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Date : 20120628

Dossier : A‑152‑12

Référence : 2012 CAF 198

 

En  présence de monsieur le juge Mainville

 

ENTRE :

BCE INC., BELL CANADA et BELL MOBILITÉ INC.

appelantes

et

TELUS COMMUNICATIONS INC.

intimée

 

 

 

Requête jugée sur dossier sans comparution des parties

Ordonnance prononcée à Ottawa (Ontario), le 28 juin 2012

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :                                                           LE JUGE MAINVILLE

 


Date : 20120628

Dossier : A‑152‑12

Référence : 2012 CAF 198

 

En  présence de monsieur le juge Mainville

 

ENTRE :

BCE INC., BELL CANADA et BELL MOBILITÉ INC.

appelantes

et

TELUS COMMUNICATIONS INC.

intimée

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

LE JUGE MAINVILLE

[1]               Dans le cadre de leur appel de la décision en matière de radiodiffusion CRTC 2011‑765 rendue le 12 décembre 2011 par le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (le CRTC), les appelantes (collectivement appelées Bell) ont présenté une requête visant à obtenir : a) une ordonnance les autorisant à présenter de nouveaux éléments de preuve en appel (l’ordonnance relative aux nouveaux éléments de preuve); b) une ordonnance protégeant la confidentialité de certains documents que Bell entend déposer dans le cadre du présent appel (l’ordonnance de confidentialité); c) une ordonnance nunc pro tunc prorogeant les délais prévus à la partie 6 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 (l’ordonnance prorogeant les délais).

 

[2]               Le volet de la requête présentée par les appelantes qui vise à obtenir une ordonnance les autorisant à présenter de nouveaux éléments de preuve a été rejeté par la juge Sharlow le 22 juin 2012 (motifs répertoriés sous 2012 CAF 191). La juge Sharlow a également enjoint au greffe de confier l’examen des autres questions énoncées dans la requête au juge en devoir siégeant à Ottawa le 27 juin 2012.

 

[3]               L’intimée (Telus) consent au prononcé de l’ordonnance prorogeant les délais. Je conviens qu’il y a lieu de prononcer cette ordonnance. Une ordonnance, jointe aux présents motifs, est donc prononcée en conséquence, avec pour effet de suspendre nunc pro tunc les délais prévus à la partie 6 des Règles des Cours fédérales à compter du 25 mai 2012, date du dépôt de l’avis d’appel, jusqu’à la date du prononcé de la présente ordonnance, après laquelle les délais en question recommenceront à courir.

 

[4]               Telus est toutefois en désaccord avec l’ordonnance de confidentialité proposée. Ses deux principales objections sont les suivantes : a) les renseignements que Bell cherche à protéger ne sont pas confidentiels; b) l’ordonnance proposée a une portée trop large en ce qu’elle empêche l’avocat « interne » de Telus, qui selon le dossier de la Cour est l’avocat qui le représente dans le présent appel, d’avoir accès aux renseignements.

 

Caractère confidentiel des renseignements

[5]               Pour ce qui est tout d’abord du caractère confidentiel des renseignements, il est utile de signaler que par suite de l’ordonnance prononcée le 22 juin 2012 par la juge Sharlow, les seuls renseignements que Bell cherche maintenant à protéger sont les observations confidentielles datées du 24 février 2011 qu’elle a soumises au CRTC dans le cadre de l’instance ayant mené à la décision 2011‑765 du CRTC, ainsi que ses observations confidentielles révisées datées du 2 mars 2011 que Bell a également déposées auprès du CRTC dans la même instance (collectivement appelées les observations de Bell).

 

[6]               Les observations de Bell renferment des détails au sujet des propres données de marché de Bell et des modalités des contrats (les contrats de licence) que Bell a signés avec la Ligue nationale de football et la Ligue nationale de hockey, aux termes desquels Bell Mobilité acquerrait le droit de distribuer le contenu des ligues en question à ses abonnés, dans certains cas à titre exclusif. Le CRTC a considéré ces détails comme confidentiels. Le CRTC a permis à Bell de déposer une version abrégée des observations révisées de Bell et n’a accordé à Telus que le droit de consulter cette version abrégée (voir paragraphes 13 et 14 de l’affidavit souscrit par Karen Ng le 23 mai 2012, reproduits aux pages 13 à 18 du dossier de requête de Bell (l’affidavit de NG)).

 

[7]               Bell a de façon constante considéré comme très confidentielles ses propres données de marché (l’affidavit de Mme NG, au paragraphe 10) et constamment considéré comme confidentiel le contenu des contrats de licence, qui font l’objet de clauses en interdisant la communication (affidavit de Mme NG, au paragraphe 11). Bell a déposé des affidavits non contestés dans lesquels il est affirmé qu’elle subirait un grave préjudice si les renseignements en question étaient divulgués. Au paragraphe 12 de l’affidavit de Mme NG, on lit notamment ce qui suit :

            [traduction]

Si les renseignements portant sur les données de marché et les contrats de licence de Bell parvenaient à la connaissance d’autres fournisseurs de service comme TELUS, ceux-ci pourraient utiliser ces renseignements pour prendre des mesures de nature à nuire à Bell, du fait notamment qu’elles obtiendraient ainsi un avantage important lors de négociations futures portant sur l’octroi de licences sur le contenu mobile. La divulgation de tels renseignements pourrait compromettre sérieusement la capacité de Bell de livrer concurrence à d’autres entreprises à l’avenir et pourrait également causer un grave préjudice aux relations commerciales de Bell avec la LNF et la LNH [...]

