dans la loi. La Commission a déterminé cette « rémunération hebdomadaire normale » en divisant le salaire annualisé de Mme Chaulk par les 52 semaines de l’année. L’intervenant, le Greater Essex District School Board, appuie cette position.

 

[7]               Mme Chaulk est d’un autre avis. Elle dit que, comme la convention collective qui régit son emploi exige seulement que les enseignants travaillent pendant les 194 jours de l’année scolaire, son salaire devrait être réparti sur ce nombre de jours. En conséquence, sa « rémunération hebdomadaire normale » devrait être calculée en divisant son salaire par 194 et en multipliant le résultat par cinq – le nombre de jours d’une semaine de travail. De cette façon, ses prestations de maternité de l’AE et son supplément combinés n’excédaient pas sa « rémunération hebdomadaire normale » et, en conséquence, aucune partie de ce supplément ne constituait une « rémunération » pour l’application de l’article 35. Elle n’avait donc reçu aucun versement excédentaire de prestations d’AE.

 

[8]               À mon avis, la façon de déterminer la « rémunération hebdomadaire normale » proposée par Mme Chaulk est correcte. Le juge‑arbitre a donc commis une erreur de droit en accueillant l’appel interjeté par la Commission à l’encontre de la décision du conseil arbitral. Par conséquent, j’accueillerais la demande de contrôle judiciaire de Mme Chaulk et annulerais la décision du juge‑arbitre.

 

Le contexte

[9]               À toutes les époques pertinentes, Mme Chaulk était une institutrice permanente à l’emploi du Hastings and Prince Edward County District School Board (l’employeur). Comme tous les autres instituteurs en Ontario, elle était représentée dans ses relations avec son employeur par un agent de négociation réglementaire, la Fédération des enseignantes et des enseignants de l’élémentaire de l’Ontario (le syndicat).

 

[10]           Le paragraphe 2(3.1) du R.R.O. 1990, Règlement 304, adopté sous le régime de la Loi sur l’éducation, L.R.O. 1990, ch. E.2, prévoit que chaque année scolaire comprend au moins 194 jours de classe, dont au moins 188 sont consacrés à l’enseignement.

 

[11]           L’article 11.01 de la convention collective conclue entre le syndicat et l’employeur, qui est en vigueur du 1er septembre 2008 au 31 août 2012, prévoit que les enseignants ne sont pas tenus de travailler les jours précédant le début officiel de l’année scolaire pour les élèves, sauf lorsqu’il n’y a pas 194 jours entre la fête du Travail et le 30 juin. Les écoles sont fermées pendant les mois de juillet et d’août pour les vacances estivales.

 

[12]           Le salaire annualisé de Mme Chaulk était de 69 000 $ environ en 2009. Selon le paragraphe 9.02.01 de la convention collective, les enseignants reçoivent leur salaire [traduction] « échu ou à échoir » en 26 ou 27 versements égaux chaque deuxième vendredi de chaque mois à compter du dernier vendredi d’août. Mme Chaulk était payée 1 327 $ chaque semaine.

 

[13]           Mme Chaulk a été en congé de maternité à compter du 22 juin 2009. L’employeur lui a versé une somme globale représentant la partie des 189 jours de classe sur les 194 qu’elle avait travaillés au cours de l’année scolaire qui ne lui avait pas été payée. Cette somme incluait les versements de salaire qui lui auraient autrement été payés en juillet et en août. À la même époque, elle a présenté une demande de prestations de maternité de l’AE. Le 5 juillet 2009, après le délai de carence de deux semaines prévu par la loi, elle a commencé à recevoir des prestations hebdomadaires d’AE de 447 $.

 

[14]           Le paragraphe 31.04.06 de la convention collective définit le montant du supplément aux prestations d’AE payable et prévoit ce qui suit :

[traduction]

31.04.06          En ce qui concerne uniquement le congé de maternité, une enseignante admissible à l’AE peut choisir de recevoir un supplément aux prestations d’AE pour un congé de maternité au lieu de prendre un congé de maladie pour la période de rétablissement consécutive à l’accouchement visé au paragraphe 31.02.05; ce supplément peut s’ajouter à celui pouvant être versé relativement au délai de carence de deux semaines.

