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Date : 20120629

Dossier : A‑463‑10

Référence : 2012 CAF 201

 

CORAM :      LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE PELLETIER

                        LA JUGE GAUTHIER

 

ENTRE :

 

MARLBORO CANADA LIMITÉE et

IMPERIAL TOBACCO CANADA LIMITÉE

appelantes

 

et

 

PHILIP MORRIS PRODUCTS S.A. et

ROTHMANS, BENSON & HEDGES INC.

intimées

 

 

Audience tenue à Montréal (Québec), le 18 janvier 2012

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 29 juin 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                        LA JUGE GAUTHIER

Y ONT SOUSCRIT :                                                                             LE JUGE LÉTOURNEAU

                                                                                                                      LE JUGE PELLETIER


Date : 20120629

Dossier : A‑463‑10

Référence : 2012 CAF 201

 

CORAM :      LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE PELLETIER

                        LA JUGE GAUTHIER

 

ENTRE :

 

MARLBORO CANADA LIMITÉE et

IMPERIAL TOBACCO CANADA LIMITÉE

appelantes

 

et

 

PHILIP MORRIS PRODUCTS S.A. et

ROTHMANS, BENSON & HEDGES INC.

intimées

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

LA JUGE GAUTHIER

 

[1]               Les parties appellent chacune de diverses conclusions de la décision de la Cour fédérale publiée sous la référence 2010 CF 1099, par laquelle le juge de première instance n’a accordé que partiellement à Philip Morris Products S.A. et à Rothmans, Benson & Hedges Inc. (ci‑après collectivement désignées « PM ») les mesures de réparation qu’elles sollicitaient, et a rejeté la demande reconventionnelle de Marlboro Canada Limitée et Imperial Tobacco Canada Limitée (ci‑après collectivement désignées « ITL ») en contrefaçon de leur marque de commerce MARLBORO[1] déposée au Canada sous le numéro LMCDF55988, ainsi que leur demande tendant à faire radier l’enregistrement de six des marques de commerce de PM liées aux marques figuratives ROOFTOP.

[2]               Pour les motifs dont l’exposé suit, j’estime qu’il convient d’accueillir l’appel interjeté par ITL contre le rejet de sa demande reconventionnelle en contrefaçon de marque de commerce relativement à l’habillage non déposé (devant et côté) du paquet de cigarettes sans nom de PM (voir l’annexe A). Quant à l’appel contre le refus par le juge de première instance de radier l’enregistrement de la marque de commerce LMC670898, il devrait à mon sens être rejeté.

[3]               J’estime que devrait aussi être rejeté l’appel incident de PM contre :

a.       le rejet par le juge de première instance de son action en contrefaçon de marque de commerce et en violation de l’Accord de 1952;

b.      la conclusion du juge de première instance selon laquelle l’enregistrement de la marque MARLBORO est toujours valide;

c.       la conclusion du juge de première instance selon laquelle ITL n’était pas empêchée par préclusion de contester les enregistrements de ses diverses marques figuratives ROOFTOP, en particulier l’enregistrement LMC670898.

 

LE CONTEXTE

[4]               Comme il sera expliqué de manière plus détaillée ci‑dessous, le juge du fond devait se prononcer sur diverses questions relatives aux marques de commerce d’ITL et de PM, ainsi que sur une demande en violation du droit d’auteur afférent à l’habillage au toit rouge du paquet de Marlboro par les paquets de cigarettes d’ITL de 1996, 2001 et 2007. Les habillages de ces quatre paquets sont reproduits au paragraphe 309 et à l’annexe C des motifs de la décision de première instance (les motifs).

[5]               La plupart des faits de la présente espèce – dont il faut souligner le caractère exceptionnel – ne sont pas contestés. Ils sont exposés en détail dans les motifs, notamment aux paragraphes 8 à 65.

[6]               Qu’il me suffise de dire ici que les parties ont derrière elles une longue histoire pour ce qui concerne l’emploi au Canada de la marque de commerce MARLBORO, qu’un prédécesseur en titre de PM a vendue à un prédécesseur en titre d’ITL autour de 1930 et qui a été déposée au Canada en 1932 sous le numéro LMCDF55988, pour y être ensuite employée de manière continue par ITL et ses prédécesseurs en titre en liaison avec des cigarettes.

[7]               Depuis la fin des années 1950, PM a essayé à diverses reprises de reprendre possession de la marque de commerce MARLBORO au Canada et de mettre fin à son emploi par ITL. C’est ainsi qu’elle a pris l’initiative de discussions, restées sans succès, visant à échanger cette marque contre l’une de ses autres marques ou à l’acheter (le peu d’éléments de preuve produit à ce sujet ne permet pas de se faire une idée précise de son offre). Par ailleurs, en 1981, PM a essayé de faire enregistrer l’habillage au toit rouge du paquet de Marlboro et contesté la validité de l’enregistrement LMCDF55988 d’ITL en introduisant une procédure devant le registraire des marques de commerce sous le régime de l’article 45 de la Loi sur les marques de commerce, S.R.C., ch. T-10 (la Loi). Elle a aussi intenté devant la Cour fédérale une action tendant à faire radier du registre la marque MARLBORO d’ITL au motif de son absence de caractère distinctif, qu’elle attribuait à la réputation de ses propres marques Marlboro déposées aux États‑Unis et à travers le monde, réputation acquise plusieurs décennies après que ses prédécesseurs en titre eurent cédé la marque MARLBORO aux prédécesseurs en titre d’ITL au Canada. Ces efforts se sont aussi révélés vains.

[8]               En 1984, par l’arrêt Philip Morris Inc. c. Imperial Tobacco Ltd. (1987), 17 C.P.R. (3d) 289, 81 N.R. 28 (C.A.), autorisation de pourvoi devant la C.S.C. refusée, 20674 (17 décembre 1987) [Philip Morris (1987)], notre Cour a rejeté de manière définitive la contestation de PM, posant en principe que même si le législateur canadien avait conféré par la Loi des droits spéciaux au propriétaire d’une marque de commerce – en particulier d’une marque réputée – déposée à l’étranger (par exemple le droit de faire opposition à l’enregistrement d’une marque qu’il avait « fait connaître » sous le régime de l’article 5 de la Loi et le droit de déposer certaines marques sous le régime de son article 17), le caractère distinctif d’une marque déposée au Canada par un cessionnaire légitime tel qu’ITL ne pouvait être mis en cause par les actions unilatérales d’un cédant qui n’employait pas cette marque au Canada (par exemple le débordement de la publicité américaine).

[9]               Entre 1958, année de l’enregistrement par PM de la première de ses marques figuratives ROOFTOP au Canada, et 2006, année de l’enregistrement de la dernière en date de ces mêmes marques, PM n’a jamais employé celles‑ci au Canada en liaison avec des cigarettes à mélange américain. Le Canada constituant un marché particulier où les consommateurs ont manifesté jusqu’à présent une préférence pour les cigarettes dites « à mélange de Virginie », PM a employé ses diverses marques figuratives ROOFTOP, ainsi que les marques nominales MATADOR et (dans une très faible mesure) MAVERICK, en liaison avec les cigarettes de cette catégorie.

[10]           En 2006, quelques jours après l’enregistrement, sous le numéro LMC670898, de la dernière version en date de sa marque figurative ROOFTOP, soit la version argent, qui incluait pour la première fois son emblème, PM a lancé au Canada un nouveau produit – une cigarette à mélange américain –, désigné [TRADUCTION] « la marque ROOFTOP » ou [TRADUCTION] « le paquet sans nom » en première instance aussi bien que devant notre Cour. L’habillage de ce produit est exceptionnel en ce que, pour la toute première fois au monde, des cigarettes étaient mises en vente dans un paquet sans nom de marque (ou sans marque nominale). De plus, ce paquet sans nom portait (sur le côté) la mention MÉLANGE IMPORTÉ DE RENOMMÉE MONDIALE / WORLD FAMOUS IMPORTED BLEND, employée pour la première fois au Canada. En outre, il arborait les éléments figuratifs les plus populaires et le slogan associés aux marques de commerce Marlboro de PM à l’échelle mondiale, et que celle‑ci avait employés durant plusieurs décennies au Canada en liaison avec sa marque MATADOR. Comme les cigarettes de marque Marlboro qu’elle vend à l’étranger, PM offrait celles du nouveau paquet sans nom dans des versions rouge, argent et or, censées correspondre respectivement à des tabacs de force différente.

[11]           Jusque peu avant le procès, PM demandait une conclusion déclaratoire selon laquelle sa [TRADUCTION] « marque de commerce figurative ROOFTOP » déposée, telle que définie par rapport à plusieurs enregistrements au paragraphe 6 de sa déclaration complémentaire modifiée, ne violait aucun des droits d’ITL en matière de marques de commerce, ainsi qu’une autre conclusion déclaratoire comme quoi les trois dernières versions du paquet de MARLBORO d’ITL (soit celles de 1996, de 2001 et de 2007) violaient son droit d’auteur sur l’habillage au toit rouge du paquet de Marlboro. L’un des moyens de défense avancés par PM contre la demande reconventionnelle d’ITL en contrefaçon de sa marque MARLBORO par les paquets sans nom (en versions rouge, or et argent) était que l’enregistrement des diverses marques de commerce employées par PM sur ces paquets excluait qu’on puisse conclure à la contrefaçon.

[12]           Par conséquent, deux semaines avant le procès, ITL a modifié sa demande reconventionnelle de manière à contester directement la validité des six marques figuratives ROOFTOP de PM (voir l’annexe B des motifs du juge de première instance, reproduite en annexe B des présents motifs). PM a alors modifié sa déclaration de manière à contester la validité de la marque MARLBORO d’ITL, une fois encore au motif de son absence de caractère distinctif.

[13]           Dans les 163 pages de sa décision, le juge de première instance a analysé la preuve de manière approfondie et formulé diverses conclusions sur le poids à attribuer respectivement à ses éléments. Je récapitulerai au cours de mon analyse les passages les plus pertinents des motifs du juge du fond et des conclusions des parties.

LES QUESTIONS EN APPEL

[14]           ITL conteste la totalité des conclusions défavorables à sa demande en contrefaçon prononcées par le juge de première instance.

[15]           Elle soutient dans son mémoire que le juge a commis les erreurs suivantes :

a.       Il a omis de conclure que, dans le contexte particulier de la vente de cigarettes au Canada, les consommateurs, dans leur écrasante majorité, appellent « Marlboro » le produit sans nom de PM au moment de l’achat. À ce propos, ITL conteste essentiellement l’évaluation de la preuve et le poids respectivement attribué à ses éléments.

b.      Il a commis une erreur au sujet de la question mixte de fait et de droit que constitue le point de savoir si l’emploi de la marque nominale MARLBORO par les consommateurs au moment de l’achat entre dans le champ d’application des termes « si elle est, de toute autre manière, liée aux marchandises » de l’article 4 de la Loi.

c.       Il a commis une erreur de droit en ne concluant pas que l’emploi par les consommateurs de la marque nominale MARLBORO constitue un emploi de cette marque par PM, sous le régime des articles 19 et 22 de la Loi.

d.      Il a posé à tort que l’enregistrement des marques de commerce de PM excluait la possibilité de conclure à la contrefaçon, pour n’avoir pas tenu compte du fait que c’est la présentation ou l’habillage (devant et côté) du paquet sans nom, soit une combinaison non déposée d’éléments, qui est dite créer de la confusion, et non l’emploi des marques de commerce déposées prises isolément.

e.       Il a commis une erreur de droit en appliquant un critère inadéquat à la question de la confusion, notamment en prenant en considération des facteurs extrinsèques et en interprétant incorrectement l’alinéa 6(5)e) de la Loi.  