 

[8]               Telus ne conteste pas directement l’affidavit soumis par Bell à l’appui de sa demande d’ordonnance de confidentialité. Elle soutient plutôt que rien ne permet de penser que tous les renseignements que Bell affirme être confidentiels portent sur la taille et la valeur du marché du contenu mobile canadien, et que de toute façon ces renseignements ne constituent pas un intérêt commercial important. Je ne suis pas d’accord.

 

[9]               Dans son affidavit, Mme Ng affirme dans les termes les plus nets que les observations de Bell renferment des détails sur les données de marché de Bell et que Telus pourrait utiliser ces renseignements pour obtenir un avantage important lors de négociations futures portant sur l’octroi de licences sur le contenu mobile. La Cour suprême du Canada a récemment statué, bien que dans un autre contexte législatif, « qu’en principe, il est possible de démontrer que la divulgation de renseignements qui ne sont pas déjà du domaine public et qui pourraient donner aux concurrents une longueur d’avance dans le développement de produits, ou dont ces derniers pourraient se servir pour accroître leur compétitivité, suscite un risque véritable de préjudice probable ou d’atteinte à la compétitivité du tiers » (Merck Frosst Canada Ltd. c. Canada (Santé), 2012 CSC 3, au paragraphe 220).

 

[10]           Le paragraphe 39(1) des Règles de pratique et de procédure du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, DORS/2010‑277, prises en application de la Loi sur la radiodiffusion, L.C. 1991, ch. 11, prévoit qu’en matière de radiodiffusion, une partie peut désigner comme confidentiels les renseignements visés à l’alinéa 39(1)c) de la Loi sur les télécommunications, L.C. 1993, ch. 38. Cette disposition concerne les renseignements dont la communication risquerait vraisemblablement soit de nuire à la compétitivité d’une personne, soit d’entraver des négociations menées par cette personne en vue de contrat ou à d’autres fins. C’est dans ce contexte que le CRTC a considéré comme confidentielles les observations de Bell. Bien que les dispositions en question et l’ordonnance de confidentialité du CRTC ne lient pas nécessairement notre Cour, elles constituent de toute évidence des facteurs dont il faut tenir compte pour se prononcer sur l’opportunité de rendre une ordonnance de confidentialité en vertu de l’article 151 des Règles des Cours fédérales.

 

[11]           Pour les motifs exposés ci-dessus, j’estime que les détails relatifs aux propres données du marché de Bell et des modalités des contrats de licence que l’on trouve dans les observations de Bell et qui ont fait l’objet de l’ordonnance confidentialité du CRTC devraient également être considérés comme des renseignements confidentiels dans l’appel dont notre Cour est saisie.

 

Accès aux renseignements confidentiels par les avocats

[12]           Bell propose que seul l’avocat externe de Telus soit autorisé à prendre connaissance des renseignements confidentiels. Telus s’y oppose au motif qu’elle est représentée par son avocat « interne » dans le présent appel et qu’elle n’a connaissance d’aucune affaire dans laquelle la portée d’une ordonnance de confidentialité a été élargie de manière à empêcher de divulguer des renseignements à un avocat « interne ». Telus est par contre d’accord pour restreindre l’accès aux renseignements confidentiels en question à deux avocats « internes ».

 

[13]           Bell n’a présenté aucun élément de preuve pour justifier sa position selon laquelle seuls les avocats externes devraient être autorisés à prendre connaissance des renseignements confidentiels. Elle n’a invoqué aucun moyen ni formulé d’argument pour expliquer pourquoi l’avocat « interne » de Telus ne devrait pas pouvoir consulter les renseignements confidentiels sous réserve des modalités d’une ordonnance de confidentialité. Elle n’a pas non plus fourni de précédent à l’appui d’une telle exclusion.

 

[14]           Dans ces conditions, il n’y a rien qui justifierait notre Cour d’empêcher les avocats « internes » de prendre connaissance des renseignements en question conformément aux modalités d’une ordonnance de confidentialité.

 

Dispositif

[15]           En conclusion, la requête de Bell est accueillie en partie. La Cour prononce deux ordonnances qui sont émises avec ces motifs : a) une ordonnance protégeant la confidentialité des propres données de marché de Bell et des modalités des contrats de licence reproduits intégralement dans les observations de Bell, et autorisant deux avocats « internes » de Telus à les consulter à titre confidentiel; b) une ordonnance suspendant nunc pro tunc les délais prévus à la partie 6 des Règles des Cours fédérales du 25 mai 2012 au 28 juin 2012, date à laquelle les délais recommenceront à courir.

 

[16]           Les dépens de la présente requête suivront l’issue de la cause.

 

 

« Robert M. Mainville »

j.c.a.

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Chantal DesRochers, LL.B., D.E.S.S. en trad.

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    A‑152‑12

 

INTITULÉ :                                                  BCE INC., BELL CANADA ET BELL MOBILITÉ INC. c.
TELUS COMMUNICATIONS INC.

 

 

REQUÊTE JUGÉE SUR DOSSIER SANS COMPARUTION DES PARTIES

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :             LE JUGE MAINVILLE

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 28 juin 2012

 

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

 

Neil Finkelstein

Brandon Kain

 

POUR LES APPELANTS

 

Stephen Schmidt

 

POUR L’INTIMÉE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

McCarthy Tétrault SRL

Toronto (Ontario)

 

POUR LES APPELANTS

 

Conseiller principal en réglementation

TELUS Communications Inc.

Ottawa (Ontario)

 

POUR L’INTIMÉE

 

 

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