 

31.04.06.01          Le supplément aux prestations d’AE pour un congé de maternité est fondé sur le Règlement sur l’assurance‑emploi et y est assujetti.

 

31.04.06.02          Le supplément aux prestations d’AE pour un congé de maternité doit correspondre à la différence entre ce qu’une enseignante reçoit au titre de l’AE et la totalité de son salaire régulier (basé sur 1/194) pour la période maximale de rétablissement de six semaines consécutives à la naissance, sans aucune déduction au titre du congé de maladie pour cette période.

 

31.04.06.03          Pour les neuf (9) semaines de congé de maternité qui suivent le délai de carence de deux semaines et les six (6) semaines de rétablissement consécutives à la naissance, ou pour les quinze (15) semaines de congé parental qui suivent le délai de carence de deux semaines, ou toute partie de ceux‑ci, l’employeur verse un supplément aux prestations d’AE pour un congé de maternité ou un congé parental égal à la différence entre soixante (60) pour cent du salaire hebdomadaire régulier de l’enseignant et le montant de ses prestations hebdomadaires d’AE.

 

 

[15]           L’alinéa 31.04.06.02 est directement pertinent en l’espèce. En pratique, la question de la « rémunération hebdomadaire normale » ne se pose que pendant les six semaines visées par cette disposition. Pendant le délai de carence de deux semaines qui doit s’écouler avant qu’elle commence à recevoir des prestations d’AE, la prestataire reçoit seulement le supplément. Pendant les neuf semaines qui suivent la période de six semaines, le supplément est limité à la différence entre 60 % du salaire régulier de la prestataire et ses prestations hebdomadaires d’AE. Ainsi, pendant cette période de neuf semaines, le supplément et les prestations hebdomadaires d’AE de la prestataire n’excéderaient pas sa « rémunération hebdomadaire normale », quelle que soit la manière dont elle est calculée.

 

[16]           Conformément à une décision arbitrale rendue le 15 janvier 2009, l’employeur a considéré que le supplément hebdomadaire payable à Mme Chaulk en vertu de l’alinéa 31.04.06.02 équivalait à la différence entre 5/194 de son salaire annualisé et ses prestations d’AE. L’avocat du procureur général s’est opposé à l’admission de cette décision et aux mentions de celle‑ci dans le mémoire des faits et du droit déposé pour le compte de Mme Chaulk parce qu’elle n’avait pas été présentée au décideur et qu’elle ne faisait donc pas partie du dossier du tribunal. À l’audience, la Cour a rejeté cette objection au motif que la décision arbitrale avait été invoquée dans le but d’expliquer la demande et non à titre de nouvel élément de preuve contredisant une conclusion de fait tirée par le décideur.

 

[17]           Pour chacune des six semaines en cause dans la présente demande (du 5 juillet au 9 août 2009), Mme Chaulk a eu un revenu de 1 779 $, prestations de maternité de l’AE et supplément combinés. Ce montant excède de 452 $ par semaine la somme de 1 327 $ par semaine qu’elle aurait reçue de son employeur pour chacune des six semaines si elle n’avait pas été en congé. La Commission affirme que cette somme de 452 $ constitue une « rémunération », de sorte que Mme Chaulk a reçu un versement excédentaire de 2 682 $ pour la période de six semaines. Toutefois, si elle était calculée à raison de 5/194 du salaire, sa « rémunération hebdomadaire normale » serait d’environ 1 785 $, soit un montant supérieur à ses prestations d’AE et son supplément combinés, de sorte qu’aucune partie du supplément ne constituerait une rémunération pour l’application de l’article 35.

 

[18]           Le litige qui sous‑tend la présente instance trouve son origine dans des désaccords entre l’employeur et le syndicat au sujet du paiement du supplément aux prestations d’AE. Dans une décision datée du 5 juillet 2006, l’arbitre Louise Davie a statué que, lorsqu’on l’interprète correctement, le libellé de la convention collective prévoit le paiement d’un supplément aux prestations d’AE non seulement pendant les périodes d’enseignement, mais aussi pendant les autres périodes, y compris en juillet et en août.