[16]           ITL fait valoir que notre Cour est habilitée à prononcer les conclusions que le juge du fond aurait dû prononcer sous le régime des articles 19, 20 et 22, et qu’elle devrait par conséquent accueillir le présent appel et rendre le jugement qui aurait dû être rendu en première instance. Enfin, subsidiairement, ITL conteste la conclusion du juge du fond confirmant la validité de l’enregistrement LMC670898 de PM (qui vise la version argent de la marque nominale ROOFTOP, déposée en 2006).

[17]           PM met en litige les quatre questions suivantes dans son appel incident :

a.        Dans son examen de la validité de la marque de commerce MARLBORO, le juge de première instance n’a pas tenu compte du fait que des circonstances et des moyens juridiques (mixtes de fait et de droit) différents justifiaient une conclusion différente de celle prononcée par la Cour d’appel fédérale en 1987.

b.      Pour ce qui concerne le moyen de défense fondé sur la préclusion, le juge de première instance a mal appliqué le critère juridique aux faits de l’espèce.

c.       Le juge du fond a appliqué un critère ou une méthode inappropriés à l’examen du point de savoir si les paquets d’ITL (de 1996, 2001 et 2007) violaient le droit d’auteur de PM sur l’habillage au toit rouge du paquet de Marlboro.

d.      Le juge de première instance a appliqué à tort le même critère juridique à la violation du droit d’auteur et à la violation des clauses de l’Accord de 1952 concernant l’emploi par ITL des habillages créés par PM. Selon cette dernière, il faut moins que la reproduction d’une partie importante de l’œuvre – condition nécessaire de la violation du droit d’auteur – pour pouvoir conclure à la rupture dudit Accord. Le juge aurait donc dû examiner ces questions séparément.

[18]           Je note à propos de ce dernier argument [alinéa 17d) ci‑dessus] que PM ne l’a pas fait valoir à l’audience, son avocat ne pouvant expliquer comment la Cour fédérale aurait eu compétence pour se prononcer sur une violation supposée de contrat si, comme il le soutenait, celle‑ci mettait en jeu autre chose que la violation du droit d’auteur sous le régime de la Loi sur le droit d’auteur, L.R.C. 1985, ch. C‑42. Je ne reparlerai donc plus de cette question dans les présents motifs.

ANALYSE

 

[19]           Les dispositions législatives applicables sont reproduites en annexe C des présents motifs.

[20]           Le règlement de la première question mise en litige par PM dans son appel incident pourrait sceller le sort de la demande en contrefaçon d’ITL et enlèverait donc toute portée pratique aux erreurs supposées qu’énumère le paragraphe 15 ci‑dessus. Par conséquent, comme le juge de première instance, j’examinerai cette question avant d’étudier les moyens avancés par ITL dans l’appel principal.

  1. La validité de la marque de commerce MARLBORO

[21]           PM soutient que le juge du fond a conclu que la marque MARLBORO était encore valide sur la base de deux erreurs de droit :

                  i) Il a mal interprété la jurisprudence, en particulier Philip Morris (1987), et l’a ensuite erronément appliquée aux faits portés devant lui, en dépit de ce que l’absence de caractère distinctif de la marque de commerce canadienne ne découlait pas dans la présente espèce d’événements ayant leur source à l’étranger et indépendants de la volonté du propriétaire de cette marque.

 

                  ii) Il a posé à tort qu’il fallait prouver l’existence d’un comportement trompeur de la part d’ITL.

 

[22]           Qu’on me permette d’abord de résumer les arguments avancés par PM sur ces questions devant le juge de première instance, de manière à situer dans leur contexte exact les observations formulées par ce dernier dans ses motifs.

 

[23]           Premièrement, PM avait reconnu sans ambiguïté que le juge de première instance était lié par l’arrêt de notre Cour Philip Morris (1987), à moins qu’il ne conclût qu’ITL avait omis depuis de prendre des mesures pour créer ses propres caractère distinctif et achalandage, et qu’elle avait illicitement utilisé l’habillage de ses produits et ses campagnes de publicité pour rapprocher de manière trompeuse son produit de la marque Marlboro employée par PM à l’étranger [transcription de l’audience, dossier d’appel (DA), volume 39, pages 10385 et 10386].

 

[24]           Deuxièmement, au paragraphe 19 de son mémoire en deuxième réponse complémentaire et en défense reconventionnelle, PM affirme explicitement qu’ITL a adressé [TRADUCTION] « un message délibérément faux au public canadien ».

[25]           En outre, PM a formulé les observations suivantes dans l’exposé des faits et du droit qu’elle a déposé devant la Cour fédérale (DA, volume 2, page 605, paragraphes 177 à 179) :

[TRADUCTION]

 

[…] La conclusion selon laquelle on avait trompé le public en employant la marque étrangère au Canada était une caractéristique commune à Crothers et à Moore Dry Kiln.

 

Les juges Rouleau et MacGuigan ont distingué les faits portés devant eux de ceux de Crothers aussi bien que de Moore Dry Kiln au motif qu’à l’époque – les années 1980 –, aucun élément de preuve n’établissait qu’ITL eût accompli des actes visant à tromper le public.

 

Cependant, la preuve produite devant la Cour aujourd’hui, quelque 25 ans plus tard [...] révèle un ensemble très différent de circonstances de fait [...] En effet, les défenderesses ont trompeusement profité de l’absence de caractère distinctif de leur marque de commerce MARLBORO au Canada, laissant les fumeurs canadiens associer cette marque au produit international MARLBORO de Philip Morris plutôt que de créer leurs propres achalandage et identité de marque.

 

[26]           Il n’est pas contesté que l’une des questions fondamentales que notre Cour avait à trancher dans Philip Morris (1987), encore qu’elle dût à cette fin en apprécier le caractère distinctif au Canada en fonction de dates différentes, était manifestement le point de savoir si la marque MARLBORO d’ITL, le cessionnaire légitime de celle‑ci pour notre pays, avait perdu son caractère distinctif du fait que la Marlboro de PM, en tant que marque de cigarettes la plus vendue au monde, était connue même au Canada bien qu’employée seulement à l’étranger. La Cour fédérale avait souscrit à la thèse que les consommateurs canadiens connaissaient la marque étrangère de PM par l’effet du débordement de la publicité américaine de cette dernière, et elle avait pris acte que les Canadiens entraient en contact avec ladite marque lorsqu’ils se trouvaient à l’étranger; voir Philip Morris Inc. c. Imperial Tobacco Ltd. et al. (1985), 7 C.P.R. (3d) 254 (C.F.), paragraphe 10, in fine.

 

[27]           En fait, PM avait alors produit une preuve d’expert encore plus forte que dans la présente espèce, ayant mené une enquête plus large. Il n’y a pas lieu de s’en étonner, étant donné que cette question a été mise en litige ici, comme on l’a vu plus haut, à la toute dernière minute, et que les parties n’ont pas produit d’autres éléments de preuve après cette modification.

 

[28]           Les dispositions applicables de la Loi étaient à l’époque les mêmes qu’aujourd’hui pour l’essentiel, et notre Cour a pu alors examiner la jurisprudence citée par PM dans la présente instance, soit Crothers Co. Ltd. c. Williamson Canada Co., [1925] 2 D.L.R. 844 [Crothers], et Moore Dry Kiln Co. of Canada Ltd. c. U.S. Natural Resources Inc. (1976), 30 C.P.R. (2d) 40 [Moore Dry Kiln].

 

[29]           Les doctrines de la chose jugée, de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée et de la préclusion fondée sur la cause d’action, ainsi que la règle interdisant les contestations indirectes, ont toutes pour objet d’assurer le caractère définitif des décisions; voir Danyluk c. Ainsworth Technologies Inc., 2001 CSC 44, [2001] 2 R.C.S. 460, paragraphes 18 à 24. En général, sauf circonstances exceptionnelles, il n’est pas permis à une partie de remettre une question en litige devant un tribunal, en particulier si elle invoque des faits qu’elle aurait pu invoquer dans l’instance antérieure, tels que le Projet Ranch d’ITL, qui date des années 1970.

 

[30]           À mon sens, le juge du fond a très bien compris la base sur laquelle notre Cour s’est prononcée dans Philip Morris (1987) et les principes énumérés ci‑dessus. Il a très bien compris aussi sur quoi PM se fondait pour soutenir qu’il y avait lieu de distinguer de la présente espèce l’affaire réglée par cet arrêt antérieur de notre Cour (paragraphe 299 des motifs).

 

[31]           Le juge du fond estimait que PM n’avait pas établi les faits sur lesquels elle se fondait pour soutenir que l’affaire dont il était saisi différait complètement de celle que notre Cour avait décidée définitivement en 1987 (paragraphes 303 et 304 des motifs).

 

[32]           À ce propos, le juge du fond a fait observer que la preuve relative à l’« Alternative Product Guide » (Guide sur les produits de substitution) d’ITL se révélait incertaine, peu claire et loin d’être concluante (paragraphe 306 des motifs). Il a ensuite conclu (comme il s’en explique de manière plus détaillée dans le passage de ses motifs concernant la violation du droit d’auteur) que les paquets de cigarettes d’ITL n’étaient pas de simples imitations ou copies du paquet de la Marlboro américaine de PM (paragraphe 307 des motifs). Il a explicitement noté qu’ITL employait une feuille d’érable rouge, ainsi que les mots « Canadien » et « Canadian », pour différencier son produit du produit américain, et que, abstraction faite du nom MARLBORO, il ne pouvait y avoir de confusion entre les paquets d’ITL et le paquet international de PM.

 

[33]           Pour ce qui concerne la stratégie commerciale d’ITL, le juge de première instance a fait remarquer que, contrairement aux allégations de PM, ITL avait [TRADUCTION] « déployé des efforts systématiques pour différencier [ses] produits de ceux de [PM] » (paragraphe 305 des motifs).

 

[34]           Il était loisible au juge du fond de tirer ces conclusions de l’ensemble de la preuve, et PM n’a pas établi qu’elles aient été entachées d’une quelconque erreur manifeste ou dominante.

 

[35]           Qui plus est, et bien qu’à mon avis PM n’ait fait état d’aucun motif valable pour justifier l’exercice de son pouvoir discrétionnaire résiduel, le juge de première instance a réexaminé la question qu’avait déjà tranchée Philip Morris (1987), pour conclure au paragraphe 300 de ses motifs que les principes juridiques et la logique suivis dans cet arrêt gardent aujourd’hui toute leur pertinence, et que [TRADUCTION] « les conclusions de la Cour d’appel fédérale s’appliquent avec autant de justesse actuellement qu’à cette époque ».