 

[19]           La Commission a ensuite informé l’employeur que, en ce qui concerne le supplément prévu pour un congé de maternité, la « rémunération hebdomadaire normale » visée à l’article 38 du Règlement devait être déterminée sur la base du salaire de l’employée pendant 52 semaines (1/52 du salaire annuel). L’employeur et le syndicat ont ensuite demandé conjointement à la Commission d’interpréter la « rémunération hebdomadaire normale » dans le contexte de leur convention collective. Ils ont fait valoir que la « rémunération hebdomadaire normale » devait être calculée en utilisant le nombre de jours dans une année d’enseignement scolaire, soit à raison de 5/194 du salaire annuel.

 

[20]           La Commission a rejeté ces prétentions et a indiqué que la « rémunération hebdomadaire normale » équivalait à 1/52 du salaire annualisé d’un enseignant. S’appuyant sur cette décision, l’employeur a décidé de limiter les versements hebdomadaires du supplément aux prestations d’AE à 1/52 du salaire lorsque les 5/194 combinés aux prestations d’AE excédent la « rémunération hebdomadaire normale ». L’employeur s’est fondé sur l’article 31.04.06.01 de la convention collective, qui prévoit que les versements du supplément aux prestations d’AE prévu pour un congé de maternité sont assujettis au Règlement sur l’AE. Les parties sont retournées devant l’arbitre Davie afin d’obtenir une décision sur cette question.

 

[21]           Dans une décision rendue le 15 janvier 2009, l’arbitre a conclu que l’article 31.04.06.02 de la convention collective prévoyait expressément que l’employeur devait verser le supplément pour compléter les prestations d’AE d’une enseignante de façon que celle‑ci reçoive [traduction] « la totalité de son salaire régulier (basé sur 1/194) […] » pendant un maximum de six semaines. L’arbitre a statué également que, comme les enseignants travaillaient pendant une année scolaire de 194 jours, il ne convenait pas que la Commission calcule la « rémunération hebdomadaire normale » d’une enseignante pour l’application de l’article 38 à raison de 1/52 du salaire de celle‑ci.

 

[22]           L’employeur a calculé le supplément payable à Mme Chaulk en conformité avec cette décision et en a avisé la Commission. Cette dernière a maintenu son interprétation de la « rémunération hebdomadaire normale ». Elle a mentionné qu’elle considérait le versement d’un supplément comme une « rémunération » dans la mesure où cette somme, combinée aux prestations d’AE de Mme Chaulk, excédait 1/52 de son salaire annualisé. La Commission a délivré à Mme Chaulk un avis de versement excédentaire de 2 682 $ relativement à la période de six semaines ayant débuté le 5 juillet 2009.

 

Questions en litige et analyse

(i)         Norme de contrôle

[23]           La question que la Cour doit trancher en l’espèce concerne essentiellement l’interprétation du Règlement, quoique le libellé de la convention collective établisse un contexte important au regard de l’interprétation de l’expression « rémunération hebdomadaire normale » employée à l’article 38. La question de savoir si la « rémunération hebdomadaire normale » d’une enseignante assujettie à cette convention collective doit être calculée sur la base d’une semaine sur les 52 de l’année civile ou de cinq jours sur les 194 de l’année scolaire n’est pas limitée aux faits de la présente affaire. La décision qui sera rendue en l’espèce est susceptible d’avoir des répercussions sur d’autres enseignants non seulement du conseil scolaire de district en cause, mais aussi d’autres conseils scolaires de district en Ontario qui ont conclu des conventions collectives renfermant des dispositions similaires prévoyant notamment des suppléments aux prestations d’AE.

 

[24]           La question en litige dans la présente demande de contrôle judiciaire est donc une question d’interprétation, et non une question d’application du droit aux faits – en d’autres termes, une question de droit et non une question mixte de fait et de droit.

 

[25]           La question de la norme de contrôle se pose à deux étapes du règlement des litiges découlant de l’administration du régime d’AE : lors de l’appel de la décision d’un conseil arbitral devant un juge‑arbitre pour les moyens limités décrits au paragraphe 115(2) de la Loi sur l’assurance‑emploi, L.C. 1996, ch. 23 (la Loi), et lors du contrôle judiciaire par la Cour de la décision du juge‑arbitre.