 

[36]           Touchant la deuxième erreur supposée, on ne m’a pas convaincue que le juge de première instance a mal compris Crothers et Moore Dry Kiln. À mon sens, lorsqu’il parle de [TRADUCTION] « comportement trompeur », c’est simplement dans le cadre de son examen de l’argument de PM selon lequel ITL se serait en fait comportée de manière à induire en erreur. Je pense comme ITL que PM manque de sincérité en faisant valoir devant nous que la réponse du juge du fond à ses propres arguments atteste une erreur d’interprétation du droit.

 

[37]           Au vu de ce qui précède, le juge de première instance était tenu de rejeter la contestation par PM de la validité de la marque MARLBORO. Il n’y a pas d’erreur donnant lieu à révision dans sa conclusion que la marque nominale MARLBORO d’ITL reste valide.

 

  1. L’appel d’ITL

1.      L’emploi du nom Marlboro par les consommateurs

 

[38]           Mis à part son argument que l’une des observations formulées par le juge du fond au paragraphe 289 de ses motifs n’est étayée par aucun élément de preuve, ITL paraît contester la valeur attribuée à la preuve concernant le contexte situationnel de l’achat des produits des parties. Or, sauf erreur manifeste et dominante, notre Cour doit s’abstenir d’intervenir sur de telles questions de fait.

 

[39]           Bien que PM n’ait pu mettre en avant aucun élément de preuve qui aurait en fait étayé l’observation du juge du fond selon laquelle [TRADUCTION] « le matériel de promotion sur le lieu de vente (les briquets, les porte-allumettes, le cendrier, les affichettes d’étagère, les cartes‑annonces d’allée de stockage, etc.) et les articles vendus au détail mettaient en évidence le mot "Rooftop" [...] » (paragraphe 289 des motifs), je ne pense pas qu’il s’agisse là d’une erreur dominante qui commanderait l’intervention de notre Cour. Il était loisible au juge de première instance de tirer de la preuve les autres observations contenues dans ce paragraphe, et il examinait les efforts déployés par PM pour réduire la probabilité de confusion chez les détaillants.

 

[40]           Un examen rigoureux de ses motifs ne me permet pas d’admettre que le juge du fond n’ait pas bien compris les différences entre la démarche de PM visant les détaillants et sa stratégie axée sur les consommateurs.

 

[41]           Contrairement aux affirmations d’ITL, le juge de première instance n’a pas omis de se prononcer touchant l’emploi du nom Marlboro par les consommateurs. Il écrit en effet explicitement au paragraphe 282 de ses motifs :

[TRADUCTION]

[282]    […] Je suis disposé à admettre l’existence d’un degré notable de confusion concernant la manière de désigner le produit sans nom, en particulier chez les consommateurs. Un grand nombre des enquêtés semblent associer le produit des demanderesses à la Marlboro internationale de PM, et ce pour diverses raisons, encore que ce soit plus souvent le cas chez les consommateurs que chez les détaillants […]

 

[42]           Je ne puis admettre que le juge de première instance ait manifestement formulé des conclusions contradictoires. À ce propos, ITL a attiré l’attention de la Cour sur le passage suivant du paragraphe 232 des motifs : [TRADUCTION] « la preuve n’étaye pas entièrement la thèse des défenderesses selon laquelle un grand nombre de Canadiens connaissent bien la marque Marlboro internationale de Philip Morris et associent le produit sans nom à cette marque à cause de leurs caractéristiques communes [...] » (c’est moi qui souligne). En toute justice, il faut lire cette phrase au complet, puisque le juge ajoute : [TRADUCTION] « comme nous le verrons lorsque nous examinerons la demande en contrefaçon fondée sur l’article 20 de la Loi ». Si j’interprète ce passage dans son ensemble et en fonction de son contexte, il m’apparaît que le juge de première instance dit ici deux choses : premièrement, que tous les éléments de preuve produits au procès n’étayent pas la position d’ITL; et deuxièmement, qu’il estime au bout du compte, après avoir apprécié la preuve, qu’elle comporte suffisamment d’éléments pour justifier la conclusion formulée au paragraphe 282 précité.

 

[43]           S’il est vrai que le juge du fond aurait pu s’exprimer plus clairement au paragraphe 232, cette ambiguïté ne me paraît pas commander une nouvelle évaluation par notre Cour du poids à attribuer respectivement aux divers témoignages relatifs à cette question (consommateurs, détaillants, représentants de commerce, etc.).

 

2.      L’emploi sous le régime des articles 19 et 22 de la Loi

 

[44]           ITL soutient que le juge de première instance a eu tort de s’appuyer sur la décision de la Cour fédérale Playboy Enterprises Inc. c. Germain (1987), 16 C.P.R. (3d) 517 (C.F.) [Playboy], et qu’il a sans nécessité interprété de manière restrictive le libellé très général de l’article 4 de la Loi. Cet article porte qu’une marque est réputée employée « si elle est, de toute autre manière, liée aux marchandises à tel point qu’avis de liaison est alors donné à la personne à qui la propriété ou possession est transférée ». Selon ITL, le juge de première instance a commis une erreur en posant que la marque de commerce devait être de quelque façon présentée à la vue (paragraphe 237 des motifs).

 

[45]           Quelle que soit la signification de l’article 4 à cet égard, il ressort à l’évidence de son libellé et de celui des articles 19 et 22 que, pour être pertinente, la marque doit être employée par la personne qui souhaite distinguer ses marchandises de celles d’autres personnes.

 

[46]           Il s’ensuit qu’ITL devait établir que PM employait le nom Marlboro en liaison avec son paquet sans nom au moment du transfert de la propriété aux détaillants en question ou que ceux‑ci agissaient pour le compte de PM lorsqu’ils désignaient son produit par ce nom.

 

[47]           Comme on l’a vu plus haut, le juge de première instance a formulé les conclusions suivantes au paragraphe 232 de ses motifs :

[232] (…) la preuve révèle non seulement que les demanderesses [PM] ne montrent jamais le nom « Marlboro » en liaison avec les produits Rooftop, et l’apposent encore moins sur ces marchandises, mais qu’elles ont donné pour instruction aux détaillants de ne pas appeler « Marlboro » leur produit sans nom. En plus de la circulaire de lancement distribuée à tous les détaillants et de la preuve de M. Guile sur ce point, le témoignage de M. Hajjali, le propre témoin détaillant des défenderesses, atteste ce fait; celui‑ci a en effet déclaré que les représentants de commerce des demanderesses lui avaient dit que le nom de la marque était « Rooftop » et qu’il ne fallait pas employer le nom « Marlboro ».

 

[48]           Aucune des conclusions récapitulées plus haut n’a été contestée. Quoi qu’il en soit, j’estime qu’elles ne sont entachées d’aucune erreur manifeste et dominante. En fait, un examen attentif de la preuve révèle qu’il aurait été difficile au juge du fond de conclure qu’il disposait d’éléments suffisants pour établir que PM aurait autorisé les détaillants à employer le nom Marlboro en liaison avec son paquet sans nom.

 

[49]           Ce fait suffit à lui seul à justifier la conclusion formulée par le juge du fond au paragraphe 239, selon laquelle, [TRADUCTION] « les demanderesses [PM] n’ayant pas employé la marque nominale MARLBORO des défenderesses, on ne peut les déclarer avoir enfreint l’article 19 ni l’article 22, puisque l’"emploi" est une condition préalable à l’application de ces deux articles ».

 

[50]           Il n’est pas nécessaire d’en dire plus sur l’article 4, sauf à ajouter que la décision Playboy se fondait sur un ensemble de faits très particulier et que notre Cour n’a jamais auparavant examiné directement la question générale soulevée par ITL. Cette question se rapporte aussi à l’emploi de marques non traditionnelles (sonores, olfactives, etc.), qui est un sujet d’actualité mondiale. Il vaut donc mieux la laisser de côté pour l’instant, en attendant une affaire qui se prêtera mieux à son examen. Évidemment, aucun passage des présents motifs ne devrait être interprété comme avalisant l’une quelconque des observations du juge de première instance sur cette question.

 

3.      L’article 20 de la Loi – la question de la confusion

 

[51]           Les principaux arguments d’ITL sur ce point sont les suivants :

 

a.       Le juge du fond a commis une erreur de droit dans l’application du critère énoncé au paragraphe 6(5) de la Loi en se fondant sur des facteurs extrinsèques, ainsi que sur l’emploi réel par ITL de sa marque nominale par opposition aux droits que lui confère l’enregistrement de celle‑ci.

 

b.      Le juge du fond a commis une erreur de droit en donnant de l’alinéa 6(5)e) de la Loi une interprétation restrictive selon laquelle il ne s’appliquerait qu’à la ressemblance entre les marques dans les idées qu’elles suggèrent intrinsèquement, posant ainsi une limitation que la Loi ne prévoit pas.

 

[52]           ITL soutient aussi que l’essence de la conclusion du juge du fond touchant l’article 20 se trouve dans ce passage du paragraphe 291 de ses motifs :

[TRADUCTION]

[291] (…) S’il est vrai que certains consommateurs appellent effectivement « Marlboro » le produit sans nom des demanderesses, il n’existe pas de confusion quant à la source de ce produit. Le nom « Marlboro » qu’ils emploient est la marque Marlboro américaine de PM et non la marque Marlboro canadienne d’ITL. En fait, aucun élément de preuve ne tend à établir que les consommateurs canadiens commettraient l’erreur de penser que les défenderesses constituent la source du produit sans nom des demanderesses. Or, comme l’article 20 de la Loi vise à prévenir la confusion quant à la source et non la confusion quant au nom, il n’est pas d’application dans le cas présent […]

 

[53]           ITL fait valoir que le juge de première instance est arrivé à cette conclusion en négligeant le problème de la « confusion inverse », c’est‑à‑dire le fait pour les consommateurs de la marque la plus ancienne d’en assimiler erronément la source à celle de la marque la plus récente (paragraphe 248). Le juge ne se serait pas non plus rendu bien compte que si un nombre important de consommateurs continuent d’appeler Marlboro le paquet sans nom de PM, le caractère distinctif de la marque MARLBORO s’en trouvera mis en péril, puisque les consommateurs canadiens désigneront ainsi par le même nom deux produits différents vendus sur le marché canadien, et provenant de sources différentes et non liées.

 

[54]           Quelques mois après la décision dont appel, la Cour suprême du Canada a eu l’occasion, dans Masterpiece Inc. c. Alavida Lifestyles Inc., 2011 CSC 27, [2011] 2 R.C.S. 387 [Masterpiece Inc.], d’examiner la manière dont il convient d’appliquer le critère énoncé à l’article 6 de la Loi pour établir si une marque de commerce donnée causerait vraisemblablement de la confusion avec une autre marque de commerce.

 

[55]           Le juge Marshall Rothstein, écrivant au nom de la Cour suprême, a bien précisé que la marche à suivre dans l’examen du degré de ressemblance entre des marques n’est pas la même selon que celles‑ci sont ou non déposées.

 

[56]           S’agissant de marques non déposées, le tribunal ne devrait prendre en considération que la manière dont elles ont été réellement employées. Mais pour ce qui concerne les marques déposées, le tribunal doit s’attacher aux termes mêmes de l’enregistrement de manière à prendre en compte toute la portée des droits qu’il confère.