 

[26]           Notre Cour a constamment statué qu’elle‑même et les juges‑arbitres doivent appliquer la norme de la décision correcte aux questions de droit concernant l’interprétation des dispositions législatives relatives à l’AE : voir, par exemple, Canada (Procureur général) c. Sveinson, 2001 CAF 315, [2002] 2 C.F. 205, aux paragraphes 12 à 17 (juges‑arbitres); Budhai c. Canada (Procureur général), 2002 CAF 298, [2003] 2 C.F. 57, aux paragraphes 42 et 48 (conseils arbitraux); Stone c. Canada (Procureur général), 2006 CAF 27, [2006] 4 R.C.F. 120, aux paragraphes 13 à 18 (conseils arbitraux).

 

[27]           La Cour a aussi formulé des remarques à cet effet dans des arrêts postérieurs à Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2009] 1 R.C.S. 190 (Dunsmuir), même s’il a été établi dans cet arrêt que l’interprétation de sa loi habilitante par un tribunal spécialisé est généralement assujettie à la norme de la raisonnabilité : voir, par exemple, Martens c. Canada (Procureur général), 2008 CAF 240, au paragraphe 30 (juges‑arbitres et conseils arbitraux); MacNeil c. Canada (Commission de l’assurance‑emploi), 2009 CAF 306, 396 N.R. 157, aux paragraphes 24 à 27; Canada (Procureur général) c. Lemire, 2010 CAF 314, aux paragraphes 8 et 9; Canada (Procureur général) c. Trochimchuk, 2011 CAF 268, 415 N.R. 88, au paragraphe 7.

 

[28]           L’avocat du procureur général a fait valoir que des arrêts récents de la Cour suprême avaient établi encore plus clairement que les cours de justice doivent presque invariablement faire preuve de déférence à l’égard d’un tribunal administratif qui interprète sa loi habilitante : Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 53, [2011] 3 R.C.S. 471, au paragraphe 24; Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 R.C.S. 654, aux paragraphes 30 et 34 (Alberta Teachers).

 

[29]           À mon avis, bien qu’il ressorte de ces arrêts que l’interprétation qu’un tribunal administratif fait de sa loi habilitante est presque toujours assujettie à la norme de contrôle de la raisonnabilité (voir, en particulier, Alberta Teachers, au paragraphe 34), ils ne modifient pas l’interprétation du droit établie dans Dunsmuir de manière suffisamment importante pour justifier que la Cour s’écarte de sa jurisprudence bien établie.

 

[30]           Une cour de révision peut éviter d’effectuer une analyse complète de la norme de contrôle si des décisions antérieures ont réglé la question de manière satisfaisante : Dunsmuir, aux paragraphes 57 et 62; Nor‑Man Regional Health Authority Inc. c. Manitoba Association of Health Care Professionals, 2011 CSC 59, [2011] 3 R.C.S. 708, au paragraphe 30; Alberta Teachers, au paragraphe 37 (la norme de contrôle de la décision correcte a été appliquée dans Northrop Grumman Overseas Services Corp. c. Canada (Procureur général), 2009 CSC 50, [2009] 3 R.C.S. 309, sur la foi de précédents).

 

[31]           Quoi qu’il en soit, un nouveau régime relatif aux appels en matière d’AE sera vraisemblablement adopté bientôt et la question de la norme de contrôle pourra être réexaminée dans ce contexte : voir le projet de loi C‑38, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 29 mars 2012 et mettant en œuvre d’autres mesures, 41e législature, 1re session, 2012, articles 223 à 250 (première lecture au Sénat le 18 juin 2012). Il ne serait pas vraiment utile de changer le droit bien établi de notre Cour alors que le régime actuel sera bientôt remplacé. Il appartient à la Cour suprême du Canada de nous corriger si nous avons tort.

 

(ii)        Caractère suffisant des motifs

[32]           Selon l’avocat de Mme Chaulk, la décision du juge‑arbitre doit être annulée parce que ses motifs étaient insuffisants, car ils n’indiquent pas clairement le fondement de sa décision. Comme j’ai conclu que l’interprétation donnée à l’expression « rémunération hebdomadaire normale » par le juge‑arbitre était erronée en droit, il n’est pas nécessaire que j’examine cette question.

 

[33]           J’aimerais seulement ajouter que, à la lumière de Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 R.C.S. 708, il sera probablement difficile de convaincre une cour de révision d’intervenir uniquement parce que les motifs d’un tribunal administratif ne sont pas suffisants, en particulier lorsque, comme en l’espèce, la question en litige est une question de droit à laquelle la norme de la décision correcte s’applique.

 

 

(iii)       Le fondement sur lequel le juge‑arbitre a déterminé la « rémunération hebdomadaire normale » de Mme Chaulk était‑il erroné en droit?

 

(a)  Jurisprudence

[34]           Il n’existe aucun précédent traitant directement de cette question et ni la Loi ni le Règlement ne définissent l’expression « rémunération hebdomadaire normale » pour l’application de l’article 38. Le juge‑arbitre s’est appuyé sur les brefs motifs rendus oralement dans Canada (Procureur général) c. Fox (1997), 220 N.R. 60 (C.A.F.) (Fox), qui semble être la seule affaire dans laquelle une cour de justice a eu l’occasion de se pencher sur le sens de « rémunération hebdomadaire normale ». À mon avis cependant, cet arrêt n’est pas très utile pour régler le présent litige.

 

[35]           Premièrement, Fox portait sur une question très différente de celle en litige en l’espèce : la paie de vacances, une récompense pour 25 années de service et une prime incitative annuelle devaient‑elles être incluses dans la « rémunération hebdomadaire normale »? La Cour a répondu à cette question par la négative parce que ces montants ressemblaient davantage à des avantages sociaux : ils ne s’accumulaient pas chaque semaine et n’étaient pas versés périodiquement. En d’autres termes, le litige dans Fox avait trait à la question de savoir si des éléments particuliers devaient être inclus dans la « rémunération hebdomadaire normale » du prestataire et non, comme en l’espèce, de quelle façon la rémunération devait être calculée.

 

[36]           Deuxièmement, la définition donnée par la Cour à l’expression « rémunération hebdomadaire normale » – « la rémunération ordinaire, habituelle, que le prestataire reçoit ou gagne régulièrement » (au paragraphe 3) (non souligné dans l’original) – ne règle pas la question en l’espèce. Si c’est le montant de la rémunération reçue par un employé qui est déterminant, alors la Commission a sans doute raison parce que, lorsqu’elle n’était pas en congé, Mme Chaulk recevait des paiements de salaire à raison de 1/52 de son salaire annualisé. Par contre, si c’est le montant gagné par un employé qui est déterminant, Mme Chaulk peut faire valoir qu’elle devrait avoir gain de cause puisque la convention collective stipule qu’elle gagne son salaire en exécutant des tâches professionnelles pendant les 194 jours de l’année scolaire, ce que l’avocat de la Commission a reconnu.

 

[37]           L’avocat de Mme Chaulk soutient que la demande de celle‑ci est étayée par Dick c. Sous‑procureur général du Canada, [1980] 2 R.C.S. 243. Dans cette affaire, une convention collective prévoyait qu’une enseignante recevait, au début de son congé de maternité, une somme globale pour les services déjà fournis. Comme dans le cas de Mme Chaulk, le montant payé à Mme Dick au début de son congé de maternité avait été calculé en fonction du nombre de jours de l’année scolaire de 200 jours pendant lesquels elle avait fourni ses services. Mme Dick a commencé à recevoir des prestations de maternité de l’AE en avril; ces prestations étaient payables pendant 15 semaines, soit jusqu’au 24 juillet.

 

[38]           La Commission lui a cependant refusé toute prestation à partir du 4 juillet parce que la somme globale qu’elle avait reçue de son employeur en avril incluait ce qu’elle aurait autrement reçu en juillet et en août alors que ses services n’étaient pas requis. Selon la Commission, Mme Dick n’était donc pas au chômage en juillet et elle avait reçu sa rémunération habituelle pour ce mois. Comme Mme Chaulk, Mme Dick recevait son salaire au moyen de versements répartis sur une période de 12 mois quand elle n’était pas en congé.

 

[39]           La Cour suprême du Canada a accueilli l’appel de Mme Dick. Elle a statué que celle‑ci avait droit aux 15 semaines normales de prestations de maternité. Elle a convenu avec la Commission que le contrat de travail de Mme Dick s’était poursuivi pendant son congé. Elle a toutefois indiqué que Mme Dick avait « quitté son poste » lorsqu’elle avait commencé son congé. En conséquence, la somme globale qu’elle avait reçue était pour les services qu’elle avait fournis jusqu’à ce moment‑là, et aucune partie n’en était attribuable aux mois de juillet et d’août alors qu’elle n’était pas tenue de travailler.