[57]           Selon le juge Rothstein, le problème que pose l’analyse qui prend en considération l’emploi réel par son propriétaire d’une marque de commerce déposée est que rien n’empêche ce dernier de changer le mode ou l’objet de l’emploi, tant que ce changement reste dans le champ d’application de l’enregistrement. Il tire par conséquent la conclusion suivante au paragraphe 59 :

 

[59] Pour cette raison, ne faire porter l’examen que sur l’emploi qu’Alavida faisait de sa marque de commerce après avoir produit sa demande d’enregistrement pour conclure qu’il était peu probable que les marques en cause créent de la confusion revenait à commettre une erreur de droit. L’examen de l’emploi réel de la marque n’est certes pas dénué de pertinence, mais il ne doit pas non plus remplacer complètement l’examen d’autres emplois qui pourraient être faits en conformité avec l’enregistrement. Par exemple, l’emploi ultérieur, dans le champ d’application d’un enregistrement, d’une marque déposée identique ou très semblable à une marque qui existe déjà montrera comment la marque déposée peut être utilisée d’une manière qui crée de la confusion avec celle-ci.

[Non souligné dans l’original.]

 

[58]           Enfin, toujours dans Masterpiece Inc., le juge Rothstein explique que, lorsqu’on fait valoir le risque de confusion à l’égard de plusieurs marques différentes, le tribunal devrait les comparer une à une à la marque de référence plutôt que d'effectuer une analyse globale (paragraphes 43 à 48).

 

[59]           Avant d’examiner la voie suivie par le juge de première instance dans la présente espèce, il n’est pas inutile de recenser quelques autres principes généraux qui pourraient trouver ici leur application :

 

         Une marque symbolise un lien entre un produit et sa source. Lorsqu’on évalue la probabilité de confusion, l’attention doit se porter sur ce lien ou cette association dans l’esprit du consommateur mythique; voir Mattel, Inc. c. 3894207 Canada Inc., 2006 CSC 22, [2006] 1 R.C.S. 772 [Mattel]). Il faut prendre en considération la totalité du contexte factuel, notamment les facteurs énumérés au paragraphe 6(5) de la Loi.

  • Le fait qu’« il [soit] peu probable [que les consommateurs] basent leur choix sur une première impression » est dénué de pertinence. C’est une erreur que de faire abstraction de la probabilité de confusion en examinant ce que le consommateur était susceptible de faire au vu de la marque sur le marché. Voir Masterpiece Inc., paragraphes 71, 73 et 74.

 

  • Il y a confusion quant à la source (qui n’a pas à être déterminée avec précision) dans le cas où le public (le consommateur mythique) conclurait vraisemblablement que deux produits (dont l’un est de marque plus ancienne ou plus récente que l’autre) ont la même source. Sont assimilées aux sources proprement dites les sources qui leur sont liées telles qu’un donneur ou un preneur de licence.

 

  •  Les mesures prises pour éviter la confusion n’entrent pas en ligne de compte dans le contexte d’une action en contrefaçon intentée sous le régime de l’article 20 de la Loi; voir David Vaver, Intellectual Property Law: Copyright, Patents, Trade‑marks, 2e éd., Toronto, Irvin Law, 2011 [Vaver], page 533; et Pink Panther Beauty Corp. c. United Artists Corp., [1998] 3 C.F. 534 (C.A.).

 

  • La preuve d’une confusion réelle ou de l’absence d’une telle confusion sur une longue période est un facteur de grand poids qui doit être pris en considération dans le cadre des circonstances de l’espèce sous le régime du paragraphe 6(5) de la Loi; voir Mr. Submarine Ltd. c. Amandista Investments Ltd., (1987) 19 C.P.R. (3d) 3, [1988] 3 C.F. 91 (C.A.) [Mr. Submarine], paragraphe 34; et Mattel, paragraphe 55.

 

[60]           L’établissement du point de savoir s’il existe une probabilité de confusion relève de la recherche des faits, et notre Cour a pour règle de s’en remettre à cet égard au juge de première instance, à moins que son appréciation ne se fonde sur une erreur de droit ou ne constitue une erreur de fait manifeste et dominante; voir Masterpiece Inc., paragraphe 102.

 

[61]           Comme la Cour suprême du Canada dans Masterpiece Inc., où elle a infirmé la décision du juge du fond au motif d’erreurs de droit commises dans l’interprétation et l’application de l’analyse de la question de la confusion, j’estime que, dans la présente espèce, le juge de première instance s’est trompé dans l’interprétation du critère relatif à cette question et dans son application aux faits, aux motifs suivants :

 

         Il pose que le fait que les cigarettes MARLBORO d’ITL sont à base d’un mélange de Virginie, alors que celles du paquet sans nom sont à mélange américain, réduit la probabilité de confusion (paragraphe 287 des motifs).

 

         Selon lui, la probabilité de confusion se trouve réduite du fait qu’ITL distribue actuellement ses cigarettes de manière différente de PM (paragraphe 286 des motifs).

 

         Il considère comme pertinents les efforts déployés par PM pour réduire la probabilité de confusion (paragraphe 289 des motifs), retenant notamment l’accent mis par elle dans sa stratégie commerciale sur le principal trait distinctif de son produit, soit le mélange américain.

 

         La communication entre consommateurs et détaillants lui paraît propre à réduire le risque premier de confusion : à son avis, il faut supposer que le détaillant demandera des précisions au consommateur sur le produit qu’il veut acheter (le produit de PM est vendu en trois saveurs, alors que celui d’ITL est à saveur unique), ce qui rend improbable que ledit consommateur, par l’effet d’une confusion, achète en fait des cigarettes d’une marque différente de celle qu’il avait en vue (paragraphe 287 des motifs).

 

[62]           On ne sait pas avec certitude si le juge de première instance, dans le cadre de l’analyse qu’il a effectuée sous le régime du paragraphe 6(5), a examiné une à une ou globalement les six marques figuratives ROOFTOP différentes qui ont été déposées. Il faut rappeler en toute justice que l’arrêt Masterpiece Inc. n’avait pas encore été rendu. En l’occurrence, le problème se trouve compliqué par le fait que le juge de première instance a accepté l’argument de PM selon lequel la présence des nombreux éléments qui ne figurent pas dans chacune des marques figuratives ROOFTOP déposées n’avait pas d’effet important sur les caractéristiques dominantes et le caractère distinctif de ces marques. Il a donc examiné globalement l’habillage du paquet sans nom en tant qu’exemple de l’emploi des marques figuratives ROOFTOP déposées (paragraphes 198 à 203 des motifs).

 

[63]           La marque de commerce MARLBORO d’ITL est enregistrée pour emploi en liaison avec des cigarettes. Elle ne se limite pas à une saveur ou à un mélange particuliers. En outre, rien n’empêche ITL et PM de distribuer leurs produits différemment l’une de l’autre, étant donné en particulier que les représentants de commerce de PM rendent régulièrement visite aux détaillants, même si ce n’est pas aussi souvent que ceux d’ITL.

 

[64]           Il ne fait pour moi aucun doute que les erreurs susdites d’interprétation et d’application du critère relatif à la confusion ont eu un effet important sur la conclusion du juge du fond selon laquelle il n’y avait pas de probabilité de confusion.

[65]           Dans des circonstances analogues, la Cour suprême du Canada a conclu au paragraphe 103 de Masterpice Inc. qu’il était dans l’intérêt de la justice qu’une juridiction d’appel tranche la question et elle a effectué sa propre analyse sous le régime du paragraphe 6(5).

 

[66]           Dans la présente espèce, le juge du fond a attribué peu de poids à la plus grande partie de la preuve produite par l’une ou l’autre des parties touchant la confusion, qu’il s’agisse des déclarations des témoins profanes ou de la preuve d’expert fondée sur des enquêtes, qu’il a estimée généralement défectueuse. De plus, il a bien précisé ce qu’on pouvait retenir de cette preuve fondée sur des enquêtes.

 

[67]           Je comparerai donc la marque nominale MARLBORO déposée par ITL avec chacune des versions (rouge, or et argent) de l’habillage sans nom de PM, conformément à la proposition d’ITL. Cette combinaison d’éléments figurant sur le paquet (c’est‑à‑dire l’ensemble de l’habillage, côtés compris) est employée pour distinguer les marchandises de PM d’autres marchandises offertes sur le marché canadien et, à ce titre, elle entre dans la définition de l’expression « marque de commerce » donnée à l’article 2 de la Loi.

 

[68]           Comme on l’a vu plus haut, PM soutient que son paquet sans nom constitue simplement un exemple des nombreuses manières dont elle peut employer ses marques déposées, en particulier ses marques figuratives ROOFTOP. J’étudierai cette question plus tard, là où elle se révélera d’une plus grande importance, c’est‑à‑dire dans l’examen des moyens de défense de PM fondés sur ses enregistrements et sur la préclusion.

 

[69]           Concernant pour commencer l’alinéa 6(5)a), je conclus comme le juge de première instance que ces marques sont pourvues d’un caractère distinctif inhérent. Le juge de première instance a aussi posé qu’elles étaient toutes deux bien connues, mais sans expliquer sur quoi il fondait cette conclusion, à part l’absence de preuve du contraire. À l’audience, PM n’a invoqué devant notre Cour aucun élément de preuve précis en réponse à l’argument d’ITL selon lequel cette conclusion n’avait aucun fondement probatoire relativement au marché canadien, en particulier pour ce qui concerne sa propre MARLBORO.

 

[70]           Bien que cette question doive se révéler en fin de compte sans conséquence dans la présente espèce, je préfère considérer les marques en question comme connues plutôt que bien connues. S’il est vrai que le produit d’ITL ne représente qu’une part restreinte du marché canadien de la cigarette (la part de la MATADOR de PM étant encore plus restreinte), ITL emploie sa marque déposée MARLBORO depuis plus de 80 ans. PM emploie quant à elle la plupart des éléments de l’habillage du paquet sans nom au Canada depuis longtemps (certains, comme ceux de la version rouge du dessin ROOFTOP, depuis 1958) avec la marque nominale (ou le nom de marque) MATADOR. Cependant, l’habillage particulier à l’examen, auquel s’ajoute des éléments non déposés et qui ne comprend pas de nom de marque, n’est sur le marché que depuis juillet 2006 (soit quelques mois avant l’introduction du présent litige). La version argent de la marque figurative ROOFTOP n’a pas été employée non plus avant 2006. Voir l’alinéa 6(5)b).

 

[71]           Touchant les éléments d’appréciation des alinéas 6(5)c) et d), on peut constater que les marques sont employées en liaison avec les mêmes marchandises (des cigarettes) et dans le même commerce.

 

[72]           Pour ce qui concerne l’alinéa 6(5)e), il n’y a pas de ressemblance dans la présentation entre ces marques. Comme je le disais plus haut, le juge du fond n’a pas pris en considération, sous le régime de cet alinéa, le fait qu’un certain nombre de consommateurs désignaient en fait « Marlboro » les paquets sans nom parce que, selon lui, ce serait là une extension injustifiée de la portée de l’alinéa 6(5)e). Il a posé en principe que l’expression « les idées qu’ils suggèrent » ne devrait être appliquée qu’aux idées inhérentes à la nature des marques de commerce en question (par exemple, l’idée d’un pingouin suscitée par la représentation graphique de cet animal). Voir le paragraphe 290 des motifs.

 

[73]           Si les exemples donnés par le juge de première instance aux paragraphes 290 et 249 de ses motifs (tels que celui du mot « panda », qui évoque la même idée qu’une marque figurative représentant cet animal) visaient à limiter la portée de l’alinéa 6(5)e) aux idées suggérées par la signification littérale et ordinaire d’un mot ou d’un dessin, je ne puis souscrire à cette interprétation.

 

[74]           Dans Rowntree Co. c. Paulin Chambers Co., [1968] R.C.S. 134, le registraire avait refusé d’enregistrer « SMOOTHIES » au motif de la probabilité de confusion avec « SMARTIES ». Il voyait une ressemblance dans les idées suggérées parce qu’il s’agissait là de mots d’argot signifiant [TRADUCTION] « bêcheurs » ou « beaux parleurs ». La Cour de l’Échiquier du Canada a infirmé cette décision au motif que le dictionnaire donnait de ces deux mots des définitions entièrement différentes. Mais la Cour suprême du Canada a accueilli le pourvoi et confirmé que l’enregistrement devait être refusé. Le juge Ritchie a formulé les observations suivantes dans l’arrêt de la Cour suprême :

 

[TRADUCTION] (…) la question essentielle à trancher est celle de savoir si l’emploi du mot SMOOTHIES par l’intimée induirait vraisemblablement à conclure que les marchandises liées à ce mot et les marchandises liées aux marques de commerce déposées de l’appelante ont été produites ou vendues par la même entreprise, et je ne pense pas que cela implique nécessairement une ressemblance entre les significations consignées au dictionnaire du mot employé dans la marque de commerce faisant l’objet de la demande d’enregistrement et de ceux employés dans les marques de commerce déposées. Il suffit, à mon sens, que les mots employés dans les marques de commerce déposées et dans la marque non déposée suggèrent vraisemblablement l’idée que les marchandises auxquelles ils sont liés ont été produites ou vendues par la même personne. C’est là le point de vue que le registraire des marques de commerce me paraît avoir adopté.

 

[75]           Certes, la définition du dictionnaire ou signification courante et la signification technique d’un mot ou d’un dessin sont les idées suggérées qu’on prend le plus souvent en considération dans la comparaison de marques, mais je ne vois aucune raison de ne pas tenir compte d’autres associations d’idées cristallisées par le marketing ou un emploi particulier. Supposons par exemple que le mot « yogi » soit enregistré comme marque en liaison avec des jouets et qu’une autre entreprise souhaite employer, en liaison avec la même catégorie de marchandises, une marque figurative représentant, avec sa casquette et sa cravate courte, l’ours de ce nom rendu célèbre par les dessins animés : le registraire ou la Cour devraient-ils écarter la ressemblance dans les idées ainsi suggérées simplement parce que le mot « yogi » est généralement compris, et défini dans les dictionnaires tels que le Canadian Oxford, comme signifiant une personne qui a maîtrisé la pratique du yoga?

 

[76]           Étant donné la nécessité d’adopter une interprétation téléologique et contextuelle de l’alinéa 6(5)e), je vois mal comment on pourrait ne pas tenir compte d’une telle ressemblance. Cela dit, il est évident que la partie qui invoque une ressemblance fondée sur une telle association d’idées sortant de l’ordinaire devra convaincre la Cour que cette association existe réellement dans les faits avant qu’on ne puisse la prendre en considération dans l’analyse que commande l’alinéa 6(5)e).

 

[77]           Même dans l’hypothèse où je me tromperais à cet égard et où l’alinéa 6(5)e) appellerait une interprétation plus restrictive, il faudrait prendre en considération, une fois qu’elle serait établie, la ressemblance dans les idées inhabituelles suggérées par l’une quelconque des marques au titre des « circonstances de l’espèce » visées au préambule du paragraphe 6(5). Dans l’un ou l’autre cas, cette ressemblance ne peut être écartée.

 

[78]           Quoi qu’il en soit, dans le contexte particulier de la présente espèce, je préfère examiner la question de la confusion quant au nom du produit vendu dans le paquet sans nom sous la rubrique des « circonstances de l’espèce » visées au préambule du paragraphe 6(5), en raison des particularités du marché de détail canadien des cigarettes qui découlent de sa réglementation par l’État.

 

[79]           Au Canada, sauf pour ce qui concerne un nombre limité de boutiques spécialisées qui doivent se faire délivrer un permis spécial, le marché des cigarettes est en effet un marché « secret » ou « invisible », c’est‑à‑dire que la loi y interdit de présenter les produits à la vue du public, le consommateur devant nommer au comptoir le produit qu’il veut acheter.

 

[80]           On peut comprendre que, dans un tel contexte, un habillage dépourvu de nom de marque ou le seul emploi de marques figuratives sur le paquet de cigarettes pour en désigner la source amènera le consommateur à demander le produit en employant un ou plusieurs mots qui ne figurent pas nécessairement sur celui‑ci.

 

[81]           Cela explique pourquoi le juge de première instance a fait observer l’existence d’un degré élevé de confusion chez les consommateurs (et sensible, encore que moindre, chez les détaillants) [TRADUCTION] « touchant la manière dont ils devraient désigner le paquet sans nom » (paragraphes 282 et 291 des motifs). C’est aussi ce même fait qui l’a incité à poser la nécessité de l’interprétation et de la communication avec les détaillants.

 

[82]           Il ressort à l’évidence de la preuve admise par le juge du fond que cette association d’idées était délibérément produite par la combinaison des divers éléments que PM emploie à travers le monde en rapport avec sa célèbre marque Marlboro, ainsi que par le recours au slogan « mélange importé de renommée mondiale » / world famous imported blend. En l’occurrence, je ne fais pas entrer en ligne de compte le point de savoir si PM avait l’intention de contrefaire la marque Marlboro, l’intention étant dénuée de pertinence lorsqu’il s’agit de contrefaçon. Je considère plutôt cette preuve comme étayant le fait que la combinaison susdite d’éléments sur le paquet sans nom suggère dans une certaine mesure (à un nombre important de consommateurs) une association avec la Marlboro.

 

[83]           Je note également que la preuve tend à établir, et que les deux parties ont convenu à l’audience, que l’emploi d’un nom de marque sur un paquet de PM qui porterait la plupart des autres éléments du paquet sans nom (comme dans l’habillage de la MATADOR) suffirait vraisemblablement à rompre le lien mental ou l’association d’idées avec la Marlboro.

 

[84]           Il s’ensuit que, comme le juge de première instance l’a conclu, un certain nombre de consommateurs appellent « Marlboro » le produit sans nom de PM. Par conséquent, sur un marché secret où les marques de commerce ne sont pas mises en vue, les consommateurs emploieront le même nom pour désigner deux produits différents offerts par deux fabricants différents. Il y aura nécessairement alors confusion quant à la source, puisque les consommateurs prennent pour acquis que les produits de même catégorie, qu’ils peuvent désigner du même nom et acheter sur les mêmes circuits commerciaux, proviennent de la même source. Peu importe qu’on définisse cette situation comme relevant de la confusion proprement dite ou de la confusion inverse, le résultat est le même.

 

[85]           Ayant maintenant achevé l’analyse de la manière prescrite dans Masterpiece Inc., je conclus à la probabilité de confusion entre les sources des produits considérés si la marque MARLBORO et le paquet sans nom de PM sont tous deux employés au Canada [paragraphe 6(2) de la Loi].

 

[86]           Avant d’examiner le dernier argument d’ITL, il n’est pas inutile de noter que la question de la confusion entre deux marques réellement employées au Canada est tout à fait distincte de la question examinée dans Philip Morris (1987).

 

4.      Les enregistrements de PM excluent-ils la possibilité de conclure à la contrefaçon dans la présente espèce?

 

[87]            En première instance, PM a invoqué l’enregistrement de ses marques figuratives ROOFTOP comme étant une réponse complète et suffisante à l’allégation de contrefaçon avancée par ITL (le moyen de défense fondé sur Remo).

[88]           Le juge du fond a conclu que, vu l’article 19 de la Loi et l’arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario Molson Canada c. Oland Breweries Ltd. (2002), 59 O.R. (3d) 607, [2002] O.J. 2029 [Oland], dont le raisonnement a été adopté dans Remo Imports Ltd. c. Jaguar Cars Ltd., 2007 CAF 258, [2008] 2 R.C.F. 132 [Remo], paragraphes 111 à 113, il était tenu d’accepter l’argument de PM (paragraphe 209 des motifs). Ainsi, pour faire accueillir sa demande en contrefaçon, ITL devait selon lui contester la validité des enregistrements de PM et démontrer que les marques figuratives ROOFTOP de cette dernière présentaient avec la marque nominale MARLBORO d’ITL une similitude susceptible de créer de la confusion. ITL soutient que le juge du fond a commis une erreur de droit en concluant de la sorte.

 

[89]           Je suis d’accord avec ITL pour dire que dans ces arrêts, y compris l’arrêt de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique Chemicals Inc. and Overseas Commodities Ltd. c. Shanahan’s Ltd. (1951), 15 C.P.R. 1 [Shanahan], qui y est cité, la contrefaçon supposée consistait en l’emploi d’une seule marque de commerce pour l’essentiel telle qu’enregistrée. En fait, il n’a pas été contesté devant nous que, même dans Oland, l’habillage complet de la bouteille de bière (désigné get-up par la Cour d’appel de l’Ontario) avait été déposé comme tel (annexe A de l’exposé des faits et du droit d’ITL, image 21).

 

[90]           Cependant, dans la présente espèce, l’habillage du paquet sans nom n’a pas été déposé. En outre, ITL soutient catégoriquement qu’aucune des marques figuratives ROOFTOP prises isolément, telles que déposées par PM, ne crée de confusion avec sa marque nominale MARLBORO. Effectivement, comme on l’a vu plus haut, bien que ces marques (sauf celle enregistrée en 2006) soient employées au Canada selon diverses combinaisons depuis de très nombreuses années, aucune ne semble avoir créé de confusion chez les consommateurs canadiens.

 

[91]           Le moyen de défense fondé sur Remo a été avancé devant le juge de première instance seulement parce que PM soutenait que l’attaque d’ITL contre le paquet sans nom visait en fait un emploi légitime des marques figuratives ROOFTOP déposées par PM (six marques différentes). ITL a répondu en faisant valoir, entre autres moyens, que si la combinaison apparaissant sur le paquet sans nom créait de la confusion, les marques prises isolément qui étaient ainsi combinées devaient aussi en créer, de sorte que leur enregistrement devait être radié (paragraphe 216 des motifs).

 

[92]           Bien qu’il ait fait observer que cet argument d’ITL ne pouvait être facilement réfuté (paragraphe 221 des motifs), le juge de première instance ne l’a pas examiné plus avant, ayant conclu à l’absence de probabilité de confusion.

 

[93]           Or j’ai déjà conclu moi-même que la combinaison d’éléments figurant sur le paquet sans nom crée de la confusion. Je dois donc examiner l’argument susdit d’ITL. Cet examen fait apparaître dès l’abord un lien étroit entre les deux questions suivantes : i) celle de savoir si une combinaison d’éléments déposés et non déposés peut être considérée comme un simple emploi d’une marque déposée, et ii) celle de savoir si, de la conclusion qu’une telle combinaison crée de la confusion, il découle nécessairement que les marques déposées qui entrent dans cette combinaison créent aussi de la confusion.