 

[40]           L’avocat de la Commission soutient que Dick n’aide pas la cause de Mme Chaulk parce que la disposition législative pertinente en l’espèce est différente : l’expression « rémunération hebdomadaire normale » employée à l’article 38 du Règlement, disposition qui n’avait pas encore été adoptée à l’époque où Dick a été rendu. Je conviens que cet arrêt ne porte pas directement sur la même question, mais la Cour suprême y formule deux propositions qui sont pertinentes en l’espèce à mon avis.

 

[41]           Premièrement, le fait que le salaire de Mme Dick lui était payé en versements répartis sur une période de 12 mois ou sur les dix mois de l’année scolaire n’avait aucune importance sur le plan juridique dans cette affaire. Le mode de paiement n’est rien de plus qu’une commodité administrative. Deuxièmement, la somme globale a été versée à Mme Dick en échange des services qu’elle avait fournis jusqu’au début de son congé et n’était en rien attribuable aux mois de juillet et d’août alors qu’elle n’était pas tenue de fournir des services. À mon avis, la thèse de Mme Chaulk est conforme à ces conclusions.

 

[42]           Je conviens avec l’avocat de la Commission que l’article 36 du Règlement n’est pas pertinent en l’espèce. Je n’examinerai donc pas la jurisprudence concernant la répartition du revenu sous le régime de cette disposition.

 

(b) Convention collective

[43]           La « rémunération hebdomadaire normale » d’un prestataire pour l’application de l’article 38 du Règlement ne saurait être déterminée dans l’abstrait. Cette détermination doit être faite dans le contexte du contrat de travail du prestataire – en l’espèce, la convention collective conclue entre le syndicat de Mme Chaulk et son employeur. Je suis d’accord avec l’avocat de la Commission lorsqu’il dit que les parties ne peuvent [traduction] « déroger contractuellement » à l’article 38. Il est cependant essentiel de se référer au libellé d’un contrat de travail pour déterminer notamment le nombre de semaines pour lesquelles un employé est payé.

 

[44]           Dans sa plaidoirie, l’avocat de la Commission a reconnu que, aux termes de la convention collective, Mme Chaulk a été payée pour le nombre de semaines pendant lesquelles elle avait travaillé durant l’année scolaire, c’est‑à‑dire qu’elle n’a pas été payée pour les mois de juillet et d’août lorsqu’elle n’était pas tenue de travailler, mais qu’elle a reçu son salaire chaque semaine pendant le reste de l’année sous forme de versements répartis sur une période de 12 mois.

 

[45]           À mon avis, l’avocat a eu raison de reconnaître ce fait. La convention collective prévoit que, lorsqu’un enseignant quitte son emploi pendant l’année scolaire, il a droit à un paiement calculé en fonction du nombre de jours pendant lesquels il a travaillé, divisé par les 194 jours de l’année scolaire. Ainsi, il ne fait aucun doute que les enseignants ne sont pas payés pour les mois de juillet et d’août, et aucune disposition de la convention collective ne prévoit le contraire.

 

[46]           L’avocat a aussi reconnu (encore une fois, à juste titre à mon avis, compte tenu de Dick) que le fait que le salaire est payé à un enseignant en versements répartis sur une période de dix ou de 12 mois n’a aucune importance lorsqu’il faut calculer la « rémunération hebdomadaire normale » de cet enseignant.

 

(c)  L’argument de l’« anomalie »

[47]           Le principal argument de la Commission était que, selon la méthode de détermination de sa « rémunération hebdomadaire normale » utilisée par Mme Chaulk, celle‑ci aurait droit pendant les six semaines en question à une somme supérieure à celle qu’elle aurait reçue pendant ces semaines si elle n’avait pas été en congé. Ainsi, Mme Chaulk aurait reçu, si elle n’avait pas été en congé, une somme hebdomadaire de 1 327 $, alors que ses prestations d’AE et son supplément à celles‑ci totalisaient 1 779 $ par semaine pendant qu’elle était en congé.