 

[94]           Jusqu’à maintenant, cet aspect de l’emploi d’une marque déposée, seule ou en combinaison avec d’autres éléments, a été examiné dans la jurisprudence surtout, sinon exclusivement, au titre de l’article 45 de la Loi. Cet article concerne la radiation des marques qui n’ont pas été employées pendant une durée déterminée. Son objet principal est de [TRADUCTION] « débarrasser le registre du bois mort » (Vaver, page 546). Ainsi s’explique l’attention particulière accordée au point de savoir si les caractéristiques dominantes de la marque telle que déposée ont changé. Ainsi s’explique également que le registraire et les tribunaux, lorsqu’ils examinaient l’emploi dans le cadre d’une combinaison, se soient concentrés sur le point de savoir si la marque déposée n’avait pas perdu son caractère distinctif en tant que tel.

 

[95]           C’est cette jurisprudence que le juge du fond a utilisée pour établir si le paquet sans nom constituait simplement un emploi des marques figuratives ROOFTOP prises isolément et telles que déposées. Cela pourrait expliquer pourquoi il n’a examiné que si brièvement l’effet des adjonctions à la combinaison particulière apparaissant sur ce paquet qui ne figurent pas dans l’enregistrement des marques figuratives ROOFTOP considérées une à une.

 

[96]           Il n’est pas contesté dans la présente instance qu’on puisse employer une marque déposée en combinaison avec d’autres marques ou éléments déposés ou non déposés sans qu’elle perde son caractère distinctif. Tout dépend des circonstances. Par conséquent, la véritable question que nous avons à trancher est celle de savoir s’il s’ensuit nécessairement que la protection garantie à chacune des marques figuratives ROOTFOP par son enregistrement peut être étendue à l’ensemble de la combinaison où elle est employée sur le paquet sans nom considéré.

[97]           Sous le régime de l’article 45 de la Loi, la question de la confusion avec d’autres marques de commerce déposées [alinéa 12(1)d) de la Loi] ne se pose pas. Or, à mon sens, il n’est pas possible d’examiner la véritable question dont nous sommes saisis ni les points formulés au paragraphe 93 ci‑dessus sans du tout faire entrer en ligne de compte la question de la confusion.

 

[98]           À mon avis, en effet, le postulat fondamental sur lequel notre Cour s’est basée pour avaliser Oland et Shanahan est que la marque, si elle est déposée, doit être présumée remplir toutes les conditions que la Loi fixait au moment de l’enregistrement. Ces conditions comprennent le caractère distinctif, mais aussi le fait que la marque, telle que décrite dans l’enregistrement, ne crée pas de confusion avec une autre marque de commerce déposée [alinéa 12(1)d) de la Loi].

 

[99]           Or, dans la présente espèce, le registraire n’a jamais examiné le point de savoir si les marques employées dans cette combinaison particulière du paquet sans nom remplissaient les conditions préalables à l’enregistrement. Au moment de l’enregistrement des marques figuratives ROOFTOP prises isolément, le registraire n’était pas tenu, à mon avis, de prendre en considération la probabilité de confusion que présenterait une combinaison de l’ensemble des marques déposées de PM, pas plus que de conjecturer sur l’effet de l’adjonction d’éléments non déposés à un habillage déterminé qui comprendrait la marque figurative projetée.

 

[100]       Si j’acceptais l’argument de PM, j’accepterais en fait un moyen de défense qu’il ne lui est pas permis d’avancer, puisqu’elle n’a jamais soumis l’habillage de son paquet à l’épreuve de la procédure d’enregistrement.

 

[101]       PM fait valoir avec raison qu’elle ne devrait pas être obligée de faire enregistrer ses habillages ou chaque combinaison de ses marques. Mais, là encore, telle n’est pas la question. L’entreprise qui fait enregistrer une combinaison jouira des avantages résultant de cet enregistrement. Et celle qui choisit d’employer une combinaison sans passer par la procédure d’enregistrement jouira aussi de droits, mais pas nécessairement des mêmes que ceux qui découlent de l’enregistrement. Il en va ainsi pour chaque marque de commerce qu’on emploie pour distinguer ses marchandises de celles des autres.

 

[102]       À ce propos, je note que dans le cas des marques de Nike et de McDonald’s reproduites par le juge de première instance (au paragraphe 218 de ses motifs), les combinaisons étaient déposées aussi bien que leurs éléments. PM, il est vrai, a déposé l’habillage de sa MATADOR. Il n’est pas rare dans l’industrie de la cigarette qu’une entreprise dépose l’ensemble d’un habillage. PM a aussi essayé, quoique sans succès, de faire enregistrer l’habillage au toit rouge de son paquet de Marlboro en 1981. La décision de faire enregistrer ou non un élément est un choix commercial que déterminent, entre autres facteurs, les coûts en cause et l’importance du produit.

 

[103]       Pour répondre à la véritable question que soulève la présente instance, il me faut établir si c’est la combinaison déposée à elle seule qui crée de la confusion, ou si ce sont les marques prises isolément, employées pour l’essentiel telles que déposées. Si c’est la combinaison à elle seule qui crée de la confusion, elle doit nécessairement, il me semble, communiquer aux consommateurs un message différent de celui des marques déposées considérées isolément. Dans un tel cas, la combinaison non déposée ne peut se prévaloir du moyen de défense fondé sur Remo puisqu’elle ne constitue pas simplement un emploi des marques pour l’essentiel telles que déposées.

 

[104]       Puisque ces marques ont pu être enregistrées, je dois supposer qu’elles ne créaient pas de confusion au moment de leur enregistrement. Y a‑t‑il des éléments tendant à prouver que la situation aurait changé avant l’introduction du litige les concernant? Ayant analysé ces marques une à une sous le régime du paragraphe 6(5), je répondrais à cette question par la négative.

 

[105]       À ce propos, il ne me paraît pas nécessaire d’ajouter quoi que ce soit aux observations que j’ai déjà formulées aux paragraphes 69 à 71 ci‑dessus relativement aux alinéas 6(5)a), b), c) et d).

 

[106]       Il n’y a pas de ressemblance dans la présentation ou le son [alinéa 6(5)e)].

 

[107]       Pour ce qui concerne le préambule du paragraphe 6(5), le juge du fond, lorsqu’il conclut au paragraphe 282 de ses motifs à l’existence de confusion quant à la manière de désigner le paquet sans nom, dit simplement qu’elle s’explique par [TRADUCTION] « diverses raisons ». En d’autres termes, il n’a pas conclu que les consommateurs associaient le nom Marlboro au paquet sans nom à cause de la présence sur celui‑ci d’une marque déposée prise isolément.

 

[108]       Quoi qu’il en soit, les enquêtes dont les résultats ont été produits en preuve n’étaient pas expressément conçues pour établir si les consommateurs associaient le nom Marlboro à des paquets de cigarettes portant seulement l’une ou l’autre des marques figuratives ROOFTOP, employée pour l’essentiel telle que déposée. C’est le paquet sans nom pris dans son ensemble que les experts des deux parties avaient présenté aux enquêtés.

 

[109]       Comme on l’a vu plus haut, une chose est sûre : exception faite de la version argent enregistrée en 2006, PM a employé ses marques figuratives déposées dans d’autres combinaisons pendant de nombreuses années sans que cela pose apparemment problème. Ce qui semble différent à propos de la combinaison en question ici est le fait qu’elle caractérise la source du produit de manière plus nette qu’aucune des marques de commerce auparavant déposées ou employées par PM, en associant ou assimilant expressément cette source à celle de la Marlboro.

 

[110]       En fait, selon la preuve, le service de marketing de PM a rejeté l’idée d’employer la marque nominale déposée ROOFTOP comme élément de la combinaison apparaissant sur le paquet sans nom parce qu’il pensait qu’un tel emploi amènerait le consommateur à conclure que le produit était une imitation, c’est‑à‑dire que le paquet sans nom ne provenait pas de la source de sa Marlboro.

 

[111]       Je conclus de l’analyse qui précède que les marques figuratives ROOFTOP prises isolément, y compris la plus récemment déposée (soit la version argent, enregistrée sous le numéro LMC670898), ne créent pas de confusion avec la marque nominale MARLBORO.

 

[112]       Il s’ensuit que, dans les circonstances de la présente espèce, qui sont comme on l’a vu tout à fait exceptionnelles, les enregistrements invoqués par PM ne constituent pas un moyen de défense absolu contre la prétention d’ITL selon laquelle la combinaison d’éléments actuellement employée sur le paquet sans nom (devant et côté) constitue une contrefaçon.

 

[113]       Il n’est pas nécessaire d’ajouter quoi que ce soit touchant l’argument subsidiaire d’ITL (voir le paragraphe 16 ci‑dessus). 

 

  1. L’appel incident de PM

[114]       Ayant analysé le premier argument de PM, qui posait l’invalidité de la marque de commerce MARLBORO (voir les paragraphes 21 et suivants des présents motifs), j’examinerai maintenant ses deux arguments restants, résumés ci‑dessus aux alinéas 17b) et c).

 

i.                    ITL est-elle empêchée par préclusion de contester les enregistrements des marques figuratives ROOFTOP de PM?

 

[115]       Étant donné les conclusions que j’ai déjà tirées, la validité des enregistrements de PM n’est plus en jeu. Il n’est donc pas nécessaire de traiter cette question.  

 

ii.                  La violation du droit d’auteur

 

[116]       Comme on l’a vu plus haut, PM conteste la conclusion finale du juge de première instance selon laquelle les paquets d’ITL en cause (1996, 2001 et 2007) ne violaient pas son droit d’auteur sur l’habillage au toit rouge du paquet de Marlboro ni l’Accord de 1952. Pour les raisons déjà exposées (voir le paragraphe 18 ci‑dessus), je n’examinerai que les arguments relatifs à l’habillage susdit.

[117]       Ces arguments sont les suivants :

a.       Le juge du fond n’a pas suivi la bonne méthode pour établir si les paquets d’ITL comprenaient une partie importante de l’habillage au toit rouge du paquet de Marlboro. Il a commis à cet égard les erreurs suivantes : a) il a concentré son attention sur les différences; b) il a limité son examen à six éléments seulement de l’habillage en question; et c) il a comparé ces éléments un à un à ceux des paquets d’ITL sans prendre en compte l’ensemble de la composition. Le juge du fond a aussi omis de prendre en considération l’essence de l’œuvre de PM protégée par le droit d’auteur (l’habillage). Enfin, selon PM, le juge du fond a commis une erreur de droit en ne tenant pas compte de l’effet du nom MARLBORO dans l’ensemble de la composition.

b.      Le juge du fond n’a pas appliqué le critère qu’il fallait pour établir s’il existait un lien de causalité suffisant et il a mal compris la signification de l’expression [TRADUCTION] « création indépendante ».

[118]       L’argument de PM ne me convainc pas que le juge de première instance ait appliqué un critère ou une méthode erronés pour répondre à la question de fait de savoir si les paquets de 1996, de 2001 et de 2007 d’ITL comprenaient une part importante de son œuvre protégée, c’est‑à‑dire l’habillage au toit rouge du paquet de Marlboro.

 

[119]       En fait, le juge du fond a correctement formulé (aux paragraphes 311 à 317 de ses motifs) les principes qu’il était tenu d’appliquer pour établir quels étaient les plus distinctifs et les plus mémorables des éléments de l’habillage afin d’évaluer l’importance de chacun de ceux‑ci. Il est ainsi arrivé à une conclusion indiscutable, eu égard à la preuve, dans le résumé qu’il propose au paragraphe 328 de ses motifs.

 

[120]       En outre, il ressort à l’évidence des paragraphes 333 et 362 que le juge de première instance a pris en considération non seulement les éléments particuliers définis dans divers passages de ses motifs, mais aussi leur composition et disposition d’ensemble, avant de conclure qu’il se voyait [TRADUCTION] « incapable de constater une ressemblance importante entre les œuvres considérées globalement ».

 

[121]       Quant à l’allégation que le juge du fond aurait omis de prendre en compte dans son analyse l’effet du nom MARLBORO figurant sur les paquets d’ITL, je ne puis y souscrire. ITL a le droit d’employer ce nom sur son paquet de cigarettes en vertu de l’enregistrement dudit nom au Canada. Qui plus est, elle le fait avec le consentement de PM, étant donné la cession valide de cette marque de commerce opérée entre leurs prédécesseurs.

 

[122]       Par conséquent, le juge de première instance a eu raison de limiter son examen aux éléments graphiques ou figuratifs qu’ITL avait appliqués à sa marque nominale (paragraphes 318 et 335 des motifs). Il a donné de cette question une analyse minutieuse qui ne contient aucune erreur manifeste et dominante. De plus, il y a suffisamment d’éléments de preuve pour étayer son appréciation globale des paquets d’ITL (voir en particulier les paragraphes 350, 351 et 363 de ses motifs).

 

[123]       La conclusion du juge du fond selon laquelle ITL n’a pas reproduit une partie importante de l’œuvre protégée de PM n’est entachée d’aucune erreur donnant lieu à révision. Par conséquent, il n’est pas nécessaire d’examiner les autres arguments de PM à ce sujet.   

 

[124]       Pour les motifs exposés ci‑dessus, l’appel incident devrait à mon avis être rejeté avec dépens.

 

CONCLUSION

[125]       J’accueillerais partiellement l’appel d’ITL, avec dépens devant notre Cour et devant la Cour fédérale. J’annulerais le jugement de cette dernière déclarant que l’emploi par PM de la [TRADUCTION] « marque de commerce figurative ROOFTOP » en liaison avec des cigarettes ne viole aucun des droits que la Loi sur les marques de commerce confère à ITL sur la marque de commerce déposée au Canada sous le numéro LMCDF55988. Rendant le jugement qui aurait dû être rendu, je déclarerais que les paquets sans nom (versions rouge, or et argent) dont les habillages sont reproduits en annexe A violent, sous le régime de l’article 20 de la Loi, les droits d’ITL sur la marque de commerce déposée MARLBORO (numéro LMCDF55988).

 

[126]       Je prononcerais les mesures suivantes en réparation de la violation susdite :

a)      une injonction permanente interdisant à PM, à ses dirigeants, administrateurs, actionnaires, représentants, mandataires et à toute autre personne physique relevant d’elle, ainsi qu’à toute entité économique – société de capitaux, société de personnes ou autre – ou personne physique à laquelle elle est liée ou affiliée, de vendre, distribuer et/ou annoncer au Canada, directement ou indirectement, des cigarettes ou d’autres produits du tabac dans les paquets sans nom, ou en liaison avec les paquets sans nom, dont les habillages sont reproduits en annexe A;

b)      une ordonnance enjoignant à PM de remettre à ITL, ou de détruire sous serment, tous les paquets dont les habillages sont reproduits en annexe A, ainsi que tout matériel de toute nature, y compris tout matériel publicitaire, se trouvant en sa possession ou sous son contrôle, dont l’utilisation irait à l’encontre de l’injonction prononcée.

 

[127]       Comme les parties n’ont pas pris devant nous de conclusions sur le droit d’ITL de choisir entre l’octroi de dommages-intérêts et la restitution des bénéfices, ni sur les intérêts antérieurs au jugement, ni sur la taxation des dépens d’ITL devant la Cour fédérale, je renverrais ces questions devant le juge du fond.

 

[128]       Je rejetterais l’appel incident de PM avec dépens.

 

« Johanne Gauthier »

j.c.a.

 

« Je suis d’accord.

           Gilles Létourneau, j.c.a. »

 

« Je suis d’accord.

           J.D. Denis Pelletier , j.c.a.  »

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


ANNEXE A

Les paquets de cigarettes ROOFTOP (versions rouge, or et argent)

 

 

 

  

 

                                                                                               

 

 

 

 

 


[Texte français apparaissant sur les habillages]

 

AVERTISSEMENT

LA CIGARETTE NUIT AU BÉBÉ

 

L’usage du tabac nuit à la croissance du bébé pendant la grossesse. Plus petit à la naissance, le bébé risque de ne pouvoir rattraper ce retard et les risques de maladies infantiles, d’incapacités et de décès sont plus grands.

Santé Canada

 

CIGARETTES FILTRE

 

COME TO WHERE THE FLAVOR IS [VENEZ OÙ LA SAVEUR VOUS ATTEND]

 

______________

 

DE L’AIR S’IL VOUS PLAÎT

 

AVERTISSEMENT : La fumée secondaire contient du monoxyde de carbone, de l’ammoniac, du formaldéhyde, du benzo[a]pyrène et des nitrosamines. Ces produits chimiques peuvent nuire à vos enfants.

Santé Canada

 

CIGARETTES FILTRE

 

COME TO WHERE THE FLAVOR IS [VENEZ OÙ LA SAVEUR VOUS ATTEND]

 

______________

 


AVERTISSEMENT

CHAQUE ANNÉE, L’ÉQUIVALENT DE LA POPULATION D’UNE PETITE VILLE MEURT DES SUITES DU TABAGISME

 

Meurtres – 510

Alcool – 1 900                                                 Estimation du nombre de décès au Canada, 1996

Accidents de la route – 2 900

Suicides – 3 900

Tabac – 45 000

Santé Canada

 

CIGARETTES FILTRE

 

COME TO WHERE THE FLAVOR IS [VENEZ OÙ LA SAVEUR VOUS ATTEND]

 

______________

 


                                                                   ANNEXE B

Enregistrements des marques de commerce figuratives ROOFTOP

 

Numéro d’enregistrement :                            LMC252082

Date d’enregistrement :                                  Le 4 novembre 1980

Date de production de la demande :           Le 21 décembre 1975

Marchandises :                                                (1) Cigarettes

Demande fondée sur l’emploi au Canada depuis le 8 août 1958.

Numéro d’enregistrement :                            LMC252083

Date d’enregistrement :                                  Le 4 novembre 1980

Date de production de la demande :           Le 21 décembre 1975

Marchandises :                                                (1) Cigarettes

Demande fondée sur l’emploi au Canada depuis le 8 août 1958.

Le dessin est ligné pour la couleur rouge.

Numéro d’enregistrement :                            LMC254670

Date d’enregistrement :                                  Le 9 janvier 1981

Date de production de la demande :           Le 21 décembre 1979

Marchandises :                                                (1) Cigarettes

Demande fondée sur l’emploi au Canada depuis le 8 août 1958.

Le dessin est ligné pour la couleur rouge.

 

Numéro d’enregistrement :                            LMC274442

Date d’enregistrement :                                  Le 3 décembre 1982

Date de production de la demande :           Le 1er octobre 1981

Marchandises :                                                (1) Cigarettes

Demande fondée sur l’emploi au Canada depuis au moins 1971.

Le dessin est ligné pour la couleur or.

Numéro d’enregistrement :                            LMC465532

Date d’enregistrement :                                  Le 1er novembre 1996

Date de production de la demande :           Le 13 septembre 1995

Marchandises :                                                (1) Cigarettes

Demande fondée sur l’emploi au Canada depuis le 12 avril 1995.

Le fond du dessin est or et garni de triangles noirs, aucune couleur n’étant revendiquée pour la partie ovale vide.

 

Numéro d’enregistrement :                            LMC670898

Date d’enregistrement :                                  Le 23 août 2006

Date de production de la demande :           Le 25 mai 2005

Marchandises :                                                (1) Cigarettes

La déclaration d’emploi a été produite le 28 juillet 2006.

La couleur est revendiquée comme caractéristique de la marque de commerce. Le fond du dessin est argent et garni de triangles noirs, aucune couleur n’étant revendiquée pour la partie ovale vide. L’écusson dessiné est or, les lettres PM sont en blanc sur fond rouge, et les mots VENI VIDI VICI sont en blanc.

 

 

 


ANNEXE C

 

 

Loi sur les marques de commerce, L.R.C., 1985, ch. T-13

Trade-marks Act, R.S.C., 1985, c. T-13

Définitions

2. Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

 

[…]

 

 « créant de la confusion »

“confusing”

« créant de la confusion » Relativement à une marque de commerce ou un nom commercial, s’entend au sens de l’article 6.

 

 

 

[…]

 

« distinctive »

“distinctive”

« distinctive » Relativement à une marque de commerce, celle qui distingue véritablement les marchandises ou services en liaison avec lesquels elle est employée par son propriétaire, des marchandises ou services d’autres propriétaires, ou qui est adaptée à les distinguer ainsi.

 

[…]

 

 « emploi » ou « usage »

“use”

« emploi » ou « usage » À l’égard d’une marque de commerce, tout emploi qui, selon l’article 4, est réputé un emploi en liaison avec des marchandises ou services.

 

[…]

 

« marque de commerce »

“trade-mark”

« marque de commerce » Selon le cas :

a) marque employée par une personne pour distinguer, ou de façon à distinguer, les marchandises fabriquées, vendues, données à bail ou louées ou les services loués ou exécutés, par elle, des marchandises fabriquées, vendues, données à bail ou louées ou des services loués ou exécutés, par d’autres;

b) marque de certification;

c) signe distinctif;

d) marque de commerce projetée.

 

[…]

 

Quand une marque de commerce est réputée employée

4. (1) Une marque de commerce est réputée employée en liaison avec des marchandises si, lors du transfert de la propriété ou de la possession de ces marchandises, dans la pratique normale du commerce, elle est apposée sur les marchandises mêmes ou sur les colis dans lesquels ces marchandises sont distribuées, ou si elle est, de toute autre manière, liée aux marchandises à tel point qu’avis de liaison est alors donné à la personne à qui la propriété ou possession est transférée.

Idem

(2) Une marque de commerce est réputée employée en liaison avec des services si elle est employée ou montrée dans l’exécution ou l’annonce de ces services.

Emploi pour exportation

(3) Une marque de commerce mise au Canada sur des marchandises ou sur les colis qui les contiennent est réputée, quand ces marchandises sont exportées du Canada, être employée dans ce pays en liaison avec ces marchandises.

 

Quand une marque ou un nom crée de la confusion

6. (1) Pour l’application de la présente loi, une marque de commerce ou un nom commercial crée de la confusion avec une autre marque de commerce ou un autre nom commercial si l’emploi de la marque de commerce ou du nom commercial en premier lieu mentionnés cause de la confusion avec la marque de commerce ou le nom commercial en dernier lieu mentionnés, de la manière et dans les circonstances décrites au présent article.