 

[48]           L’avocat a soutenu que les prestations d’AE versées à Mme Chaulk visaient dans une certaine mesure à remplacer le revenu qu’elle perdait à cause de sa grossesse. Il aurait ainsi été contraire à l’objet du régime de lui permettre de conserver le plein montant des prestations d’AE pendant ces semaines parce que, lorsque celles‑ci étaient combinées au supplément, Mme Chaulk recevait un montant plus élevé que si elle n’avait pas été en congé. Les employeurs et les employés ne peuvent pas, par un contrat d’emploi, créer une situation que le législateur ne peut pas avoir voulue. Il est injuste que, pendant une période donnée, une enseignante en congé reçoive davantage qu’une enseignante ayant le même salaire qui est au travail. Il est impossible que le législateur ait voulu créer des anomalies de ce genre.

 

[49]           Lorsqu’on l’examine de plus près cependant, cet argument est moins convaincant qu’il semble l’être à première vue. Il dépend du fait que la période de comparaison est limitée aux six semaines pendant lesquelles Mme Chaulk recevait à la fois des prestations d’AE et un supplément à celles‑ci qui faisaient en sorte qu’elle recevait un montant correspondant à son salaire régulier. Comme son avocat l’a souligné, au‑delà de ces six semaines, Mme Chaulk recevait moins que si elle n’avait pas été en congé, parce que le supplément aux prestations d’AE est réduit à la différence entre 60 % de son salaire régulier et ses prestations hebdomadaires d’AE pendant les neuf semaines du congé de maternité qui suivent les six semaines de rétablissement consécutives à la grossesse.

 

[50]           En outre, comme Mme Chaulk a commencé son congé après avoir travaillé pendant les 194 jours de l’année scolaire, à l’exception de cinq jours, elle a reçu davantage, en raison des prestations d’AE, pour les six semaines en question que si elle n’avait pas été en congé. La somme globale versée par son employeur vers la fin de juin incluait les versements de salaire qu’elle aurait dû recevoir en juillet et en août, desquels une somme correspondant aux 5/194 de son salaire (1 779 $) a été soustraite. Elle a reçu des prestations d’AE totalisant 2 682 $ (447 $ x 6) pendant les six semaines entre le 5 juillet et le 9 août. Ainsi, sans tenir compte du supplément, Mme Chaulk a reçu 903 $ (2 682 $ ‑ 1 779 $) de plus pour cette période de six semaines que si elle n’avait pas été en congé.

 

[51]           J’estime que l’anomalie sur laquelle la Commission s’appuie dans ce régime législatif complexe n’est ni unique ni flagrante au point de justifier le rejet de la méthode utilisée par Mme Chaulk pour calculer sa « rémunération hebdomadaire normale » dans le contexte de la convention collective conclue entre son syndicat et son employeur.

 

Conclusions

[52]           Pour ces motifs, j’accueillerais la demande de contrôle judiciaire avec dépens, j’annulerais la décision du juge‑arbitre et je renverrais l’affaire au juge‑arbitre en chef ou à son délégué, étant donné que l’appel interjeté par la Commission à l’encontre de la décision du conseil arbitral est rejeté.

 

 

« John M. Evans »

j.c.a.

 

 

 

« Je suis d’accord.

            Eleanor R. Dawson, j.c.a. »

 

« Je suis d’accord.

            Anne L. Mactavish, j.c.a. » (d’office)

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    A‑65‑11

 

 

(DEMANDE DE CONTRÔLE JUDICIAIRE CONCERNANT LA DÉCISION RENDUE PAR R.J. MARIN EN DATE DU 6 JANVIER 2011 DANS LE DOSSIER CUB 76095)

 

 

INTITULÉ :                                                  TREENA‑RAY CHAULK c.
LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA ET LE GREATER ESSEX COUNTY DISTRICT SCHOOL BOARD

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 23 avril 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                       LE JUGE EVANS

 

Y ONT SOUSCRIT :                                   LA JUGE DAWSON

                                                                        LA JUGE MACTAVISH (d’office)

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 22 juin 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Howard Goldblatt

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Benoit Laframboise

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

Leonard P. Kavanaugh, c.r.

 

POUR L’INTERVENANT

 

 


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Sack Goldblatt Mitchell LLP

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

Kavanaugh, Milloy

Windsor (Ontario)

 

POUR L’INTERVENANT

 

 

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