 

[…]

 

Éléments d’appréciation

(5) En décidant si des marques de commerce ou des noms commerciaux créent de la confusion, le tribunal ou le registraire, selon le cas, tient compte de toutes les circonstances de l’espèce, y compris :

a) le caractère distinctif inhérent des marques de commerce ou noms commerciaux, et la mesure dans laquelle ils sont devenus connus;

b) la période pendant laquelle les marques de commerce ou noms commerciaux ont été en usage;

c) le genre de marchandises, services ou entreprises;

d) la nature du commerce;

e) le degré de ressemblance entre les marques de commerce ou les noms commerciaux dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu’ils suggèrent.

 

Marque de commerce enregistrable

12. (1) Sous réserve de l’article 13, une marque de commerce est enregistrable sauf dans l’un ou l’autre des cas suivants :

 

[…]

 

d) elle crée de la confusion avec une marque de commerce déposée;

 

[…]

 

Quand l’enregistrement est invalide

18. (1) L’enregistrement d’une marque de commerce est invalide dans les cas suivants :

 

[…]

 

b) la marque de commerce n’est pas distinctive à l’époque où sont entamées les procédures contestant la validité de l’enregistrement;

 

[…]

 

Droits conférés par l’enregistrement

19. Sous réserve des articles 21, 32 et 67, l’enregistrement d’une marque de commerce à l’égard de marchandises ou services, sauf si son invalidité est démontrée, donne au propriétaire le droit exclusif à l’emploi de celle-ci, dans tout le Canada, en ce qui concerne ces marchandises ou services.

 

Violation

20. (1) Le droit du propriétaire d’une marque de commerce déposée à l’emploi exclusif de cette dernière est réputé être violé par une personne non admise à l’employer selon la présente loi et qui vend, distribue ou annonce des marchandises ou services en liaison avec une marque de commerce ou un nom commercial créant de la confusion. Toutefois, aucun enregistrement d’une marque de commerce ne peut empêcher une personne :

a) d’utiliser de bonne foi son nom personnel comme nom commercial;

b) d’employer de bonne foi, autrement qu’à titre de marque de commerce :

(i) soit le nom géographique de son siège d’affaires,

(ii) soit toute description exacte du genre ou de la qualité de ses marchandises ou services,

d’une manière non susceptible d’entraîner la diminution de la valeur de l’achalandage attaché à la marque de commerce.

 

Exception

(2) L’enregistrement d’une marque de commerce n’a pas pour effet d’empêcher une personne d’utiliser les indications mentionnées au paragraphe 11.18(3) en liaison avec un vin ou les indications mentionnées au paragraphe 11.18(4) en liaison avec un spiritueux.

 

Dépréciation de l’achalandage

22. (1) Nul ne peut employer une marque de commerce déposée par une autre personne d’une manière susceptible d’entraîner la diminution de la valeur de l’achalandage attaché à cette marque de commerce.

Action à cet égard

(2) Dans toute action concernant un emploi contraire au paragraphe (1), le tribunal peut refuser d’ordonner le recouvrement de dommages-intérêts ou de profits, et permettre au défendeur de continuer à vendre toutes marchandises revêtues de cette marque de commerce qui étaient en sa possession ou sous son contrôle lorsque avis lui a été donné que le propriétaire de la marque de commerce déposée se plaignait de cet emploi.

 

Le registraire peut exiger une preuve d’emploi

45. (1) Le registraire peut, et doit sur demande écrite présentée après trois années à compter de la date de l’enregistrement d’une marque de commerce, par une personne qui verse les droits prescrits, à moins qu’il ne voie une raison valable à l’effet contraire, donner au propriétaire inscrit un avis lui enjoignant de fournir, dans les trois mois, un affidavit ou une déclaration solennelle indiquant, à l’égard de chacune des marchandises ou de chacun des services que spécifie l’enregistrement, si la marque de commerce a été employée au Canada à un moment quelconque au cours des trois ans précédant la date de l’avis et, dans la négative, la date où elle a été ainsi employée en dernier lieu et la raison de son défaut d’emploi depuis cette date.

 

[…]

 

Effet du non-usage

(3) Lorsqu’il apparaît au registraire, en raison de la preuve qui lui est fournie ou du défaut de fournir une telle preuve, que la marque de commerce, soit à l’égard de la totalité des marchandises ou services spécifiés dans l’enregistrement, soit à l’égard de l’une de ces marchandises ou de l’un de ces services, n’a été employée au Canada à aucun moment au cours des trois ans précédant la date de l’avis et que le défaut d’emploi n’a pas été attribuable à des circonstances spéciales qui le justifient, l’enregistrement de cette marque de commerce est susceptible de radiation ou de modification en conséquence.

 

[…]

Definitions

2. In this Act,

 

 

 

“confusing”

« créant de la confusion »

“confusing”, when applied as an adjective to a trade-mark or trade-name, means a trade-mark or trade-name the use of which would cause confusion in the manner and circumstances described in section 6;

 

 

« distinctive »

 

“distinctive”, in relation to a trade-mark, means a trade-mark that actually distinguishes the wares or services in association with which it is used by its owner from the wares or services of others or is adapted so to distinguish them;

 

 

 

 “trade-mark”

« marque de commerce »

“trade-mark” means

(a) a mark that is used by a person for the purpose of distinguishing or so as to distinguish wares or services manufactured, sold, leased, hired or performed by him from those manufactured, sold, leased, hired or performed by others,

(b) a certification mark,

(c) a distinguishing guise, or

(d) a proposed trade-mark;

 

 

“use”

« emploi » ou « usage »

“use”, in relation to a trade-mark, means any use that by section 4 is deemed to be a use in association with wares or services;

 

 

 

 

 

When deemed to be used

 (1) A trade-mark is deemed to be used in association with wares if, at the time of the transfer of the property in or possession of the wares, in the normal course of trade, it is marked on the wares themselves or on the packages in which they are distributed or it is in any other manner so associated with the wares that notice of the association is then given to the person to whom the property or possession is transferred.

 

 

Idem

(2) A trade-mark is deemed to be used in association with services if it is used or displayed in the performance or advertising of those services.

Use by export

(3) A trade-mark that is marked in Canada on wares or on the packages in which they are contained is, when the wares are exported from Canada, deemed to be used in Canada in association with those wares.

 

 

When mark or name confusing

 (1) For the purposes of this Act, a trade-mark or trade-name is confusing with another trade-mark or trade-name if the use of the first mentioned trade-mark or trade-name would cause confusion with the last mentioned trade-mark or trade-name in the manner and circumstances described in this section.

 

 

 

 

 

What to be considered

(5) In determining whether trade-marks or trade-names are confusing, the court or the Registrar, as the case may be, shall have regard to all the surrounding circumstances including

(a) the inherent distinctiveness of the trade-marks or trade-names and the extent to which they have become known;

 

(b) the length of time the trade-marks or trade-names have been in use;

 

(c) the nature of the wares, services or business;

(d) the nature of the trade; and

(e) the degree of resemblance between the trade-marks or trade-names in appearance or sound or in the ideas suggested by them.

 

 

When trade-mark registrable

 (1) Subject to section 13, a trade-mark is registrable if it is not

 

 

 

 (d) confusing with a registered trade-mark;

 

 

 

When registration invalid

 (1) The registration of a trade-mark is invalid if

 

 

 (b) the trade-mark is not distinctive at the time proceedings bringing the validity of the registration into question are commenced, or

 

             

Rights conferred by registration

19. Subject to sections 21, 32 and 67, the registration of a trade-mark in respect of any wares or services, unless shown to be invalid, gives to the owner of the trade-mark the exclusive right to the use throughout Canada of the trade-mark in respect of those wares or services.

 

Infringement

 (1) The right of the owner of a registered trade-mark to its exclusive use shall be deemed to be infringed by a person not entitled to its use under this Act who sells, distributes or advertises wares or services in association with a confusing trade-mark or trade-name, but no registration of a trade-mark prevents a person from making

(a) any bona fide use of his personal name as a trade-name, or

(b) any bona fide use, other than as a trade-mark,

(i) of the geographical name of his place of business, or

(ii) of any accurate description of the character or quality of his wares or services,

in such a manner as is not likely to have the effect of depreciating the value of the goodwill attaching to the trade-mark.

 

 

 

Exception

(2) No registration of a trade-mark prevents a person from making any use of any of the indications mentioned in subsection 11.18(3) in association with a wine or any of the indications mentioned in subsection 11.18(4) in association with a spirit.

 

 

Depreciation of goodwill

 (1) No person shall use a trade-mark registered by another person in a manner that is likely to have the effect of depreciating the value of the goodwill attaching thereto.

Action in respect thereof

(2) In any action in respect of a use of a trade-mark contrary to subsection (1), the court may decline to order the recovery of damages or profits and may permit the defendant to continue to sell wares marked with the trade-mark that were in his possession or under his control at the time notice was given to him that the owner of the registered trade-mark complained of the use of the trade-mark.

 

 

Registrar may request evidence of user

 

45. (1) The Registrar may at any time and, at the written request made after three years from the date of the registration of a trade-mark by any person who pays the prescribed fee shall, unless the Registrar sees good reason to the contrary, give notice to the registered owner of the trade-mark requiring the registered owner to furnish within three months an affidavit or a statutory declaration showing, with respect to each of the wares or services specified in the registration, whether the trade-mark was in use in Canada at any time during the three year period immediately preceding the date of the notice and, if not, the date when it was last so in use and the reason for the absence of such use since that date.

 

 

 

Effect of non-use

(3) Where, by reason of the evidence furnished to the Registrar or the failure to furnish any evidence, it appears to the Registrar that a trade-mark, either with respect to all of the wares or services specified in the registration or with respect to any of those wares or services, was not used in Canada at any time during the three year period immediately preceding the date of the notice and that the absence of use has not been due to special circumstances that excuse the absence of use, the registration of the trade-mark is liable to be expunged or amended accordingly.

 

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                                            A‑463‑10

 

INTITULÉ :                                                                          MARLBORO CANADA LIMITÉE ET IMPERIAL TOBACCO CANADA LIMITÉE c.

                                                                                                PHILIP MORRIS PRODUCTS S.A. ET ROTHMANS, BENSON & HEDGES INC.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                  Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                 Le 18 janvier 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                               LA JUGE GAUTHIER

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                           LE JUGE LÉTOURNEAU

                                                                                                LE JUGE PELLETIER

 

DATE DES MOTIFS :                                                         Le 29 juin 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

François Guay

Steven B. Garland

Alexandrine Huck‑Anano

 

POUR LES APPELANTES

 

Kelly Gill

Selena Kim

James Buchan

POUR LES INTIMÉES

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Smart & Biggar

Montréal (Québec)

POUR LES APPELANTES

 

 

Gowling Lafleur Henderson, s.r.l.

Toronto (Ontario)

POUR LES INTIMÉES

 

 



[1] Afin d’éviter toute confusion, je désignerai par « MARLBORO » (en majuscules) la marque de commerce d’ITL déposée au Canada, et par « Marlboro » (en minuscules) le nom lui-même, ainsi que les marques de PM employées et déposées à l’étranger.

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